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La définition du bien patrimonial

B. La notion de bien patrimonial

2. La définition du bien patrimonial

124. Nécessité de recherche d’un critère du patrimonial. – L’emploi des adjectifs

patrimonial ou extrapatrimonial par le législateur invite souvent à y voir une confusion ou

une distinction. Ainsi, le nouvel article 1341-1 relatif à l’action paulienne autorise le créancier à exercer « les droits et actions à caractère patrimonial » de son débiteur, « à l’exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne ». La lecture de ces dispositions peut recevoir deux interprétations : la première consisterait à y voir une redondance, ce qui est à caractère patrimonial étant nécessairement détaché de la personne. À l’inverse, une seconde analyse de ces termes peut marquer une possible inclusion du

464 E. GAILLARD, « La double nature du droit à l’image et ses conséquences en droit positif français », D. 1984, p. 161 et s. ; dans une certaine mesure, v. également G. LOISEAU qui propose de retenir l’existence de « droits dérivés », in Le nom objet du contrat, LGDJ 1997 ; même auteur, « Typologie des choses hors du commerce »,

RTD Civ. 2000, p. 47.

465 Cf. infra (n°477 et s.)

466 En ce sens, J.L. BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz 2012, n°169 et s., p. 226 et s.

467 P. CATALA, « La transformation du patrimoine dans le droit civil moderne », RTD Civ. 1966, p. 185 et s. ; même sens, J. AUDIER, Les droits patrimoniaux à caractère personnel, th. dactyl. Aix-en-Provence 1979. 468 Ce constat est établi par la plupart des auteurs qui se sont penchés sur la question ; au-delà des auteurs déjà cités, v. surtout : F. HAGE-CHAHINE, « Essai d’une nouvelle classification des droits privés », RTD Civ. 1982, p. 705 et s.

469 Il convient de nuancer car l’auteur écrit que « la patrimonialité postule l’évaluation, mais, pour être totale, elle suppose aussi la cessibilité onéreuse et la transmissibilité à cause de mort » : P. CATALA, op. cit., n°25, p. 207.

personnel dans le patrimonial. Issus du même code, les articles 379 et 425 semblent pourtant pencher vers la première interprétation puisqu’ils opposent à leur tour les attributs patrimoniaux à ceux qui sont personnels. L’article 257-2 met en revanche les intérêts pécuniaires aux côtés des intérêts patrimoniaux, l’un ne correspondant donc pas exactement à l’autre. L’incohérence de ses règles traduit un manque de rigueur dans la rédaction des nouveaux textes qui entourent la matière et invite à déterminer un véritable critère de distinction entre le patrimonial et l’extrapatrimonial.

125. La recherche d’un critère du patrimonial dans la saisissabilité. – Dans l’optique d’une redéfinition des frontières du patrimoine, il convient de revenir sur la définition de celui-ci. En tant que notion fonctionnelle, l’ensemble doit être analysé à la lumière de sa ratio legis, de sa raison d’être, c’est-à-dire de sa fonction. La composition active du patrimoine peut alors être déterminée de manière négative : tous les biens qui ne remplissent pas la fonction de garantie des dettes doivent être exclus du patrimoine. Il s’agit alors d’identifier le caractère, positif, qui permet aux biens patrimoniaux de remplir cette fonction. Or la garantie effective des dettes passe par la saisie des biens du débiteur par le créancier470. C’est ainsi qu’une partie de la doctrine a suggéré de voir dans le bien patrimonial, les caractères de saisissabilité et de transmissibilité471, mais peu d’auteurs ont proposé le premier comme unique critère de définition472. Critiquée par certains, la

470 Le Professeur REVET écrit ainsi « La patrimonialité désigne l'appartenance d'un bien à un patrimoine, laquelle appartenance suppose que ce bien soit aliénable afin que, grâce à ce caractère, il puisse contribuer à remplir la fonction du patrimoine, qui est de constituer le gage commun de tous les créanciers (C. civ., art. 2284 et 2285) : en cas d'inexécution d'une créance, les créanciers peuvent obtenir compensation monétaire du préjudice que leur cause cette inexécution, en saisissant puis faisant vendre ou se faisant attribuer la propriété d'un ou plusieurs biens de leur débiteur ; c'est pourquoi seuls les biens aliénables du débiteur sont patrimoniaux. Il est donc erroné de soutenir, comme il est pourtant fait largement, que tous les biens sont patrimoniaux. Seuls sont patrimoniaux les biens saisissables. » : TH. REVET, « Le corps humain est-il une chose appropriée ? », RTD

Civ. 2017, p. 587 et s.

