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L’adénocarcinome du pancréas (ADKP)

C) DYSFONCTIONNEMENTS DU PANCREAS EXOCRINE

2) L’adénocarcinome du pancréas (ADKP)

a) Généralités de l’ADKP

Incidence et mortalité

L’adénocarcinome du pancréas (ADKP) représente 90% des cancers pancréatiques. Il a touché 280 000 personnes en 2008 à travers le monde, dont 70 000 uniquement en Europe [Hidalgo et al. 2015137]. Son incidence est de 1-10 pour 100 000 personnes. Il touche aussi bien les hommes que les femmes. Bien que l’ADKP soit diagnostiqué en moyenne à 71 ans il est fréquent que des patients bien plus jeunes soient diagnostiqués, dès 40 ans [Jemal et al. 2010138]. Bien que le PDAC ne soit que le 12e cancer le plus fréquent dans le monde, son taux de mortalité élevé en fait la 4e cause de mort liée au cancer (Fig 10A pour les données US). En effet, le taux de survie à 1 an est d’environ 18% et le taux de survie à 5 ans chute à 4-5% [Hidalgo et al. 2015137]. Au final, ce sont 100% des patients atteints d’ADKP qui succombent à la pathologie. De plus, le Pancreatic Cancer Association Network estime que le cancer du pancréas sera la 2e

cause de mort liée au cancer d’ici à 2020 (Fig. 10B). Aussi bien l’incidence que le taux de mortalité liés à l’ADKP sont indépendants du sexe et de l’origine des personnes [Rahib et al. 2014139]. Même si l’étiologie de l’ADKP (détaillée ci-après) est mal connue, cette triste notoriété prédite est due à une combinaison de facteurs : i) vieillissement de la population, ii) l’amélioration de la prévention et des soins d’autres types de tumeurs comme le cancer colorectal, du sein et de la prostate, iii) le mode de vie occidental (nourriture grasse, sucrée, salée, sédentarité), iv) l’échec de la communauté médicale (recherche et clinique) à trouver le point faible de cette tumeur, et surtout v) une tumeur agressive et un diagnostic tardif puisque la majorité des patients sont diagnostiqués avec une tumeur métastatique. Les caractéristiques agressives de l’ADKP sont discutées un peu plus loin.

49 Figure 10 : Incidence et mortalité de l’Adénocarcinome pancréatique. A) Nombre de cas (en haut) et nombre de décès liés aux différents types de tumeurs indiquées [Siegel et al. 2014140]. B) Estimation de l’évolution du nombre de décès causés par chacun des types de tumeur évoqué [Rahib et al. 2014139].

50 Facteurs de risque

Comme mentionné plus haut, les causes et facteurs de risque du cancer du pancréas sont assez mal connus et reposent sur des corrélations la plupart du temps. Seulement 5 à 10% des cancers du pancréas sont héréditaires : une personne avec un parent de premier atteint de cancer du pancréas a 2 fois plus de chance de développer un ADKP, et une personne avec 3 parents de premier degré ayant été atteints d’ADKP a 30 fois plus de chance de développer un ADKP. Certaines mutations sont associées à l’ADKP (Tableau 2). Les mutations dans les gènes PRSS1 et SPINK1 sont observées dans des cas de pancréatite héréditaire, un des facteurs prédisposant au développement de l’ADKP. D’autres mutations connues pour être associées à des syndromes cancéreux sont associées au cancer du pancréas, sans qu’elles prédisposent spécifiquement à l’ADKP (BRCA1, 2, STK11, ATM, p53). Les risques associés à chacune de ces mutations sont annotés Tableau 2 [Ryan et al. 201482].

Tableau 2 : Risque approximatif de développer un ADKP en fonctions de facteurs environnementaux et génétiques [Ryan et al. 2014141].

