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PARTIE 1 L E CADRE DU PROJET

5. L’apprentissage collectif et collaboratif pour favoriser l’autonomie

L’apprentissage « en autonomie » évoque l’image d’un apprenant qui apprend seul dans un contexte informel. Pourtant l’autonomie ne s’exerce pas seulement dans ce contexte informel, ni seulement par des apprenants isolés, et il y a en réalité beaucoup à gagner pour l’apprenant à exercer son autonomie au contact des autres, car cela peut permettre de la développer. Cette section explorera donc les possibles bienfaits du travail collectif ou collaboratif sur l’autonomie.

5.1. Le rôle de l’autre dans l’exercice et le développement de l’autonomie

Bien que la capacité à l’autonomie doive se développer par l’action de l’apprenant, il n’est pas obligatoire qu’il fasse ce cheminement seul. Le formateur, que ce soit un enseignant ou un tuteur, peut bien sûr être une personne-ressource qui va alors l’aider et le soutenir, mais autrui, de manière générale, qu’il soit formateur, co-apprenant ou modèle, peut aussi participer au développement de l’autonomie d’un apprenant.

Le travail en groupe et le travail collectif en général ne sauraient être évoqués sans faire appel aux travaux de Vygotsky sur la zone proximale de développement (ZPD) (1978). La ZPD représente les compétences en cours de développement d’un individu qu’il

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ne peut réaliser seul mais peut réaliser avec le guidage d’un enseignant ou de pairs plus avancés (Vygotsky, 1978). Le travail collaboratif est donc l’occasion pour un apprenant d’effectuer des activités qu’il n’est pas encore capable de faire seul, et les personnes avec qui il travaille de manière collaborative sont alors cruciales dans la réussite de la tâche et dans son développement. La présence d’un « More Knowledgeable Other » (MKO) c’est- à-dire une personne plus avancée, ayant plus de connaissances ou compétences, attribué à Vygotsky, permet alors à l’apprenant de réaliser des activités plus avancées, et de développer ses compétences. Cette personne, un co-apprenant ou un formateur, montre à l’apprenant comment faire, et celui-ci peut alors suivre son modèle pour parvenir à réaliser une tâche qu’il n’arrivait pas à faire tout seul. Ceci repose sur le principe de l’étayage (scaffolding), attribué à Vygotsky, où la personne plus avancée soutient l’action de l’apprenant en motivant l’apprenant, en lui montrant un modèle à atteindre, en simplifiant la tâche de manière adaptée à ses capacités (Wood, Bruner & Ross, 1976, cité par Donato, 1994) et donc en prenant en charge une partie des opérations qu’il n’est pas encore en mesure d’effectuer. Le MKO permet alors à l’apprenant de prendre graduellement en charge de plus en plus d’opérations afin qu’il puisse réaliser l’activité de manière autonome. Ce principe résonne avec l’assistance proposée par le tuteur dans la prise en charge des opérations d’apprentissage par l’apprenant décrite par Holec (1981). Le travail collaboratif en petit groupe permet aussi l’étayage collectif (collective scaffolding), notamment langagier, entre les apprenants par la co-construction de savoirs (Donato, 1994).

L’autre peut aussi représenter un modèle, mais Murphey (1998a) précise que les modèles dont les apprenants peuvent s’inspirer sont plus motivants quand ils paraissent plus proche des apprenants, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de locuteurs natifs mais de pairs proches, ou « near peer models ». Par exemple, dans le contexte de l’apprentissage de l’anglais au Japon, les apprenants sont souvent plus motivés par les récits d’apprentissage et l’enthousiasme partagé par des japonais ayant réussi à apprendre l’anglais, qu’ils soient étudiants ou professeurs (Murphey, 1998a). Ces modèles semblent plus faciles à atteindre aux apprenants alors que le modèle des locuteurs natifs peut sembler hors de portée.

5.2. Typologie du travail collectif dans la formation

Les tâches à réaliser dans le cadre d’une formation peuvent faire appel au travail collectif ou collaboratif, qu’il convient maintenant de définir. Les termes de « collaboration » « coopération », « travail collectif » ou encore « discussion » semblent tous référer à la

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même notion qui consiste à travailler avec les autres. Cependant les acceptions de ces concepts peuvent paraître un peu vagues et il est difficile de déterminer clairement quel genre de travail cela implique sans s’appuyer sur une typologie claire.

La typologie présentée par Dejean et Mangenot (2006) et reprise par Mangenot (2008) décrit les interactions en ligne dans le cadre des classes virtuelles ou des formations hybrides, mais il nous semble qu’elle peut également être très utile pour la description des mêmes formes de travail sur le mode présentiel. Cette typologie nous semble utile pour identifier les différents modes de travail collectif et la façon dont ils peuvent permettre l’exercice de l’autonomie. Dejean et Mangenot identifient quatre formes de travail qu’ils regroupent sous l’hyperonyme « travail collectif ». Ces formes de travail collectifs sont différenciées par les différents degrés de conception partagée entre les participants d’une tâche, notamment la visée d’une production commune ou individuelle, l’influence des autres sur la production finale, et les buts poursuivis par chaque participant par rapport au but de la tâche :

- La mutualisation est la forme de travail collectif où « chaque apprenant donne son point de vue sur un sujet, lit ce que les autres ont produit, mais n’interagit pas vraiment avec ses pairs » (Mangenot, 2008, p. 16). Les buts des acteurs sont tous différents.

- La discussion est une forme de travail collectif similaire à la mutualisation mais « les apprenants doivent tenir compte des arguments des autres et s’y référer dans leur production » (Mangenot, 2008, p. 16) ce qui implique un plus grand degré de conception partagée (Dejean & Mangenot, 2006). Les buts des acteurs sont toujours différents, bien que « une discsussion p[uisse] aboutir à une prise de décision » (Mangenot, 2008, p. 16), et donc l’influence des acteurs sur la production des autres est bien plus grande.

