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l’architecture asilaire du début du dix-neuvième siècle, ne sont pas hypothétiques. Certains ouvrages architecturaux réalisés par Claude-Nicolas Ledoux à la fin du dix- huitième siècle nous éclairent sur le sujet. La demeure privée pour Madame de Thélusson, construite en 1780, correspond à cette description : entrée monumentale, en forme d’arc de triomphe, large parc entourant la maison, façade sévère de la demeure, deux pavillons indépendants répartis de part et d’autre de la maison principale. La description de l’asile générique que j’ai faite en début de chapitre, pourrait s’appliquer à ces mêmes caractéristiques. Ledoux prévoit aussi un hospice dans la configuration de sa Cité idéale. Il le conçoit au-delà de la ville, parmi les bois et il doit être bâti autour d’une cour carrée. L’architecture utopiste semble avoir nourri le projet d’architecture asilaire. Ces théoriciens ont exercé une grande influence sur les générations d’architectes suivantes, surtout Boullée, qui, par son poste de professeur à l'École Nationale des Ponts et Chaussées (1778-1788), est devenu le maître de nombre d’architectes et notamment, de Jean-Nicolas-Louis Durand (1760-1834).

L’architecture rationnelle, 1800-1802

Les théories sensualistes de l’architecture développées durant les décennies précédentes, trouvent chez Durand, au tout début du dix-neuvième siècle, systématisme

recherche de ce même idéal de renouveler le langage architectural par un usage nouveau des formes du passé et des ordres classiques.

L’enseignement de Blondel véhicule les notions de simplicité, de pureté et son idée que la réalisation architecturale doit présenter une parenté avec la nature du corps humain (Kaufmann 1978 : 61), augurait déjà l’ère de l’architecture parlante. Parmi leurs autres enseignants, il faut relever Germain Boffrand, Jean-Laurent LeGeay. Il est important de mentionner dans cette généalogie, l’abbé Marc-Antoine Laugier (1713-1769), théoricien de l’architecture. Son ouvrage Essai sur l'architecture, est publié une première fois en 1752, et la deuxième édition, en 1755. Même s’il n’est pas architecte lui-même, dans sa volonté de tenir compte des caractéristiques humaines et des besoins élémentaires de l’homme en architecture, il eut aussi une large influence sur Boullée et Ledoux (Kaufmann 1978 : 75). Selon Laugier, n’est beau que ce qui est strictement nécessaire : « Dans les parties essentielles consistent toutes les beautés [...] Dans les parties ajoutées par caprice consistent tous les défauts » (Laugier, Essai : 10, cité dans Kaufmann 1978 : 77).

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et rigueur. Son apport théorique prend une ampleur inédite, par son vaste projet pédagogique, qui est très certainement le lien utile entre les utopistes et la pratique architecturale du dix-neuvième siècle. L’enseignement de Durand, véhiculé par ses traités dans les ateliers d’architectes, diffuse une approche nouvelle du concept d’architecture114, celle d’un art de raison, qui se base, mais sans servilité, sur les

modèles historiques et qui établit une typologie d’édifices, dont la beauté et le but résident dans l’utilité.

Les édifices proposés par Durand ne sont jamais fonctionnalistes. Ils sont rationnels. La rationalité de leurs formes architecturales résulte d'une nécessité interne qui trouve sa seule justification à l'intérieur du travail du projet ou, pour être plus précis, la forme procède d'une intériorisation des données programmatiques et constructives, médiatisée par l'architecture. (Huet, dans Szambien 1984 : 10).

Pour Durand, le dessin est le langage naturel de l’architecture. C’est le début de l’élaboration d’un projet : du plan se déduit l’élévation et des deux précédents, la coupe (Swambien 1984 : 88). Le plan est donc au cœur de la composition et de l’idée, et à ce titre, il exprime l’idéal. Les deux grands principes qui sont à la base de son enseignement et de sa théorisation sont la convenance et l’économie. De la convenance, les principes de solidité, de salubrité et de commodité sont primordiaux et de l’économie, ceux de symétrie, régularité et simplicité. Durand systématise l’idée que l’utilité et la beauté de l’architecture ne font qu’un, qu’ils se justifient l’un l’autre.

[…] on ne doit ni s’attacher à ce que l’architecture plaise vu qu’il lui est impossible de ne pas plaire; ni chercher à donner de la variété, de l’effet et du caractère aux édifices; puisqu’il est impossible qu’ils n’aient pas ces qualités. C’est donc de la disposition seule que doit s’occuper un architecte (Durand 1802 : 19).

