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L’appréhension statique de l’universalité de droit

B. L’intégration des dettes dans la masse universelle

I. L’appréhension statique de l’universalité de droit

152. Le rapprochement avec les structures comptables. – L’universalité de droit, composée d’un actif et d’un passif corrélatifs, se rapproche du compte en ce qu’elle semble composée de valeurs, positives et négatives. Identiques dans leurs compositions, les deux notions semblent également pouvoir être rapprochées par leur fonctionnement : l’existence d’un actif et d’un passif dans les deux cas permet de parvenir, grâce à une corrélation entre ces éléments, à un solde final en faisant la soustraction de l’un à l’autre581. C’est d’ailleurs

581 En ce sens, P. CAZELLES, De l’idée de continuation de la personne comme principe de transmission

dans une telle analyse que l’appréhension du contenu du patrimoine sous forme de valeurs pécuniaires semble la plus opportune. Relevant de la même idée, le parallèle entre les deux notions est d’autant plus convaincant qu’elles relèvent toutes deux d’une abstraction582. En

effet, les éléments qui composent chacun de ces ensembles sont de natures différentes : il s’agit d’opposer les dettes d’une part et les biens ou les créances d’autre part. Dans les deux cas, la valeur positive s’oppose à la valeur négative ; or envisager les seules valeurs ou la « valeur pure » revient à passer par les abstractions mathématiques que sont les chiffres.

153. L’utilité d’une vision statique du patrimoine – Au décès d’une personne physique – ou à la dissolution d’une personne morale –, le patrimoine présente nécessairement un solde correspondant à la différence entre ce que la personne a et ce que la personne doit. Le raisonnement vaut également pour les autres universalités juridiques puisqu’à la liquidation d’un régime matrimonial ou au partage d’une indivision, l’établissement des comptes fait apparaître un solde. Parvenir à ce solde suppose une évaluation des éléments qui composent l’universalité583. Le règlement du passif patrimonial

lors de la « mort » d’une personne – physique ou morale584 – nécessite par conséquent de mettre en relation des valeurs monétaires585. Si « le mort saisit le vif », c’est en raison de ce rapport nécessaire que le Droit a construit autour de l’abstraction « valeur ». Parvenir à un solde doit donc passer par un calcul et ce calcul permet d’assimiler le patrimoine au compte. De la même manière, la masse commune et l’indivision doivent être évaluées et liquidées avant de faire l’objet d’un partage. Dans ces deux cas, l’opération est d’ailleurs faite en valeur586. L’universalité doit donc, à un moment déterminé, faire l’objet d’une évaluation

Civ. 1920, p. 79 et s. ; R. BEUDANT, P. LEREBOURG-PIGEONIERE, P. VOIRIN, Cours de droit civil français, 2e éd., t. IV, éd. Arthur ROUSSEAU, n°19.

582 Ainsi, les auteurs font souvent référence au compte en le désignant en tant que « construction intellectuelle » ; en ce sens, PH. NEAU-LEDUC, Droit bancaire, Dalloz 2010, n°335, p. 163 ; M.T. CALAIS- AULOY, « Compte courant », in JCI Banque, Fasc. 210 ; R. DESGORCES, « Relecture de la théorie du compte courant », RTD Com. 1997, p. 383 et s.

583 Ce qui permet de rejoindre les critères de qualification du bien patrimonial précédemment retenus : cf. supra (n°125).

584 C’est ainsi que THALLER écrivait que la faillite produisait des effets qui rendent le patrimoine statique : « c’est une vraie cristallisation de biens qu’entraîne instantanément le jugement de concours. Le patrimoine se fige, ou, si l’on me permet quelque autre métaphore, il vient se photographier avec ses éléments actifs et passifs, dans une chambre noire où un vigoureux fixatif le retient tout aussitôt » : E. THALLER, Faillites en droit

comparé, éd. Arthur ROUSSEAU 1887, t. I, p. 345.

585 Pour les personnes physiques, il convient d’envisager ici l’hypothèse d’une succession acceptée sous bénéfice d’actif net puisqu’en cas d’acceptation pure et simple, le solde n’apparaît pas, les biens comme les dettes se fondent dans le patrimoine respectif des héritiers : art. 785, C. Civ.

