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Chapitre IV Responsabilité civile et gestion intéressée

C. ARRÊTS REFUSANT L'APPLICATION DE L'ART. 423

Le débat peut être élargi à deux arrêts269, dans lesquels le Tribunal fédéral a refusé l'application de l'art. 423, la première fois sans doute à tort, la seconde avec raison.

1. La sous-location interdite (cause Merkur SA contre Schwob, du 1.11.1913, ATF 39 II 702, JT 1915 1 39)

Les parties ont conclu un contrat de bail n'interdisant pas la sous-location, celle-ci étant donc autorisée dans la mesure où il n'en résulte pas un changement préjudiciable au bailleur (art. 264 CO, art. 285 aCO). Le locataire sous-loue les locaux au propriétaire d'un cinémato-graphe. Le bailleur intente une action tendant à faire cesser la sous-location et demande une indemnité de Fr. 100.- par jour depuis l'ins-tallation du cinématographe jusqu'à son enlèvement.

Le Tribunal fédéral considère que l'exploitation d'un cinémato-graphe implique un changement préjudiciable au bailleur dans la mesure où cette installation constitue un usage anormal de la chose

268 Sous réserve de cette réflexion superfétatoire et contestable du Tribunal fédéral selon lequel non seulement le contrat, mais aussi le droit de propriété sur les plans - non protégés par le droit d'auteur - aurait été violé.

269 ATF 39 II 702, JT 1915 1 39; ATF 68 II 29, JT 1942 1 308.

louée, la mettant à contribution dans une bien plus forte mesure que l'usage pour lequel elle était louée. La sous-location n'était ainsi pas autorisée.

L'instance inférieure avait accordé au propriétaire une indemnité fondée sur l'art. 473 aCO (art. 423 CO). Le Tribunal fédéral rejette cette opinion car «en vertu du contrat de bail, le droit de disposer de la chose louée a passé du bailleur au locataire, de sorte que le bailleur ne peut plus faire d'affaires au sujet de dite chose louée»270

Une telle considération correspond tout à fait à une conception étroite de l'affaire d'autrui271, alors qu'en principe le Tribunal fédéral définit celle-ci de manière large: « Einmischung in den fremden Inte-ressenkreis» ou «Eingriff in die fremde Rechtssphare»272, en français

«empiéter sur le patrimoine d'autrui»273

Ainsi qu'on l'a déjà vu, c'est la définition large de l'affaire d'autrui qui a été préférée dans la présente étude. Dans la mesure où la sous-location implique un changement préjudiciable274 au bailleur, la sphère juridique de ce dernier est atteinte; en d'autres termes, le locataire «empiète sur le patrimoine» du bailleur en sous-louant et, partant, gère l'affaire de ce dernier.

La constatation contraire du Tribunal fédéral selon laquelle le bailleur ne peut plus faire d'affaires au sujet de la chose louée, raison pour laquelle le locataire ne gère pas l'affaire d'autrui, a quelque chose de choquant et de logiquement insatisfaisant. La sous-location qui n'est pas l'affaire du bailleur en raison du contrat de bail, ne devient celle du locataire que par la violation du même contrat. C'est dire que si le contrat est respecté, la sous-location n'est l'affaire de personne; si au contraire il est violé, elle peut devenir celle des deux parties275Cela étant, il serait choquant que le sous-locataire conserve le profit de la sous-location. C'est au maître qu'il est juste d'attribuer ce profit.

270 JT cité, p. 44. Du même avis que le Tribunal fédéral: HoFSTEITER SP, p. 209 n. 5, p. 210 n. 8; RSJB, p. 240; MosER RSJ, p. 4 n. 21; BECKER n. 1 ad art. 423.

Contra: HAUSER, p. 269; FRIEDRICH, p. 33; v. BüREN B.T., p. 338 n. 102.

271 Cf. supra cha p. Il§ II/ A/3.

272 ATF 45 II 207; 47 II 198, JT 1921 1 503; ATF 68 II 36.

273 ATF 86 II 25.

274 FRIEDRICH, p. 33.

275 Cf. supra chap. Il§ II/ A/3/b).

L'idée d'après laquelle une gestion d'affaires n'est concevable qu'à propos d'actes que le maître lui-même aurait pu accomplir paraît d'autant moins fondée lorsqu'on compare l'arrêt en cause aux arrêts Probst, Aktienbrauerei et Mariotti, examinés précédemment276Dans ces trois affaires, la possession du gérant reposait sur un contrat (com-mission, travail, gage) qui, s'il était respecté, aurait empêché le pro-priétaire d'agir comme le gérant, c'est-à-dire de vendre (arrêts Probst et Mariotti) ou d'utiliser la chose (Aktienbrauerei). En dépit de cela, le Tribunal fédéral admet sans hésitation l'application des principes régissant la gestion intéressée.

