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Chapitre 2. Les luttes pour une définition légitime du « sport »

3. L’approche critique du sport

Le courant critique du sport s’est principalement développé, en France, de la fin des années 1960 au début des années 1970. Le mouvement de mai 1968 a notamment développé une critique du sport, domaine jusqu’alors relativement épargné : « Il fallait se décider à présenter un jour une étude critique, révolutionnaire du sport, des loisirs physiques et de la culture du corps en régime capitaliste. Les événements révolutionnaires de Mai nous en ont donné la possibilité et l’occasion » (Knief, Languillaumie, Brohm, 1972, 5). C’est en 1976 avec la

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publication de Sociologie politique du sport59 que J-M. Brohm marque sa vive opposition au courant coubertinien et rompt avec une vision positive du sport. Sa critique du système sportif, de son idéologie et ses valeurs repose sur quatre axes. Tout d’abord, le sport ferait du sportif un esclave ; l’idéologie de la compétition imposerait de gagner par n’importe quel moyen. Ensuite, l’individu qui entre dans le système sportif se trouve pris dans un engrenage.

L’État instrumentalise les champions à des fins nationalistes. Une autre critique, fondement de son analyse, est que le sport est au service du capitalisme industriel ; nous y reviendrons ultérieurement. Enfin, selon lui, le sport est utilisé comme un moyen de distraction voire de diversion des individus. Il « vient occuper leur esprit et les détourne des préoccupations réelles au profit de pseudo-activités sérieuses » (Brohm, 1976, 220).

Lorsqu’il parle de sport, J-M. Brohm évoque principalement le sport de compétition. Il propose une définition dialectique du sport en reprenant l’analyse de G. Hébert qui a distingué

« sport » et « exercices physiques ». Ce qui différencie ces deux pratiques est l’objectif, la relation au rendement, à la performance. Un promeneur à pied, un facteur de campagne qui font de la marche, pratiquent un « exercice physique », alors qu’un individu cherchant à diminuer son temps sur un parcours, à aller plus vite que son camarade fait du « sport » :

« Notre analyse porte donc exclusivement sur le sport entendu comme institution de la compétition physique réglée » (Brohm, op.cit., 17). Sa définition du sport porte sur sa dimension institutionnalisée, codifiée, réglementée se basant sur des objectifs de performance et d’efficacité : « Le sport est un système institutionnalisé de pratiques compétitives, à dominante physique, délimitées, codifiées, réglées conventionnellement dont l’objectif avoué est, sur la base d’une comparaison de performances, d’exploits, de démonstrations, de prestations physiques, de désigner le meilleur concurrent (le champion) ou d’enregistrer la meilleure performance (record) » (Brohm, op.cit., 45).

Les notions de « record » et de « rendement » sont des aspects essentiels du sport tel que le définit J-M. Brohm. Elles constituent le point de rupture entre les jeux anciens et le sport moderne. J-M. Brohm reconnaît qu’en tout temps les hommes se sont adonnés à des exercices physiques mais pas forcément au sport tel que nous l’entendons aujourd’hui. C’est avec la recherche permanente du progrès, que le sport moderne a intégré les principes du système capitaliste. Le sport moderne est caractérisé par quatre principes.

Le premier est celui de rendement. Le sport n’a pas lieu d’être s’il n’y a pas de recherche

59 Brohm, J-M. 1976. Sociologie politique du sport. Nancy : Presses Universitaires de Nancy.

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consciente et systématique de productivité. Cette recherche procède des mêmes valeurs, du même esprit que le système capitaliste basé sur la production et l’efficacité.

Le second principe est celui de hiérarchisation. Il se manifeste par une hiérarchie des disciplines (disciplines reines comme l’athlétisme ou la natation), une hiérarchie entre les nations sportives. Le sport constitue une hiérarchie parallèle à celle de la société qui permet à tous les individus de tenter leurs chances (croyance utopique selon J-M. Brohm). Elle peut aussi être une hiérarchie de compensation, perçue comme plus souple, plus ouverte alors que la hiérarchie sociale est fixe, stable. Le sport serait une « soupape de sûreté » (Brohm, op.cit., 52) qui permettrait de compenser les inégalités par un espoir de promotion sociale.

Une troisième caractéristique est mise en avant par J-M. Brohm, l’organisation bureaucratique. Il reprend l’analyse de M. Weber sur la bureaucratie en l’appliquant au sport.

Il parle de bureaucratie sportive, le sport représentant une organisation rationnelle du travail impliquant un grand nombre de personnes. Il évoque principalement la production de spectacles et de manifestations sportives régies par un ensemble de juridictions, de règles détaillées qui précisent les tâches de chacun.

Enfin, la dernière caractéristique est celle de publicité et de transparence. Le sport repose sur la publicité, la valorisation des exploits qui nécessite une masse de spectateurs. La performance n’a pas de sens si elle est ignorée du grand public.

L’analyse de J-M. Brohm s’inscrit dans le courant marxiste, l’institution sportive se construisant, pour lui, en lien avec le mode de production capitaliste de l’État. Il estime que

« le système sportif en voie de mondialisation est le reflet de l’universalisation et de l’extension à toutes les formations sociales du globe du mode de production capitaliste (ère de l’impérialisme) » (Brohm, op.cit., 65).

Le sport est donc lui aussi dominé par la course au profit avec comme ligne de conduite le rendement. Le sport obéit à la loi du profit, de la concurrence. La compétition sportive est une déclinaison de la compétition marchande ou encore de la rationalisation des tâches.

Ainsi, J-M. Brohm critique la vision idéalisée du sport de P. de Coubertin en rejetant l’utopie de l’égalité dans et par le sport. Il critique le rôle que joue le sport dans la culture de masse. Il parle même « d’aliénation » considérant les classes populaires comme aliénées à l’industrie du spectacle sportif. Ce faisant, la pratique sportive réduit le champ de la conscience sociale, politique. Elle engage les individus dans une économie psychique répressive : « Le sport agglomère les classes sociales comme un ciment pour les détourner de leur vieille lutte séculaire. Comme tel, le sport est un profond facteur de dépolitisation » (Brohm, op.cit., 221).

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J-M. Brohm parle « d’opium du peuple » (Brohm, op.cit., 221) pour qualifier le détournement du peuple des vrais problèmes sociétaux. Cela est particulièrement dommageable pour les pays sous développés, notamment ceux latinos-américains, pauvres, abrutis par la faim mais vibrant pour le football, seul moment d’évasion. Cette aliénation est entretenue par les couches dirigeantes.

Pour résumer, la thèse de J-M. Brohm repose sur l’idée que le sport apparaît comme un

« appareil idéologique d’État » (Brohm, op.cit., 231).

Son analyse est intéressante en ce qu’elle met en évidence les enjeux politiques du sport et les possibilités d’instrumentalisation de celui-ci par l’État et la société capitaliste.

Cependant, cette vision sombre est réfutée par d’autres travaux. Certes, il ne faut pas ignorer les possibilités d’instrumentalisation du sport mais il ne faut pas non plus occulter les effets sociaux positifs, en matière de prévention notamment.

4. L’approche préventive du sport par la libération contrôlée des