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3.2 L ES MÉDECINS INSPECTEURS DE SANTÉ PUBLIQUE , UN ACCÈS DIFFICILE AU MÉTIER

3.2.2 Des compétences critiques pour planifier et mobiliser

3.2.2.1 Compétences techniques versus compétences managériales

Les médecins inspecteurs de santé publique établissent une distinction entre « compétences techniques » et « compétences relationnelles ». Les premières paraissent aisées à s’approprier tandis que les deuxièmes nécessitent des efforts importants. Ces dernières visent, chez les novices, à produire des comportements en réponse à des situations professionnelles qui ne sont pas complètement définies. Tous les paramètres situationnels ne sont pas totalement identifiés et des choix sont à décider au vu d’attentes mal élucidées.

Pour les compétences dites techniques, elles peuvent être acquises moyennant un effort raisonnable et semblent plus stables malgré la variation des tâches et des contextes :

« Une compétence technique, c'est une compétence pointue dans le cadre de la gestion d'un dossier par exemple. Vu les missions tellement larges dont nous bénéficions en tant que médecins inspecteurs, nous ne pouvons pas avoir toutes les compétences dans tous les domaines. Mais si on décide de s'intéresser à un domaine particulier, on doit pouvoir acquérir relativement facilement les compétences techniques nécessaires, si on se donne le temps, les moyens ».

Lors de la mise en œuvre de compétences dites techniques, la réussite est assurée plus régulièrement et les contextes d’application se ressemblent beaucoup, nous disent-ils. En relation avec leurs compétences techniques perçues, d’aucuns se disent vigilants sur les tâches qu’on leur confie : « Ce n'est pas grave de changer une ampoule ou de nettoyer un lavabo. Mais il y a des limites tout de même, quelle est la plus-value médicale de ces tâches ? ».

Les médecins inspecteurs de santé publique font le lien entre les missions réglementaires et les compétences techniques qui permettent d’accomplir ces missions et qu’il faut développer : « Non seulement je copilote le schéma régional cancer mais je pilote aussi le schéma régional des soins palliatifs. Je ne sais pas encore si cela va me demander beaucoup d’apprentissages puisqu'il s'agit de ma première expérience ». Un autre médecin développe une forte auto-efficacité concernant les apprentissages de la planification hospitalière : « je n'ai pas toutes les connaissances, j'ai fait des petits bouts de planification mais je ne vois pas du tout pourquoi je ne réussirais pas ». Il ajoute que peu de compétences techniques lui paraissent hors de portée.

Une mission est essentielle, les relations de l’administration avec le corps médical incombent aux médecins inspecteurs de santé publique : « D'abord, on ne connaît pas les dossiers, quand il faut organiser la permanence des soins et qu'on n'a pas fait ça avant, il faut savoir comment ça se fait ailleurs, il faut rechercher et tout inventer. C’est à la fois technique et à inventer ». Les compétences techniques ne sont donc pas exemptes de créativité et elles ne peuvent en aucun cas relever d’une simple répétition des actions.

Les médecins inspecteurs de santé publique ont également à conduire des actions spécifiques : « Sur ce poste, on me demande d'acquérir de nouvelles compétences plus approfondies, c'est un poste fléché Biotox18

. Je connaissais déjà comment fonctionne l'institution, j'avais déjà rencontré des partenaires donc je n'arrivais pas en terrain complètement inconnu » ou à piloter un programme d'inspection :

« On arrive au moment des recommandations et j'ai pris délibérément le parti de les faire en tant qu'élève. Je vois bien qu’aujourd'hui nous arrivons à la croisée des chemins. [...] ce sera à nous de les convaincre qu'à l'issue de l'inspection il faut faire quelque chose ».

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Le quotidien des médecins inspecteurs de santé publique est fait de cette multitude d’actions, de dossiers administratifs à suivre et d’urgences à traiter en dehors de toute programmation préétablie. Les compétences techniques servent précisément à organiser l’ensemble de ces tâches et à satisfaire les attentes de la hiérarchie et des bénéficiaires.