471 « Puisque les droits extrapatrimoniaux n’entrent pas dans le patrimoine, ils ne sont ni transmissibles à cause de mort, ni saisissables par les créanciers » : PH.MALAURIE &L.AYNÈS, Les biens, Defrénois 2010, n°27, p. 14 ; de la même manière, d’autres constatent volontiers que les limites au droit de gage général résident effectivement dans l’insaisissabilité du bien : FR.TERRÉ,PH.SIMLER &Y.LEQUETTE, Les obligations, Précis Dalloz 2013, n°1099 et s., p. 1146 et s.

472 P. BERLIOZ, th. préc. ; du même auteur, « L’affectation au cœur du patrimoine », RTD Civ. 2011, p. 635 et s. L’auteur pêche en ce qu’il réduit tous les biens à des biens patrimoniaux de sorte que tous les objets insaisissables ne sont donc plus des biens. Ils ne peuvent pourtant, dans la division classique entre sujet et objet, intégrer la sphère des personnes et sont donc destinés à rester en dehors du Droit. Dans le même sens : v. B. ROMAN, « Le patrimoine dans l’avant-projet de réforme du droit des biens », Defrénois 2009, 38906, p. 504 et s., spéc. p. 504.

D’autres thèses, moins extrêmes, ont en revanche retenu la saisissabilité comme critère du bien patrimonial et non du bien juridique. Ainsi, certains écrivent que « en droit positif, le patrimoine pourrait se définir : l’ensemble des biens saisissables d’une personne » : H. DE PAGE &R.DEKKERS, Traité élémentaire de droit

civil belge – Les principaux contrats usuels et les biens, t. 4, éd ; Bruylant 1975, p. 560. Dans le même sens,

J. LAURENT, La propriété des droits, LGDJ 2012, n°272, p. 214 : « par suite d’une longue évolution historique, la créance moderne trouve sa garantie – son crédit – dans le patrimoine du débiteur, c’est-à-dire dans l’ensemble

saisissabilité semble, de prime abord, trop contingente pour caractériser, à elle seule, la patrimonialité d’un bien473. Cette contingence peut être temporelle ou personnelle. En effet,

certains biens sont seulement potentiellement insaisissables474. Par exemple, « l’unique table meublant le domicile du débiteur, bien mobilier nécessaire à la vie du saisi, est sans doute insaisissable. Mais si par la suite, le débiteur s’enrichit pour en acquérir une seconde de qualité équivalente, l’insaisissabilité de la première cède475 ». Un bien insaisissable un temps,

peut ne plus l’être à un autre moment. La relativité d’une insaisissabilité peut encore être personnelle en ce sens que certains biens ne sont insaisissables qu’à l’égard de certains créanciers. Ainsi en est-il de la même table ou de n’importe quel bien mobilier nécessaire à la vie : ces objets sont insaisissables en raison de leur caractère nécessaire mais ils ne le sont pas à l’égard du vendeur de ce bien. C’est ce que prévoit l’article L.112-2 du Code des procédures civiles d’exécution. On ne peut retenir la commercialité comme critère car celle- ci est entendue comme permettant d’exclure les choses qui ne peuvent faire l’objet d’acte juridique476. Or nous avons vu, d’une part, que certains biens font l’objet d’acte gratuit mais

sont exclus du patrimoine telle, par exemple, une sépulture qui fait l’objet d’acte d’administration477. Ici l’exclusion ne concerne donc pas tous les actes juridiques mais vaut

uniquement pour toute transmission entre vifs ou pour cause de mort, volontaire ou imposée, c’est-à-dire pour une cession ou une saisie. Une partie des biens extrapatrimoniaux semble donc caractérisée par leur intransmissibilité478 et leur insaisissabilité479. De la même manière, certains biens font l’objet d’acte onéreux et semblent toujours exclus du patrimoine. Tel est le cas par exemple de l’image, du nom ou de la voix. Ces biens se distinguent néanmoins de

de ses biens saisissables », nous soulignons. L’auteur ajoute en note que « les biens extrapatrimoniaux (notamment la force de travail) du débiteur ne sont pas totalement hors de cause mais, parce que non-saisissables (…) c’est-à-dire non recouvrables par le système juridique, leur valeur n’est reçue par le système économique que par l’intermédiaire des biens saisissables produits par l’exploitation de celle-ci (les salaires par exemple » ; dans le même sens, de manière plus nuancée : C. KUHN, Le patrimoine fiduciaire – Contribution à l’étude de

l’universalité, th. Paris I, 2003, n°163 et s., p. 125 et s. ; CL.WITZ, JCI Droit civil, V°Droit de gage général, n°92 et s.

