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Chapitre IV Responsabilité civile et gestion intéressée

B. ARRÊTS ADMETTANT L'APPLICATION DE L'ART. 423

4. Cause Kistler et cons. contre Allgemeine Genossame Reichen-

Un pré affermé pour sept ans (1913-1920) est réquisitionné par l'autorité pour les années 1917 à 1920. Le bail en cours est remplacé par un nouveau bail conclu à un prix supérieur entre le propriétaire et l'autorité. Le dommage subi par le fermier évincé est pris en charge par la commune. Par la suite, l'ancien fermier réclame la différence entre les deux fermages au propriétaire, en se fondant sur les art. 41 al. 1 et 62 al. 1. Les moyens invoqués tombent à faux; ils n'ont d'ail-leurs pas été retenus par le Tribunal cantonal de dernière instance qui rejette la demande. En effet, ni la résiliation ni la conclusion d'un bail sur sa propre chose ne sont illicites. De plus, l'ancien fermier n'est pas appauvri, indemnisé qu'il a été par la commune. Le Tribunal fédéral, quant à lui, admet la demande sur la base de l'art. 423 al. 1.

Selon lui, la conclusion d'un contrat plus avantageux avec la com-mune «n'a été possible que parce que la défenderesse (propriétaire) s'est immiscée dans les droits des demandeurs qui seuls étaient atteints par la mesure officielle. Ce faisant, ( ... ), elle a géré l'affaire des demandeurs en disposant d'un droit (Vermôgensrecht) qui appar-tenait à ces derniers»258Le propriétaire est ainsi condamné à la déli-vrance du profit tiré de la gestion.

255 ATF cité, p. 207.

256 ATF cité, p. 209.

257 ATF cité, p. 209.

258 JT cité, p. 506.

Si le résultat peut paraître équitable, le raisonnement n'est guère convaincant et n'a pas rencontré l'approbation de la doctrine259Une fois la validité de la résiliation admise (elle était imposée par l'auto-rité), le fermier n'avait plus aucun droit sur le pré. En l'affermant à nouveau, le propriétaire gérait sa propre affaire et ne pouvait en aucun cas, même selon la définition la plus large possible de l'affaire d'autrui, porter atteinte à la sphère juridique de l'ancien fermier par la conclusion du second bail. L'art. 423 al. 1 ne pouvait servir de fonde-ment à la prétention du fermier.

Un autre moyen, cependant, était concevable pour parvenir au résultat souhaité par le Tribunal fédéral. L'exécution du contrat de fermage devenait en réalité impossible du fait de l'intervention de l'autorité. Pourquoi alors ne pas appliquer l'art. 119 al. 1 et la théo-rie du «stellvertretendes commodum» qui en a été tirée260? Le pro-priétaire, conformément à l'art. 119 al. 1, serait considéré comme libéré envers le fermier, mais à la condition qu'il lui transfère les valeurs de remplacement que lui procure l'événement rendant la prestation impossible, c'est-à-dire le fermage payé par l'auto-rité. Ainsi, la prestation due - mise à disposition du pré - ne s'éteindrait pas complètement, elle changerait d'objet261: paie-ment du nouveau fermage. L'art. 119 al. 2 étant inapplicable, le fermier resterait alors tenu au paiement de son fermage, ce qui, après compensation, revient à la délivrance du bénéfice réalisé par le propriétaire.

5. Cause UBS contre Mariotti du 29.12.1925 (ATF 51 Il 575, Pr. 15/1926 no 34)

En 1908, le Credita Ticinese ouvre un crédit à Mariotti contre le nantissement de titres. Sans en avertir le débiteur, le Credita engage ces titres, en 1912, en garantie d'une obligation propre. Suite à la fail-lite du Credita en 1914, le gage est réalisé. Deux ans plus tard,

l'admi-259 HoFSTETIER SP, p. 210 n. Il; WoLF RDS 46, p. 315-316 n. 31; FRIEDRICH, p. 32-33. Cf. également, v. BüREN B.T., p. 338.

260 Sur le «stellvertretendes commodum»: cf. GAUCH/ScHLUEP/TERCIER, n. 1960 ss et réf. cit.

261 ATF 46 II 429, JT 1921 I 134, 141.

nistration de la faillite du Credita achète des titres de même genre à un prix plus bas que celui auquel les premiers titres avaient été réali-sés. Le débiteur ignore tout de ces transactions. Quelques années plus tard, il réclame la délivrance de la différence entre le prix de réalisa-tion (1914) et celui de rachat (1916).

