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Considérations juridiques L’influence des sociétés d’assurance sur les

Première partie L’encadrement des opérateurs

Section 2 Les mutuelles

B. Un risque de banalisation

94. Considérations juridiques L’influence des sociétés d’assurance sur les

mutuelles est également inspirée par des considérations juridiques, en particulier la nécessité de tenir compte des contraintes réglementaires en termes de gouvernance ainsi qu’en termes de contrôle, notamment financier. C’est ainsi que le document

portant sur « Le rôle des sociétés mutuelles au XXIe siècle » relève à juste titre

qu’« en raison entre autres de la législation européenne en matière d’institutions

financières et d’assurance, qui semble s’inspirer avant tout du modèle des sociétés anonymes, le marché de l’assurance deviendra probablement plus uniforme à l’avenir et les mutuelles pourraient être contraintes d’agir progressivement comme des sociétés anonymes ou de se « démutualiser » »295.

294 Commission européenne, document de consultation, Les Mutuelles dans une Europe élargie, 3 oct. 2003,

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95. Ainsi, la circonstance que les mutuelles bénéficient, en France, d’un code

qui leur est consacré ne garantit en rien l’application de règles distinctes de celles

applicables aux autres organismes assureurs296. Le code de la mutualité assure la

transposition de textes de droit de l’Union européenne qui visaient à harmoniser la situation des entreprises intervenant dans le domaine de la santé en retenant un critère opérationnel, basé sur l’activité, et non un critère organique, fondé sur le type de structure297.

96. Cette transformation du modèle juridique influe sur le modèle économique

des opérateurs à but non lucratif. Les contraintes financières pesant sur ceux-ci

amènent les mutuelles à perdre le caractère solidariste qui les caractérise298, voire

« à effacer la vocation sociale et citoyenne de la mutualité »299. Cette perte de spécificité est évoquée depuis de nombreuses années, certains auteurs estimant même que la loi du 31 décembre 1989 a transformé les « mutualistes en

assurés »300.

295

Document portant sur « Le rôle des sociétés mutuelles au XXIe siècle » réalisé au mois de juillet 2011 par

la direction générale des politiques internes à la demande de la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen, p. 8.

296

« A l’issue de ce processus, l’ensemble des acteurs s’est vu reconnaître le droit d’exercer toutes les activités d’assurance. Les mutuelles, jusqu’alors cantonnées à la couverture complémentaire santé, ont désormais la possibilité d’intervenir en prévoyance collective ainsi que sur d’autres segments assurantiels (protection juridique, assistance, assurance caution). Au-delà des organismes régis par le Code de la mutualité, l’activité de prévoyance collective dans les entreprises est également ouverte aux organismes régis par le code des assurances […]. La suppression des barrières à l’entrée a donc eu pour principal effet d’homogénéiser les conditions et les contraintes d’activité entre les familles historiques »(M. KERLEAU, Le nouveau cadre institutionnel de la protection sociale complémentaire d’entreprise : quels enjeux pour les mutuelles santé ?, RECMA 2009, n° 312, p. 20).

« Le code de la mutualité est d’abord et même essentiellement un code de gouvernance, les règles applicables aux activités de couverture des risques étant, par la transposition de directives de plus en plus précises dans leurs dispositions, clonées dans les trois codes concernés » (D. LENOIR, La mutualité face à ses enjeux, RDSS 2009, p. 397). Certains reprochent à ce code de placer « sans réelle protection, les mutuelles dans le marché européen de l’assurance maladie complémentaire » (H. VINCENT, La mutualité française dans l’Union européenne : nouveau contexte, nouveaux défis, RECMA 2006, n° 300, p. 70).

297

Il est vrai que la réforme fut plus profonde : les directives visaient à adapter le fonctionnement des mutuelles, dans la perspective de la mise en œuvre du marché commun en la matière ; la refonte du code a également modifié la gouvernance des mutuelles.

