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A. GESTION DE L'AFFAIRE D'AUTRUI

3. L'affaire d'autrui dans le cadre de l'art. 423

Certaines précisions s'imposent quant à la définition de l'affaire d'autrui en matière de gestion imparfaite (art. 423).

a) Affaire objectivement d'autrui

Etant donné que le gérant intéressé poursuit son propre intérêt, la gestion imparfaite a nécessairement pour objet une affaire qui est objectivement celle d'autruF0, car on ne peut en même temps agir dans son propre intérêt et avoir l'intention de transférer les effets de l'affaire conclue à autrui (affaire subjectivement d'autrui). Dans les situations intermédiaires où le gérant semble avoir en vue à la fois son propre intérêt et celui d'autrui, il est nécessaire de trancher: soit

20 V. ÛRELLI, p. 22; AMREIN, p. 6; FRIEDRICH, p. 30; SUTER, p. 118.

l'intérêt directement favorisé est celui d'autrui (maître)21 et il s'agit d'une gestion altruiste, le cas échéant régulière, soit l'intérêt directe-ment favorisé est celui du «gérant» auquel cas l'affaire, par nature sans effet sur le patrimoine d'autrui, ne relève pas du tout des art. 419 ss. Dans cette dernière hypothèse, il manque entre l'acte du gérant et le patrimoine d'une autre personne le lien nécessaire (même subjectif) à la qualification de cet acte comme gestion de l'affaire d'autrui.

b) Définition étroite, définition large

Une partie de la doctrine développe, en matière de gestion impar-faite uniquement, certaines restrictions à la définition générale de l'affaire d'autrui. Selon certains auteurs, il n'y aurait acte de gestion qu'en cas d'exercice (ou lésion) des droits subjectifs d'autruF2 ( « Ein-griff in fremde subjektive Rechte»23), à l'exclusion des droits à contenu négatif24 (par exemple, servitudes négatives telles qu'une interdiction de bâtir, droits relatifs résultant d'une interdiction de concurrence ou de sous-location, etc.). Le Tribunal fédéraF5 opte avec certains auteurs26 pour la définition plus large d'atteinte à la sphère

21 Sur l'acte accompli à la fois dans l'intérêt du maître et celui du gérant, cf. infra

§III/ A/lia).

22 HoFSTETIER SP, p. 209-211; HoLENSTEIN, p. 161 ss; GuHLIMERz/KuMMER, p. 470; MosER th., p. 163. BucHER B.T., p. 262, restreint, sans justification aucune, l'application de l'art. 423 à la violation de droits absolus, ce qui revient à poser que tout acte de gestion est illicite; une telle limitation de cette disposi-tion est excessive.

23 HoFSTETIER SP, p. 209.

24 Il s'agit de la «Lehre vom Zuweisungsgehalt eines Rechtes»: HoFSTETIER SP, p. 209 n. 2, n. 5, p. 210; RSJB, p. 240; HoLENSTEIN, p. 162-163.

25 ATF 45 II 202, 207; 47 II 195, JT 1921 I 503, 506; ATF 68 II 29, 36; 86 II 18, 25. Dans l'ATF 51 II 575, 583, le Tribunal fédéral insiste sur le sens large qu'il convient de donner aux notions de «gestion» et de «maître», partant sur l'interprétation extensive de l'art. 423. Ainsi, cette disposition est applicable

«ogni qualvolta alcuno stipula un affare o passa ad atto giuridico cui non poteva addivenire senza violare diritti o senza invadere la sfera giuridica altrui».

Le Tribunal fédéral mentionne alternativement les deux définitions (violation d'un droit, atteinte à la sphère juridique); il préconise donc expressément une conception large de la gestion intéressée.

26 V. BüREN B.T., p. 336; GAUTSCHI n. 12 cV orb.; BECKER n. 13 ad art. 419, n. 1 ad art. 423; ÜSER/ScHéiNENBERGER n. 8 ad art. 419, n. 1 ad art. 423; SUTER, p. 112, p. 13 ss.

juridique d'autrui ( «Einmischung in die Rechtssphiire eines andern» ).