De plus, affirmer comme le fait le Tribunal fédéral que le droit de disposer de la chose a passé du bailleur au locataire en vertu du contrat de bail, est trop absolu. Cela transformerait le locataire en propriétaire. Or, le locataire ne peut notamment pas transférer la pro-priété de la chose, constituer un droit réel limité sur celle-ci ou la sous-louer s'il en résulte un changement préjudiciable au bailleur. Le droit de disposer (au sens large) du locataire ne s'étend en réalité qu'à

«l'usage de la chose» ainsi que l'indique l'art. 253. Seuls certains aspects du droit de disposer ayant passé au locataire, le bailleur reste en mesure de conclure des affaires relatives à la chose.

Le dernier considérant de l'arrêt Merkur277 confirme d'ailleurs l'absence de fondement de l'exclusion de l'art. 423 en pareil cas.

L'attitude du locataire/sous-bailleur justifiait une sanction. Le Tribu-nal fédéral la place, avec difficulté, sur le terrain des dommages-inté-rêts contractuels. Avec difficulté, car à première vue le bailleur ne subit aucun dommage, ou s'il en subit un, ce dommage est minime et très difficilement quantifiable. Des éléments comme une prime addi-tionnelle d'assurance-incendie ou une usure plus rapide des locaux

«par le fait de l'exploitation intensive d'un cinéma-théâtre»278 peu-vent effectivement entrer en considération. Mais que dire des réflexions suivantes: «La maison du demandeur a donné accès à des éléments douteux, des personnes mal famées, ce qui était de nature à occasionner une certaine dépréciation morale de l'immeuble, ( ... ) et, partant, à causer au demandeur un dommage indirect. Il s'agit sans doute ici d'un dommage difficile à évaluer mais qui n'est pas

seule-276 Cf. supra B/1,2,5.

277 JT cité, p. 45-46.

278 JT cité, p. 45.

ment de nature idéale; il s'agit bien d'un dommage pécuniaire»279On était en novembre 1913, il est vrai, mais la qualification comme dom-mage pécuniaire de la «dépréciation morale de l'immeuble» reste éminemment douteuse.

Cette construction paraît dans tous les cas bien boîteuse, au regard de la solution plus claire qu'aurait fournie l'art. 473 aCO (art. 423 C0)280, permettant de se passer de toute exigence de dommage. La sous-location étant qualifiée comme gestion intéressée, le locataire devrait en délivrer le profit, c'est-à-dire le sous-loyer, au bailleur. Il pourrait compenser sa dette résultant de l'art. 423 al. 1 avec sa créance fondée sur l'art. 423 al. 2. A titre de dépenses, il faut notamment pren-dre en considération le montant du loyer principal. Il s'agit en effet d'une dépense liée à la gestion d'affaires, car sans le bail principal, le locataire ne serait évidemment pas en mesure de sous-louer. Ainsi, le locataire devrait au bailleur la différence entre le loyer principal et le

«sous-loyer», calcul éminemment plus sûr que celui de la «déprécia-tion morale de l'immeuble» (ou faudrait-il parler du tort moral subi par l'immeuble?).

2. La réception d'un paiement adressé à un tiers (cause Wildhaber c. Landwirtschaftlicher Verein des Kantons Graubünden [VVKJ du 20.1.1942, ATF 68 II 29, JT 1942 1 308)

Foroni est à la fois débiteur du VVK et de Wildhaber. Foroni fait par erreur au VVK un versement qu'en réalité il destinait à Wildhaber.

Par la suite, Foroni tombe en faillite. Wildhaber cherche alors à obte-nir du VVK la somme qui avait été par erreur adressée à ce dernier.

