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Chapitre III Enrichissement illégitime et gestion

B. ABANDON DE LA CONDITION D'APPAUVRISSEMENT?

1. Position de la doctrine

La jurisprudence et la doctrine dominante enseignent que le mon-tant de l'action en enrichissement illégitime est dépendant de l'appau-vrissement, en ce sens que la plus petite des deux valeurs donne la mesure de la prétention141

La limite à l'action de l'art. 62 que constitue l'appauvrissement, s'il est inférieur à l'enrichissement, en ferait une «sous-catégorie» de

137 ATF 104 II 199, JT 1979 I 82; cf. également DESCHENAux/TERCIER, p. 45 ss;

ENGEL, p. 323. «Schaden ist Verminderung des Vermôgens»: v. TUHRIPETER

§ 12 II, p. 83; GuHL/MERz/KuMMER, p. 60. Cette formule est actuellement remise en cause par la doctrine du «normativer Schaden» (dommage norma-tif): cf. GAUTH/ScHLUEP N° 1608 ss.

138 WENNER, p. 55. Cf. également WITTMANN, p. 47.

139 WENNER, 55.

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°

Cf. supra, § Il/B.

141 ATF 106 II 29, 31; 99 II 131, JT 1974 1 130, 145. WITTMANN, p. 47; ENGEL, p. 404-405; v. TUHRIPETER § 52 I, p. 473; ÜSER/ScHONENBERGER n. 7 ad art. 62.

l'action en dommages-intérêts. C'est du moins l'avis de certains auteurs récents142C'est pourquoi ces auteurs professent l'abandon de la seconde condition de l'art. 62143

L'un d'entre eux, ScHAUFELBERGER14\ propose de remplacer l'appauvrissement par la notion de «Beeintrachtigung einer fremden Rechtssphare». Il suffirait, pour les besoins de l'art. 62, que l'enrichis-sement soit obtenu par une atteinte à la sphère juridique d'autrui. attribués est troublée d'une manière quelconque «sei es durch Entzug, Vernichtung oder Verminderung der Substanz des Objektes, sei es durch sonstige Stôrung in der uneingeschrankten Verfügungs-, Nut-zungs-, Benutzungs oder Genussbefugnis darüben>147 Dans cette optique, la lésion des droits de la personnalité et les actes de concur-rence déloyale sont couverts par l'art. 62148La notion de «Beeintrach-tigung einer fremden Rechtssphare» dépasse celle de dommage qui en est une simple forme possible.

142 KELLER/ScHAUFELBERGER Bd. III, p. 31.

143 SCHAUFELBERGER, p. 68 ss, 120; KELLER/SCHAUFELBERGER Bd. III, p. 30 ss, 35, 48; HOLENSTEIN, p. 74; v. BüREN A.T., p. 309. BucHER A.T., p. 652 («Der Berei-cherungsanspruch ist nicht auf den Betrag der Schadigung des Entreicherten maximiert, vielmehr ist jede Bereicherung zurückzuerstatten, sofern sie nur a us dem Vermogen des Ansprechers stammt» ), qui est cité par les trois premiers auteurs à l'appui de leur thèse, est loin d'être aussi clair que ne semble l'indi-quer cette citation. En effet, à la page suivante (p. 653), il parle de «Entreiche-rung» (d) et de «Vermogensverschiebung» (e), terminologie qu'ont abandon-née les auteurs plus récents. D'autre part, BucHER A.T., p. 658, pose expressé-ment comme condition de l'art. 62 l'existence d'un «Sachzusammenhang zwi-schen Bereicherung und Entreicherung». Il ne peut donc en aucun cas être cité au rang de ceux qui abandonnent la condition d'appauvrissement.

144 SCHAUFELBERGER, p. 120, 122 SS.

145 KELLER/ScHAUFELBERGER Bd. III, p. 35 ss.

146 «Jenen Teil der Aussenwelt der diesem Rechtssubjekt durch Gewahrung von subjektiven Rechten an Gütern von der Rechtsordnung ais individuellen-Machtsbereich und zur Entfaltung seiner Personlichkeit zugewiesen ist» ; KELLER/ScHAUFELBERGER Bd. III, p. 35.