L'engagement par le créancier de la chose dont il est nanti sans le consentement de celui dont il la tient (art. 887 CC) constitue, d'après le Tribunal fédéral, à la fois un acte illicite et une violation du contrat de gage. La responsabilité du créancier-gagiste est engagée (art. 41 al. 1, 42, art. 97 al. 1; art. 890 al. 1 et 2 CC)262. Cependant, les consé-quences dommageables de l'acte de ce dernier sont supprimées, puis-que les titres sont remplacés avant le remboursement de la dette.

Mariotti ne peut fonder sa prétention sur l'art. 41 al. 1, ni sur l'art. 97 al. 1263.

A nouveau, la seule sanction possible du comportement du créan-cier-gagiste réside dans l'obligation de délivrer les profits (ati. 423 al. 1). En effet, la disposition (constitution d'un droit réel limité) d'une chose mise en gage sans l'accord du débiteur-gagiste porte atteinte au droit de propriété de ce dernier sur la chose. Il y a ges-tion de l'affaire d'autrui. L'acte est accompli dans l'intérêt du gérant puisqu'il a pour but de garantir une dette qui lui est propre.

Pour cette raison, le gérant (Credita Ticinese) est condamné au paie-ment du profit réalisé, égal, selon le Tribunal fédéral, au bénéfice de l'opération, c'est-à-dire à la différence entre le prix de réalisation des titres (1914) et le prix, inférieur, d'acquisition de titres du même genre ( 1916)264.

Le raisonnement, jusque-là incontestable, prend un curieux rac-courci. Pourquoi serait-ce la différence entre le prix de 1914 et celui de 1916 qui devrait déterminer le montant du profit? L'acte du Cre-dito Ticinese par lequel il a géré l'affaire de Mariotti est la mise en nantissement des titres (1912). Le profit de cet acte ne s'est maté-rialisé qu'en 1914 avec la réalisation des titres par le créancier-gagiste du Credita Ticinese. Ce dernier est alors libéré envers son créancier-gagiste d'un montant correspondant au prix de

réalisa-262 ATF cité, p. 582 (c. 3a).

263 ATF cité, p. 582-583.

264 ATF cité, p. 584.

tion des titres nantis. C'est pourquoi l'on peut affirmer que le profit est égal au prix, entier, de réalisation. Toutefois, il est clair que le Cre-dito Ticinese doit pouvoir en déduire le prix de rachat (1916). La question est de savoir à quel titre. L'art. 423 al. 2 pourrait fonder cette prétention, mais on peut difficilement considérer le rachat de titres en 1916 comme faisant partie d'une opération accomplie, entre 1908 et 1912, dans l'intérêt du gérant, ainsi que l'exigent les règles appli-cables à la gestion intéressée. Au contraire, lorsque l'administration de la faillite du Credito Ticinese (gérant) découvre la situation irré-gulière, elle y remédie en rachetant des titres du même genre. Ce faisant, elle agit dans l'intérêt du maître265 en tant que gérant par-fait. Le prix de rachat constitue par conséquent une dépense néces-saire ou, à tout le moins, utile et justifiée par les circonstances, dont le gérant peut demander le remboursement sur la base de l'art. 422 al. 1. Les prétentions des deux parties pouvant être com-pensées, le Credito Ticinese ne doit finalement que la différence entre les deux montants, représentant le bénéfice net de l'opé-ration, ce qui correspond au résultat auquel parvient le Tribunal fédéral.

Il convient pour terminer de relever une réflexion parasite du Tribunal fédéral à propos de l'action fondée sur la gestion inté-ressée: «Si tratta, in sostanza, di una forma speciale dell'azione di arrichimento indebito»266 Or, comme on l'a déjà vu267, l'action fondée sur l'art. 423 al. 1 a une existence propre, indépendante aussi bien de la responsabilité délictuelle (art. 41 al. 1) que de l'enri-chissement illégitime (art. 62 al. 1). Elle n'est pas soumise à la condi-tion du dommage ou de l'appauvrissement, condicondi-tion qui n'aurait d'ailleurs pas été réalisée en l'espèce, ce qui tend à démontrer que la délivrance des profits prévue à l'art. 423 al. 1 n'est pas une sous-catégorie de l'action en dommages-intérêts ou en enrichissement illégitime.

265 On pourrait éventuellement soutenir que le gérant agit dans son propre intérêt, dans la mesure où il s'évite des ennuis ultérieurs (le cas échéant, sur le plan pénal). Dans cette optique, le gérant pourrait obtenir le remboursement du prix de rachat sur la base de l'art. 423 al. 2.

266 ATF cité, p. 583.

267 Cf. supra chap. III/§ III/B/3.