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Chapitre Quatre

5. La tablette tactile

5.2.4 Les facteurs individuels et l’attention

Dans un environnement numérique, comme dans tout apprentissage, certains individus sont plus attentifs que d’autres. On attribue traditionnellement cette différence à l’aptitude des individus. Robinson démontre que les composantes définies par Caroll, c’est-à-dire « phonemic coding ability, grammatical sensitivity, associative memory ability, and inductive

language learning ability » jouent un rôle central dans le contrôle de l’attention. Les enfants

semblent doués dans le traitement phonologique du langage en raison de leur plasticité cérébrale, alors que les adultes - en raison d'une grande capacité à conceptualiser- sont plus habiles en ce qui concerne la compréhension et la production d’énoncés complexes. Nos contributions empiriques tenteront de mettre en relation la notion d’aptitude avec cette

d’attention chez des apprenants de niveau faible en L2. En effet, il est vain de mettre en œuvre des activités ludiques grâce à des outils numériques qui rappellent les consoles de jeu si on ne s’interroge pas sur l’aptitude des usagers du numérique à traiter des informations dans la langue cible. L’aptitude dont il est question est non seulement linguistique mais également cognitive.

Etant donné la différence existant entre les individus et compte tenu de leurs capacités relativement limitées, il convient de tendre vers une différenciation des supports. L'Internet et l'apprentissage « par consultation » jouent ce rôle dans la mesure où les apprenants peuvent choisir les supports en fonction de leurs styles cognitifs, de leurs personnalités ou de leurs aptitudes. Les plateformes de formation doivent tendre vers ce modèle et présenter une diversité de supports ou de liens qui garantissent la différenciation pédagogique et l’autonomie des apprenants.

5. 2.5 La motivation

Comme nous venons de le montrer, l’aptitude de l’apprenant à traiter les informations à l’écran en L2 doivent susciter l’attention de l’enseignant. Il convient maintenant d’explorer le concept de motivation si cher aux technophiles. En effet, les nouvelles technologies suscitent l’enthousiasme de certains et représentent un facteur de motivation pour de nombreux responsables pédagogiques. Dans un rapport intitulé « Apprendre à l’ère numérique » les auteurs écrivent 117:

Les plus grands moteurs de l’apprentissage sont le plaisir, les émotions positives, la motivation. Un enfant confiant se fixe des objectifs plus élevés. Il sait s’auto-motiver. Plus il arrive à gérer ses émotions, plus ses résultats scolaires s’améliorent.

L’acte d’apprentissage est fructueux dès lors que les mécanismes psychologiques déclenchant « le plaisir, les émotions positives, la motivation » sont présents. La motivation n’est autre que ce qui justifie nos actes. De manière générale, selon Edward Deci et Richard Ryan (2009 :69), la motivation doit être envisagée selon un point de vue cognitif, social et biologique. Elle concerne tous les aspects de l’intention et de l’activation. Selon Zoltan Dörnyei, le paradigme cognitiviste met l’accent sur l’individu, les pensées et les croyances qui sont à l’origine de son action. L’auteur écrit ainsi:

Motivation is no longer seen as a reflection of certain inner forces such as instincts, volition, will, and psychical energy; neither is it viewed in strictly behavioural terms as a function of stimuli and reinforcement. Rather, current cognitive approaches place the focus on the individual's thoughts and beliefs (and recently also emotions) that are transformed into action. (Dörnyei, 1998:118)

L’action de l’individu est indissociable de la notion d’effort et des raisons internes à l’individu mais également du désir de plaire à un cercle social composé de l’enseignant ou encore de la famille :

Effort consists of a number of factors, including an inherent need to achieve, good study habits, and the desire to please a teacher or parent. (Gass &Selinker, 2009:350)