51 Plusieurs facteurs de risque ont été également identifiés par les épidémiologistes. La pancréatite chronique est l’un des facteurs de risques les plus importants pour l’ADKP. Un patient atteint de pancréatite a 3 fois plus de risque de développer un ADKP 2 ans après le diagnostic initial qu’une personne non diagnostiquée pour une pancréatite. La pathologie est également corrélée avec une apparition plus précoce de la tumeur (à moins de 65 ans) [Duell et al. 2012142]. D’ailleurs, 66% des patients atteints de pancréatite chronique présentent également des lésions canalaires pré-néoplasiques, associées avec une augmentation de l’incidence de la perte du suppresseur de tumeur p16 lorsque le grade des lésions augmente [Rosty et al. 2003143]. La cigarette a également été identifiée comme un facteur de risque dans le cadre de l’ADKP. Le risque augmente avec la durée de consommation de la cigarette, avec le nombre de cigarettes fumées par jour, et diminue lorsque la durée de sevrage augmente [Bosetti et al. 2012144]. L’alcool est également un facteur de risque pour l’ADKP, et ce indépendamment du développement d’une pancréatite au préalable [Lucenteforte et al. 2012145]. Le diabète serait également prédisposant (multiplie le risque de développer un ADKP de 1,5) à l’apparition de la tumeur, sans que l’injection d’insuline liée au soin du patient ne soit responsable [Silverman et al. 1999146]. Sans qu’une relation de cause à effet soit établie, 50% des patients d’ADKP souffrent également de diabète [Ryan et al. 201482]. L’augmentation de la masse graisseuse corporelle, et plus particulièrement l’obésité, est elle aussi corrélée avec le risque de développer un cancer du pancréas. Enfin, sans qu’aucune explication ne soit proposée, il semblerait que les patients dont le groupe sanguin est autre que O aient également d’avantage de risque de développer un ADKP [Klein et al. 2013147] (Tableau 2).

Symptômes, diagnostics et traitements

Environ 60 à 70% des cancers du pancréas sont localisés dans la tête du pancréas, alors que seulement 20 à 25% sont localisés au niveau de la queue [Ryan et al. 201482]. Ceci pourrait être dû à une masse cellulaire plus importante dans la tête que dans la queue du pancréas, augmentant ainsi la probabilité d’apparition d’une cellule portant une mutation oncogénique. La proximité des vaisseaux sanguins et des plexus nerveux pourrait aussi favoriser la survie de cellules pré-néoplasiques. Enfin, il est possible qu’en situation d’inflammation asymptomatique du pancréas, la tête de l’organe, plus proche du duodénum, soit davantage soumise au stress correspondant à l’accumulation d’enzymes digestives et à leur remontée le long de l’arbre canalaire. Indépendamment de la localisation, la médiane de survie pour les patients atteints d’ADKP est d’environ 6 mois. Alors que le taux de survie à 1 an est de 18%, celui à 5 ans n’est

52 que de 4%. Le diagnostic sombre de l’ADKP est dû en partie à l’absence de symptômes spécifiques à la maladie (douleurs abdominales, diarrhées, nausées, perte de poids, asthénie) entraînant un diagnostic tardif. Celui-ci se fait à partir d’autres symptômes permettent cependant d’orienter le diagnostic : jaunisse, vomissements, douleurs péri-gastriques ou dorsales. En effet la jaunisse peut être provoquée par l’obstruction du canal biliaire par une tumeur volumineuse au niveau de la tête du pancréas. Les douleurs dorsales sont quant à elles associées à l’invasion de plexus neural céliaque par la tumeur.

Lorsque plusieurs de ces symptômes sont présents, différentes techniques d’imagerie sont employées afin de poser le diagnostic de manière précise : échographie abdominale, tomodensitométrie, écho-endoscopie ou encore imagerie à résonnance magnétique [Hidalgo et al. 2015137]. L’écho-endoscopie rétrograde semble être la plus adaptée pour détecter les lésions précoces de bas grade au niveau du pancréas et pour effectuer un prélèvement indispensable au diagnostic final [Hidalgo et al. 2015137].

Plusieurs cas se présentent. La tumeur n’est opérable que dans 10-20% des cas. L’envahissement des vaisseaux sanguins environnant par la tumeur élimine définitivement la possibilité d’intervention chirurgicale (80-90% des patients). En l’absence de métastase, la tumeur est considérée localement avancée (30-40% des cas), tandis le diagnostic métastatique est le plus courant (50-60% des cas). Le critère d’opérabilité est déterminant dans la mise en place du traitement du patient (Fig. 11A, C).

