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2 VERS UN MODÈLE DE LA FORMATION DES COMPÉTENCES CRITIQUES

2.4 P OUR UNE APPROCHE CONVERGENTE DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES

2.4.3 Apprendre de soi, des autres, de son activité

2.4.3.1 L’apprentissage vicariant et le modelage instructif

Lorsqu’un individu obtient une performance, il ne peut être tout à fait certain du résultat, c’est-à-dire de l’évaluation sociale qui valorise la performance. La performance ne devient un résultat que par suite d’un processus de comparaison avec autrui, autrui placé dans des situations similaires. Les capacités personnelles sont ainsi évaluées à travers des critères sociaux. Cette remarque vaut pour expliquer l’adressage de l’activité mais elle peut être transposée à la formation : on apprend de ses pairs, surtout de ceux qui sont jugés compétents.

L’observation des performances de ses pairs contribue à abaisser ou à élever les croyances d’efficacité de l’individu (BANDURA A., 2003) ce qui explique que les individus recherchent ceux qui possèdent les compétences visées et qui, par conséquent, peuvent servir de modèles pour transmettre des connaissances et favoriser l’acquisition de compétences. La transmission de connaissances est, dans ce cas, un processus de modelage par la parole et par l’action efficace. L’expérience vicariante est ainsi équivalente à un apprentissage par observation.

L’apprentissage vicariant, par observation de ses pairs en situation d’activité ou faisant retour sur leur activité, permet à la fois de nouveaux apprentissages et le renforcement de l’auto-efficacité. Le processus d’apprentissage vicariant est donc tout aussi intéressant à considérer que les résultats de l’apprentissage eux-mêmes. Ce mode d’apprentissage par l’observation d’une variété de modèles est plus

efficace et plus rapide que l’apprentissage par essais et erreurs. Albert BANDURA « précise en quoi le modelage a peu à voir avec la simple imitation des réponses : en extrayant les règles sous-jacentes au style comportemental du modèle, les gens produisent de nouveaux modèles comportementaux proches de ces styles, mais qui dépassent largement ce qui a simplement été vu ou entendu » (CARRÉ P., 2004). Il ne s’agit donc pas d’une simple imitation mais de la compréhension de l’organisation invariante des comportements efficaces. L’individu possède alors les ressources pour innover, c’est-à-dire s’adapter à des situations nouvelles de manière créative, sur la base des invariants repérés lors d’apprentissages par observation.

Il est à noter que l’expérience vicariante ne joue pas seulement sur le plan cognitif. Elle influence également la motivation en présentant à l’individu de nouvelles attentes de résultats et des buts plus ambitieux, plus difficiles à atteindre. Sur le registre des émotions, l’expérience vicariante peut provoquer des choix émotionnels et une mise en question du système de valeurs de l’individu en ce qu’il est guidé par des processus affectifs.

Nous pouvons donc considérer que les humains ont développé une aptitude supérieure à l’apprentissage par observation. « Pratiquement, tout apprentissage résultant de l’expérience directe peut survenir de manière vicariante, en observant les comportements d’autres personnes ainsi que leurs conséquences » (BANDURA A., 2003).

Pour Albert BANDURA, l’apprentissage par observation comporte quatre sous-processus (voir le schéma ci-dessous).

Le sous-processus attentionnel détermine « ce qui est sélectivement observé parmi la profusion d’influences modelantes ainsi que l’information qui est extraite des événements modelés ». En effet, l’attention est une des conditions du modelage. Elle dépend des caractéristiques du modèle mais aussi des caractéristiques cognitives de l’individu.

Le sous-processus de rétention « implique un processus actif de transformation et de restructuration de l’information sur les événements pour qu’il y ait représentation mnésique sous forme de règles et de conceptions ». La mémorisation est une des conditions de l’efficacité de l’expérience vicariante, elle organise notamment le codage symbolique des influences modelantes.

Le sous-processus de production comportementale « traduit les conceptions en actions appropriées » mais fait aussi l’objet de boucles de rétroaction : les

conceptions s’ajustant en cours de l’action. Il s’agit de la partie effectrice de l’expérience vicariante. Les actions sont exécutées mais aussi contrôlées, comparées en référence aux comportements attendus.

Le sous-processus motivationnel prend en compte les bénéfices obtenus par l’action modelée et vient renforcer les trois autres sous-processus de l’apprentissage vicariant. Les facteurs motivationnels concernent les résultats anticipés, qu’ils soient directs, vicariants ou autoproduits.

