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3.3 L’ IDENTITÉ DE SOIGNANT DES DIRECTEURS DES SOINS VIENT NOURRIR LEUR

3.3.2 Des compétences critiques pour saisir la singularité de

3.3.2.2 Diagnostiquer le contexte de l’action et réévaluer ses options

Un directeur des soins est amené à se situer en tant que dirigeant et de prendre des décisions pertinentes. Son activité professionnelle est orientée vers la conception, la mise en place et l’évaluation d’une organisation des services de soins et des instituts de formation paramédicale permettant d’améliorer la qualité des prestations. Pour l’ensemble de ces motifs, le directeur des soins doit situer son action dans le contexte de l’hôpital et hors de l’hôpital dans une perspective globale de santé publique. Le directeur des soins n’est donc pas seulement le porte-parole des cadres supérieurs de santé, des cadres de proximité et des équipes soignantes. Son rôle ne se limite pas à faire reconnaître la spécificité paramédicale, il intervient dans un contexte aux dimensions multiples où la gouvernance rencontre l’éthique du soin en vue de l’amélioration continue de la qualité des soins. C’est pourquoi une de ses compétences critiques, qui fait la différence entre les directeurs des soins expérimentés et les autres, est sa faculté à diagnostiquer sans se tromper les éléments caractéristiques du contexte de l’action et, en permanence, à réévaluer ses options. La pensée réflexive et la capacité à autoréguler son action sont largement sollicitées.

Les invariants opératoires de cette compétence sont vraisemblablement ceux qui guident l’évaluation des organisations. Ils se décomposent en deux axes, ceux qui ont pour fonction l’orientation, préparatoires à une prise de décision sur les orientations à retenir, et ceux qui visent à réguler l’action. Les modes de construction de

tableaux de bord et les types de données utilisés représentent ici des savoirs pragmatiques pertinents : « Quand je suis arrivé dans ce CHU, ce grand navire, j’étais peut être le commandant de bord, mais j’étais dans le brouillard ». Pour diagnostiquer le contexte de l’action et adapter l’action à ce contexte, les directeurs des soins ont besoin d’outils, informatisés ou non. L’importance de ces outils est extrême pour régler les difficultés au jour le jour mais aussi anticiper sur les réformes à introduire dans le fonctionnement. Leur qualité résulte directement de la pertinence des invariants opératoires possédés par chaque directeur des soins. Chaque outil, chaque tableau de bord est certes à reconstruire à chaque changement d’affectation mais les directeurs des soins débutants en sont souvent démunis et ils s’interrogent sur les modes opératoires pour les constituer (SIFFERLEN B., 2006). « Ne pas savoir qui travaille dans cet établissement, qui travaille de jour, de nuit » est une vraie difficulté pour un directeur des soins en relation permanente avec la direction des ressources humaines. Après cette phase de constitution d’outils de gestion, un directeur des soins note sa satisfaction : « On a remis à plat toutes les organisations et tous les effectifs. Ça a permis de digérer la réduction du temps de travail et d’organiser la réduction du temps de travail de nuit ».

Les buts proximaux et les anticipations peuvent être trouvés du côté de la mobilisation des cadres de la direction des soins pour collecter et mettre en forme les données. Un des buts réside par exemple dans la capacité des cadres supérieurs de santé à préparer la décision du directeur des soins : « il faut faire accéder les cadres et cadres supérieurs au changement. C’est quand même dans cette perspective quelque chose de difficile qui ne peut pas fonctionner à tous les coups ». Ici encore, la recherche du consensus est un but en soi et représente une étape intermédiaire à l’intérieur d’un processus de diagnostic et d’adaptation à un environnement complexe, le directeur des soins devant prendre en compte une vision élargie de l’hôpital pour traiter des problèmes qui ressortent plus strictement de sa mission. Il en est ainsi de la gestion des risques, domaine où le directeur des soins est certes responsable de la sécurité des soins mais pas de la sécurité transfusionnelle par exemple. Cela nécessite de se coordonner, de rencontrer de nombreux acteurs hospitaliers et de collecter les informations indispensables à des protocoles efficaces :

« Or les directeurs des soins, ou les coordinateurs [généraux des soins] ne savent pas bien faire alliance avec ceux qui viennent interférer dans leur

domaine. Il faut toujours arriver à faire de consensus, même si la zone d’incertitude existera toujours. Il faut savoir s’entendre avec le diable ! ».

