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des troubles cognitifs

6.1 L’analyse documentaire

Les chapitres 7 et 8 sont essentiellement le fruit d’un travail de récolte et d’analyse d’informations documentaires de diverses natures : des bases légales ou stratégiques, des statistiques permettant d’appuyer le propos, des documents descriptifs, de participation ou d’inscription et des sites internet de collectivités ou de structures. Elles ont été obtenues par des recherches individuelles et complétées grâce à l’aide de différents interloctuteurs/trices qui m’ont aiguillée vers les sources pertinentes. Le corpus documentaire permet de dresser un portrait qualitatif du paysage du prendre soin dans les cantons de Genève et de Vaud, sans prétendre en couvrir toutes les spécificités.

Les objectifs de l’analyse documentaire dans le but de faire état d’une situation sont multiples et ont déjà été en partie énoncés : ils résultent d’une absence de centralisation de l’information autour des lieux concrètement ou supposément

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aptes à contribuer au prendre soin des personnes atteintes de troubles cognitifs.

Ils répondent en outre à un besoin exprimé par plusieurs acteurs/trices rencontrés au fil de la recherche. Ils traduisent la nécessité de réaliser un diagnostic détaillé pour comprendre la situation générale, afin, ensuite, de pouvoir d’une part porter un regard critique sur celle-ci, et d’autre part faciliter l’identification de menaces et de potentiels. Finalement, comme cela a été souligné dans la définition de leurs objets (cf. section 5.1), il faut voir dans les deux chapitres d’état des lieux une complémentarité tout autant qu’une continuité — toute dimension habitationnelle d’un dispositif résulte de choix sociétaux et politiques préalables.

Inventaire des politiques publiques

Les politiques publiques font partie intégrante du dispositif analysé. En effet, si l’on s’en tient à la définition proposée par Michel Foucault, le dispositif est constitué d’agencements spatiaux, mais aussi d’un ensemble de discours et de règlements (1994 [1977] ; 2016 [1975]). Pour analyser la spatialité de la démence dans le contexte urbain des cantons de Genève et de Vaud, l’étude du discours politique et légal qui l’encadre et la formalise s’est imposée. Elle sous-entend tout d’abord de situer le « problème public » qui nous intéresse : en l’occurrence, celui de l’habitat de la personne atteinte de troubles cognitifs dans les cantons où la politique de maintien à domicile est la plus ancienne — et où elle dispose aussi de moyens de mise en œuvre conséquents. Elle nécessite également l’identification des différents groupes d’acteurs/trices qui sont respectivement responsables, bénéficiaires ou cibles de la politique analysée. Elle doit se systématiser à toutes les échelles d’action politique : des instances internationales à l’échelon communal. Finalement, elle doit délimiter les domaines de compétences qui semblent pertinents : en l’occurrence, quatre types de politiques ont été retenus : les politiques sociales, les politiques de santé, les politiques du logement et les politiques d’aménagement de l’espace public et des transports.

Cela s’est concrètement traduit par un long processus de recherche, de lecture et d’examen de documents stratégiques, de textes de lois ou d’ordonnances qui concernent une catégorie de personnes (en situation de handicap, âgées, avec des troubles cognitifs), la fabrique de l’habitat (logements, espaces collectifs et publics, transports) ou les deux (comme pour les politiques en matière d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap ou la politique de soins de longue durée). Autrement dit, à partir d’un sujet qui n’est pas entièrement traité dans une politique (par exemple, la politique de la démence, qui omet presque entièrement la question de l’habitat), il a fallu identifier les textes qui l’impactent, mais aussi ceux qui ont le potentiel de le faire évoluer.

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L’une des difficultés (et limites) majeures réside dans la temporalité de l’analyse : les temps courts des stratégies politiques (et des mandats des celles et ceux qui en sont responsables) peuvent rapidement rendre obsolète une analyse de politiques publiques. Ainsi, à la fin de la première étape d’analyse, le canton de Genève avait une nouvelle législature et par conséquent aussi un nouveau programme. Il avait également mis en place un plan cantonal de promotion de la santé et de prévention alors que le canton de Vaud avait adopté une nouvelle politique de santé publique. Ces changements ont dû être intégrés à l’analyse.

Pour rendre compte de cette évolution dans le temps, j’ai parfois fait le choix de garder la mention du programme ou de la politique précédente (initialement analysée) et d’ajouter les nouveautés de ceux qui ont suivi — et qui les ont remplacés.