114 Le Recueil et parallèle des édifices de tout genre, anciens et modernes : remarquables par leur

beauté, par leur grandeur, ou par leur singularité, et dessinés sur une même échelle, date de 1800, dit Le Grand Durand ; et le Précis des leçons d'architecture données à l'École royale polytechnique, publié à

compte d’auteur, dit le Petit Durand, dont la première édition date de 1802, sont les ouvrages qui ont été largement diffusés et utilisés dans les ateliers (et ce jusque dans les années 1960).

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Avec Durand, la question de la conception et de la construction d’hôpitaux est abordée directement dans ses traités théoriques. Que propose-t-il ? Le Recueil (1800), qui est un ouvrage de typologies destiné aux ateliers et qui comprend des planches de modèles tirées de plus de trois cents ouvrages consultés (Szambien 1984 : 100), ne traite que très peu d’hôpitaux, mais il donne des plans, sans les commenter, sur une même planche : ceux des hôpitaux de Gênes, de Milan, de Plymouth (1756), Saint-Louis à Paris (1607), La Roquette de Poyet (1788), des Incurables (Langres, 1775) et celui des fous curables, tiré du Mémoire sur les Hôpitaux (1788) (Szambien 1984 : 105) (Figure 25). Outre le plan pavillonnaire de Poyet, on peut y observer la prédominance des organisations présentant différents ordonnancements du quartier en forme de carré.

Gênes Milan Plymouth

St-Louis La Roquette Fous curables

Figure 25 – Jean-Nicolas-Louis Durand, Plans d’hôpitaux, dans Recueil

et parallèle des édifices de tout genre anciens et moderne, 1800. C’est en 1802, avec le Précis (1802-1805), second ouvrage typologique, que Durand discute des règles qui doivent présider à la construction des hôpitaux115 et qu’il

commente, sans les représenter, les hôpitaux dont il a donné les plans en 1800, dans

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l’ouvrage précédent. Selon lui, les hôpitaux de Milan en Italie et de Plymouth en Angleterre sont presque les seuls qui méritent quelques éloges (Durand 1802 : 68). Quels sont leurs atouts ? À Milan, ce sont les portiques qui forment galerie, à Plymouth, la cour carrée et la disposition générale. Il commente les hôpitaux français, situant au sommet de la hiérarchie les projets qui sont proposés, mais déplorant qu’ils soient restés à l’état d’idéal, n’ayant pas été réalisés. Que préconise Durand dans le Précis (1802) pour la construction d’hôpitaux ? Dans la troisième partie de l’ouvrage (1e

section), Examen des principaux genres d’édifices116, fidèle aux principes hygiénistes de

l’époque, il établit que les hôpitaux, comme les cimetières, doivent être à l’extérieur des murs de la cité. Et dans la deuxième section, où il traite des édifices publics, il adresse plus directement le cas des hôpitaux. Il fait, comme Esquirol le fera plus tard pour les établissements pour aliénés, une mise au point de la situation qui existe alors, pour justifier ensuite ses principes, comme étant une solution moderne nécessaire à l’utilité de l’hôpital. Il dénonce l’état précaire de ces établissements :

De tous les édifices les hôpitaux sont ceux dans lesquels devrait régner le plus de salubrité; de tous les édifices, ce sont cependant ceux dans lesquels, en général, on en rencontre le moins. (Durand 1802 : 68)

Pour Durand le théoricien, la typologie qu’il établit, repose sur le meilleur parti à tirer des modèles historiques et de la composition équilibrée et symétrique. Les principes qui ont mené à l’hôpital moderne et aux asiles d’aliénés, la séparation des sexes et des types de maladies y est déjà théorisée. Le seul plan dont il illustre ici son propos, est celui de Poyet, qu’il modifie en lui donnant une forme plus rectangulaire (Figure 26). Ce plan, qui était le plus vanté dans le Recueil, devient le type idéal d’hôpital (Durand 1802 : planche 18).

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Chaque salle, tant celles qui d’un côté sont destinées pour les hommes, que celles qui de l’autre sont destinées pour les femmes, est affectée à un genre particulier de maladie. Chacune de ces salles a dix mètres de large sur environ neuf mètres de haut. Derrière les lits, placés sur deux rangs dans chaque salle, se trouve un corridor d’un mètre, servant à les isoler du mur, à en dégager le service (Durand 1802 : 69).

Figure 26 – Jean-Nicolas-Louis Durand, Plan – Hôpitaux, dans Précis des leçons d'architecture données à l'École

Polytechnique, 1802.

Avec Durand, les principes qui ont conduit à la théorisation de l’hôpital français du dix-neuvième siècle, sont condensés, dans une forme idéale, sur papier et ce type diffusé par ses ouvrages didactiques, a dessiné l’image de l’architecture hospitalière en France pour toute la période du dix-neuvième siècle.