473 Pour les auteurs de cette critique, v. principalement N. JULLIAN, La cession de patrimoine¸ th. Rennes I, 2016, dir. R. MORTIER, n°48, p. 51-52 ; G. FOREST, Essai sur la notion d’obligation en droit privé, Dalloz 2012, n°389 et s., p. 271 et s.

474 Cf. infra (n°344 et s.)

475 G. FOREST, ibid, n°396, p. 276.

476 Ancien article 1128 du Code civil, cf. supra (n°112 et s.)

477 Cass, Civ. 1e, 22 févr. 1972, n°70-13192, Bull. Civ. I, n°56, note LINDON D. 1972, p. 513.

478 L’intransmissibilité correspond à la cessibilité mais se distingue de la disponibilité puisqu’est indisponible le bien strictement hors-commerce, celui qui ne peut vraiment faire l’objet d’aucun acte juridique. Elle se distingue également de l’inaliénabilité puisque l’aliénation n’est qu’un seul mode de transmission aux côtés de la donation : W. DROSS, Les Choses, LGDJ-Lextenso 2012, n°36, p. 68.

479 En ce sens, B. ROMAN, Essai sur l’insaisissabilité – Contribution à l’étude des biens, th. Paris 1 2008, spéc. n°40 et s., p. 56 et s.

la sépulture en ce qu’ils sont transmissibles volontairement mais ne sont pas saisissables480.

Le caractère commun de ces biens exclus du patrimoine semble ainsi être l’insaisissabilité. 126. Saisissabilités relative et absolue. – La saisissabilité force alors l’intégration au patrimoine et va dans la droite lignée de la fonction du patrimoine et de son fondement481. Il faut cependant distinguer deux acceptions de la saisissabilité : une vision statique et une vision dynamique. La première consiste à exclure du patrimoine tous les biens insaisissables sans distinction aucune. La vision dynamique de la saisissabilité permet d’inclure dans le patrimoine, les biens qui ne sont que temporairement ou relativement insaisissables. L’insaisissabilité temporaire a en effet pour objet de paralyser la valeur d’échange conférée au bien par le Droit et le marché482. Or la paralysie n’implique pas la disparition de la valeur : il est donc impossible d’affirmer que le bien frappé d’inaliénabilité – et donc d’insaisissabilité – n’est plus un bien car sa valeur n’a pas disparue, elle est simplement neutralisée483. Cette

acception de l’insaisissabilité vise ainsi à ne faire sortir du patrimoine que les biens insaisissables par nature : le bien extrapatrimonial est et sera toujours insaisissable484.

480 C’est ainsi que la loi n°94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain a remplacé l’indisponibilité du corps humain par la non-patrimonialité (articles 16-1 et 16-5 du Code civil) : A. ZABALZA, art. préc., n°62, p. 36 ; dans le même sens, C. KUHN, th. préc., n°173, p. 133. C’est donc un « cheminement du corps hors du commerce au corps hors du marché qu’il faut entamer », M.A. HERMITE,« Le corps hors du commerce, hors du marché », Arch. Phil. Droit 1988, t. 33, p. 325.

481 Le Professeur REVET écrit ainsi que « la patrimonialité désigne l’appartenance d’un bien à un patrimoine, laquelle appartenance suppose que ce bien soit aliénable afin que, grâce à ce caractère il puisse contribuer à remplir la fonction du patrimoine, qui est de constituer le gage commun de tous les créanciers » : in « Le corps humain est-il une chose appropriée », art. préc. ; dans le même sens, B. KAN-BALIVET, art. préc., p. 178 : l’auteure écrit ici que lorsqu’un entrepreneur individuel déclare sa résidence principale insaisissable, il fait sortir le bien immobilier « de l’assiette du droit de gage général des créanciers. Il ne fait plus partie du patrimoine au sens de l’article 2284 du Code civil, tout en demeurant un bien ».

482 Dans le même sens, PH. MALAURIE & L. AYNÈS, Les biens, Defrénois 2010, n°22, p. 13 : les auteurs affirment que « le fait qu’un bien soit inaliénable ne lui retire pourtant pas sa nature de bien » ; W. DROSS, Les

Choses, LGDJ 2013, n°36 et s. p. 68 et s. : l’auteur rejette l’analyse jurisprudentielle selon laquelle un bien

frappé d’inaliénabilité sort du commerce juridique car cela reviendrait à en modifier la nature. Rappr. W. DROSS, « Une approche structurale de la propriété », RTD Civ. 2012, n°9, p. 423.