586 Le premier alinéa de l’article 826 du Code civil prévoit expressément que dans le cadre d’une indivision, « l‘égalité dans le partage est une égalité en valeur ». La masse commune passe également par une évaluation monétaire des biens et des dettes qu’elle contient même si le partage se fait d’abord par un prélèvement en nature : art. 1470 et s., C. Civ.

finale faisant apparaître un solde, une valeur définitive. La traduction du bien sous forme d’argent permet alors de déduire l’ensemble des dettes de l’ensemble des biens. En ce sens, l’universalité juridique pourrait être qualifiée de compte au moment de sa liquidation.

154. L’utilité d’une vision figée de l’universalité. – Une telle analyse est possible au moment de la liquidation de l’ensemble universel mais elle l’est également lorsqu’elle est envisagée en cours de vie ou de fonctionnement. En effet, la corrélation entre l’actif et le passif est en réalité constante. Les textes eux-mêmes le prévoient en ce que le créancier dont la créance – et donc le droit de gage général – nait à un moment donné peut saisir, en paiement de sa créance, un bien qui ne se trouvait pas dans le patrimoine de son débiteur audit moment587. C’est ce que prévoit le Code civil lorsqu’à son article 2284, il dispose que le créancier peut se payer sur tous les biens « présents et à venir » de son débiteur. Ces dispositions permettent d’affirmer que le droit que le créancier détient sur le patrimoine de son débiteur ne porte pas sur un bien déterminé mais sur un bien quelconque. Cette idée est renforcée par celle selon laquelle le patrimoine permet d’évaluer la capacité d’endettement d’une personne lorsqu’elle contracte une nouvelle dette588. Il s’agit donc bel et bien

d’abstractions positives et négatives qui relèvent du domaine comptable. Ce raisonnement est d’autant plus vrai pour les universalités dont l’autonomie n’est pas symétrique : le créancier de la masse commune ou celui de l’indivision pourra saisir n’importe quel bien dans l’universalité à l’origine de sa dette mais également dans le patrimoine personnel de son débiteur. En d’autres termes, l’appréhension de chacune de ces notions permet de les rapprocher en ce qu’elles sont toujours envisagées en tant que contenants abstraits et indépendamment de leurs contenus qui forment des unités589. La qualification d’universalité appliquée au compte par certains auteurs permet d’ailleurs d’aller en ce sens590.

155. L’absence d’effet novatoire dans l’universalité. – D’autres auteurs se sont pourtant efforcés d’annihiler cette comparaison entre patrimoine et compte. La constatation d’une balance entre actif et passif semble insuffisante car si les structures de chacun de ces mécanismes se rapprochent, leurs régimes sont foncièrement différents. En effet, le compte suppose une extériorité car il met en jeu deux personnes : le créancier et le débiteur. Chacune

587 GARY décrit ainsi le patrimoine comme un ensemble dont « la valeur présente s’apprécie quand un créancier à un moment donné de l’existence du patrimoine s’attaque à lui » : R. GARY, Les notions d’universalité de fait

et d’universalité de droit, Sirey 1932, p. 170.

588 Cf. supra (n°143 et s.)

589 En ce sens, FR.ZÉNATI ET TH. REVET, Les biens, PUF 2008, n°8i, p. 37.

des parties correspond à l’actif ou au passif du compte et celui-ci repose donc sur l’effet novatoire des opérations effectuées sur le compte591. Cet effet novatoire qui emporte extinction des dettes par leur simple entrée en compte « n’a aucun sens dans le patrimoine592 ». En effet, il convient ici de constater que la dette ne s’éteint pas en intégrant le patrimoine, elle peut ne jamais affecter les éléments qui le composent. Prenons par exemple un contrat de louage d’ouvrage ; l’obligation ici contractée par le débiteur constitue une obligation de faire. Ce n’est qu’en cas d’inexécution, à laquelle s’ajouterait l’impossibilité de demander l’exécution forcée593, que le créancier exercera un droit sur les biens contenus dans

le patrimoine de son débiteur. Si en revanche, ce dernier exécute l’ouvrage, le créancier n’aura, à aucun moment, modifié la consistance du patrimoine. La simple titularité de la créance et donc son intégration dans le patrimoine ne suffit pas à emporter son extinction par novation.

