• Aucun résultat trouvé

3.3 L’ IDENTITÉ DE SOIGNANT DES DIRECTEURS DES SOINS VIENT NOURRIR LEUR

3.3.2 Des compétences critiques pour saisir la singularité de

3.3.2.1 Coopérer avec les médecins hospitaliers

La première compétence critique permet de traiter avec succès les relations souvent délicates entre le monde médical et le monde paramédical. En effet, au titre de la coordination de l’organisation et la mise en œuvre des activités de soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques, les directeurs des soins sont en relation fréquentes avec les médecins sur des zones d’intervention commune.

« Pour 30,5% des médecins leurs relations avec le cadre infirmier supérieur ou la direction des soins sont "hostiles ou tendues". Cette tension est encore plus marquée avec l'administration (42,5%). A l'inverse, seuls 2,3% des

médecins estiment que les relations sont tendues avec le personnel paramédical »27.

Faire en sorte que la qualité des prises en charge des patients s’améliore signifie que la coopération entre médecins, paramédicaux et personnels administratifs devienne effective. Cet enjeu d’harmonisation des pratiques justifie une des réformes en cours de l’hôpital et tout particulièrement l’instauration de la nouvelle gouvernance :

« L’interface médicale n’est pas facile à gérer, même si en temps qu’ancienne infirmière et cadre de proximité, j’ai été en contact avec les médecins auparavant. Ce n’est pas évident, on est là sur un niveau de difficulté supplémentaire par rapport aux tâches ordinairement confiées aux directeurs des soins ».

Cette compétence critique de gestion de l’interface médicale suppose de bien repérer ce qui constitue son rôle propre et ses attributions. Le directeur des soins n’est plus un « opérationnel » comme le sont les infirmiers et les cadres de proximité. Autrement dit, ils ne travaillent plus sur le contenu des actions mais sur la méthode retenue : « Moi, j’interviens sur la méthodologie et mon rôle est de donner du sens, de faire des liens avec le reste de l’hôpital ». Des savoirs pragmatiques sont requis pour ce type de positionnement, ils tiennent aux conditions de la reconnaissance de son rôle par les médecins et les chirurgiens. Par exemple, un directeur des soins sera nommé coordinateur général des soins par le directeur général de l’établissement mais il existe une deuxième condition liée à l’action : recueillir l’aval et sa légitimité reconnue par le corps médical, et notamment par le président de la CME28

, « Si vous n’avez pas cette légitimité, ce n’est pas la peine, vous restez dans votre tour d’ivoire à gérer les courriers et les plaintes ».

27

Extrait du site web Staff Santé.fr : http://www.staffsante.fr/contenus/chiffres/71/30-5-.html.

28

Commission médicale d’établissement. Ses compétences sont définies par l'ordonnance n°2000-548 du 15 juin 2000 et par divers autres textes particuliers. Les compétences de la CME portent sur les questions d'ordre général ayant trait à l'organisation et au fonctionnement de l'établissement et sur des sujets très divers dont les questions à caractère individuel concernant les catégories de personnels qu'elle représente.

Par ailleurs, il se pourrait que d’autres savoirs académiques et pragmatiques particuliers soient nécessaires, ceux qui sont mis en œuvre lors d’expériences communes avec les médecins : « j’ai été infirmière de bloc opératoire, ça aide avec les chirurgiens ». Les savoirs qui sont mobilisés par cette compétence relationnelle avec les médecins appartiennent aussi et surtout au registre de l’action et de la stratégie.

Dans le cours de l’action, des paramètres situationnels entrent aussi dans le jeu. Selon l’état des relations ou le type de dossiers à traiter avec les médecins, le directeur des soins est attentif aux modes de communication. A l’interface de la culture des soins et de la culture médicale, le directeur des soins analyse les différences de comportement qui dépendent des cultures professionnelles en présence. « Il faut toujours faire en concertation avec le corps médical. C’est un travail d’explication et de communication incessante ».

La clé est de toujours respecter les limites de chacun : « Où s’arrête le rôle infirmier, où commence le rôle médical ? Il s’agit d’admettre qu’il y a aussi des zones communes ». En effet, dans le dossier du patient, il existe des documents utilisés par les médecins et les soignants : par exemple, « la feuille de température appartient autant au segment soin qu’au segment médical. On est lié ».

Dans la relation aux médecins, les directeurs des soins semblent d’abord rechercher une bonne dose de consensus sur la manière d’organiser l’activité médicale et l’activité de soin. Ce but est très compatible avec le style lié à la fonction de directeur des soins : « C’est une fonction qui doit avoir une force d’écoute une force d’analyse, une force de communication pour arriver toujours à un consensus dans la discussion ». Leur action en tant que directeur des personnels paramédicaux se réfère au projet médical d’établissement. Leur but, le consensus, est calé sur la mise en œuvre du projet de référence ; le projet de soins prend en compte le projet médical. Aussi pour guider leurs actions, les directeurs des soins se donnent des buts intermédiaires : l’organisation de vastes concertations pour concevoir l’ensemble des projets. Ils cherchent à maîtriser la part d’incertitudes et de dérapages de la concertation :