483 P. BERLIOZ va dans le même sens dans sa thèse mais il convient de préciser qu’un élément essentiel de sa théorie fait défaut. Pour l’auteur, le bien juridique est nécessairement saisissable alors que pour nous, seul le bien patrimonial est saisissable de sorte que, dans la lignée de sa théorie, un bien frappé d’insaisissabilité devrait perdre sa qualité de bien alors que dans la nôtre, il demeure un bien, qui plus est patrimonial. Ainsi, la clause d’inaliénabilité ne vient pas modifier la nature de la chose ; elle vient simplement en aménager le régime ; v. contra. P. BERLIOZ, th. préc., n°695, p. 227 ; en d’autres termes, l’auteur fait dépendre la nature de la chose selon sa saisissabilité, ce qui n’a pas de sens car seule la destination du bien fluctue, sa nature est permanente : v. supra (n°60 et s.) et infra (n°316 et s.)

484 En faveur de cette distinction, v. R. BÉRAUD, « Pluralité de patrimoines et indisponibilité », RIDC 1955, p. 775 et s., spéc. n°7, p. 777 ; v. également dans l’application de cette distinction aux sûretés réelles, P. CROCQ, note sou Civ. 1ère, 23 févr. 2012, n°09-13113. Dans le même sens et dans une certaine mesure, A. SÉRIAUX,J. LAURENT et N. JULLIAN proposent la même distinction quoique ces auteurs l’appliquent à la cessibilité des biens. Pour eux, la cessibilité (critère de la patrimonialité) doit s’apprécier indépendamment du temps. C’est ainsi que le premier écrit que le bien patrimonial se caractérise par son « accessibilité à l’échange », nous soulignons : A. SÉRIAUX, art. préc., RTD Civ. 1994, n°3. Quant à Madame JULLIAN, elle écrit à son tour que la

L’appréciation du caractère insaisissable de ces biens ne va pas sans rappeler le caractère abstrait du patrimoine : si ce dernier est délivré des contingences spatiales et temporelles485, il paraît logique que les éléments qui le composent soient caractérisés par un critère lui-même libéré des carcans du temps et de l’espace. L’insaisissabilité temporaire doit alors être exclue dans la recherche de la patrimonialité. C’est pourquoi la table meublant le logement du débiteur est comprise dans son patrimoine quand sa voix en sera exclue, la première n’étant insaisissable qu’un temps alors que la seconde l’est de manière constante.

127. L’exemple du corps humain et de ses éléments. – L’extrapatrimonial fait écho aux droits de la personnalité car c’est, semble-t-il, une catégorie à la frontière de la personne et des biens486, une troisième voie dans la summa divisio du Code civil487. Or dans ce domaine les lois bioéthiques « incitent à distinguer le corps humain vivant des éléments et produits qui en sont issus488 ». Si le corps humain est le support de la personne juridique, les éléments

qui en sont issus et qui s’en détachent sont en revanche des choses, des objets du monde extérieur489. Or ces choses sont saisies par le Droit de manière particulière. Cessibles à titre

onéreux pour certains mais uniquement à titre gratuit pour d’autres, les éléments et produits du corps humain sont toujours insaisissables. En ce sens, ils représentent une valeur incontestable mais une valeur inaccessible aux créanciers. Cette exclusion trouve sa traduction textuelle aux articles 16-1 et 16-5 du code civil mais également dans l’intuitu

personae qui les caractérise490.

128. Régime spécifique des biens extrapatrimoniaux. – Ces éléments sont des biens dans le sens où il y a, à leur égard, une sorte d’appropriation et une valeur d’échange. Ils ne se présentent pas non plus comme des choses hors-commerce puisque le Droit en admet la circulation. Ils sont spéciaux en revanche dans la mesure où la propriété n’y a plus le rôle de réservation mais uniquement d’appartenance491. L’appartenance d’un rein fait rarement

cessibilité « peut n’être que de principe, de sorte que le bien peut être momentanément exclu du marché ou temporairement inaliénable, il n’en demeure pas moins inclus dans le patrimoine », th. préc., n°48, p. 52. 485 Cf. infra (n°158 et s.).

486 Cf. supra (n°39 et s.).

487 N. REBOUL-MAUPIN, « Pour une rénovation de la summa divisio personne et bien », LPA 2016, n°259, p. 6. 488 A. ZABALZA, op. cit.