156. Le rattachement (possible) à une personne unique. – Lié à ce premier argument en existe un second : le compte est un tableau de créances et de dettes entre deux personnes, l’une envers l’autre ; c’est un mode organisé d’une pluralité de compensations, une sorte de contrat cadre pour les compensations nées des multiples opérations effectuées entre ces deux personnes. Le patrimoine en revanche met en relation une personne et tous ses créanciers : il dépasse la relation binaire. Il peut certes y avoir dans le patrimoine l’idée de compensation, issue de la fongibilité en valeur de ses éléments594, mais l’idée d’une relation établie entre deux personnes y fait défaut. En ce sens, le compte repose sur une convention alors que le patrimoine existe indépendamment des relations que son titulaire entretient avec les autres595.

157. L’impossible assimilation au compte pour la liquidation. – La potentialité du patrimoine et des droits que les tiers peuvent avoir sur celui-ci empêche toute appréhension statique du patrimoine. Nous avons cependant vu qu’un tel parallèle peut avoir un sens lorsque l’activité du titulaire (propriétaire et débiteur à la fois) est figée. Lorsque la vie cesse, le titulaire du patrimoine ne peut plus faire entrer de biens dans son patrimoine, l’actif est ainsi gelé. De la même manière, il n’est plus susceptible de créer de nouvelles dettes en

591 V. par exemple, Com, 13 déc. 2005, n°04-15255, RD. Banc. & Fin. 2006/6, p. 10, obs. FR.J.CRÉDOT & TH. SAMIN.

592 D. HIEZ, Étude critique de la notion de patrimoine en droit privé actuel, LGDJ 2003, n°32, p. 28 : l’auteur poursuit en constatant l’absence d’effet novatoire lors de l’entrée d’une créance dans le patrimoine.

593 Art. 1221, C. Civ. 594 Cf. supra (n°66 et s.) 595 R. GARY, th. préc. p. 322.

s’obligeant personnellement : le passif est donc également figé596. De la sorte, le patrimoine

perd le dynamisme qui lui est inhérent de sorte que l’assimilation du patrimoine au compte devrait retrouver tout son sens597. Cependant, le Droit des successions n’établit pas l’existence d’un solde pour la dévolution du patrimoine du défunt : tout est ainsi fait pour que les héritiers récupèrent séparément l’actif et le passif, ensembles qui vont se fondre dans le patrimoine de chacun des héritiers. Le législateur ne fait pas correspondre l’actif et le passif successoral dans son ensemble : il prend en compte la pluralité de successeurs et applique donc le principe de division des dettes avant de procéder à un éventuel solde598. En effet, dans l’hypothèse de plusieurs successeurs, si l’un d’entre eux accepte à concurrence de l’actif net et deux autres acceptent purement et simplement la succession, le créancier du de cujus devra se tourner vers chacun pour sa part de la créance599. En ce sens, le patrimoine n’est pas

un ensemble comptable, même au moment de sa liquidation. Envisager le patrimoine sous forme de compte nécessite de stopper l’activité du titulaire car ce n’est qu’ainsi qu’il est possible de parvenir à un solde. Si au moment où le calcul du solde est effectué, le titulaire du patrimoine acquiert un bien ou contracte une dette, le solde s’en trouve nécessairement et immédiatement modifié. Or quelle garantie existe-t-il alors pour les créanciers antérieurs ? C’est que cette garantie n’existe pas, elle ne peut exister car elle porterait trop fortement atteinte à la liberté du débiteur propriétaire, à sa liberté de disposer des biens et à sa liberté de contracter de nouveaux engagements. L’activité économique ou simplement humaine s’en trouveraient alors paralysées. Parce qu’ils ne peuvent être figés, les éléments du patrimoine sont en mouvement constant. L’ensemble ne peut donc être appréhendé de façon statique.

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