147 KELLER/ScHAUFELBERGER Bd III, p. 37; ScHAUFELBERGER, p. 130.

148 SCHAUFELBERGER, p. 236 ss, 239 SS.

Le but que les auteurs cités assignent au droit de l'enrichissement illégitime impose l'abandon de la condition d'appauvrissement. Il ne s'agirait pas tant de remédier à un déplacement patrimonial indu, que de fonder une action en délivrance des profits149 A noter que ces auteurs soumettent cette action en délivrance des profits (enrichisse-ment dit «subjectif») à la faute du débiteur150, cette condition étant couverte par la notion d'enrichissement «illégitime».

En remplaçant l'exigence de l'appauvrissement par celle d'atteinte à la sphère juridique d'autrui et en admettant la délivrance des profits, KELLER et ScHAUFELBERGER se placent entièrement sur le terrain réservé à la gestion intéressée. On verra plus loin en quoi un tel glisse-ment nuit à la cohérence du système des art. 41 al. 1, 62 al. 1 et 423 al. 1151.

Un autre auteur, HoLENSTEIN, veut également se passer d'ap-pauvrissement dans le cadre de l'art. 62152, mais adresse deux cri-tiques principales à la théorie développée par ScHAUFELBERGER. Sa délimitation de la sphère juridique d'autrui ne serait pas suffisam-ment précise, en ce qu'il n'en exclut pas les droits subjectifs sans

« Güterzuordnungsfunktion » 153 Sa notion de « Beeintrachtigung » (atteinte) souffrirait du même manque de clarté154 HoLENSTEIN réfute donc cette théorie155Pour cet auteur, seul importe le fait que l'objet de l'enrichissement ait été acquis de manière illégitime, c'est-à-dire «im Widerspruch zum Zuweisungsgehalt eines subjektiven Rechts» 156

C'est dans cette mesure que l'enrichissement est obtenu «aux dépens d'autrui»157Malgré l'abandon de la condition

d'appauvrisse-149 SCHAUFELBERGER, p. 7, 11, p. 163.

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KELLER/SCHAUFELBERGER, p. 70 SS, 73; SCHAUFELBERGER, p. 222 ss, 227 SS.

151 Cf. infi'a 3.

152 HOLENSTEIN, p. 60 SS.

153 HoLENSTEIN, p. 36, par ex. les droits de la personnalité (p. 89 ss, 92) et la concurrence déloyale (p. 94 ss).

154 HOLENSTEIN, p. 37-38.

155 HoLENSTEIN, p. 39 ss.

156 HoLENSTEIN, p. 75 ss; GILLIARD, p. 44, traduit cette expression par «violation du contenu d'attribution du droit subjectif d'autrui».

157 HOLENSTEIN, p. 110.

ment, HoLENSTEIN ne fonde pas sur l'art. 62, mais bien sur l'art. 423158, l'action en délivrance des profits, vu sa conception particulière de l'enrichissement159

Toutefois, pas plus que KELLER et ScHAUFELBERGER, cet auteur ne peut être suivi dans son abandon de la condition d'appauvrissement.

Sa notion de « Widerspruch zum Zuweisungsgehalt eines subjektiven Rechts» correspond très précisément à l'une des définitions (restric-tive) données de la gestion de l'affaire d'autrui (art. 423)160A nou-veau, il y a confusion entre enrichissement illégitime et gestion intéres-sée, sinon dans le résultat des actions, du moins dans l'énoncé de leurs conditions.

2. Critiques émises par la doctrine récente161 et réfutation a) L'enrichissement par économie de dépenses

Selon KELLER/ScHAUFELBERGER, il existerait des cas dans les-quels l'enrichissement ne reposerait pas sur un déplacement patri-monial. Par exemple, l'enrichissement par économie de dépenses ne correspondrait souvent pas à un appauvrissement162 Pour appré-hender ces cas par le biais de l'art. 62 al. 1, il s'imposerait de suppri-mer la condition d'appauvrissement. Or, l'exemple qui est donné, de l'usage sans droit de la voiture d'autrui, n'est pas pertinent, et ce à double titre. D'une part, un appauvrissement n'est pas néces-sairement inexistant: le propriétaire, privé de l'usage de sa voiture, doit louer une voiture de remplacement. Ce sont les frais de location qui donnent la mesure de l'appauvrissement163En outre, les consé-quences de l'usage de la chose d'autrui échappent à l'art. 62 al. 1,

158 HoLENSTEIN, p. 43, 111.

159 Cf. supra § II/B, C.

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Cf. supra chap. Il§ Il/ A/3/b).

