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L’asile doit être conçu comme le corps du psychiatre; l’institution asilaire, ce n’est rien d’autre que l’ensemble des régulations que ce corps effectue par rapport au corps même du fou assujetti à l’intérieur de l’asile. Michel Foucault, Le pouvoir psychiatrique63

Puisqu’il y sera question de l’effet de l’architecture sur nos sensations, je débute ce chapitre par une description impressionniste et subjective de l’asile psychiatrique du dix-neuvième siècle64. L’asile, dans son aménagement et sa conception générale,

s’appréhende d’abord de l’extérieur vers l’intérieur. L’asile, ça commence par un haut mur d’enceinte, opaque, massif, fait de matériaux rudes et résistants (Figure 13). On comprend d’emblée que le monde qui est inclus dans son sein est un monde à part, un monde protégé. Le mur protège à la fois ceux de l’intérieur des causes pathogènes venues de l’extérieur et il protège la société extérieure, normalisée, des écarts de comportement de ceux de l’intérieur. Le premier principe de traitement par l’asile, tel que suggéré par Pinel et concrétisé par Esquirol est l’isolement du malade du milieu duquel il est issu.

En laissant les aliénés dans leur département, ils resteront toujours victimes des préjugés qui, dans beaucoup de provinces, font regarder ces malades comme incurables […] Il importe de les soustraire à ces influences locales (Esquirol 1819 : 26).

63 Foucault 2003 [1973-1974] : 186.

64 Je m’appuie notamment sur les impressions ressenties, aux printemps 2012 et 2014, à la visite de : l’hôpital Esquirol à Saint-Maurice (ancien Hospice de Charenton), l’hôpital Sainte-Anne à Paris, l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, Bicêtre à Paris, les hôpitaux de Rouen, Quatre-Mares et Sotteville-lès-Rouen, maintenant Centre hospitalier du Rouvray, l’asile Étoc-Demazy (Le Mans), le centre hospitalier Marius Lacroix à La Rochelle (ancien hospice Lafond à La Rochelle), le centre hospitalier de Montauban, l’hôpital la Colombière à Montpellier.

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On entre ensuite dans l’enceinte de l’asile par une entrée monumentale (Figure 14). Au dix-neuvième siècle, cette entrée, véritable passage d’un monde à un autre, prend souvent la forme d’un arc de triomphe, symbole de purification et d’apaisement des fureurs. Le passage obligé par cet accès renforce la mission protectrice de l’enceinte et donne du monumentalisme au lieu. Puis enfin, à l’intérieur de ce monde protégé (Figure 15), on reçoit une double impression : celle d’un univers rationnel par la rigueur et la symétrie de la forme architecturale que nous apercevons dans son ensemble, et celle d’un univers d’émotions générées par une nature abondante, omniprésente (Figure 16). L’architecture asilaire, dans son ensemble construit65 se

définit donc aussi par son encadrement d’espaces vides, d’espaces naturels. Une nature circonscrite et domptée certes, mais qui a tout loisir de s’exprimer. Ceci répond encore aux préceptes aliénistes vantant les bienfaits de la nature sur l’esprit dérangé.

Les asiles doivent être bâtis hors des villes […] (Esquirol 1819 : 30). Le terrain acheté ne serait point sans produit; car le tiers du sol sur lequel on bâtira l’asile sera planté d’arbres, pour l’assainissement de l’air, pour l’agrément des malades […] (Esquirol 1819 : 37).