Comment les médecins inspecteurs de santé publique parlent-ils de leurs apprentissages ? Nous observons que les médecins estiment que les compétences techniques peuvent être acquises rapidement :

« Les compétences techniques, ça va, il y a suffisamment de bouquins. Je peux aller au centre de documentation d'à côté. Et puis les collègues sont plutôt prêts à partager les compétences techniques. [...] Sur ce versant technique, il n'y a aucune difficulté. Les gens se sentent à l'aise, c'est beaucoup plus facile d'expliquer quelque chose avec lequel on se sent à l'aise et compétent que sur le versant relationnel qui touche à la place des uns et des autres. »

Quelque soit le type de compétences à acquérir, les médecins inspecteurs de santé publique développent abondamment, à ce sujet, le thème du « terrain – lieu privilégié d’apprentissage ». Ils citent néanmoins quelques exemples de compétences qui pourraient être acquises à l’école, surtout par des formations à la communication. Le jeu de rôle est un des moyens possibles dans cette perspective mais l’école ne saurait être en capacité de répondre systématiquement à de telles demandes, disent les médecins inspecteurs de santé publique. Il n’est d’ailleurs pas question d’acquérir de simples « compétences de base » puisque la demande consiste à comprendre comment les préfets, les directeurs de l’action sanitaire ou sociale ou les directeurs d’une caisse de sécurité sociale raisonnent et perçoivent les problèmes qu’ils traitent conjointement. « Ces nombreux aspects personnels, relationnels, sont essentiels et ne sont pas vraiment travaillés en formation. Tout cela s'acquiert beaucoup moins vite que le reste ». Il s’agit de compétences à l’ « écoute » et à la « prise de parole », autant de compétences qui peuvent devenir critiques et dont l’acquisition signe la maîtrise d’un métier.

Les médecins inspecteurs de santé publique interrogés affirment que les compétences critiques s’acquièrent en dehors de l’école et par autoformation la plupart du temps : « S'il faut que je me construise ces compétences par moi-même, il faudra que je m'arme de patience, de persistance. Il faut peut-être que j'accepte des échecs successifs et que j'analyse mes pratiques. C'est de la méthode expérimentale ». Les médecins novices rapportent que personne n’est tout à fait en capacité de les aider à décrypter les arcanes du terrain et ils se résolvent à une exploration solitaire d’une « multiplicité de facteurs ». Certains terrains se révèlent néanmoins plus facilement pénétrables que d’autres. L’administration française de la santé et les services déconcentrés de l’État paraissent présenter une grande complexité, complexité plus grande que l’administration des autres pays où les médecins ont pu exercer. Ici, « Je n'ai pas de culture administrative, je débarque, il faut m'expliquer. J'en suis arrivée à me demander si les gens pouvaient vraiment expliquer... »

Les médecins inspecteurs de santé publique vivent une situation délicate : en poste dans les services du ministère, ils ont tout à apprendre et « personne ne sait » ou ne prend le temps de les aider au repérage le plus élémentaire. Ils n’ont alors d’autres ressources que de déployer leur propre activité, « l'autoformation, moi je suis à fond dedans, parce qu'il nous la faut ». Ils recherchent de manière relativement isolée l’information nécessaire sans être certains de pouvoir la collecter :

« J'ai essayé à plusieurs reprises d’obtenir le savoir nécessaire pour travailler, j'ai essayé de l'obtenir ici à l'ENSP, notamment pendant les regroupements. J'ai essayé de dire : C'est ça qui me manque. J'ai besoin de savoir comment ça marche. Je n'ai jamais de réponse ou alors de tout petits embryons de réponse ».

Dans un premier temps, les médecins inspecteurs de santé publique se tournent vers leurs collègues de travail, d’autres médecins inspecteurs lorsque les postes sont pourvus dans le service ou d’autres personnels, des inspecteurs des affaires sanitaires et sociales voire des secrétaires administratives. Souvent, les pairs sont absents, « J'ai un maître de stage, à la DDASS, que je n'ai vu que deux ou trois fois depuis le début d'année. Je n'ai pu faire avec elle que deux ou trois interventions, sans doute parce qu'elle n'avait pas le temps ».

Pour devenir compétent sur la gestion de dossiers techniques du type aménagement de la permanence des soins ou organisation d’une inspection dans le secteur sanitaire, les médecins inspecteurs de santé publique novices demandent à suivre des dossiers en particulier, parfois en dehors de leurs attributions du moment. Leur comportement proactif de sollicitation de la hiérarchie et des collègues les conduit à trouver « plus facilement les bases », disent-ils.

Les médecins inspecteurs de santé publique valorisent donc leurs comportements d’autoformation pour acquérir des compétences techniques et des compétences critiques. Les compétences critiques relevées au fil des entretiens auprès des médecins inspecteurs de santé publique présentent une caractéristique commune : elles appartiennent à la sphère relationnelle du management de projet et du management d’équipes.

Plusieurs catégories de compétences critiques peuvent être identifiées. Il s’agit des compétences à communiquer sur la scène publique, décrypter les rapports de pouvoir, animer un réseau de partenaires, organiser le travail de groupe, planifier ses activités et s’engager personnellement dans l’activité.