161 Le résumé des arguments contraires à la doctrine traditionnelle est tiré de

KELLER/SCHAUFELBERGER Bd. III, p. 31 ss.

162 KELLERISCHAUFELBERGER Bd. III, p. 31.

163 JT 1984 I 444, TC Neuchâtel, 2.2.1986. A noter que la réalisation de la condi-tion de connexité entre l'appauvrissement (frais de la locacondi-tion d'une voiture de remplacement) et l'enrichissement (dépenses économisées du fait de l'usage de la voiture d'autrui) n'est pas évidente.

réglées qu'elles sont par les art. 938-940 CC en tant que leges spe-ciales164 (sous réserve de l'usage d'une chose reposant sur un contrat résolu).

Plus troublant est l'exemple de la prestation de travail165 faite sans cause, lorsqu'il n'est pas possible de prouver qu'une autre occasion de travail a ét~ manquée et que, partant, l'auteur de la prestation n'est pas réellement appauvri166 Ce dernier ne se trouve cependant pas nécessairement dénué de tout moyen. Une partie des cas susceptibles

·de se présenter peuvent être résolus par l'art. 320 al. 2 et 3. Une autre limite à application de l'art. 62 résulte de l'impossibilité de mettre fin ex tune à un contrat de longue durée exécuté167 ou de faire valoir sa nullité168. conformément à l'art. 938 al. 1 CC. Dans cette optique, l'art. 62 est par conséquent inapplicable pour des motifs qui ne tien-nent pas du tout à la notion d'appauvrissement.. L'auteur de la presta-tio-n sans cause dispose en outre des droits que confère l'art. 422 al. 1 au gérant parfait, pour autant que l'acte de gestion ait été commandé par l'intérêt du maître.

Pour le surplus, le raisonnement est le même que celui qui a été développé à propos de l'enrichissement par économie de dépenses169 On a vu qu'il ne s'agissait pas de savoir quel serait l'état du patri-moine de l'enrichi s'il n'avait pas reçu la prestation sans cause, mais quel serait l'état de son patrimoine si la prestation n'avait pas été apportée gratuitement. Ainsi, s'agissant de l'appauvrissement, il faut se demander dans quel état serait le patrimoine de l'appauvri s'il

164 Cf. supra chap. Il/§ II.

16s HoLENSTEIN, p. 4-5.

166 OsER/ScHüNENBERGER n. 7 ad art. 62; v. TuHRIPETER § 52, p. 473 n. 3; BussY, p. 69 N° 100.

167 ScHoNENBERGER/JAGGI n. 563 ss, 565 ad art. 1 CO; GAUCH, p. 198 n. 1, p. 209 ss.

168 ATF 75 II 166, JT 1950 1 9; ATF 110 II 244 (fr.): théorie du contrat de fait.

S. PoLYDOR-WERNER, p. 194 ss, exclut les cas de nullité d'un contrat de bail ou de vente du champ d'application de l'art. 62 par interprétation de l'art. 938 CC, plus particulièrement de la notion de droit présumé. Ainsi, lors-que la possession repose sur un contrat (nul ou invalidé) qui prévoyait une contre-prestation, celle-ci restera due conformément à l'art. 938 al. 1 CC. Dans cette optique, l'art. 62 est par conséquent inapplicable pour des motifs qui ne tiennent pas du tout à la notion d'appauvrissement.

169 Cf. supra § II/B/3.

n'avait pas apporté gratuitement sa prestation. Le résultat est le même que celui auquel parviennent les auteurs170 qui postulent une fiction d'appauvrissement d'un montant égal à la rémunération du travail ou du service rendu sans cause.

Cette manière de raisonner permet d'éviter le bouleversement total du système général des prétentions civiles (art. 41 al. 1, 62 al. 1, 97 al. 1, 423 al. 1) auquel aboutirait l'abandon de la condition de l'appauvrissement dans le but de régler les cas cités qui ne sont appré-hendés ni par l'art. 320 al. 2 et 3, ni par l'art. 422 al. 1, ni exclus du champ d'application des art. 62 ss par interprétation.

b) Interprétation grammaticale de l'art. 62 al. 1

Selon KELLER/ScHAUFELBERGER171, l'interprétation dominante ne convainc pas d'un point de vue grammatical, car jurisprudence172 et doctrine173 s'accordent sur le fait que l'expression allemande «aus dem Vermôgen eines anderen» est trop étroite et lui préfèrent la ver-sion française «aux dépens d'autrui». On ne saurait cependant tirer de cette expression la conclusion qu'à l'enrichissement du débiteur doive correspondre un appauvrissement du créancier de même mon-tant ( « dass der Bereicherung des Schuldners eine Entreicherung des GHiubigers in gleicher Hohe entsprechen müsse» 174).