L’analyse de politiques publiques a demandé une préparation en amont, puisque je ne suis pas politologue et que je me suis confrontée pour la première fois à ce type d’analyse approfondie. J’ai donc pris contact avec un politologue de l’Université de Genève qui m’a fait un parcours commenté des diapositives d’un cours en Administration et politique publique du professeur Frédéric Varone. J’ai pu à cette occasion me familiariser avec la nature de l’analyse et de l’évaluation de politiques publiques. Il m’a également proposé un certain nombre de références pour compléter cette initiation. Le chapitre 7 qui en présente les résultats a été relu par une personne experte en politiques de la vieillesse qui l’a commenté et m’a fourni des conseils — notamment de mise à jour. Cependant, cette experte connaît surtout la situation genevoise — il est donc possible que celle-ci soit plus actuelle que celle du canton de Vaud, malgré le soin apporté au suivi de la progression dans les deux cantons.

Description de la dimension habitationnelle du dispositif

La deuxième partie de l’état des lieux, soit le chapitre 8, se penche plus spécifiquement sur la dimension habitationnelle du dispositif et les espaces qui la composent. Autrement dit, il s’agit de répertorier l’ensemble des lieux de vie qui ont le potentiel de constituer le paysage quotidien des personnes atteintes de troubles cognitifs dans les deux cantons de l’analyse, et plus spécifiquement dans les deux villes principales. Là aussi, il a été nécessaire de délimiter les objets et de les faire entrer dans des catégories pour en faciliter la description. Quatre types d’espaces ont été décrits : les espaces médicalisés, dans lesquels sont inclus les EMS qui accueillent toujours un nombre important de personnes ayant une forme de démence modérée à avancée ; les espaces d’accueil et d’activité, qui dans le cadre de la politique de maintien à domicile assurent en ambulatoire la charge

« sociale » de l’EMS ; les espaces du logement dont les degrés vont du logement

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ordinaire au logement que l’on pourrait qualifier de semi-institutionnalisé ; et enfin les espaces collectifs et publics, soit les espaces « de tous et toutes » dont l’accessibilité peut s’amenuiser dans des situations de grande vulnérabilité. Tous ces espaces sont tributaires de groupes d’acteurs/trices qui en assurent l’existence et le fonctionnement : avant leur description, il a donc semblé pertinent de les nommer.

Pour décrire cette dimension du dispositif, la majorité des renseignements proviennent de sources secondaires : des répertoires proposés par des instances étatiques ou par des associations faîtières, des brochures d’information, des sources statistiques et des documents stratégiques ou d’évaluations. En outre, les acteurs/trices du prendre soin rencontrés dans les deux cantons ont contribué à en préciser le contenu. Comme je l’ai évoqué précédemment, certaines informations spécifiques ont été obtenues par courriel ou par un bref échange téléphonique, où j’ai soumis une ou deux questions précises (des informations non obtenues par recherche documentaire) à une personne ou une instance.

Finalement, certains exemples développés, qui m’ont semblé particuliers et innovants, ont fait l’objet d’un entretien, parfois sous forme de visites guidées, avec un-e responsable du fonctionnement d’une structure ou l’un-e de ses concepteurs/trices pour approfondir les informations documentaires.

Comme pour les politiques publiques, la récolte documentaire concernant la dimension habitationnelle du dispositif porte tout autant un intérêt analytique dans le matériau obtenu que dans la méthode de récolte. En me mettant en quelque sorte dans la peau d’une personne cherchant des informations pour elle-même ou pour un-e proche malade, j’ai non seulement pu identifier l’étendue de l’offre, mais aussi évaluer la qualité du réseau de communication et la pertinence des outils qu’il mobilise. Évidemment, ma situation de chercheuse diffère de la leur et ne saurait y être comparée ; en revanche, mon ressenti qui s’est accentué au fil du recensement — celui d’une absence de centralisation des informations rendant leur accès malaisé — est manifestement partagé par plusieurs personnes rencontrées, qu’elles soient professionnelles ou proches aidantes. Il est néanmoins plus facile de rendre compte de la dimension spatiale d’un dispositif à un moment donné que des politiques qui le chapeautent : bien qu’il soit lui aussi évolutif, les temps de transformation du bâti sont plus longs que ceux du discours

— le caractère statique de sa description s’est dès lors avéré plus en accord avec la réalité.

Comme cela a déjà été évoqué, l’objectif de cet état des lieux n’est pas l’exhaustivité — en cela, il se distancie du rapport qui aurait trait à proposer un relevé systématique de l’offre pour en faire une évaluation quantitative. En

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revanche, il intègre certaines données statistiques qui permettent de décrire le paysage et d’y observer l’étendue de l’offre. Ce diagnostic vise à comprendre des tendances, à les rattacher à une réalité politique, sociale et économique que l’on souhaite voir évoluer en faveur des personnes qui en sont souvent tenues à l’écart.

