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Chapitre Deux

5. L’approche audiovisuelle

Il est vrai que la méthode audio-orale a généré une avancée significative par l’intégration du magnétophone. Cependant, la méthode audiovisuelle, qui domine en France dans les années 70 et 80, fera souffler un vent nouveau sur la didactique des langues en améliorant l’aspect multimodal constitué de l’association du manuel et du magnétophone. Le statut de la technologie n’est pas dépendant mais central comme le souligne Christian Puren (2001). Le principe fondamental de cette méthode est l’association conjointe du son et de l’image dans le cours de langue. Mais, nous ne sommes pas encore dans une exposition à un environnement numérique et multimodal : l’enseignant occupe une place centrale dans le cours de langue et l’autonomie de l’élève est limitée.

En dépit de son aspect multimodal, cette méthode va influencer les prémices de l’enseignement des langues assité par ordinateur en raison de ses fondements théoriques. Elle reprend les exercices structuraux de la méthode audio-orale, la méthode imitative ou encore des dialogues au sein desquels l’image sert d’élément de contextualisation. Ces exercices stucturaux vont être diffusés sous forme de logiciel. Les fondements théoriques à la base de cette méthode, à savoir le sructuralisme et le behaviourisme, font de l’ordinateur non pas un outil mais un tuteur. Dans le même ordre d’idée, l’image diffusée dans le cadre de la MAV sur les écrans joue le rôle de modèle à imiter mais également d’élément d’élucidation de la L2. Les images viennent remplacer les mimiques de la méthode directe. Christian Puren décrit ce phénomène ainsi :

[…] les images, dont l’utilisation est systématique dans la MAV, « servent de point de départ pour une compréhension ne passant pas par l’intermédiaire de la langue maternelle» […] Elles y sont en effet supposées fonctionner comme un écran entre la langue étrangère et la langue maternelle des élèves, les signifiants de celle-là étant renvoyés aux signifiés iconiques, et non à des signifiants plus ou moins équivalents en langue maternelle […] (Puren, 1988 :320)

Selon Chritian Puren (1988), l’image est également un auxilliaire permettant la représentation de la réalité et de la situation de communication. L’auteur écrit ainsi :

L’image audiovisuelle, de son côté, poursuit la tradition des images directes (dessins dans les manuels et surtout tableaux muraux) comme auxiliaires de la leçon de choses, en visualisant certains référents du dialogue de base (objets réels, mouvements, personnages, etc.). L’utilisation, à l’intérieur des images représentant la situation de

communication, de bulles d’images renvoyant elles-mêmes au contenu des répliques, procédé inconnu dans la MD, élargit encore ces possibilités de représentation concrète. (Puren, 1988 :329)

Même si l’image constitue un facteur important dans la contextualisation de situations dialoguées, il n’est pas question d’autonomie, ni de construction de l’information telle que nous l’évoquerons dans la deuxième partie de notre étude32

mais d’une soumission de l’élève aux contenus lexicaux, grammaticaux et phonologiques. La technologie utilisée au sein de cette méthode illustre des situations théâtrales mais ne permet pas une communication intégrant des paramètres pragmatiques et sociolinguistiques telle qu’on peut l’envisager dans le cadre d’un apprentissage intégrant les réseaux sociaux ou les plateformes de formation.

L’archarnement à la correction phonologique dans l’interprétation des dialogues est au centre des préoccupations de la MAV et se retrouve exprimé dans l’approche structuro-globale audiovisuelle. Cette approche fait partie de l’une des méthodes audio-visuelle dont les principes sont présentés ainsi par Christian Puren (1988 ) :

En ce qui concerne la correction des phonèmes, aux techniques de correction articulatoire, connues depuis la MD, viennent s’ajouter dans les cours influencés par la MAO :

– les techniques apportées par le structuralisme, en particulier les exercices de discrimination auditive et de prononciation sur les oppositions de « paires minimales»: ils ont/ils sont ; rateau/radeau ; avalé/affalé, etc. ;

– et, dans le cas des cours du CRÉDIF, une méthode plus globaliste et plus orientée sur le problème de la rééducation auditive, la « méthode verbo-tonale » de Petar Gubérina, qui est présentée comme l’application à la correction phonétique de sa théorie structuro-globale. (Puren, 1988 :332-333)

Cette approche diffusée en Europe dans les années 1950, appelée aussi « méthode de Saint- Cloud- Zagreb » parce qu’élaborée par l’Ecole Normale Supérieure de Saint- Cloud sous la direction de P. Rivenc (au centre de recherche et d’étude pour la diffusion du français, CREDIF) en partenariat avec l’équipe de P. Guberina à l’Université de Zagreb en Yougoslavie. Il convient de s’arrêter quelques instants pour expliquer les fondements des travaux de ce dernier. En effet, Pétar Gubérina a procédé par détournement dans la mesure où celui-ci a appliqué ses recherches sur la surdité aux langues étrangères. Selon celui-ci,