Il faut souligner en premier lieu que le problème qu'avait en vue la doctrine lorsqu'elle donnait sa préférence aux termes français «aux dépens d'autrui», n'est pas du tout celui qui préoccupe ScHAUFEL-BERGER. C'est la titularité du patrimoine soumis à l'action en enri-chissement illégitime et non l'existence d'un appauvrissement qui est en cause. En effet, il se trouve des cas dans lesquels le patrimoine d'une personne est apparemment diminué par une prestation, alors que celle-ci est supportée en réalité par un autre patrimoine. L'action

170 BUCHER A.T., p. 608 ss; WENNER, p. 58 n. 101, p. 44 n. 59; ENGEL, p. 396.

171 KELLER/SCHAUFELBERGER Bd. III, p. 32.

172 ATF 47 II 320 c. 3, JT 19221 386; ATF 71 II 90, JT 1945 1 521, 527 (la nuance n'apparaît pas dans la traduction française). Ces arrêts remplacent l'expres-sion du texte légal «aus dem Vermôgen eines andern» par les termes «auf Kosten eines andern».

173 BECKER n. 5 ad art. 62; ÜSER/SCHONENBERGER n. 8 ad art. 62; WENNER, p. 56;

CARRY, p. 74 ss, 77.

174 KELLER/ScHAUFELBERGER Bd. III, p. 32, 2° §.

fondée sur l'art. 62 doit être accordée à celui dont le patrimoine est effectivement diminué, non à celui dont le patrimoine a fourni l'enri-chissement175.

De plus, personne ne prétend que l'enrichissement doit être égal à l'appauvrissement. En effet, «la restitution ne peut excéder ni l'appauvrissement ni l'enrichissement; ( ... ) la connexité entre l'ap-pauvrissement et l'enrichissement doit donner la mesure de la créance» 176 Il s'agit de deux valeurs qui peuvent être économique-ment différentes177C'est le moindre des deux montants qui détermine l'étendue de l'action. WENNER178 constate à ce propos que la proximité des notions d'enrichissement et d'appauvrissement pourrait aisément, mais à tort, conduire à admettre leur équivalence mathématique. Il s'agit en fait de réalités juridiques bien distinctes, raison pour laquelle l'enrichissement ne correspond pas nécessairement à l'appauvrisse-ment quant au montant.

Il s'avère que le texte de l'art. 62 al. 1, dans sa version allemande ou française, ne permet de confirmer ni d'infirmer aucune des deux thèses en présence. Le texte couvre aussi bien l'interprétation domi-nante que la nouvelle tendance renonçant à la condition d'appauvris-sement. C'est pourquoi il importe de définir un système cohérent, susceptible d'ordonner les rapports entre les art. 41 al. 1, 62 al. 1 et 423 al. 1179

c) Interprétation téléologique de l'art. 62 al. 1

KELLER/ScHAUFELBERGER180 relèvent qu'un profit est parfois réa-lisé au détriment d'une personne, sans que celle-ci subisse un dom-mage. Si la condition d'appauvrissement était maintenue, l'art. 62 al. 1 ne serait plus à même d'appréhender ces situations de gain sans dommage et permettrait au lésant de tirer impunément profit de son activité illicite. Il semble que cette argument ait été, sinon décisif, du

175 Cf. exemple donné supra n. 136. De manière plus générale, il s'agit des pro-blèmes d'enrichissement illégitime dans les relations triangulaires.

176 ENGEL, p. 404. Cf. également v. TuHRIPETER § 52, p. 473; BussY, p. 69 N° 102;

WITIMANN, p. 47.

177 ÜSER/SCHONENBERGER n. 7 ad art. 62.