La forme architecturale que nous détaillons maintenant, l’hôpital psychiatrique générique de la première moitié du dix-neuvième siècle, est monumentale dans son assise et son utilisation de l’espace au sol. Les bâtiments sont peu élevés, souvent en rez-de-chaussée, ou avec un seul étage, plus rarement deux. Cette vaste occupation de l’espace est prévue pour donner un caractère de grandeur à l’édifice. « On en fera des monumens pour les départemens; ils inspireront plus de confiance » (Esquirol 1819 : 27). Un bâtiment central nous fait d’abord face, souvent plus élevé que les autres, souvent plus décoré, portant parfois un attique, une corniche, une colonnade, une

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horloge, du décor sculpté (Figure 17). On sait que ce bâtiment abrite les personnages les plus importants du lieu. Faisant souvent partie de ce bloc central, la chapelle, toujours monumentale, se trouve en position de domination sur l’ensemble de l’édifice (Figure 18). Dans ce monde de science, elle apporte de la légitimité à l’ensemble et l’on se souvient que l’hôpital depuis le Moyen-âge était la chapelle même. « Le lieu où sont accueillis tous ensemble, passants et gisants, malades ou pauvres, curables et incurables » (Cabal 2001 : 74).

Figure 13 – Murs d’enceinte d’hôpitaux psychiatriques. En haut à gauche, Centre hospitalier Sainte-Anne, Paris; à droite, Centre hospitalier du Rouvray, Rouen.

En bas, à gauche, Asile Étoc-Demazy, Le Mans; à droite, Hôpital Esquirol (Charenton), Saint- Maurice, photographies de l’auteure (2012, 2014).

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Figure 14 – Entrées monumentales d’hôpitaux psychiatriques. En haut à gauche, Hôpital de la Colombière, Montpellier; à droite, Hôpital Bicêtre, Paris; en bas, Centre hospitalier Sainte- Anne, Paris, photographies de l’auteure (2012, 2014).

Figure 15 – Symétrie de la forme architecturale d’hôpitaux psychiatriques. En haut à gauche, Hôpital Étoc-Demazy, Le Mans; à droite, Hôpital La Salpêtrière, Paris; en bas, Quatre-Mares, Sotteville-lès-Rouen, photographies de l’auteure (2012, 2014).

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Figure 16 – Jardins d’hôpitaux psychiatriques. En haut à gauche, Centre hospitalier Sainte-Anne, Paris; à droite, Quatre-Mares, Sotteville-lès-Rouen; en bas à gauche, Hôpital Marius Lacroix (Asile de Lafond), La Rochelle; à droite, Hôpital Esquirol (Charenton), Saint-Maurice, photographies de l’auteure (2012, 2014).

Figure 17 – Élévation des bâtiments centraux d’hôpitaux psychiatriques. À gauche, Centre hospitalier Sainte-Anne, Paris; à droite, Hôpital Marius Lacroix (Asile de Lafond), La Rochelle, photographies de l’auteure (2012, 2014).

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Figure 18 – Chapelles d’hôpitaux psychiatriques. À gauche, Hôpital Esquirol (Charenton), Saint- Maurice; au centre, Chapelle Paraire, Asile d’aliénés de Rodez (source Web); à droite, Centre hospitalier Sainte-Anne, Paris, photographies de l’auteure (2012, 2014).

Figure 19 – Quartiers de logement d’hôpitaux psychiatriques. En haut à gauche, Hôpital Esquirol (Charenton), Saint-Maurice; à droite, Hôpital Étoc-Demazy, Le Mans; en bas à gauche, Hôpital Marius Lacroix (Asile de Lafond), La Rochelle; à droite, Hôpital La Salpêtrière, Paris,

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Puis enfin, toujours, ce bâtiment central agit comme répartiteur de deux ensembles de constructions parfaitement séparées (Figure 15). Si on ne sait pas que cette division était destinée à séparer les hommes et les femmes, on saisit quand même, l’importance de cette répartition spatiale66. Les deux ailes se subdivisent ensuite

en corps de logis symétriques, égaux entre eux, donnant une impression de régularité à l’ensemble (Figure 19). Une idée s’en dégage, celle de séparation, de classement, de rangement. Celle de chaque chose à sa place, ou de chaque personne à sa place, « ces masses isolées seront assez nombreuses pour classer tous les aliénés ». (Esquirol 1819 : 31).