Dans quelle mesure peut-on affirmer que les environnements numériques suscitent la motivation et de ce fait l’engagement cognitif des apprenants ? Le renouveau technologique apporté par le numérique peut effectivement susciter la motivation car celle-ci représente une instrumentation de la réussite de l’apprenant. Il nous reste à vérifier par des études empiriques si le numérique tient toutes ses promesses, si la facilitation de l’apprentissage et a posteriori de l’acquisition relève du domaine de la réalité ou du fantasme. En effet, on peut se demander si les apprenants restent motivés quand le matériel numérique est plus ou moins normalisé et fait donc partie intégrante des pratiques pédagogiques. Il convient alors de s’interroger sur la notion de motivation dont la perception a évolué tout au cours de l’histoire et sur les aspects de ce terme qui nous intéresse.

La première préoccupation des chercheurs était d’appréhender la motivation en termes quantitatifs. La démarche de ces précurseurs était de savoir quels sont les variables ou les antécédents qui permettent de rendre compte d’une baisse ou d’un accroissement de la motivation. L’un des facteurs pouvant expliquer ce phénomène est le désir d’intégration (integrativeness) :

Integrativeness reflects a genuine interest in learning the second language in order to come closer to the other language community. At one level, this implies an openness to, and respect for other cultural groups and ways of life. In the extreme, this might involve complete identification with the community (and possibly even withdrawal from one's original group), but more commonly it might well involve integration within both communities.” (Gardner, 2001 : 5)

Cette notion semble surtout concerner un certain type d’apprenants, ceux qu’on qualifie de « field dependent » dans la mesure où l’accent est davantage mis sur la relation avec la culture étrangère et les natifs de cette culture. Cette définition ne s’applique qu’en partie aux apprenants qui n’ont aucun contact avec la culture étrangère et dont la préoccupation essentielle est d’acquérir la langue étrangère pour des raisons professionnelles et de promotion sociale par exemple. Cette vision de la motivation a été l’objet de nombreuses critiques dans le mesure où elle ne s’applique pas à tous les environnements d’apprentissage, ce qui explique la tentative d’autres chercheurs tels que Crookes, Schmidt, Oxford et Sherin de proposer un point de vue novateur de la motivation en langue étrangère :

If the first renaissance of L2 motivation research took place in the 1960s with the consolidation of the socio-educational model, a second burgeoning period began in the mid-1990s after three well-known critical reviews by Crookes and Schmidt (1991), Dörnyei (1994) and Oxford and Shearing (1994) summoned L2 motivation scholars to search for theoretical renewal. (Ortega, 2009:175)

Cette nouvelle vague de réflexion mentionnée par Ortega (Ortega, 2009:175) ne s’intéresse pas à l’aspect quantitatif de la motivation mais à son aspect qualitatif. La nouvelle théorie avancée est connue sous le non de « self-determination theory ». Elle est conçue à la fin des années 70 par Edward Deci et Richard Ryan de l’université de Rochester aux Etats-Unis. Cette théorie se construit ainsi:

SDT is an approach to human motivation and personality that uses traditional empirical methods while employing an organismic metatheory that highlights the importance of humans' evolved inner resources for personality development and behavioral self-regulation […].(Ryan&Deci, 2000: 68)

Cette théorie se construit autour des ressources intérieures que possède un individu: il s’agit de la motivation intrinsèque. Cette motivation ne trouve son épanouissement et ne permet le développement de l’individu que grâce à la présence de l’autonomie et à un cadre social motivant, alimenté par les récompenses, la médiation, l’absence d’évaluation, de pression et d’objectif (Ryan&Deci, 2000:70). Ryan et Deci expliquent en outre que le lien de parenté et la sécurité représentent deux éléments qui favorisent la motivation intrinsèque. Les auteurs précisent l’importance de la motivation extrinsèque qui diffère de la motivation intrinsèque dans la mesure où celle-là émane d’une instance extérieure à l’individu :

The term extrinsic motivation refers to the performance of an activity in order to attain some separable outcome and, thus, contrasts with intrinsic motivation, which refers to doing an activity for the inherent satisfaction of the activity itself. Unlike some perspectives that view extrinsically motivated behavior as invariantly non-autonomous, SDT proposes that extrinsic motivation can vary greatly in its relative autonomy.