178 WENNER, p. 58 C.

179 Cf. infi·a 3.

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KELLER/ScHAUFELBERGER Bd III, p. 32.

moins d'un grand poids 181 dans le rejet de la conception tradition-nelle. Est citée en exemple la jurisprudence du Tribunal fédéral 182 relative à la violation de brevets, selon laquelle les prétentions en dommages-intérêts et en délivrance du profit doivent être clairement distinguées. En outre, en matière de violation des droits de la person-nalité (honneur, réputation, secret et sphère intime), la preuve d'un préjudice économique quantifiable serait généralement impossible à apporter.

S'il est évident qu'aucun profit ne doit pouvoir être tiré d'un acte illicite, il n'en demeure pas moins qu'il est inutile de chercher, à tout prix, à régler ces situations à l'aide de l'art. 62 al. l. En réalité, c'est la fonction même de l'art. 423 al. 1 que de sanctionner de tels com-portements et d'éviter qu'un profit, acquis injustement, n'enrichisse l'auteur183. L'arrêt cité par KELLER/ScHAUFELBERGER 184, rendu en matière de brevets, n'est pas utile à leur thèse. Si, dans cet arrêt fonda-mental, le Tribunal fédéral sépare les dommages-intérêts du profit pour rattacher les premiers à l'art. 41 al. 1, le second à l'art. 423 al. 1, il n'y est nulle part question de l'art. 62 al. 1 qui serait applicable au profit indépendamment d'un dommage.

Par ailleurs, la violation des droits de la personnalité et tous les autres cas dans lesquels aucun dommage ne correspond au profit réa-lisé peuvent être considérés comme des actes de gestion d'affaires réglés par l'art. 423. En fin de compte, «das Unrecht lohnt sich doch nicht», sans qu'il soit nécessaire d'étendre indéfiniment le champ d'application de l'art. 62 al. 1185

d) Interprétation systématique de l'art. 62 al. 1

KELLER/SCHAUFELBERGER font ensuite des critiques d'ordre systé-matique186. L'exigence de l'appauvrissement serait une limite au contenu de l'action en enrichissement illégitime, limites réglées aux art. 64 et 65 qui ne mentionnent pas celle de l'appauvrissement.

181 SCHAUFELBERGER, p. 120; KELLER/SCHAUFELBERGER Bd. III, p. 32.

182 ATF 97 II 169, 177, JT 1971 I 612 (résumé).

183 «Das Unrecht sol! si ch nicht lohnen»: HoFsTETTER SP, p. 189 V 2; RSJB, p. 228.

184 ATF 97 II 169, 177, JT 1971 I 612 (résumé).

185 Cf. infra 3.

186 KELLER/ScHAUFELBERGER Bd. III, p. 33.

En réalité, il ne s'agit pas d'une limite, mais d'une condition de l'action posée à l'art. 62 par les termes «aux dépens d'autrui». De plus, contrairement à ce qu'affirment KELLER/ScHAUFELBERGER187 , l'enrichissement et l'appauvrissement ne doivent pas nécessairement être de même montant188Qu'ils se calculent selon des principes diffé-rents vient de ce qu'ils concernent des patrimoines diffédiffé-rents (celui de l'enrichi et celui de l'appauvri), mais ne permet nullement de conclure à la suppression de la condition d'appauvrissement.

En dernier lieu, les auteurs cités189 cherchent à tirer argument d'une mise en parallèle de l'action en enrichissement illégitime et de l'action en revendication, plus particulièrement de l'art. 940 CC qui n'est pas soumis à la condition de l'appauvrissement. Mais les art. 938-940 CC sont précisément des leges speciales190 pouvant déro-ger au système général des art. 62 ss. Aucune conclusion décisive ne peut donc être tirée de cette mise en parallèle.

e) Elément historique

Pour terminer, les mêmes auteurs191 se fondent sur des motifs historiques pour nier la condition d'appauvrissement. Cependant, la plupart de leurs citations se réfèrent au contenu de l'enrichissement et n'ont aucune signification quant à la nécessité ou à l'inutilité de l'appauvrissement. Que cette condition ait été mentionnée sans moti-vation pour la première fois par 0sER192 et qu'elle ait été reprise depuis par la doctrine et la jurisprudence, n'a pas plus de pertinence.

f) Conclusion

Il résulte de ce qui précède que les arguments de KELLER/ScHAU-FELBERGER n'ont pas un poids suffisant pour renverser la thèse domi-nante. Or, il faut bien admettre que le texte de l'art. 62 al. 1, de par ses termes «aux dépens d'autrui», couvre tant l'interprétation majoritaire