Il semble qu’un certain nombre d’indicateurs utilisés par les directeurs des soins pour diagnostiquer la situation proviennent des réunions de cadres qu’ils animent hebdomadairement. Ils s’ingénient à ne pas abuser des réunions d’information descendantes pour susciter les remontées d’informations et les propositions des cadres :

« Nous venons de tenir une réunion sur la mise en place des pôles et la nouvelle gouvernance. Au-delà de leurs envies, j’ai demandé qu’ils envisagent très concrètement les propositions d’organisation de l’hôpital de demain. C’est très important pour moi, ça me permet d’avancer des propositions constructives lors du prochain séminaire de direction ».

Ces réunions ont un intérêt particulier pour les directeurs des soins : l’analyse des stratégies mises en œuvre par les uns ou les autres leur sert explicitement à concevoir leur action et à optimiser leurs modes opératoires. Les classes de situation sont discutées et définies ensemble. Les caractéristiques de chaque situation sont identifiées, évaluées dans leur capacité à modifier les projets d’action. Les résultats escomptés sont étudiés et analysés de réunion en réunion.

Nous voyons se dessiner ici une règle d’action majeure : si un directeur des soins juge que les informations à sa disposition sont insuffisantes, alors il active des processus de réflexion collective mettant en jeu le caractère réflexif de la pensée, la sienne et celle de son équipe de cadres. Les temps d’analyse, en réunion de cadres, apparaissent par conséquent comme des lieux d’apprentissages collectifs. Les apprentissages y sont intensifs et profonds, au dire des directeurs des soins.

Certains n’hésitent pas à réfléchir à voix haute pendant ces réunions :

« On ne peut pas tout prévoir, j’essaie d’intégrer une certaine part d’aléa et de gérer l’incertitude. Quand l’aléa arrive, j’essaie de réfléchir. Est-ce que c’était prévisible ? Était-ce une erreur de ma part ? Malgré tout, il y a peut être des données qu’il faut construire davantage, tout ce qui peut être prévu doit l’être. Si je suis bien dans le cadre d’un aléa, un événement non

prévisible, alors je reprends les analyses, j’essaie de trouver le bon processus qui va d’une entrée à une sortie qui permet de reprendre des étapes clé. J’essaie de retomber sur des modes d’analyse connus qui m’aident à résoudre les difficultés ».

Un autre directeur des soins justifie sa démarche réflexive : « on avancera avec ses échecs si on prend le temps d’analyser ce qui s’est passé, où se trouvait le blocage, pourquoi on a perdu six mois. On se constitue personnellement des indicateurs qu’évidemment nous exploitons avec nos cadres supérieurs plus tard ». C’est pourquoi, diagnostiquer le plus finement possible la situation à gérer n’est pas qu’une activité d’évaluation anticipatrice, c’est aussi une action continue qui se nourrit de debriefing réguliers :

« Il faut débriefer avec les personnes concernées y compris avec le directeur de site qui était présent lors du problème, le cadre supérieur de santé, pour comprendre quelles étaient les issues possibles de la situation, ce qui a basculé, quelles ont été les bonnes et les mauvaises raisons d’agir ».

Il semble bien que cette compétence critique déborde largement le cadre des compétences standard pour concevoir un projet de soins au niveau d’un établissement. Ces compétences standard sont acquises rapidement. Le problème ne réside pas dans ce savoir-faire technique que tous les directeurs des soins devraient posséder, mais dans le repérage des éléments significatifs de l’environnement et la gestion du contexte hospitalier. La direction des soins est un domaine sur lequel tous les autres domaines empiètent régulièrement et les directeurs des soins sont de plus en plus institutionnellement placés en situation transversale, au carrefour des pôles d’activité. Le diagnostic du contexte acquiert une forte valeur stratégique, ce qui n’empêche pas les directeurs des soins de valoriser très volontiers la « culture de l’erreur ».

La compétence critique peut être synthétisée ainsi : disposant des savoirs et des méthodes nécessaires à l’évaluation des organisations, les directeurs des soins se donnent pour but de mobiliser leurs cadres pour établir un diagnostic pertinent du contexte de travail. Ils créent ainsi les conditions d’une remontée d’informations et de propositions émises par les cadres, lesquelles seront utilisées pour définir les

actions à entreprendre et réévaluer ses positions, dans le cadre de la direction des soins et auprès de la direction générale de l’établissement. Pour ce faire, il faut activer la pensée réflexive et les capacités d’analyse, en groupe le plus souvent. Nous verrons que ces dernières caractéristiques de cette compétence critique au diagnostic renvoient logiquement à une autre compétence critique, celle qui consiste à développer l’analyse réflexive dans l’équipe de la direction des soins.

3.3.2.3 Développer l’analyse réflexive de la conduite de projets chez les cadres