53 Figure 11 : Diagnostic de l’ADKP : de l’opérabilité au traitement le plus adapté. A) Les différents critères d’opérabilité de la tumeur [Ryan et al. 201482]. B) Schéma de la procedure de Whipple (Mayo foundation for medical education and research). C) Les patients atteints d’ADKP sont pris en charge différemment en fonction de leur opérabilité, du statut métastatique de la tumeur, ainsi que de la réponse au traitement entamé [Hidalgo et al. 2015137].

Patients opérables – tumeur localisée

Lorsque la tumeur est localisée et n’envahit pas les vaisseaux sanguins environnant, une résection est effectuée dans les meilleurs délais. Si la tumeur est localisée dans la tête du pancréas, une pancréato-duodenectomie est réalisée selon la procédure de Whipple (Figure 11B). Si la tumeur est localisée dans la queue du pancréas, une pancréatectomie est réalisée, souvent accompagnée d’une splénectomie [Ryan et al. 201482]. A la suite de l’opération, les marges chirurgicales sont analysées afin de déterminer le degré de résection. Une résection R0 correspond à l’absence de cellules tumorales au niveau des marges. R1 correspond à la détection microscopique de cellules tumorales en marge, alors que R2 correspond à la détection macroscopique des cellules tumorales. S’il est déterminé avant l’intervention que le statut R0 ne pourra pas être atteint, alors le patient n’est pas opéré. Etant donné le faible taux de survie des patients opérés, un traitement chimiothérapeutique adjuvant s’est vite avéré nécessaire et

54 bénéfique [Stocken et al. 2005148 ; Boeck et al. 2007149 ; Liao et al. 2013150]. Alors que le traitement de référence est la Gemcitabine au sein de l’Union Européenne, le 5FU (5-Fluoro-Uracile) est majoritairement utilisé outre-atlantique, seul ou en combinaison avec de la radiothérapie (chimioradiothérapie). La Gemcitabine est un analogue de déoxycytidine, elle bloque la synthèse de dCTP ainsi que la synthèse d’ADN (voir Figure 17 pour le mécanisme). Le 5FU est un analogue de l’Uracile et va en tant que tel permettre de bloquer la synthèse de de dTTP ainsi que la transcription en s’incorporant à l’ARN. Les deux molécules entraînent la mort de la cellule proliférative par apoptose. Le 5FU et la Gemcitabine ont un bénéfice similaire sur la survie des patients ainsi que sur leur qualité de vie [Liao et al. 2013150 ; Oettle 2014151]. Les chimioradiations combinées au 5-FU n’améliorent pas la survie des patients et entraîne davantage de toxicité [Liao et al. 2013150]. C’est pourquoi l’utilisation des radiations est controversée aujourd’hui. Récemment, les résultats intermédiaires d’une étude clinique de phase III au Japon a montré qu’une solution orale S-1 améliorait le taux de survie à 2 ans comparé à la Gemcitabine (70% vs 53%), ainsi que le nombre de patients sans rechute 2 ans après le début du traitement (49% vs 29%) [Fukutomi et al. 2013152]. La solution S-1 est composée de Tegafur (pro-médicament du 5FU), Gimeracil (inhibiteur des enzymes qui dégradent le 5FU) et Oteracil (inhibe la phosphorylation du 5FU afin de réduire la toxicité gastro-intestinale). De manière intéressante, une étude clinique a montré qu’un traitement néoadjuvant (Gemcitabine, 5FU, mitomycin C) précédant l’opération n’améliorait pas la survie des patients, alors qu’un traitement néoadjuvant aurait pu avoir un effet bénéfique sur la composition en cellules tumorales des marges chirgurgicales. L’espérance de vie moyenne des patients opérables est d’environ 20 mois (Fig. 11C).