187 Ibid.

188 Cf. supra b ).

189 KELLER/ScHAUFELBERGER Bd. III, p. 33-34.

190 HoFSTEITER SP, p. 187; HINDERLING, p. 508-509; STARK n. 5 V orb. art. 938-940 cc.

191 KELLER/ScHAUFELBERGER Bd. III, p. 34.

192 ÜSER, Art. 62 II 2.

que celle minoritaire tendant à abandonner la condition de l'appau-vrissement. Etant donné que les arguments développés notamment par KELLER et SCHAUFELBERGER et examinés plus haut193 n'ont pas paru convaincants, il s'agira de suivre une autre méthode d'interpréta-tion. Ainsi, conformément à une interprétation d'ordre systématique (et téléologique), l'enrichissement illégitime ne sera pas considéré isolément, mais dans son rapport avec des prétentions proches, celles résultant de l'acte illicite et de la gestion intéressée. C'est la détermi-nation de la place qu'il convient d'attribuer à chacune de ces pré-tentions qui permettra de décider si la condition d'appauvrissement mérite ou non d'être conservée.

3. Délimitation du champ d'application des art. 41, 62 et 423 en fonction du patrimoine visé

La clef des rapports entre les art. 41 al. 1, 62 al. 1 et 423 al. 1 réside dans la détermination du patrimoine que chacune de ces dispo-sitions prend en considération. On verra qu'un juste équilibre entre elles repose notamment sur le maintien de la condition d'appauvrisse-ment dans le cadre de l'art. 62 al. 1. En effet, l'abandon de cette condition conduirait à étendre de manière inopportune le champ d'application de l'art. 62 au détriment de l'art. 423 al. 1. Cette der-nière disposition finirait par tomber complètement en désuétude, alors que la doctrine194 en signale depuis des décennies, sans grand écho d'ailleurs, les nombreuses possibilités d'application.

a) Art. 41 al. 1

L'art. 41 al. 1195 vise la réparation du dommage subi par le lésé;

c'est donc le patrimoine du lésé qui est ici déterminant, indépendam-ment du profit qu'a éventuelleindépendam-ment pu réaliser le lésant196Dans la

193 Cf. supra a)-e).

194 V. TUHRIPETER §54, p. 524; WoLF RDS 46, p. 315 n. 29; RDS 51, p. 78;

FRIEDRICH, p. 23; MERZ RSJ, p. 91; ÜFTINGER, p. 109-110; ScHUMACHER,

p. 215 n. 2.

195 HoFSTETTER RSJB, p. 225.

196 Ce qui sera développé ci-dessous relativement à l'art. 41 al. 1 vaut mutatis mutandis en matière de responsabilité résultant de l'inexécution d'une obliga-tion (art. 97 al. 1).

mesure seulement où le gain du lésant a échappé au lésé, peut-on l'inclure dans le dommage à titre de lucrum cessans. Même dans cette hypothèse, le dommage et le profit ne sont pas nécessairement liés, car la notion de gain manqué n'implique nullement la réalisation d'un profit par le lésant.

En matière de responsabilité civile, la réparation du dommage suppose toujours l'existence d'une faute (ati. 41 al. 1), à tout le moins celle d'un devoir de diligence197 ou la création d'un risque par le com-portement du lésant198La faute (le devoir de diligence ou le risque créé) est le motif pour lequel l'ordre juridique impose la réparation au lésant.

b) Art. 423 al. 1

L'art. 423 al. 1 sanctionne le comportement de qui s'immisce sans droit dans les affaires d'autrui, en l'obligeant à délivrer à celui-ci les profits qu'il tire de son acte.

Le seul patrimoine du lésant donne la mesure de l'action. Peu importe que le lésé ait subi un dommage ou point du tout.

Le fondement de l'obligation issue de l'art. 423 al. l repose sur l'idée qu'un profit réalisé au moyen du patrimoine d'autrui doit reve-nir à autrui, plutôt qu'à celui qui intervient sans y être autorisé. On a admis plus haut199 que cette sorte de responsabilité très étendue ne

Le fondement de l'obligation issue de l'art. 423 al. l repose sur l'idée qu'un profit réalisé au moyen du patrimoine d'autrui doit reve-nir à autrui, plutôt qu'à celui qui intervient sans y être autorisé. On a admis plus haut199 que cette sorte de responsabilité très étendue ne