489 En ce sens, v. A. TADROS, « Le statut du donneur », CRDF 2017, n°15, p. 45 et s.

490 Ce rattachement personnel du bien extrapatrimonial a atteint un degré plus fort avec l’introduction de la déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) permettant à un débiteur de déclarer sa résidence principale insaisissable à l’égard de ses créanciers (art. L.526-1, C. Com).

491 V. en ce sens au sujet de l’industrie : TH.REVET, La force de travail : étude juridique, Litec 1992. Plus précisément, le professeur REVET ne revient pas sur la réservation mais considère que la force de travail est objet d’une quasi-propriété, laquelle semble correspondre à une propriété utile, une propriété diminuée en ce

l’objet d’un litige mais un lien juridique doit être établi entre la personne et son rein pour expliquer la possibilité d’en faire un don ; c’est, en quelque sorte, une propriété de principe492. La valeur d’échange de ces biens n’existe par ailleurs que dans une mesure restreinte et les pouvoirs de la personne sur ce bien sont limités par des considérations d’ordre public qui relève souvent de la politique ou de la morale. La circulation de ces choses est limitée, soit par un principe de gratuité493, soit par le refus de reconnaissance à leur égard de toute valeur pécuniaire, soit encore en raison des personnes entre lesquelles ces biens peuvent circuler. En d’autres termes, il semble que les biens extrapatrimoniaux ne puissent circuler que dans des conditions spécifiques que fixe le législateur494. S’il s’agit donc de biens, toutes les utilités (potentielles) de ceux-ci ne sont pas accessibles au « propriétaire »495. C’est donc que les pouvoirs de la personne sur ces biens sont limités de sorte qu’il est légitime de se demander s’il s’agit toujours d’une propriété. La lecture de l’article 537 du Code civil496

pourrait laisser entendre que les limites portées aux pouvoirs du propriétaire ne sont que des exceptions au principe posé à l’article 544 du même code. Pourtant, la physionomie de ce régime particulier, applicable à tous les biens extrapatrimoniaux, s’éloigne considérablement du principe de libre disposition qui gouverne les biens du patrimoine. Il conviendrait donc de ne plus parler de propriété à leur égard car le lien établi entre ces choses et la personne, d’une part, n’offre pas les mêmes prérogatives que la propriété et, d’autre part, ne correspond pas à un mode de réservation des choses du monde extérieur497. Le lien de rattachement qui semble exister vis-à-vis de ces biens extrapatrimoniaux est orienté vers la personne qui bénéficie ou qui subit les effets juridiques de l’appartenance. Peut-être convient-il alors de parler de titularité, comme le propose une auteure498. Ainsi, la reconnaissance de la titularité

qu’elle comprend un usus et un fructus mais exclut tout abusus : n°350 et s., p. 393 et s. ; v. également, M. FABRE-MAGNAN, « Propriété, patrimoine et lien social », RTD Civ. 1997, p. 583.

492 Cette propriété rappelle l’interprétation de ce droit offerte par DABIN qui y voit un lien d’appartenance plutôt qu’un ensemble de prérogatives. Dans le même sens, v. W DROSS, art. préc, RTD Civ. 2012 ; M. FABRE- MAGNAN,art. préc., RTD Civ. 1997 ; v. aussi infra (n°477 et s.).

493 A.B. CLAIRE, « Le corps gratuit : réflexions sur le principe de gratuité en matière d’utilisation de produits et d’éléments du corps humain », RDSS 2015, p. 865 et s. Ce principe ne connaît, à notre connaissance aucune exception. La circulation à titre onéreux des produits sanguins labiles (PSL), encadrée par l’Etat et réservée uniquement aux établissements hospitaliers, ne vise que des produits fabriqués à partir des dons de sang. De la sorte, l’objet vendu n’est pas, à proprement parler, un produit du corps humain mais un bien créé à partir de celui-ci : le sang est remanié et manipulé pour parvenir à un produit nouveau à des fins de traitement.

494 Cf. infra (n°240 et s.).

495 Certains y voient une personnification des choses : v. J. ROCHFELD, « La distinction de la personne et des choses, une summa divisio brouillée par la personnification des biens », in Le patrimoine de la personne

protégée, LexisNexis 2015, p. 277 et s.

496 L’article prévoit que « les particuliers ont la libre disposition des biens qui leur appartiennent, sous les modifications établies par les lois. Les biens qui n'appartiennent pas à des particuliers sont administrés et ne peuvent être aliénés que dans les formes et suivant les règles qui leur sont particulières. ».

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