Ce nonobstant, il semble admettre, au fond, les restrictions de la défi-nition étroite27

On comprend mal pourquoi la définition de l'affaire d'autrui ne serait pas la même pour tous les cas de gestion. Il convient que cette définition soit identique et, s'il y a lieu de la restreindre, elle doit l'être dans tous les cas28

L'exclusion des droits à contenu négatif du champ d'application de l'art. 423 repose sur l'idée que, dans de tels cas, le maître lui-même n'aurait pas pu ou dû réaliser le profit en cause29Une telle restriction ne se justifie pas30, car elle aboutit à un résultat inéquitable. En effet, s'il est vrai que le maître (bailleur)31 n'a pas le droit de louer l'objet du bail une seconde fois, le locataire, lui non plus - si la sous-loca-tion est interdite ou provoque un changement préjudiciable au maître (art. 263) n'a pas le droit de le sous-louer. Ce n'est donc que par la violation de ses obligations que le locataire peut tirer profit de la chose. Il est inéquitable de refuser au bailleur le bénéfice de l'art. 423 pour le motif qu'il n'est pas autorisé à réaliser le profit en cause.

Le locataire ne l'est pas non plus. Ce nonobstant, l'affaire a été conclue. Qui, dès lors, doit en retirer le bénéfice? Du propriétaire ou du locataire, c'est certainement le propriétaire qui est le plus justi-fié à toucher ce montant. Cette conclusion n'est pas injuste dans la mesure où le locataire doit avoir conscience de ne pas agir confor-mément au droit32 pour que l'art. 423 lui soit applicable. D'autant plus qu'il peut opposer au maître (bailleur) sa contre-prétention tirée de l'art. 423 al. 2 qui limite son obligation de délivrance au béné-fice net de l'opération. En outre, si l'on veut conserver à l'art. 423 son caractère de sanction de comportements contraires au droit33

27 ATF 39 II 702, 707, JT 1915 I 39, 44, dans lequel est exclue l'application de l'art. 423 au montant tiré d'une sous-location interdite. Cf. commentaires de MosER RSJ, p. 4 n. 21; HoLENSTEIN, p. 164 ss.

28 Sous réserve de l'exclusion justifiée de l'affaire subjectivement d'autrui du champ d'application de l'art. 423.

29 HoFSTEITER SP, p. 209 n. 4; HoLENSTEIN, p. 161 ss, 76 ss; MosER RSJ, p. 4;

th., p. 134, 155. ATF 39 II 702, JT 1915 I 39, 44.

30 Dans ce sens, TERCIER n. 2124 ss.

31 Cf. ATF 39 II 702, JT 1915 I 39 examiné infra chap. IV§ II/C/1.

32 Cf. supra § liB; in.fi'a C.

33 Cf. HoLENSTEIN, p. 160, 175; WOLF FJS N° 1077 p. 2; HoFSTEITER SP, p. 213.

et éviter que le «crime» profite à son auteur, il serait peu judi-cieux de limiter son application en en excluant les droits à contenu négatif.

De plus, la tendance récemment suivie par le législateur est d'élar-gir l'application de l'art. 423 à des situations controversées en doc-trine. Ainsi les droits de la personnalité sont considérés comme des droits à contenu négatif34 qui ne pourraient pas donner lieu à une pré-tention en délivrance des profits selon la définition étroite35Pourtant, l'art. 28a al. 3 CC prévoit la remise des gains selon les dispositions sur la gestion d'affaires en cas de violation des droits de la personnalité.

De même, en matière de concurrence déloyale, l'application de l'art. 423 était encore plus controversée36, en raison du fait que cette loi n'accorde aucun droit subjectif à la victime d'actes de concurrence déloyale. Ce nonobstant, le législateur a également renvoyé à la ges-tion d'affaires en ce qui concerne la remise des gains (art. 9 al. 3 LCD). Il considère donc comme une gestion d'affaires la violation d'un droit à contenu négatif (art. 28a al. 3 CC) et, même plus, un acte qui ne viole aucun droit subjectif (art. 9 al. 3 LCD). Par deux fois, le législateur a choisi la définition large. Il s'agit là d'un argument déci-sif contre la définition étroite de la gestion d'affaires.

