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des troubles cognitifs

Chapitre 5. Choix et contraintes d’une recherche construite dans la pratique construite dans la pratique

5.3 Les acteurs/trices de la recherche

Cette thèse m’a fait rencontrer près d’une centaine de personnes qui ont participé de manière différenciée à cette recherche. Dans cette partie, il s’agit d’expliquer pourquoi elles y ont pris part et selon quelles modalités, sans entrer dans les détails méthodologiques qui sont étayés dans le chapitre 6 Des informations plus

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détaillées sur les participant-es figurent en annexe 3. Les acteurs/trices ont été divisés en trois groupes.

Le plus grand des trois groupes est celui des personnes avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger lors d’une ou deux rencontres. Toutes les personnes de ce groupe sont impliquées au moins dans l’encadrement, la fabrique ou le fonctionnement du dispositif actuel, parfois dans deux ou trois de ces fonctions. Le deuxième groupe d’acteurs/trices a pour seule caractéristique commune celle de vivre avec une maladie neurodégénérative, qu’elle les touche directement ou qu’elle affecte un-e proche vivant sous le même toit. Comme pour le premier groupe, les individualités sont très hétérogènes, mais les expériences spatiales sont toutes impactées à divers degrés par la maladie. Ces personnes ont soit été rencontrées une fois, soit elles ont partagé mon quotidien pendant quelque temps, ce qui nous a permis de tisser des liens plus étroits. Le troisième groupe est celui des accompagnantes dans les structures, qui ont des profils professionnels différents, mais s’engagent quotidiennement dans leur métier de care. Ce sont des personnes que j’ai côtoyées pendant plusieurs semaines et comme pour celles du groupe précédent, des affinités se sont créées durant notre « colocation ».

Les acteurs/trices professionnels et engagés

Dans le but de faire un état des lieux du dispositif et d’identifier les problématiques socio-spatiales du care, j’ai fait appel à plusieurs acteurs/trices représentant le paysage du prendre soin en Suisse, dans les cantons de Genève et de Vaud et dans leurs communes urbaines. Pour la plupart, le care sous ses formes diverses est au cœur de leur profession. Pour d’autres, il constitue une forme d’engagement, soit parce qu’une place lui est accordée dans un métier qui n’y est pas immédiatement rattaché, soit parce qu’il consiste en une activité bénévole ou partielle assurée en parallèle d’une activité professionnelle ou familiale.

Dans tous les cas, toutes les personnes rencontrées contribuent de manière plus ou moins directe et évidente à améliorer les conditions de vie des personnes atteintes de troubles cognitifs. Elles ont été sélectionnées pour leur rôle dans un vaste réseau du care plus que pour leur engagement individuel dans la plupart des cas. La grande majorité des rencontres ont eu lieu entre l’automne 2016 et l’automne 2018. Dans de nombreux cas, elles (les personnes ou l’organisme pour lequel elles travaillent ou s’engagent) m’ont été recommandées au fil des entretiens : « [l]e choix des interlocuteurs s’opère ainsi pour une bonne part par

“buissonnement” ou “arborescence” : de chaque entretien naissent de nouvelles pistes, de nouveaux interlocuteurs possibles, suggérés directement ou indirectement au cours de l’entretien. La dynamique de l’enquête suscite ainsi son propre cheminement » (Olivier de Sardan, 2003, p. 45).

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Les entretiens avec ces expert-es de différents domaines sont au nombre de trente-deux pour ceux qui ont été enregistrés, engageant au total quarante-trois personnes puisque certains se sont fait en binôme et un avec quatre personnes.

Aux entretiens enregistrés s’ajoutent dix-huit entretiens non enregistrés : douze ont été réalisés dans les deux premières années de la recherche et peuvent être qualifiés d’entretiens exploratoires. Cinq sont des entretiens téléphoniques, plutôt brefs (entre 15 et 30 minutes) et destinés à obtenir des informations précises. Une personne a refusé d’être enregistrée. Notons que certaines informations ont aussi été obtenues par échanges de courriels qui ne sont pas comptabilisés ici.