« Ce que je ne maîtrise pas, ce sont les déclinaisons du projet médical service par service. Par exemple, même si notre CHU29 a le monopole de la chirurgie cardiaque, il y a une très forte pression du privé. C’est un enjeu majeur. L’ARH30

nous accorde des lits supplémentaires de réanimation. Une salle de chirurgie doit être construite dans quelques mois mais la pression exercée par les chirurgiens conduit à opérer ailleurs, dans un autre bloc. Ils ont des façons de faire qui ne sont pas évidentes pour moi. Ils vont dans le bloc et visitent les salles, ça met tout le monde en émoi. Ils n’en parlent à personne et font venir un ingénieur pour aménager le bloc et faire de la circulation extracorporelle. Ça va à l’encontre de projets en cours, on devait accueillir dans ce bloc la neurochirurgie dont le sol devait être rénové. Cette pression médicale n’est vraiment pas facile à gérer, ils font même de la désinformation ! »

Leur but de concertation et de recherche d’un consensus peut être contrecarré par leur champ d’intervention spécifique, le projet de soins, qui se confronte à un ensemble qualifié de « chasse gardée» : le projet médical de l’établissement ou des pôles. La compétence critique nécessaire pour que la relation avec le corps médical reste satisfaisante suppose ainsi d’anticiper sur les désaccords. La concertation et la qualité des relations au quotidien apparaissent comme des buts proximaux à atteindre. La difficulté est importante puisque les médecins disposent de relais efficaces à l’intérieur de l’hôpital, la CME et les syndicats de praticiens mais aussi l’ARH et d’autres zones d’influence à l’extérieur. La confrontation au pouvoir

29

Centre hospitalier et universitaire, établissement public de santé qui possède une triple mission : soin, enseignement et recherche. Il comprend deux composantes associées, un centre hospitalier régional et une université dotée d’une unité de formation et de recherche en médecine.

30

Agence régionale d’hospitalisation. Les ARH ont été créées par l'ordonnance n°96-344 du 24 avril 1996 portant mesures relatives à l'organisation de la sécurité sociale. Elles sont chargées de mettre en œuvre, au niveau régional, la politique hospitalière définie par le gouvernement, d'analyser et de coordonner l'activité des établissements de santé publics et privés, de conclure avec eux des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens et de déterminer leurs ressources.

médical va mobiliser d’autant plus les directeurs des soins que « gérer cette position suppose de mettre en œuvre des compétences qui ne sont pas des compétences standard. Ça ne marche pas à tous les coups ».

Cette compétence critique s’appuie sur quelques règles d’action. Par exemple : • « Si je dois piloter un projet qui nécessite une interface médicale forte, je

m’assure à chaque fois qu’il y a toujours un référent médical ». Même si le médecin n’est pas toujours présent en réunion, il est sollicité pour valider les propositions ou, au moins donne un avis. Les médecins sont associés à chaque projet de cette nature.

• Pour augmenter le degré de consensus atteint et renforcer l’efficacité de l’intervention, « il faut créer la demande des médecins à l’égard de la direction des soins ». Cette règle d’action repose sur un constat : un certain nombre de médecins, chefs de services, assistés par un cadre supérieur de santé, et dont le statut a été préservé par la nouvelle gouvernance, restent persuadés qu’ils disposent de marges de manœuvre pour gérer l’organisation du pôle. Faute de pouvoir maîtriser tous les processus, ils vont demander assistance à la direction des soins. Qui plus est, leur activité peut mettre en jeu des acteurs hospitaliers extérieurs à leur pôle. Dans ce cas là, « ils sont obligés de travailler avec la direction des soins qui a cette fonction de transversalité et de création de réseaux entre les pôles ».

• « Pour gérer efficacement l’organisation des soins, je dois faire en sorte que l’acteur médical se sente inscrit dans l’organisation ». En effet, le cadre organisationnel de la nouvelle gouvernance hospitalière entre aujourd’hui dans les faits mais, même dans le cas où le projet de soins a été construit sur une base explicitement médico-soignante, le directeur des soins veille à exercer ses fonctions dans la plus grande transversalité possible. C’est pourquoi il s’intéresse tout autant à l’amélioration des pratiques soignantes définies par le projet de soins qu’à l’accompagnement du projet d’établissement lui-même. Agir en transversalité apparaît comme une règle d’action nécessaire au développement des relations avec les médecins dans le cadre de la nouvelle gouvernance et du copilotage médico-administratif.

Les directeurs des soins estiment donc que le travail de relation avec l’interface médicale relève d’une compétence critique, difficile à acquérir. Sur ce terrain, « la

réussite n’est pas assurée » pour chaque directeur des soins. Cette compétence critique repose sur des savoirs médicaux mais surtout pragmatiques et organisationnels, l’état de la communication entre médecins et paramédicaux est un indicateur à prendre en compte pour anticiper les actions destinées à établir le consensus. Les directeurs des soins s’assurent de l’implication des médecins, sollicitent l’expression d’une demande, voire créent les conditions de sa manifestation. Ils agissent le plus possible en transversalité pour susciter le décloisonnement et le sens de l’organisation générale.