Patients inopérables – tumeur localement avancée

Lorsque la tumeur envahit les vaisseaux sanguins alentours (Fig. 11A), mais qu’aucune métastase n’est détectée, elle est dite « localement avancée ». Le patient reçoit en première intention une chimiothérapie néo-adjuvante (Gemcitabine, 5FU, Folfirinox) afin de ralentir la progression de la maladie et même de réduire la tumeur afin de la rendre opérable [Sultana et al. 2007153 ; Gillen et al. 2010154 ; Hidalgo et al. 2015137]. La moyenne de survie des patients dont l’opération est réalisable est équivalente à celle des patients opérables ayant reçu une chimiothérapie adjuvante, alors que l’absence d’opérabilité fait chuter la survie moyenne à 10 mois (Fig. 11C). Récemment, une étude japonaise a montré que la combinaison Gemcitabine + S1 améliorait la survie des patients localement avancés. Quant à la radiothérapie, son effet, seul ou en combinaison avec des chimiothérapies, est très controversée [Hidalgo et al. 2015137]. Il

55 est important de noter qu’un essai clinique de phase I a permis de montrer que l’irinotecan (un inhibiteur de l’ADN topoisomérase I) sensibilise la tumeur au bénéfice des radiations, avec une survie des patients traités avec cette chimio-radiothérapie de 12,5 mois [de la Fouchardière et al. 2010155].

Patients inopérables – dissémination métastatique

70% des décès de patients atteints de cancer du pancréas concernent les patients diagnostiqués avec une dissémination métastatique. Le cancer du pancréas métastase majoritairement au foie, dans la cavité abdominale, et aux poumons [Ryan et al. 201482]. Pour ces patients, seule une chimiothérapie palliative est envisageable, mais la médiane de survie n’est que de 5-9 mois (Fig. 11C). Le traitement chimiothérapeutique de référence reste la gemcitabine [Hidalgo et al. 2015137]. Cependant, plusieurs essais cliniques ont montré le bénéfice des combinaisons chimiothérapeutiques.

En 2007, la combinaison Erlotinib + gemcitabine s’est montré légèrement plus efficace que le traitement gemcitabine seul (6,24 mois vs 5,91 mois) [Moore et al. 2007156]. Cependant l’effet limité de cette combinaison ainsi que sa toxicité associée n’ont pas permis de l’établir comme traitement de référence [Ryan et al. 201482; Hidalgo et al. 2015137].

La combinaison gemcitabine/nab-paclitaxel permet d’augmenter sensiblement la survie des patients métastatiques en comparaison avec la gemcitabine seule (8,5 vs 6,7 mois) [Von Hoff et al. 2013157]. Le nab-paclitaxel est du paclitaxel couplé à de l’albumine, qui permet de mieux solubiliser la molécule dans le sang et ainsi de s’affranchir de l’utilisation de solvants toxiques. Autre effet intéressant, l’albumine peut permettre le recrutement du paclitaxel au niveau de la tumeur grâce à son interaction avec les récepteurs gp60 et cavéoline-1, ainsi qu’avec la protéine matriciel SPARC (secreted protein acidic and rich in cysteine), notamment présente dans le tissu fibrotique de l’ADKP. Cependant, de récentes études montrent que l’effet du nab-paclitaxel est indépendant de la présence ou non de la protéine SPARC [Neesse et al. 2013158], et que le niveau d’expression de la protéine SPARC chez les patients ne prédit pas l’efficacité du nab-paclitaxel [Hidalgo et al. 2015b159]. Il a récemment été publié un essai clinique recommandant l’utilisation du 5-FU comme seconde ligne de traitement après le traitement de première ligne gemcitabine/nab-paclitaxel.

Le Folfirinox (fluorouracil, irinotecan, oxaliplatin, et leucovorin) est le traitement le plus prometteur des 20 dernières années, puisque les patients métastatiques traités ont une moyenne de survie de 11,1 mois contre 6,8 mois pour les patients traités avec la Gemcitabine, et retarde

56 la dégradation de l’état de santé des patients [Conroy et al. 2011160]. Cependant, il faut noter que la combinaison gemcitabine/nab-paclitaxel et le traitement FOLFIRINOX ont démontré davantage de toxicité comparé à la Gemcitabine. Ceci implique que seuls les patients les plus jeunes et en bonne condition de santé sont éligibles pour de telles chimiothérapies [Von Hoff et al. 2013157 ; Conroy et al. 2011160].