L’individu expérimente une liberté moindre en ce qui concerne l’autorégulation d’une tâche et l’autonomie : il est soumis à des contraintes d’ordre social. Il s’agit de réguler ces contraintes qui constituent un frein à l’épanouissement. La théorie de l’autodétermination dont l’objectif est la satisfaction et le bonheur du sujet propose des degrés d’autorégulation de la motivation extrinsèque par l’intermédiaire de l’internalisation :

Internalization refers to people's "taking in" a value or regulation, and integration refers to the further transformation of that regulation into their own so that, subsequently, it will emanate from their sense of self. (Ryan & Deci, 2000:71)

L’autonomie du sujet occupe une telle importance aux yeux de Ryan &Deci (2000 : 72) qu’ils vont suggérer de décomposer la motivation extrinsèque en plusieurs sous-catégories dont le but est de rendre compte des facteurs contextuels qui facilitent le développement ou au contraire constituent un obstacle à l’internalisation et la régulation. En effet, l’individu peut pleinement accepter l’autorégulation de sa motivation. On parle alors de « motivation autorégulée »118. Il peut au contraire ne pas l’accepter et dans ce cas on dit qu’il y a « régulation introjectée »119. Une autre forme d’autorégulation consiste à s’approprier une action qui correspond à des valeurs personnelles et à contrôler la motivation extrinsèque qui en découle. On est alors en présence d’une « régulation par identification »120

.; La forme la plus accomplie est « l’autorégulation intégrée » où le sujet s’identifie pleinement à une tâche. On en déduit que les chances de succès sont optimales. Cette approche de la motivation s’appuie sur un processus d’autorégulation du sujet et donc dans un dispositif d’apprentissage des langues médiatisé grâce au numérique : il s’agit de la mise en place de stratégies métacognitives. Deux cas de figures se présentent : soit l’apprenant est ce que Joahan Rubin

118“The extrinsically motivated behaviors that are least autonomous are referred to as externally regulated.” (Ryan&Deci, 2000:72)

119

“Introjection involves taking in a regulation but not fully accepting it as one's own. It is a relatively controlled form of regulation in which behaviors are performed to avoid guilt or anxiety or to attain ego enhancements such as pride.” (Ryan&Deci, 2000:72)

120

« A more autonomous, or self-determined form extrinsic motivation is regulation through identification. Identification reflects a conscious valuing of a behavioral goal or regulation, such that the action is accepted or

appelle « un bon apprenant » et met en place des stratégies métacognitives ou alors il est un apprenant ayant des difficultés et ne peut mobiliser les stratégies d’apprentissage adaptées. En effet, selon Johan Rubin le bon apprenant est performant en ce qui concerne la motivation intégrative :

A second variable mentioned frequently in regard to good language learning is that of motivation. Several articles discuss those aspects of motivation which are essential for good language learning. Gardner and Lambert (1959) have isolated two kinds of motivation, by now well-known: instrumental and integrative. They find that the latter correlates more with successful language learning. (Rubin, 1975 :43)