Le nombre d’entretiens n’a pas été prédéfini. Cette partie de l’enquête s’est arrêtée, conformément au principe de saturation pratiqué dans ce type d’approche, lorsque j’ai estimé avoir une représentativité suffisante, répondant à une diversité des profils d’ailleurs plus élémentaires que le nombre d’entretiens (Bréchon, 2011, p. 32). La diversité concerne les secteurs d’activité, mais également leurs échelles. La prise de contact a aussi pris fin lorsque le matériau récolté a semblé satisfaire les exigences de l’enquête dans le développement de ses différents objets. La répartition des acteurs/trices est résumée dans le tableau 4, bien que certains profils ne s’y situent pas aisément :

Échelle Domaine

Confédération Canton Commune

Santé publique 4 2 --

Social 1 2 3

Logement -- -- 2

Urbanisme -- 7 3

Association 6 11 1

Prise en charge -- 11 4

Recherche 4

Tableau 4 Entretiens selon le secteur d’activité et l’échelle d’action

Certaines cases du tableau ne contiennent la référence à aucun entretien. Soit il s’agit de domaines qui ne sont pas traités à une certaine échelle (comme la santé publique à l’échelle communale), soit il ne semblait pas pertinent de planifier une rencontre avec ces acteurs/trices (notamment celles et ceux travaillant dans les instances nationales de la planification territoriale ou du logement, car ce sont plus les actions locales que les lignes directrices que je souhaitais approfondir).

Au contraire, certaines cases comptent un plus grand nombre d’entretiens, en particulier celles à l’échelle cantonale des associations et des acteurs/trices de la prise en charge. Le tissu très dense et diversifié explique le choix de rencontrer plus de personnes de ces domaines. Dans deux cas en particulier, l’échelle est

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difficile à déterminer : pour les chercheurs/euses, qui sont certes rattachés à une institution dépendante d’un système cantonal et national, mais en quelques sortes

« hors échelle », et pour le secteur de l’urbanisme où les personnes rencontrées, lorsqu’elles ne sont pas dans un service public, sont des individualités travaillant dans des bureaux dont l’échelle d’action est variable — elle est tributaire de la taille de l’entreprise, de ses mandats et de ses projets.

En outre, j’ai fait appel à plusieurs expert-es dans un deuxième temps, en l’occurrence pour un focus group qui a eu lieu en janvier 2020. Il s’agit d’une expérience à part dont les modalités sont détaillées dans le prochain chapitre.

Pour cette discussion collective, j’ai souhaité avoir un éventail aussi diversifié que possible tout en restant dans un format favorisant l’échange et la participation de tous et toutes. Parmi les neuf personnes contactées, seule une a refusé de prendre part à cette discussion collective — parce qu’elle impliquait une participation bénévole. Une autre s’était montrée intéressée, mais parce que ses disponibilités ne correspondaient pas à celles de la majorité, elle n’a pas pu y participer malgré la tentative de trouver une plage horaire permettant de l’inclure.

Finalement, ce sont sept acteurs/trices qui y ont pris part (cinq en table ronde et deux individuellement la semaine suivante). Cinq avaient déjà été rencontrés pour un entretien. Les sept intervenant-es sont de milieux et d’échelles d’intervention différents : une directrice d’EMS, une professeure de la Haute École de travail social et de la santé, une responsable d’une association défendant l’accessibilité des personnes en situation de handicap à l’espace urbain, un responsable d’une société de conseil en santé-social à l’échelle romande, un architecte spécialisé dans le logement pour tous les âges, un collaborateur d’un service cantonal de la santé et un urbaniste spécialiste des liens urbanisme-santé.

Les personnes atteintes de troubles cognitifs et leurs proches Pour des raisons déjà exposées, l’état des lieux et l’analyse critique des formes et fonctions du dispositif se sont faits sans les personnes que l’on peut considérer comme destinataires ou que l’on souhaiterait voir destinataires. En revanche, des entretiens ont été menés avec ces dernières dans le but de comprendre les usages qu’elles font de ce dispositif et les problématiques particulières auxquelles elles font face. Pour la majeure partie, ces échanges ont eu lieu durant les terrains d’observation, sans qu’ils soient préparés ni enregistrés. Ils concernent en particulier huit résident-es de l’EMS avec qui j’ai eu de nombreuses discussions, et trois des cinq locataires de la colocation. Les autres personnes habitant dans ces structures se sont moins confiées à moi, et leurs expériences ont plutôt fait l’objet de discussions avec le personnel accompagnant et d’observations. Dans les deux cas, ces personnes n’ont pas fait l’objet d’un « recrutement » : elles

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étaient là au moment de mes terrains et n’ont ni été sélectionnées, ni accepté formellement de me rencontrer. Elles sont pourtant des actrices essentielles de cette recherche avec qui j’ai non seulement discuté, mais aussi partagé des moments du quotidien durant les périodes de terrain.

En revanche, il était nécessaire de trouver des personnes pouvant témoigner de leur vie avec la maladie à domicile, puisque ce contexte n’était pas propice à une observation. La démarche de recrutement a été plus difficile que pour le premier groupe. J’ai diffusé une annonce via les réseaux sociaux qui n’a pas eu de résultat. J’ai également pris contact avec des personnes âgées de mon entourage, mais il s’est avéré que les personnes atteintes de troubles cognitifs qu’elles connaissent sont à un stade déjà relativement avancé de la maladie et placées en institutions. Aucun forum de discussion en ligne n’a été trouvé pour la Suisse romande.