Entre 40 et 50% des patients recevant un traitement de première ligne sont éligibles pour un traitement de seconde ligne. Une activité clinique a été démontrée avec la combinaison 5-FU/oxaliplatine en tant que traitement de seconde ligne, mais aussi avec FOLFIRI (5-FU, irinotecan and leucovorin) lorsque la Gemcitabine a été administrée en première intention. La Gemcitabine est également bénéfique en deuxième ligne lorsque les patients ont été traités en première ligne avec le FOLFIRINOX [Hidalgo et al. 2015137].

Influence de l’état de santé du patient sur la survie

Un des paramètres les plus importants, aussi bien dans la décision thérapeutique que dans la réponse au traitement, est l’état de santé des patients. L’état nutritionnel des patients est primordial, comme le montre le bénéfice de la supplémentation en enzymes digestives des patients atteints de tumeur pancréatique localement avancée [Bruno et al. 1998161]. De plus, les chimiothérapies combinatoires ne sont pas efficaces chez les patients avec un état de santé dégradé au moment du diagnostic [Heinemann et al. 2008162 ; Locher et al. 2008163]. Enfin, même s’il est difficile de l’évaluer en clinique, un soutien moral intensif est primordial au maintien d’un état de santé permettant de poursuivre le traitement chimio-thérapeutique jusqu’au bout [Ryan et al. 201482, discussion personnelle avec le Dr. Hingorani].

Suivi de la progression tumorale

Outre le suivi par imagerie de la progression tumorale, les marqueurs carcinoembryonic antigen (CEA) et carbohydrate antigen 19-9 (CA19-9), bien que non spécifiques, sont utilisées pour le suivi de la pathologie déjà diagnostiquée, et sont de bons marqueurs de l’avancée de la tumeur [Ryan et al. 201482].

b) Histologie de la tumorigénèse pancréatique

Trois types de lésions précurseurs ont été initialement identifiées : les Pancreatic Intra-epithelial Neoplasia (PanIN), les Intra-Papillary Mucinous Neoplasia (IPMN), et les Mucinous Cystic Neoplasia (MCN) (Fig. 12) [Hruban et al. 2007164]. Ces trois précurseurs sont considérés comme trois entités différentes d’un point de vue pathologique, anatomique, morphologique et

57 moléculaire. Les MCN sont détectées essentiellement au niveau du corps ou de la queue du pancréas, et leur origine canalaire est controversée due à l’absence de contiguïté avec l’arbre canalaire pancréatique. Elles sont caractérisées par des cellules en colonne remplies de mucine, avec un stroma de type ovarien à la base de l’épithélium néoplasique. Elles sont majoritairement détectées chez les quinquagénaires. Les IPMN sont détectées au niveau de la tête du pancréas puisqu’elles émergent depuis les canaux pancréatiques majeurs ou depuis le canal pancréatique principal. Une prolifération excessive de l’épithélium canalaire dysplasique mène à la formation de papilles à l’intérieur du canal, d’où leur nom. Ces projections papillaires peuvent obstruer le canal principal et mener à une pancréatite. Elles apparaissent davantage entre 70 et 80 ans. Cependant, les ADKP conventionnels émergent à partir de PanINs. L’analyse histologique de pancréas humains contenant un ADKP ont permis de mettre en évidence différents grades de PanINs : grade 1, 2, et 3. Les PanIN1 sont détectées à une distance plus importante de la tumeur en comparaison avec les PanIN-2 et 3 qui y sont adjacentes, suggérant une évolution graduelle des PanIN jusqu’au développement d’un ADKP [Ryan et al. 201482, Hingorani 2007165, Hruban et al. 2007164]. Les PanIn-1A ont un épithélium dysplasique et sont muco-sécrétantes, et le noyau reste en position basale. Les PanIN-1B présentent le même type d’épithélium, mais celui-ci commence à former des projections à l’intérieur du canal, en lien avec une prolifération excessive de l’épithélium. Au stade PanIN-2, la polarité des cellules épithéliales est perdue, les noyaux se retrouvent en position apicale. Au stade PanIN3, l’épithélium est pluristratifié, les projections papillaires sont importantes et la lame basale peut être diffuse sur le pourtour de la lésion. La caractérisation moléculaire des différentes lésions est décrite au prochain paragraphe. L’histologie de l’ADKP illustrée Figure 12 permet d’identifier ses principales caractéristiques : des lésions néoplasiques épithéliales inclues dans un stroma abondant pouvant représenter jusqu’à 80% de la masse de la tumeur. Cette réaction desmoplasique est caractérisée par la présence de nombreux fibroblastes activés (myofibroblastes) produisant en abondance des protéines de la matrice extracellulaire comme le collagène ou le hyaluronane. Cette fibrose dense comprime les vaisseaux sanguins, créant un environnement hypoxique et rendant les cellules tumorales difficiles d’accès pour les molécules chimiothérapeutiques. Les cellules du système immunitaire présentes sont de type immunosuppressives. Enfin la tumeur pancréatique est infiltrée par de nombreux nerfs, ce qui explique la douleur intense ressentie par les patients et est à l’origine de l’invasion périneurale,mais aussi de la rechute locale après intervention chirurgicale.