Le Tribunal fédéral examine si une telle obligation pourrait résul-ter des art. 419 ss, donc si l'acceptation du paiement par le VVK pour-rait constituer un acte de gestion, parfaite ou imparfaite281 Dans sa motivation qui exclut une telle construction, il semble confondre le caractère étranger de l'affaire avec l'élément subjectif de la cons-cience de ce caractère étranger: «au moment où elle (la défenderesse, VVK) a reçu la somme de ... , elle ne pouvait pas se rendre compte

279 JT cité, p. 46.

280 Même solution chez HAUSER, p. 269.

281 JT cité, p. 312 ss.

que le paiement était destiné à Wildhaber. Il ne s'agissait donc pas pour elle d'une affaire qui objectivement était l'affaire d'autrui»282 Le refus du Tribunal fédéral d'appliquer les art. 419 ss est cepen-dant justifié283 En effet, le débiteur qui paye mal s'expose à payer deux fois, comme le constate le Tribunal fédéral lui-même dans l'arrêt en cause284L'acceptation du paiement par le VVK n'ayant pas pour effet d'éteindre la dette de Foroni envers Wildhaber, elle est sans inci-dence aucune sur le patrimoine de ce dernier. Il ne s'agit donc pas d'une affaire qui est objectivement celle d'autrui. La condition pre-mière de la gestion imparfaite fait défaut.

L'affaire n'est pas non plus subjectivement celle d'autrui (Wildha-ber), si tant est qu'on admette la notion même d'affaire subjective-ment d'autrui285, car le VVK ignorait que le paiement reçu était destiné à Wildhaber. L'acceptation du paiement ne constitue donc pas non plus une affaire subjectivement d'autrui et, le cas échéant, une gestion parfaite. De cette manière peuvent être ordonnés les deux éléments du passage d'arrêt cité plus haut.

Que Wildhaber n'obtienne finalement pas le paiement de sa créance, parce que Foroni tombe en faillite et que le VVK peut conser-ver la somme conser-versée par le biais de la compensation, ne change rien au fait qu'aucune affaire de Wildhaber n'est gérée. Ces éléments, exté-rieurs à l'état de fait considéré, ne sont pas propres à changer la qua-lification de l'acte du VVK286Ainsi, ni l'art. 423, ni le titre XIVe de manière plus générale ne trouvent application en l'espèce.

3. Conclusion

Une définition réellement large de l'affaire d'autrui aurait dû conduire le Tribunal fédéral à englober la sous-location interdite dans le champ d'application de l'art. 423, mais n'aurait rien changé quant

282 JT cité, p. 313.

283 De la même opinion, v. BOREN B.T., p. 338 n. 104. Contra: SIMONIUS SJ, p. 218;

FRIEDRICH, p. 33-34. Cf. en outre HoFSTEITER SP, p. 200 n. 4; RSJB, p. 242-244, pour qui il y a lieu d'appliquer l'art. 62 et non l'art. 423.

284 JT cité, p. 311.

285 Cf. supra cha p. Il§ II/ A/2.

286 Dans ce sens, HoLENSTEIN, p. 166 n. 421; MosER RSJ, p. 3.

au résultat de la seconde affaire. En effet, dans le premier cas, le com-portement en cause (sous-location malgré une interdiction) viole un droit du bailleur et, partant, porte atteinte à sa sphère juridique. En revanche, dans le cadre de la seconde affaire, le seul acte à prendre en considération au titre d'acte de gestion est l'acceptation du paie-ment par le «faux» créancier. Or cet acte est absolupaie-ment neutre par rapport à la sphère juridique du «vrai» créancier, puisqu'illaisse sub-sister la créance de ce dernier. Comme le dit le Tribunal fédéral:

«il manque entre l'acte de gestion (acceptation d'un paiement en argent) et le domaine économique du demandeur (Wildhaber) le point de contact»287 qu'implique la notion de gestion d'affaires. Il est vrai que le patrimoine de Wildhaber est concrètement atteint -sa créance n'est pas remboursée - la cause n'en est cependant pas l'acte du «faux» créancier, mais le fait que le débiteur tombe en faillite, ce qui n'a, bien entendu, aucun lien avec le prétendu acte de gestion.

Cette comparaison met en évidence le fait qu'une définition large n'est pas dangereuse dans la mesure où une limite à l'application des art. 419 ss deviendrait impossible à tracer. Au contraire, dans les deux cas cités, le résultat obtenu correspond au résultat souhaitable.

Le sous-locataire méritait une sanction, alors qu'il ne s'imposait nullement de favoriser le «vrai» créancier au détriment du «faux»

créancier. Il entre dans l'ordre des choses qu'en certaines circons-tances un créancier soit payé, l'autre non. Ces situations n'appellent pas une correction, sous réserve, par exemple, de l'action révocatoire (art. 288 LP).

D. AUTRES CAS D'APPLICATION DE L'ART. 423