298

« C’est le cas quand on voit les mutuelles accentuer leur tarification à l’âge, ou développer leur activité en contrats collectifs, où elles sont d’ailleurs le principal opérateur, ou développer les options, ou encore développer des offres reposant pour une part sur la couverture du risque par l’épargne individuelle » (D. LENOIR, La mutualité face à ses enjeux, RDSS 2009, p. 397).

299

H. VINCENT, La mutualité française dans l’Union européenne : nouveau contexte, nouveaux défis, RECMA 2006, p. 68.

300

« […] un texte général qui se propose de renforcer les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques est en grande partie antinomique de la loi sur la mutualité ; référé au modèle de l’assurance, il heurte de plein fouet les principes mêmes qui fondent le droit de la mutualité. Craignant qu’il

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97. Les réformes mises en œuvre dans certains pays de l’Union illustrent cette

tendance. Ainsi, aux Pays-Bas, la loi du 21 décembre 2004 sur l’assurance soins

(Zorgverzekeringswet), en vigueur depuis le 1er janvier 2006, a accentué la logique

de privatisation du système de santé et remis en cause la distinction entre les organismes d’assurance santé privés et publics ainsi qu’entre les assurances

privées et les mutuelles301. La transposition du principe de spécialité dans la

législation des Etats membres contribue à ce mouvement302. Ainsi, les mutuelles

françaises ont été conduites à distinguer juridiquement et fonctionnellement leurs activités afin « d’isoler l’activité assurantielle […] en la détachant de l’activité de

gestion de réalisations sanitaires »303. L’article L. 111-1, III du code de la

mutualité aménage toutefois certaines dérogations. Il admet qu’« une mutuelle

exerçant une activité d’assurance peut assurer la prévention des risques de dommages corporels, mettre en œuvre une action sociale ou gérer des réalisations sanitaires et sociales dans la mesure où ces activités sont accessoires, et accessibles uniquement : - à ses membres participants et à leurs ayants droit, dès lors que les prestations délivrées dans ce cadre découlent directement du contrat qu’ils ont souscrit ; - aux souscripteurs d’un contrat proposé par une entreprise relevant du code des assurances, par une institution de prévoyance relevant du code de la sécurité sociale ou par une autre mutuelle d’assurance, et ayant passé une convention avec elle, dès lors que les prestations délivrées dans ce cadre découlent directement du contrat passé avec ces souscripteurs ». Ce texte,

d’inspiration européenne, a permis aux mutuelles d’intervenir dans des branches d’assurance dont l’accès leur était jusqu’alors fermé (assistance, cautionnement,

entraîne des dérapages, nous suggérons que nous avons affaire à un véritable choix de société, qui devra un jour ou l’autre être abordé […] » (D. THOUVENIN, La loi du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, ou comment transformer les mutualistes en assurés, RDSS 1990, p. 370).

301

F. KESSLER, Les réformes de l’assurance santé aux Pays-Bas : tentative de bilan, RDSS 2006, p. 455 ; M. DEL SOL, L’entreprise mutualiste assurance : un acteur banalisé sur le marché de la protection sociale complémentaire ?, JCP E 2002, 413.

302

L’article 18, § 1 a) de la directive n° 2009/138 dispose que les entreprises d’assurance « limitent leur objet à l’activité d’assurance et aux opérations qui en découlent directement, à l’exclusion de toute activité commerciale » (Dir. n° 2009/18/CE, sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II) (refonte) : JOCE n° L 335, 17 déc. 2009, p. 1).

303

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protection juridique)304. Mais la question du cumul de l’activité d’assurance avec la

gestion d’œuvres sociales s’est posée, les directives imposant aux acteurs de l’assurance de cantonner « leur objet social à l’activité d’assurance et aux

opérations qui en découlent directement, à l’exclusion de toute autre activité commerciale »305. La difficulté a été contournée par le code de la mutualité, dans

sa version issue de l’ordonnance du 19 avril 2001306 : il a autorisé le recours à des

« mutuelles sœurs » et encadré la pluriactivité pratiquée au sein d’une même structure juridique.