58 Figure 12 : Histologie et génétique de la tumorigénèse pancréatique. A) L’ADKP est associé à 3 types différents de lésions : les Mucinous Cystic Neoplasms (MCN), les Intra-Papillary Mucinous Neoplasms (IPMN), et les Pancreatic Intraepithelial Neoplasia (PanIN). Parmi ces dernières, 4 grades de sévérité croissante ont été identifiés : PanIN 1A, 1B, 2, et 3. L’ADKP est caractérisé par un stroma abondant composé de mactrice extracellulaire et de nombreuses cellules non-épithéliales. B) La progression génétique correspond à la

progression histologique avec l’acquisition de la mutation oncogénique KRASG12D dans 95% des cas, et la perte de fonction de gènes suppresseurs de tumeur tels que CDKN2A, TP53,

DPC4 [D’après Bardeesy et al. 2006166].

c) Génétique du cancer du pancréas

Les mutations activatrices de l’oncogène KRAS (KRASG12D et KRASG12V) sont considérées comme le moteur de la progression tumorale. En effet elles sont détectées chez 95% des patients atteints d’ADKP [Almoguera et al., 1988167; Smit et al., 1988168], et se retrouvent dans les différentes lésions précurseurs. Ces mutations sur-activent en aval de RAS d’importantes voies de signalisation impliquées dans les processus de tumorigénèse comme les voie MAPK et PI3K (Figure 13).

Les MCN sont les précurseurs de l’ADKP les moins fréquents, et sont par conséquent les moins caractérisés d’un point de vue génétique. Les mutations activatrices de l’oncogène Kras

59

et

Figure 13 : La voie de signalisation RAS. Des facteurs de croissance comme l’EGF sont capables d’activer, via des récepteurs Tyrosine kinase, la kinase RAS (RAS-GTP est sa forme active). RAS déclenche en aval un large éventail de signalisation en activant les voies RAF/MAPK et PI3K notamment (D’après Downward 2003169).

les mutations de TP53 ont été reportées dans les MCN de haut grade, et la délétion de Smad4/DPC4 est quasi universelle dans les carcinomes invasifs associés aux MCN [Hingorani 2007165 ; MacGregor-Das et al. 2013170]. On retrouve également les mutations Kras et p53 dans les lésions de type IPMN, même si c’est à une fréquence inférieure. La perte de SMAD4/DPC4 n’est jamais observée dans les IPMN. Cependant, les IPMN possèdent une signature mutationnelle spécifique qu’elles ne partagent ni avec les MCN, ni avec les PanINs : ce sont les mutations inactivatrices de STK11/LKB1 et les mutations activatrices de PIK3CA.