Une psychogériatre responsable d’un groupe de parole intercantonal pour les jeunes malades, avec qui j’avais déjà eu des échanges, a organisé une rencontre avec deux personnes atteintes de troubles cognitifs, leurs conjointes et elle-même. Finalement, un couple s’est désisté le jour précédent. Une deuxième rencontre a été programmée deux mois plus tard, avec trois personnes malades et deux proches. Cependant, la responsable du groupe m’a rappelée peu avant, en me disant que la seule personne qui soit encore en mesure de venir dans le groupe est celle déjà rencontrée, les autres allant « trop mal ». La rencontre a par conséquent été annulée. Les antennes cantonales genevoise et vaudoise de l’association Alzheimer ont diffusé ma demande, et deux personnes proches-aidantes m’ont contactée par ce biais. Les deux entretiens ont été menés sans leurs proches malades, le père pour l’une et l’épouse pour l’autre.

Ainsi, seul un entretien a été mené avec une personne malade en dehors des structures, et trois avec des proches aidant-es. Avec du recul, j’ai probablement sous-évalué la difficulté de cette tâche de recrutement et mésestimé certains de ses aboutissants. Il apparait notamment que l’isolement social des personnes atteintes de troubles cognitifs vivant à domicile rend un grand nombre d’entre elles impossibles à contacter par le biais des associations. Il en ressort également que la relation à la maladie n’est pas toujours évidente : je l’ai constaté en structure où aucune des personnes ne parle ouvertement des raisons de son institutionnalisation, et lors des entretiens avec deux proches aidant-es qui pensent que leur proche ne s’est « jamais vraiment rendu compte » de sa maladie. Jacques, jeune diagnostiqué rencontré, est peut-être aussi un cas particulier : il garde une vie sociale active et est l’une des rares personnes en Suisse romande qui s’expose volontiers dans des conférences ou dans les

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médias, pour « montrer que même avec cela, on reste des personnes qui ont des besoins et des droits » (entretien du 17 décembre 2018). In fine, la difficulté à trouver des individus pouvant témoigner directement de la vie avec des troubles cognitifs peut aussi être perçue comme un résultat en soi : elle témoigne du grand isolement de cette population postulé dès le début de la recherche.

Le personnel des structures

Le troisième groupe d’actrices ayant pris part à ma recherche est formé des différentes personnes (des femmes uniquement, sauf pour deux civilistes) côtoyées au sein des structures où j’ai passé plusieurs semaines. Pour commencer, les responsables de ces deux structures ont rendu possible cette partie de la recherche en acceptant de m’y inclure. Dans les deux cas, elles ont manifesté un vif intérêt pour ma recherche et ont témoigné d’une grande bienveillance et de beaucoup de patience à l’égard de mon manque d’expérience.

Dans le home, la présence de personnes qui ne sont pas formées dans les métiers du care est habituelle, notamment par l’accueil régulier de civilistes. Dans la colocation en revanche, j’ai « pris la place » de stage normalement réservée à des étudiant-es dans les soins et l’accompagnement. Dans les deux cas, les responsables se sont investies pour m’inclure dès le début et ont pris le temps de m’informer sur les pratiques de leur métier. Au fil des jours et des semaines, les relations sont devenues amicales.

Dans l’établissement médico-social, l’équipe est divisée selon les activités et les compétences des unes et des autres. Je n’ai eu du contact presque qu’exclusivement avec la responsable de l’animation et les deux civilistes complétant l’équipe à ce moment. L’animatrice en charge m’a informée du fonctionnement de la structure, donné accès à la documentation et par nos échanges, j’ai beaucoup appris de son métier et de la vie en résidence. Il s’agit d’une actrice-clé de cette recherche. Les autres membres du personnel (infirmières, aide-soignantes, directrice, etc.) étaient présentes, mais la séparation des activités ne nous a pas donné beaucoup d’occasions d’échanger.

Dans la colocation aussi, la responsable a pris le temps de m’expliquer le déroulement du quotidien du personnel et des locataires et s’est rendue disponible lorsque j’avais des questions. En revanche, il s’agit d’une personne parmi d’autres avec qui j’ai passé du temps et échangé et elle n’était pas toujours présente. Les sept autres accompagnantes de la colocation ont toutes été extrêmement accueillantes et m’ont à la fois fait une place comme membre de l’équipe et accordé des moments pour me donner des informations, me raconter des anecdotes ou me confier des problèmes. Toute l’équipe accompagnante de la structure a donc contribué de manière significative à ma thèse.

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5.4 Décrire, analyser, opérationnaliser : schéma d’une