Sélection et tri des informations

L’analyse de sources secondaires doit permettre de rendre compte des objets de recherche pour lesquels elle a été mobilisée de la manière la plus complète et précise possible. Elle porte ainsi un double enjeu : le premier concerne les méthodes utilisées pour trouver et sélectionner l’information jugée pertinente, le deuxième a rapport au tri des informations récoltées afin d’en tirer les éléments utiles et pertinents pour l’analyse.

La récolte d’informations nécessite d’imposer des règles strictes de recherche documentaire. J’ai commencé par lire des analyses produites par des associations faîtières, des services d’évaluation mandatés ou indépendants, des recherches notamment produites par des Hautes Écoles de santé et des documents stratégiques globaux : tous ces documents ont pour intérêt de répertorier des textes de loi, des chiffres-clés et de nombreuses autres informations, bien qu’ils ne concernent pas directement (ou exclusivement) le sujet de recherche. À partir de l’identification de ces bases, j’ai souvent fait un travail en arborescence, notamment à partir des sites internet des différents échelons politico-administratifs, qui permet de rattacher à un texte d’autres documents qui le complètent ou qui lui sont rattachés. J’ai essayé, dans la mesure du possible, de systématiser la démarche à tous les niveaux, selon le thème. En particulier, il s’agissait de faire état de la situation dans deux cantons et dans deux villes de manière à faire ressortir les similitudes et les différences stratégiques et opérationnelles, sans pour autant avoir pour finalité de les confronter. Dans tous les cas, il a fallu rester alerte aux nouveautés — il en ressort qu’il s’agit bel et bien d’un sujet d’une très grande actualité qui progresse rapidement.

Dans certains cas, l’information n’a pas été aisée à obtenir. L’aide des personnes rencontrées ou contactées a souvent permis de compléter des parties lacunaires ou de mettre à jour celles qui étaient obsolètes32. Cependant, il a aussi parfois fallu chercher plus loin : par exemple, dans les deux cantons, je souhaitais connaître le nombre d’EMS spécifiquement destinés à des personnes atteintes

32 Sur ce point, il est intéressant de souligner que le « tout en ligne » facilite certes l’accès à une grande masse d’informations mais qu’il n’est pas rare que des informations actualisées n’apparaissent pas (encore) sur internet, ou qu’elles y soient incomplètes

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de troubles cognitifs. Dans les deux cas, je n’ai pas réussi à trouver cette information chiffrée. Pour Genève, c’est la Fédération genevoise des établissements médico-sociaux (FEGEMS) qui me l’a fournie après que je la lui aie demandée. Pour le canton de Vaud, j’ai été redirigée vers la liste complète des institutions médico-sociales qui spécifie lorsqu’il s’agit d’un établissement

« psycho-gériatrique ». Je les ai isolés et comptés, sans pour autant connaître la vocation exacte de chacun de ces établissements.

La sélection d’informations s’est aussi appliquée aux territoires pris en compte : plus on descend dans les échelons, plus certains d’entre eux ont été privilégiés au détriment des autres. Par conséquent on parle de politiques fédérales, mais leurs effets et leurs applications ne sont observés que dans deux cantons. De même, les espaces répertoriés dans le chapitre 8 ne font pas état de tout ce qui existe dans les deux cantons, sauf lorsqu’il s’agit de statistiques. Soit ils concernent l’une des deux villes principales, soit ils sont considérés comme ayant un rayonnement suffisamment important ou un caractère exceptionnel qui en justifie la mention.

Une fois que j’ai eu réuni l’essentiel de ce corpus documentaire, il a été nécessaire de procéder à un tri des informations qui y figurent. Dans certains cas, il s’agit de documents avec une grande densité d’informations dont il faut isoler les parties essentielles. Dans d’autres cas, ce sont des documents a priori moins directement rattachés au sujet, mais dont une partie au moins les rend pertinents. Le travail de tri peut s’avérer parfois décourageant : de nombreux documents parcourus ont finalement été laissés de côté, alors que pour d’autres il a été difficile de rapidement identifier les parties qui portaient un intérêt pour l’analyse. La tentative d’utiliser des mots-clés afin de faciliter ce travail ne s’est pas toujours avérée fructueuse : les terminologies varient souvent d’une échelle à l’autre, voire même entre les secteurs, rendant cette démarche certes utile, mais pas suffisante pour s’affranchir d’une lecture complète. In fine, il faut reconnaître des limites d’expérience dans cet exercice : il s’agit d’une méthode que j’avais peu utilisée préalablement, qui plus est dans des domaines parfois éloignés de mes champs de compétences.