Schéma 5 Les sous-processus de l’apprentissage vicariant (BANDURA A., 2003)

La théorie sociocognitive intègre une analyse fine de l’apprentissage vicariant sur la base de sous-processus en interaction qui jouent sur les tableaux cognitifs, motivationnels et émotionnels. Dans l’apprentissage vicariant, l’individu apprend d’autrui, mais il apprend aussi de lui-même, de l’analyse comparative entre ses comportements et les comportements modelés. Apprendre par observation mobilise tout autant l’environnement et les feed-back sur ses comportements que les cognitions de l’individu comme le propose effectivement le processus de causalité triadique réciproque placé au cœur de la théorie sociocognitive.

L’expérience vicariante produit une connaissance sur soi, sur ses comportements et sur l’environnement, dans un but adaptatif. A ce titre, l’expérience vicariante est considérée par Albert BANDURA comme une source puissante de construction de

l’auto-efficacité : « Bien que les expériences vicariantes soient généralement plus faibles que les expériences directes [sur la construction de l’auto-efficacité], elles peuvent dans certaines conditions, surpasser l’impact de l’expérience directe ». L’apprentissage par observation est source de connaissance, de développement de l’auto-efficacité mais il est aussi producteur de compétences nouvelles.

Le modelage de maîtrise est un procédé pédagogique qui repose sur les caractéristiques de l’expérience vicariante. Son but est de développer les compétences, compétences qui pourraient tout à fait être acquises spontanément par apprentissage vicariant. Le modelage de maîtrise possède plusieurs facettes : le modelage instructif, le perfectionnement guidé des compétences et la formation au transfert de compétences par le succès autodirigé.

Albert BANDURA qualifie le modelage instructif de « premier pas dans l’acquisition de compétences ». Ce programme de formation repose sur l’observation des « procédures de décision et les stratégies de raisonnement que les modèles utilisent quand ils parviennent à des solutions ». L’observation et l’écoute d’exemples variés renforcent l’intérêt et accélèrent l’apprentissage. Le niveau d’efficacité perçue s’élève.

Le modelage instructif repose sur la décomposition de compétences complexes en sous-compétences. Les séquences de réalisation sont ensuite modelées en vidéo. Des informations sont apportées à l’apprenant pour identifier et comprendre les procédures et stratégies modelées. Le modelage porte ensuite sur la mise en œuvre des stratégies et des procédures appliquées à des situations changeantes.

Des individus, dont les caractéristiques personnelles et professionnelles sont proches de celles des apprenants, en modelant des règles abstraites assorties d’exemples nombreux favorisent l’ajustement et la généralisation des procédures et stratégies à l’intérieur d’une classe de situations plus étendue. L’efficacité de l’apprentissage par modelage a été comparée avec celle d’autres méthodes traditionnelles d’enseignement en formation professionnelle. Le modelage instructif connaît de meilleurs résultats pour l’acquisition de compétences et le niveau de l’auto-efficacité des apprenants, dans le domaine du management et de la recherche de solutions innovantes, par exemple.

Le perfectionnement guidé des compétences est un modelage correcteur qui intervient après les premières phases d’acquisition de compétences par modelage instructif. Les individus ont besoin d’un guidage pour améliorer leurs compétences.

L’accent est mis sur l’analyse des comportements, observés par vidéo, et surtout sur les correctifs à produire. Les feed-back s’orientent vers les succès et les progrès et une manière constructive de corriger les erreurs, de façon à renforcer les croyances d’efficacité et ses effets de résilience face aux difficultés.

La formation au transfert de compétences est la troisième phase du programme de modelage de maîtrise : les compétences nouvellement acquises sont mises en œuvre dans des conditions réelles ayant de fortes chances de réussite. Les situations sont ensuite reprises en formation, la discussion se déroule entre professionnels et porte sur les réussites et les échecs. Le programme prévoit des expositions à des situations de plus en plus difficiles, où la résolution de problème tient un grand rôle. La confrontation en situation simulée à de nombreuses tâches facilite le transfert de nouvelles compétences dans la vie professionnelle. Une fois la compétence intégrée, le guidage cognitif diminue d’intensité, l’action compétente s’est routinisée ; les individus agissent sur la base de leur auto-efficacité et maintiennent le niveau de réalisation de l’action, confiants en leur capacité à se comporter de manière performante.