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L’aménagement des principes coopératifs

Première partie L’encadrement des opérateurs

Section 1 Les coopératives

B. L’aménagement des principes coopératifs

77. Principes généraux. - La société coopérative européenne peut être

constituée soit par au moins cinq personnes physiques, soit par au moins cinq personnes physiques et sociétés, soit par des sociétés ainsi que d’autres entités

juridiques de droit public ou privé236, soit par fusion de coopératives, soit par

transformation de coopératives, pourvu que les entités concernées relèvent d’au

moins deux Etats membres237. Sauf stipulation contraire prévue par les statuts,

chaque membre de la SEC ne s’engage qu’à concurrence du capital qu’il a souscrit. La responsabilité y est donc limitée. Son capital est, en principe, d’au moins

30.000 euros238. Son siège doit être situé à l’intérieur de l’Union, dans le même

Etat membre que son administration centrale239. La sécurité juridique étant

essentielle au succès de l’implantation des sociétés coopératives européennes, la

question de la loi applicable240 est traitée de manière détaillée241, de même que

celles de la fusion et de la transformation d’une coopérative existante en SEC242.

232

Art. 2, Règl. n° 1435/2003/CE, 22 juill. 2003 : JOUE n° L 207, 18 août 2003, p. 1.

233

L. n° 2008-649, 3 juill. 2008, portant diverses dispositions d’adaptation du droit des sociétés au droit communautaire : JORF n° 155, 4 juill. 2008, p. 10705.

234

L. n° 2008-89, 30 janv. 2008, relative à la mise en œuvre des dispositions communautaires concernant le statut de la société coopérative européenne et la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur : JORF n° 26, 31 janv. 2008, p. 1808.

235

Cette transposition est d’ailleurs intervenue avec retard ; elle aurait dû être réalisée le 18 août 2006.

236

A l’inverse, la société européenne ne peut pas être créée « ex nihilo ».

237

Art. 2, Règl. n° 1435/2003/CE, 22 juill. 2003 : JOUE n° L 207, 18 août 2003, p. 1.

238

Art. 3.2, Règl. n° 1435/2003/CE, 22 juill. 2003 : JOUE n° L 207, 18 août 2003, p. 1.

239

Art. 5.4, Règl. n° 1435/2003/CE, 22 juill. 2003 : JOUE n° L 207, 18 août 2003, p. 1.

240

« Le choix de la localisation du siège social de la société est loin d’être neutre, ce qui rappelle qu’un des ressorts de la construction européenne est la compétition entre les droits nationaux » (G. PARLEANI, Le règlement relatif à la société coopérative européenne, et la subtile articulation du droit communautaire et des droits nationaux, Revue des sociétés 2004, p. 74).

241 Art. 1, Règl. n° 1435/2003/CE, 22 juill. 2003 : JOUE n° L 207, 18 août 2003, p. 1 :

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78. Principes aménagés. - Le règlement du 22 juillet 2003 se caractérise par un

aménagement pragmatique, voire opportuniste, des principes coopératifs243. Son

préambule illustre le souhait des pouvoirs publics européens de conserver, dans le cadre de la mise en place de la société coopérative européenne, les principes

inhérents à ce type de structure244. Ces particularismes ont toutefois été atténués

afin que les coopératives soient « plus séduisantes pour les investisseurs »245 et,

ainsi, plus compétitives face aux sociétés par actions. Ce sont d’ailleurs ces

a) par le présent règlement ;

b) lorsque le présent règlement l’autorise expressément, par les dispositions des statuts de la SEC ;

c) pour les matières non réglées par le présent règlement ou, lorsqu’une matière l’est partiellement, pour les aspects non couverts par le présent règlement par :

i) les lois adoptées par les Etats membres en application de mesures communautaires visant spécifiquement les SEC ;

ii) les lois des Etats membres qui s’appliqueraient à une société coopérative constituée selon le droit de l'Etat membre dans lequel la SEC a son siège statutaire ;

iii) les dispositions des statuts de la SEC, dans les mêmes conditions que pour une coopérative constituée selon le droit de l’Etat membre dans lequel la SEC a son siège statutaire.

Comme tous les groupements européens, la société coopérative européenne est ainsi régie par le droit d’un Etat membre et ne relève pas totalement d’une législation européenne.

2. Si la législation nationale prévoit des règles et/ou restrictions spécifiques liées à la nature des activités exercées par une SEC ou une forme de contrôle exercée par une autorité de surveillance, cette législation s’applique intégralement à la SEC ».

242

Art. 19, Règl. n° 1435/2003/CE, 22 juill. 2003 : JOUE n° L 207, 18 août 2003, p. 1.