La définition large peut cependant présenter certaines difficultés.

Le pianiste qui s'exerce durant les heures auxquelles il s'est obligé envers son voisin à ne pas jouer, doit-il à ce dernier le cachet de son concert37? Le maître d'oeuvres qui construit un immeuble malgré une interdiction de bâtir contractuelle ou inscrite au RF sous forme de ser-vitude, doit-il à l'ayant droit le bénéfice de l'opération immobilière?

La réponse, tout intuitive, est négative. De tels cas ne doivent pas donner lieu à une action en délivrance de tout le profit réalisé.

34 Cf. HoLENSTEIN, p. 89 ss, 161 ss.

35 HoFSTETTER n'a pas vu qu'il était contradictoire de refuser l'application de l'art. 423 aux droits à contenu négatif (SP, p. 209 n. 5; RSJB, p. 240) tout en l'admettant pour la violation des droits de la personnalité (SP, p. 209 n. 6;

RSJB, p. 239). Cf. en outre infra § IV 1 Al 11 d.

36 Cf. infra § IV 1 Alli a).

37 Exemples du même type chez KELLER/ScHAUFELBERGER Bd. III, p. 53, dont les considérations sur l'enrichissement illégitime valent dans ce contexte, vu la conception de la gestion d'affaires ici préconisée; cf. également HoLENSTEIN, p. 163.

38 Cf. infra § IV 1 A/31 c).

Néanmoins, la délimitation ne passe pas par la notion de droits à contenu négatif. La violation de ces droits est propre à réaliser une atteinte à la sphère juridique d'autrui et, partant, constitue un acte de gestion. C'est par le biais de la notion de «profits» qu'on évitera qu'un résultat choquant se produise. En effet, seul le profit en lien de causalité avec l'atteinte doit être délivré38Or, dans les exemples don-nés, l'origine du profit n'est pas unique; le profit ne résulte pas seule-ment de la violation du droit, mais égaleseule-ment, sinon principaleseule-ment, de l'activité du gérant39

Seule la partie du profit attribuable à l'atteinte devra être restituée conformément à l'art. 423 al. 1. Ainsi, le profit réalisé par le pianiste jouant aux heures interdites peut correspondre au montant,

écono-misé, de la location d'un piano ailleurs. Quant à la question de savoir dans quelle mesure le montant du cachet est en rapport avec la viola-tion de l'interdicviola-tion de jouer à certaines heures, cela dépendra essen-tiellement des circonstances (le pianiste n'a-t-il préparé son concert que pendant les heures interdites ou, au contraire, ces heures ne repré-sentent-elles qu'une infime partie de sa préparation?).

Pour les motifs susmentionnés, la préférence est donnée à la défi-nition large de la gestion d'affaires, celle d'intervention dans la sphère juridique d'autrui.

Reste à définir la notion de sphère juridique. C'est à dessein que le terme de patrimoine, prévalant en matière d'enrichissement illégi-time40, a été évité. En effet, l'élément d'appréciation pécuniaire qu'implique la notion de patrimoine n'a pas de pertinence dans le cadre de l'art. 423. Cette disposition ne suppose pas qu'un dommage ou un appauvrissement ait été causé au maître. L'intervention dans sa sphère juridique n'a pas nécessairement une conséquence financière.

La notion de sphère juridique est par conséquent plus large que celle de patrimoine.

La sphère juridique peut être définie comme l'ensemble des biens juridiques attribués à une personne. L'idée de «biens» dépasse celle de droits subjectifs, car il faut pouvoir tenir compte des situations dans lesquelles une personne est touchée dans ses intérêts sans pour

39 Sog. «Kombinations-Eingriff»: MosER th., p. 194 ss; AMREIN, p. 42 ss;

V. ÜRELLI, p. 12 SS.

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Cf. infra chap. III/§ Il/ A.

autant qu'un droit soit violé (par. ex. par un acte de concurrence déloyale ou par un acte contraire à une norme destinée à protéger la personne en cause41).

En conclusion, est considéré comme gestion d'affaires, tout acte touchant à la sphère juridique d'autrui, autrement dit toute interven-tion dans la sphère juridique d'autrui.