Procédé d’analyse des documents

Durant la première phase de tri et de sélection, j’avais organisé les différents textes dans des classeurs distincts, selon qu’ils se rattachent à l’une des quatre politiques sectorielles du chapitre 7, ou à l’un des quatre types d’espaces du chapitre 8. Il s’est avéré que cette distinction n’était pas toujours pertinente, en particulier pour les politiques publiques, dont certaines se prêtent à plusieurs des typologies préétablies (cf. section 6.1.1). Certains documents ont aussi été

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mobilisés à la fois dans le chapitre 7 et dans le chapitre 8 (en particulier en ce qui concerne la planification).

Pour le chapitre sur les politiques publiques, les documents conservés ont été relus minutieusement afin de répondre aux questions suivantes : qu’est-ce que cette politique sociale ou sanitaire fait de/avec la spatialité ? En quoi est-ce que la spatialité y est considérée comme un déterminant de santé ? Et qu’est-ce que cette politique du logement ou de l’aménagement a de « social » ? En quoi permet-elle d’étendre la définition de la santé à des secteurs a priori plus techniques ? Pour ce faire, j’ai produit des résumés par points clés des différents textes et des parties préalablement identifiées, en y intégrant des citations jugées essentielles (un article de loi particulièrement important pour répondre aux questions ; une phrase résumant un angle d’une stratégie) et en mettant en évidence les expressions ou terminologies faisant état d’un lien établi entre espace et santé.

Pour le chapitre sur la dimension habitationnelle du dispositif, la démarche de traitement de l’information a été différente, puisque je cherchais à répondre à des questions plus ciblées : j’ai tout d’abord isolé des informations quantitatives (nombre de structures, de places) et je les ai complétées quand elles n’apparaissaient pas, pour rendre compte de l’offre dans les deux cantons. J’ai également systématiquement cherché les conditions d’accès et la localisation des différents espaces dans le canton pour déterminer à qui ils se destinent et le bassin de population qu’ils couvrent33. Dans un troisième temps, il me semblait important de définir le rôle accordé à ces différents lieux et de considérer leur planification pour les années à venir. Finalement, certains exemples particuliers, que l’on peut qualifier d’innovants, font l’objet d’une description approfondie. Les exemples fournis sont ceux que j’ai identifiés dans ma recherche documentaire (qui apparaissent comme « exemples ») ou que des interlocuteurs/trices rencontrés pour un entretien ont mentionnés, mais aussi ceux pour lesquels j’ai eu accès à des informations autres que documentaires34.

33 En partant de l’observation de plusieurs auteur-es (Dyck et al., 2005 ; Duggan et al., 2008 ; Brorsson et al., 2011 ; Margot-Cattin et Kuhne, 2016) que les personnes atteintes de troubles cognitifs sont de moins en moins enclines à s’éloigner de leur domicile, même s’il ressort de certains entretiens que la « spécialisation » d’une offre peut contribuer à étendre ce périmètre : « comme je suis la seule à faire de l’art-thérapie pour ces personnes, il y en a qui font le déplacement d’assez loin » (une responsable d’un foyer, 18 mai 2017)

34 Les visites et/ou les entretiens ont été enregistrés, réécoutés et partiellement retranscrits.

Le procédé de traitement de l’information récoltée pour les descriptions d’exemples est analogue à celui décrit dans la section 6.2.4 (entretiens enregistrés)

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Dans les deux cas, la distinction par couleurs des différents éléments résumés m’a permis de hiérarchiser l’information et d’organiser le format de sa restitution, même si les plans des chapitres descriptifs (les typologies qu’ils distinguent) ont été établi avant l’analyse elle-même. Aucun système informatique permettant un traitement automatisé de l’information n’a été utilisé, pour des raisons déjà évoquées (absence d’une harmonisation dans les terminologies, hétérogénéité des documents), mais aussi car il me semblait essentiel de prendre connaissance des textes dans leur ensemble. Au terme de l’analyse, j’ai choisi de résumer chaque sous-section par une phrase, au travers des titres. La fonction de ces titres est double : d’une part, elle permet de pointer les éléments essentiels de la description. D’autre part, elle offre au sein de ces chapitres descriptifs de premiers éléments d’analyse, repris ensuite dans leurs conclusions et dans le chapitre 9.