243 En France, le constat a été fait s’agissant des banques coopératives : « instrumentaliser la morale, telle

est aujourd’hui une pratique assez répandue dans le secteur bancaire et dans le milieu des affaires » (E. LAMARQUE, Le modèle coopératif est-il plus moral ? Le cas des banques coopératives, Revue de droit bancaire et financier 2014, n° 20, p. 74 et s.).

244

Les considérants 7 et 8 du règlement n° 1435/2003 résument parfaitement l’essence des coopératives : « 7) Les coopératives sont avant tout des groupements de personnes physiques ou morales qui obéissent à des principes de fonctionnement particuliers, différents de ceux des autres opérateurs économiques. On citera, par exemple, les principes de la structure et du contrôle démocratiques ainsi que de la distribution équitable des bénéfices nets de l’exercice.

8) Ces principes particuliers concernent notamment le principe de la prééminence de la personne, qui se concrétise par des dispositions spécifiques concernant les conditions d’adhésion, de retrait et d’exclusion des membres; il se traduit par l’énoncé de la règle « un homme, une voix », le droit de vote étant attaché à la personne et il implique l’impossibilité pour les membres d’exercer des droits sur l’actif de la société coopérative ».

Le considérant n° 10 prévoit que : « une société coopérative européenne […] devrait avoir pour objet principal la satisfaction des besoins de ses membres et/ou le développement de leurs activités économiques et sociales, dans le respect des principes suivants :

- ses activités devraient avoir pour finalité le bénéfice mutuel de ses membres afin que chacun d’entre eux bénéficie des activités de la SEC en fonction de sa participation,

- ses membres devraient également être des clients, travailleurs ou fournisseurs ou sont, d’une manière ou d’une autre, impliqués dans les activités de la SEC,

- son contrôle devrait être assumé à parts égales entre ses membres, un vote pondéré pouvant toutefois être prévu, afin de refléter la contribution de chaque membre à la SEC,

- la rémunération du capital emprunté et des participations devrait être limitée,

- ses bénéfices devraient être distribués en fonction des activités réalisées avec la SEC ou utilisés pour satisfaire les besoins de ses membres,

- il ne devrait pas y avoir de barrières artificielles à l’adhésion,

- en cas de dissolution, l’actif net et les réserves devraient être distribués selon le principe de dévolution désintéressée, c'est-à-dire à une autre entité coopérative poursuivant des fins ou des objectifs d'intérêt général similaires ».

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dernières qui ont inspiré le législateur européen lorsqu’il a aménagé les principes coopératifs, dans un souci d’harmonisation.

79. L’atteinte la plus forte aux principes classiques tient à la possibilité

d’incorporer les réserves partageables au capital246. La réglementation du droit de

vote éclaire également sur la volonté du législateur européen de convaincre les investisseurs du potentiel de la société coopérative européenne. Ainsi, le partage non égalitaire de voix valorisant, dans certaines limites, la participation à l’activité de la structure est admis, pourvu que la loi de l’Etat membre dans lequel la SEC a

son siège le permette247. Par ailleurs, sous la même condition, les statuts peuvent

attribuer des droits aux membres non usagers de la SEC248, c’est-à-dire aux

investisseurs, pourvu que ceux-ci ne détiennent pas plus de 25 % des droits de vote. Les statuts d’une société coopérative européenne participant à des activités dans le domaine financier ou dans le domaine de l’assurance (a fortiori, dans celui de la protection sociale complémentaire) « peuvent prévoir que le nombre de voix

est déterminé par la participation du membre aux activités de la coopérative, y compris sous forme de participation au capital de la SEC. Les voix ainsi attribuées ne peuvent dépasser le nombre de cinq par membre, ou 10 % du total des droits de vote, la valeur la plus faible étant retenue ». L’article 1.4 du règlement prévoit

aussi que « la SEC ne peut admettre des non membres au bénéfice de ses activités

ou permettre à ceux-ci de participer à ses opérations, sauf disposition contraire des statuts ». La souplesse du dispositif est grande, puisqu’il est envisageable

qu’une société coopérative européenne comprenne non seulement des membres non usagers mais des usagers non membres. Enfin, la société coopérative

245

K. RODRIGUEZ, La société coopérative européenne : tenants et aboutissants, D. 2004, p. 1219.

246

Art. 4-8, Règl. n° 1435/2003/CE du Conseil du 22 juillet 2003 : JOUE n° L 207, 18 août 2003, p. 1.

247

Art. 59, Règl. n° 1435/2003/CE du Conseil du 22 juillet 2003 : JOUE n° L 207, 18 août 2003, p. 1.

