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Chapitre 2. Les luttes pour une définition légitime du « sport »

5. L’émergence de « nouvelles » approches

Les années 1950-1960 opèrent un tournant dans l’approche sociologique du sport.

Auparavant, la vision institutionnelle du sport dominait les définitions et la pratique sportive fédérale était perçue comme l’unique forme légitime.

61 Le concept d’« habitus social » a été développé par P. Bourdieu. Il forme les conduites ordinaires ; il permet l’expression de l’intention objective par la réactivation de l’intention vécue de celui qui les accomplit. Dans le concept d’habitus, P. Bourdieu veut insister sur « les capacités génératrices des dispositions, étant entendu qu’il s’agit de dispositions acquises, socialement constituées » (Bourdieu, 1987, 23). L’habitus vient en contradiction de la théorie de la rationalité stratégique de l’agent, il rend compte du fait que les conduites sont des séquences qui sont objectivement orientées par rapport à une fin mais sans être le produit d’une stratégie rationnelle, ni d’une détermination mécanique.

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Jusqu’à cette période charnière, le sport a globalement suivi les transformations socio-économiques basées sur une institutionnalisation forte et la valorisation de la compétition, du progrès, des performances motrices et de la dépense énergétique.

Cependant, l’essor des loisirs individuels implique un nouveau modèle qui s’impose au tournant des années 1970, soutenu par le développement et la spécialisation des recherches sociologiques. Pour bien comprendre ce basculement, il est important de souligner les facteurs qui ont entrainé l’explosion des loisirs dans un contexte socio-économique agité à la fin des années 1960.

J. Dumazedier62 analyse l’évolution des loisirs, dans lesquelles le sport va occuper une place prépondérante. Proposant une approche globale du loisir, il ne définit pas exclusivement celui-ci par rapport au travail. Pour lui, le loisir s’oppose à l’ensemble des obligations de la vie quotidienne et se définit comme « un ensemble d’occupations auxquelles l’individu peut s’adonner de plein gré, soit pour se reposer, soit pour se divertir, soit pour développer son information ou sa formation désintéressée, sa participation sociale volontaire ou sa libre capacité créatrice après s’être dégagé de ses obligations professionnelles, familiales et sociales » (Dumazedier, 1962, 28).

Bien que le loisir ne doive pas être analysé à la seule lumière du travail ; ce sont d’abord les évolutions du monde professionnel qui permettent son expansion. En effet, mai 1968 a permis une réduction du temps de travail (durée légale de vacances qui s’est allongée de trois à quatre semaines courant 1968-1970, avancement de l’âge de la retraite à 60 ans dans les conventions d’action de la CGT63 et de la CFDT64, ouvrant le droit de loisir pour le troisième âge, etc.).

Cette période constitue un tournant dans le développement des loisirs avec un changement de paradigme : la journée ne comporte plus que des heures de travail mais également des temps de loisirs dont les activités sportives représentent une part importante.

De plus, les progrès techniques favorisant la mécanisation du travail, l’implication dans le loisir ne s’explique pas seulement par une recherche d’équilibre par rapport aux tâches répétées, mais surtout par la nécessité d’avoir des relations plus humaines où la valeur principale n’est pas le rendement.

Au-delà du monde professionnel, le progrès technique influe sur la vie familiale avec une réduction des activités utilitaires, notamment du travail ménager, et l’intégration des loisirs

62 Dumazedier, J. (1962). Vers une civilisation du loisir ? Paris, Editions du Seuil.

63 Confédération Générale du Travail est un syndicat français de salariés crée en 1895.

64 Confédération Française Démocratique du Travail est une confédération interprofessionnelle de syndicats français de salariés créée en 1919.

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dans le foyer. D’une part, le besoin de détente se satisfait dans l’expansion des divertissements mais, d’autre part, un besoin d’évasion se développe.

Alors que l’institution sportive se stabilise, elle connaît une diversification. De nouvelles formes de pratiques apparaissent et fragmentent sa « structuration ». Nous nous trouvons face à ce qui est appelé « l’individualisme sportif de masse » avec, à la fois, un « modèle culturel alternatif par rapport à la stricte compétition : convivialité ponctuelle, fraternité des

« déçus » du sport de club, petits groupes intimistes … » (Callède, 2007, 260) et l’expansion des nouvelles pratiques basées sur le « fun »65 privilégiant le ludique, le plaisir, caractérisées notamment par les sports de glisse (skate-board, surf, planche à voile, etc.).

Pour une partie des pratiquants sportifs hors institution, la pratique licenciée, et notamment compétitive, est perçue comme contraignante avec des horaires à respecter, un volume d’entraînements important, une disponibilité demandée le week-end, etc. Se développent alors les activités individualisées, dites « libres » où chacun choisit de faire son sport quand il en a envie : prendre sa planche de surf ou son vélo quand il le souhaite séduit une partie de la population.

Un nouveau modèle de pratique apparaît avec une organisation de type « service » où l’accès au sport est offert directement, sans dépendance à une institution. La pratique est flexible, il n’y a pas de règles institutionnalisées. Les règles sont établies par les pratiquants eux-mêmes.

Les groupes sont moins fixés par les performances et les niveaux ; les regroupements sont davantage affinitaires. La relation avec le local s’en trouve modifiée, la pratique sportive n’étant plus structurée à l’échelle institutionnelle d’une ville.

Cependant, il est important de relativiser l’ampleur de cette « crise » institutionnelle qui est souvent mal interprétée comme le rappellent R. Thomas et all66. : « Le mouvement sportif critique souvent ce qu’il appelle le sport loisir comme une dégénérescence des idéaux sportifs et parfois même comme un signe de l’amollissement des mœurs (jugement fréquemment exprimé dans les revues ou bulletins des fédérations sportives) » (Thomas, Haumont, Levet, 1987, 81).

Certes, le mouvement sportif dit traditionnel connaît un déclin mais son assise reste importante, d’autant que la pratique sportive hors institution ne signifie pas forcément un rejet du fonctionnement sportif traditionnel. Le fait de ne plus pouvoir répondre à ce modèle ne

65 Loret, A. (1995). Génération glisse. Paris, Autrement.

66 Thomas, R., Haumont, A., Levet, L. (1987). Sociologie du sport. Paris, Presses Universitaires de France.

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signifie pas toujours un moindre goût de l’effort mais s’explique par des contraintes, des obligations de vie personnelle, etc.

Pourtant, cet accroissement du nombre des pratiquant.e.s hors institutions pose un réel problème à plusieurs niveaux. Au niveau économique, la perte de licencié.e.s sportifs.ves signifie une baisse de rentrée d’argent dans les caisses des clubs fédéraux et de l’État.

Surtout, le déclin de l’institution sportive questionne le bienfondé des valeurs sportives fédérales. Le club sportif a été un lieu où se transmettaient des valeurs telles que le fair-play, le respect des adversaires, des partenaires, de l’arbitre, la solidarité, la cohésion sociale, etc.

La forte progression des pratiques hors institution affaiblie-t-elle le rôle éducatif des clubs ? Devant ces questionnements, une politique sportive dite « de proximité » voit le jour dans les années 1980 à destination des jeunes qui posent des problèmes « d’ordre en public » (Bodin et al., 2007, 16) et qu’il convient d’intégrer ou de réintégrer à travers le sport.