En vertu des travaux de Ryan et Deci (2000), nous pensons qu’il est plus judicieux de s’intéresser à la motivation extrinsèque et à la capacité d’un bon apprenant à autoréguler sa motivation. Ce type d’apprenant est à même de contrôler la motivation extrinsèque, de réduire le stress et d’obtenir un maximum de satisfaction. Dans le deuxième cas de figure, l’apprenant a des aptitudes limitées et donc moins d’estime de soi : il est démuni en ce qui concerne les stratégies d’apprentissage. Cette situation génère le stress et la démotivation même dans les dispositifs numériques censés générer le maximum d’autonomie selon les discours officiels. Cette analyse, éclairée par la théorie de l’autodétermination, nous permet de déduire qu’un dispositif numérique n’est efficace que si l’enseignant, ingénieur pédagogique parvient à anticiper la plus ou moins grande motivation des apprenants et à mettre en place un apprentissage plus ou moins autonome. En effet, compte tenu des différents degrés de motivation extrinsèques et des différentes aptitudes des apprenants, il convient de réguler le niveau d’autonomie ou encore de prévoir un guidage afin de susciter la motivation pour une tâche instrumentée par la numérique.

Nous venons d’analyser les motivations extrinsèque et intrinsèque et leurs implications dans le domaine de l’apprentissage. Il est important de se demander à quel moment survient la démotivation. Il y a démotivation quand les motivations intrinsèque et extrinsèque ne coïncident pas. Selon Dörnyei121, la démotivation est le résultat de forces extérieures sur des intentions profondes ou des actions en cours d’exécution :

Demotivation has been defined as “specific external forces that reduce or diminish the motivational basis of a behavioural intention or an ongoing action. (Dörnyei, 2001)

En d’autres termes, l’individu n’est pas à même d’associer ses objectifs les plus profonds avec ceux que lui impose la société. La réussite d’un dispositif multimédia dans le secondaire tient à la correspondance entre la vision du numérique par l’individu en dehors du cadre scolaire et l’instrumentalisation qui en est fait par un procédé de détournement pour l’enseignement apprentissage des langues. Le processus de détournement change l’objet numérique pour en faire un objet pédagogique au même titre que la radio, le téléphone ou le magnétophone autrefois. Les outils numériques actuels sont réservés à des usages ludiques et à des interactions au sein de réseaux sociaux. Il est difficile d’obtenir le même engouement expérimenté en dehors de l’apprentissage des langues. Il convient néanmoins de transférer la vision psychoaffective de l’objet numérique dans le cadre scolaire. Pour ce faire, il est urgent d’être initié à la culture du numérique dans laquelle sont plongés les apprenants. Il ne s’agit pas de considérer que l’apprenant est un natif du digital et de se dire que les adultes en charge de la formation sont complètement dépassés par le monde du numérique. Toutefois, il est crucial de se familiariser avec l’usage spécifique qu’ont les jeunes et de mesurer sa pertinence et son adéquation avec une quelconque démarche pédagogique.

Comme nous venons de le montrer, la motivation peut être appréhendée selon un mode intrinsèque ou extrinsèque. Les pionniers de la recherche l’ont présenté dans sa dimension psychologique. On s’est progressivement intéressé au rôle social de ce phénomène dans une perspective psychosociale. Aujourd’hui, on a davantage tendance à analyser la motivation dans le cadre de la cognition située. L’analyse de ce concept s’opère donc dans des cadres d’apprentissage spécifiques. La classe numérique crée un cadre spécifique où le matériau linguistique se combine avec la technologie pour constituer un contexte d’apprentissage. Ce n’est pas tant la langue qui importe dans un tel contexte que la combinaison d’instruments reflétant une certaine évolution technologique au travers de laquelle l’apprenant s’est construit socialement et psychologiquement. Le paramètre psychologique est plutôt générateur d’émotions positives. Le paramètre social, quant à lui, est lié à l’effet fédérateur du numérique. On est en présence d’objets autour desquels on se réunit habituellement pour jouer, avec lesquels on communique ou on s’informe. Ces utilisations du numérique façonnent le groupe classe en communauté numérique. La motivation ne peut s'analyser comme un phénomène concernant des individus séparés mais bien comme un processus collectif visualisable dans un système comportant la motivation, la cognition, l'émotion et le contexte numérique tel que l’illustre la figure ci-dessous.

Motivation

Cognition émotion

Contexte numérique

Figure 15 : Numérique et motivation