- La coopération, comme la collaboration, implique un but commun c’est-à-dire une production collective (Dejean & Mangenot, 2006). La différence avec la collaboration tient à ce que les acteurs « se répartissent le travail » (Mangenot, 2008, p. 16) et donc ont des sous-buts différents les uns entre les autres par rapport au but commun de la tâche (Dejean & Mangenot, 2006).

- La collaboration est une forme de travail qui, comme la coopération implique une production collective et donc un but commun, mais elle implique que les sous-buts soient aussi partagés (Dejean & Mangenot, 2006) et donc que les acteurs « négocient collectivement tous les aspects de la production » (Mangenot, 2008, p. 16).

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5.3. Travail collaboratif et autonomie

L’autonomie en tant que capacité peut en fait tout à fait s’exercer dans le travail avec les autres. Murphey (1998b), reprit plus tard dans Murphey et Jacobs (2000), montre que la pratique du travail collaboratif par les apprenants peut développer leur autonomie. Deux concepts centraux dans l’apprentissage collaboratif sont l’interdépendance positive

(positive interdependence) et la responsabilité individuelle (individual accountability)

(Johnson & Johnson, 1994, cité par Murphey & Jacobs, 2000). L’interdépendance positive désigne le sentiment que les membres du groupe sont dans le même bateau, c’est-à-dire que le succès ou l’échec d’un des membres a des répercussions sur tout le groupe. Ainsi « les membres du groupe prennent conscience que les efforts de chaque membre profitent non seulement à eux-mêmes mais aussi au groupe tout entier [notre traduction] » (Murphey & Jacobs, 2000, p. 4). La responsabilité individuelle implique que chaque apprenant se sente responsable de son apprentissage et du fait de contribuer à celui des autres. L’apprentissage collaboratif vise le développement de l’individu et donc la réussite d’un groupe n’est pas mesurée par le succès ou la qualité d’une production collective mais par les progrès individuels de chacun des membres. Ceci implique alors la capacité à donner un feedback productif à ses pairs afin de soutenir chacun dans le groupe. Ces deux principes de l’apprentissage collaboratif impliquent fortement les apprenants dans le processus d’apprentissage par le fait d’avoir une responsabilité forte dans la réussite du groupe et des autres (Murphey & Jacobs, 2000). Ceci encourage donc leur engagement cognitif dans l’apprentissage et peut même accroitre leur motivation. Ces deux principes favorisent ainsi l’exercice de l’autonomie de l’apprenant qui doit s’engager dans la formation de son plein gré et est encouragé à le faire du mieux possible du fait de sa responsabilité face aux autres. Cette interdépendance peut également permettre de soutenir sa motivation et son effort, et le fait de travailler à plusieurs peut rendre l’apprentissage plus agréable.

5.4. Le développement de l’autonomie collaborative critique

Le travail collaboratif en lui-même peut permettre de développer la capacité à l’autonomie chez l’apprenant ainsi que ses compétences en la matière. Murphey (1998b), reprit plus tard dans Murphey et Jacobs (2000), décrit un processus en cinq mouvements par lesquels l’autonomie des apprenants se développe au cours de la pratique de l’apprentissage en collaboration. Ces phases ne se déroulent pas forcément dans un ordre consécutif et peuvent se dérouler parfois au même moment.

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Le mouvement de (1) socialisation (socialization) s’engage dans la phase initiale où les membres d’un groupe se rencontrent et font connaissance, et une communauté d’apprenants commence à se créer. Le mouvement (2) d’apparition de la métacognition (dawning metacognition) implique que les apprenants « examinent leur propre processus d’apprentissage [notre traduction] » (Murphey & Jacobs, 2000, p. 8), grâce à la confrontation avec le groupe où les apprenants peuvent comparer leurs points de vue et façon de faire. Le retour réflexif sur l’activité de travail collaboratif a posteriori peut permettre d’évaluer la réussite d’un travail collaboratif et d’identifier les points à améliorer par l’apprenant, tout en proposant des retours constructifs pour le groupe ou les pairs. (3) L’amorce du choix (initiating choice) se déroule quand les apprenants commencent à faire des choix concernant leur propre apprentissage, en « faisant des sélections parmi un certain nombre d’activités à réaliser, choisir parmi un certain nombre d’options la façon de présenter leur travail, et contribuant à la façon dont l’évaluation sera conduite [Notre traduction] » (Murphey & Jacobs, 2000, p. 9). (4) L’expansion de l’autonomie (expanding

autonomy) implique d’étendre la possibilité pour les apprenants de faire des choix sur leur

apprentissage, par exemple en s’auto-évaluant ou en transmettant un feedback au professeur au sujet des stratégies d’apprentissages les plus efficaces pour eux. Enfin, dans le mouvement de (5) l’autonomie collaborative critique (critical collaborative autonomy), l’autonomie d’un apprenant se doit d’être exercée de manière critique afin qu’il puisse s’exprimer lui-même et devienne « l’auteur de son propre monde [notre traduction] » (Pennycook, 1997, cité par Murphey & Jacobs, 2000, p. 11), ce qui implique qu’il exprime son désaccord et ne suive pas seulement les décisions des autres membres du groupe.

La présentation du contexte de l’enseignement du français dans lequel le stage s’est déroulé et la présentation de notre ancrage théorique nous a permis d’envisager la conception d’une formation permettant de développer l’autonomie des apprenants, cela afin qu’ils puissent devenir plus responsables de leur propre apprentissage.

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