32 La contribution empirique intitulé TRAaM (Travaux de recherche Académique mutalisés) nous a permis de montrer le rôle de l’image non pas dans la contextualisation d’une situation de communication mais dans la construction de l’information dans le cadre d’un apprentissage par consultation de sites Internet et de documents

l’apprenant en langue étrangères est « […] véritablement sourd à certains sons de cette langue- et particulièrement ceux qui n’existent pas dans le système phonétique de sa langue maternelle » (Renard : 49). Une rééducation s’impose tout comme dans le cas des sourds par une stimulation du cerveau qui est à l’origine de cette déficience. Il transfère le « Suvag », appareil utilisé pour les sourds, aux langues vivantes : on parlera de « Suvalingua ». Ce matériel a été conçu pour conditionner l’oreille de l’apprenant aux sons étrangers. Raymond Renard écrit :

L’oreille fonctionnant de façon structurale, il faut donc faire en sorte que les sons les plus difficile à assimiler soient présentés aux élèves dans les structures phonétiques les plus efficientes, parce que scellées dans un rythme et une intonation qu’il importera avant tout de faire imiter servilement : « l’imitation juste de l’intonation et du rythme est bien plus important que la prononciation d’un son ».

Cette citation nous renseigne sur les principes fondateurs de la méthode verbo-tonale qui consiste en une correction par changement de l’environnement phonétique. Ce principe est digne de louanges et d’une ingéniosité évidente. Il est toutefois important de souligner le rôle joué par la répétition et le conditionnement hérité du behaviourisme : l’élève passif est tributaire de la supervision de l’enseignant et jouit d’une autonomie moindre. L’avènement de l’approche communicative va rendre toute sa place à l’apprenant en lui donnant une liberté et une créativité expressives totalement absentes de l’univers contraint de la méthodologie audio-visuelle. Aujourd’hui, dans notre société numérique les sources de la MAV n’ont pas disparu. En effet, il est possible d’avoir accès à toute une panoplie de ressources par le biais du Web.2 inspirées du structuralisme ou encore du behaviourisme (les exercices de transformation ou de substitutions) et des images fixes et animées, l’apprenant peut ainsi jouir d’une certaine autonomie et choisir les ressources utiles à la réalisation des tâches nécessaires à son apprentissage. Toutefois, devant une quantité aussi grande d’informations et compte tenu des capacités limitées de la mémoire de travail, la question du guidage se pose. Il convient en effet d’accompagner ou de faciliter la sélection, la régulation et la transformation de l’information. Nous aborderons ces questions dans nos études empiriques.

La MAV confère un rôle primordial à l’oral et aux moyens audiovisuels. Elle intègre le behaviourisme et le structuralisme. Il est évident que les notions de multimédia et de multimodalité se dessinent en filigrane dans cette conception de l’apprentissage des langues. Le son et l’image sont utilisés comme un filtre conceptuel qui donne accès à la signification.

Même si les cours audiovisuel de première génération s’inspiraient du béhaviorisme et du structuralisme, les cours de seconde et de troisième génération vont davantage se soucier de la communication, de l’autonomie et de l’individulisation. Christian Puren (1988) distingue trois types de MAV :

-La première génération de cours audio-visuelle des années 60 d’inspiration behaviouriste ou structuraux globale.

-La seconde génération de cours audio-visuelle dans les années 70 avec un affaiblissement de l’intégration didactique, un effort de correction et d’adaptation au contexte scolaire.

- la troisième génération des années 80 avec intégrant une démarche notionelle fonctionnelle et communicative.

On se rend compte qu’étant donné la nature de la langue et de l’apprentissage de la L2, on ne pouvait s’arrêter aux cours de première génération. Il fallait se diriger vers un paradigme communicatif et cognitif de l’enseignement-apprentissage des langues. Toutefois, l’héritage par la MAV est perceptible dans l’usage du numérique tel que la baladodiffusion, l’usage de diaporama ou encore de la vidéo. Mais la problématique est différente, il ne s’agit pas d’exposer les apprenants à un contexte numérique : il faut les amener à co-construire la L2 en tenant compte de leurs différences psychologiques. Ce n’est pas tant le matériel audiovisuel qui est ici important que la mise en relation de l’humain et de la technologie (linguistique et numérique). Il était plus harassant mais aussi plus facile de demander de répéter, de manipuler et de mémoriser des structures en MAV que de demander à l’apprenant de construire ses propres énoncés en environnement numérique par extraction, transformation et transfert vers des situations de communication de plus en plus authentiques.