248

L’article 14.1 alinéa 2 du règlement prévoit que « les statuts peuvent stipuler que, lorsque la législation de l’Etat membre où se trouve le siège de la SEC le permet, des personnes n’ayant pas vocation à utiliser ou à produire les biens et les services de la SEC peuvent être admis en qualité de membres investisseurs (non- usagers). Dans ce cas, l’acquisition de la qualité de membre est subordonnée à l’approbation de l’assemblée générale ou de tout autre organe agissant par délégation sur décision de l’assemblée générale ou en vertu des statuts ». La formulation faussement restrictive retenue par les pouvoirs publics européens ne trompe guère : il s’agit bien là d’une importante dérogation aux principes coopératifs.

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européenne « peut mener ses activités par l’intermédiaire d’une filiale »249, ce qui

amène certains auteurs à s’interroger sur les risques de dénaturation d’une

coopérative susceptible de se transformer en simple holding250.

80. Au demeurant, la tendance à l’introduction de mécanismes propres aux

sociétés par actions dans le secteur coopératif ne s’observe pas uniquement en droit européen. Les droits internes des Etats membres sont également concernés

par ce mouvement251 qui traduit, là encore, une tendance à l’harmonisation des

structures exerçant leur activité dans le cadre du marché intérieur252.

81. Bilan. - Le bilan de la société coopérative européenne est mitigé. D’une

part, il est très difficile de connaître le nombre de SEC immatriculées en l’absence de registre créé à cet effet, contrairement aux sociétés européennes qui étaient au

nombre de 855 au 7 juillet 2011253. Il ressort toutefois du rapport de la Commission

du 23 février 2012 relatif au statut de société coopérative européenne qu’il en existerait 24 à la date du 22 novembre 2011, dont une en France. Seulement sept d’entre elles exerceraient dans le secteur de l’économie sociale, intervenant dans

« des domaines tels que l’emploi des personnes défavorisées, les soins médicaux et

249

Art. 1.3, Règl. n° 1435/2003/CE du Conseil du 22 juillet 2003 : JOUE n° L 207, 18 août 2003, p. 1.

250

G. PARLEANI, Le règlement relatif à la société coopérative européenne, et la subtile articulation du droit communautaire et des droits nationaux, Revue des sociétés 2004, p. 74 ; S. GRANDVUILLEMIN, L’avènement du statut de coopérative européenne, le règlement du 22 juillet 2003, JCP E 2003, 1663.

251 Pour une revue des mesures mises en œuvre en France en ce sens, v. K. RODRIGUEZ, La société

coopérative européenne : tenants et aboutissants, D. 2004, p. 1219. L’auteur cite le Professeur SAINTOURENS, qui constate qu’« évoluant dans un contexte commun aux entreprises non coopératives, il est clair que, sur le plan du droit des sociétés, les coopératives devaient se trouver engagées dans un mouvement d’adaptation de leur statut dans le sens d’un rapprochement avec les sociétés de droit commun […] à l’occasion de l’adoption de la loi n° 92-643 du 13 juillet 1992 relative à la modernisation des entreprises coopératives, c’est à une profonde réduction du particularisme des sociétés coopératives que l’on assiste » (B. SAINTOURENS, Sociétés coopératives et sociétés de droit commun, Revue des sociétés 1996, p. 1).

252

La volonté des pouvoirs publics européens de conjuguer les principes coopératifs avec ceux de l’efficacité économique transparaît clairement dans le règlement du 22 juillet 2003. En ce sens, v. G. PARLEANI, Le règlement relatif à la société coopérative européenne, et la subtile articulation du droit communautaire et des droits nationaux, Revue des sociétés 2004, p. 74 ; K. RODRIGUEZ, La société coopérative européenne : tenants et aboutissants, D. 2004, p. 1219. Il est également relevé que la SEC constitue « un groupement compétitif parce qu’elle est également, peut-être même avant tout, une véritable société commerciale » (A. LECOURT, La société coopérative européenne (SEC) : entreprise sociale, solidaire et compétitive !, RLDA 2013, suppl. n° 88, p. 26).

253 C. CATHIARD, A. LECOURT, Les structures européennes : principales caractéristiques et intérêts pour

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la fourniture de services dans le secteur de la santé ». Cet échec relatif serait dû à

la complexité de la réglementation254. Deux explications supplémentaires peuvent

être avancées : 1) pourquoi créer une société coopérative européenne alors qu’une société européenne offre davantage de souplesse ? 2) l’hétérogénéité des coopératives au sein de l’Union, fruit de l’absence de politique d’harmonisation, n’a-t-elle pas desservi cette structure supranationale ? Au demeurant, au-delà des efforts - aux retombées relatives - entrepris ces dernières décennies au sein de l’Union européenne pour faire connaître et rendre attractives les coopératives, la crise économique mondiale amène à une réflexion plus globale sur les alternatives aux structures capitalistes255.