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Effet du TGF EE sur le microenvironnement de la tumeur pancréatique

intégrée de son rôle dans la tumorigénèse pancréatique

2) Effet du TGF EE sur le microenvironnement de la tumeur pancréatique

Une des principales caractéristiques communes des cancers exprimant le TGFE en forte quantité est une importante réaction desmoplasique [Pickup et al. 2013477], caractérisée par la présence non seulement de nombreux types cellulaires différents tels que les fibroblastes, les cellules immunitaires, les cellules endothéliales et les cellules nerveuses, mais aussi d’une abondante matrice extra-cellulaire [Ying et al. 2016450].

a) TGFE et fibroblastes associés au cancer

Le processus de fibrose comprend plusieurs aspects : recrutement des fibroblastes, conversion des fibroblastes en myofibroblastes, production de matrice extracellulaire (MEC), et inhibition de la collagénolyse, des mécanismes très semblables à ceux opérant durant la cicatrisation [Morikawa et al. 2016369].

La première constatation du rôle fibrotique du TGFE a été faite par Roberts et al. [1986380], lorsqu’ils ont observé des lésions fibrotiques au niveau du site d’injection sous-cutané chez la souris de TGFE1 purifié. Une forte réaction fibrotique au niveau des poumons est également observée après l’injection intra-trachéale chez le rat d’adénovirus exprimant un TGFE1 actif [Sime et al. 1997478].

Les souris déficientes pour SMAD3 sont résistantes à la fibrose pulmonaire induite par injection de bléomycine, à la fibrose cutanée induite par irradiation, et à la fibrose rénale engendrée par obstruction urétrale [Morikawa et al. 2016369]. Les souris déficientes en intégrines DvE6 sont également résistantes à la fibrose pulmonaire induite par la bléomycine [Morikawa et al. 2016369]. Enfin le TGFE induit l’expression de CTGF, un facteur de croissance pro-fibrotique [Korc et al. 2007479]. Toutes ces études s’accordent pour dire que le TGFE promeut la progression fibrotique. Une des fonctions clefs du TGFE dans l’induction de la fibrose est l’induction de la différenciation des PSCs en myofibroblastes, ce qui résulte en une augmentation de la production de collagène et du remodelage matriciel [Desmoulière et al. 1993 480; Sime et al. 1997478 ; Apte et al. 1999481]. Cette induction se fait par communication paracrine, via le TGFE et le PDGF [Bachem et al. 2005482]. En retour, les fibroblastes soutiennent la prolifération et la migration des cellules cancéreuses, particulièrement dans le

129 cas du cancer du pancréas [Bartholin et al. 2012483 ; Stromnes et al. 2014222 ; Wilson et al. 2014484] (Fig. 30).

Des stratégies d’inactivation de la signalisation TGFE ont un rôle anti-fibrotique très intéressant dans le contexte de nombreuses pathologies (rein, cœur, foie, poumons), mais aussi dans le cancer puisqu’une signature transcriptionnelle caractéristique de l’activation des myofibroblastes par le TGFE est associé à un mauvais pronostic dans le cancer du poumon [Navab et al. 2011485]. Notamment, l’activation du récepteur à la vitamine D, PPAR-g ou NR4A1 sont capables d’inhiber l’activation des fibroblastes par TGFE [Morikawa et al. 2016369]. Cependant, l’inactivation de la voie de signalisation TGFE dans le compartiment fibroblastique accélère la progression tumorale de tumeurs du sein, de la prostate, et de mélanomes, principalement via le recrutement d’une inflammation pro-tumorale [Achyut et al. 2013486 ; Pickup et al. 2013477]. Dans le cadre du cancer du pancréas, une récente étude du groupe du Pr. Grippo montre que la délétion ubiquitaire du récepteur de type 1 au TGFE ralentit la progression tumorale alors que l’expression d’un dominant négatif de TERII dans l’épithélium pancréatique accélère le développement des lésions cancéreuses. Par soustraction, et par caractérisation histologique, ils en déduisent que l’inhibition de la voie de signalisation TGFE dans le compartiment fibroblastique et immunitaire est responsable du ralentissement de la progression tumorale [Principe et al. 2016438]. L’existence de recombinases autres que la Cre recombinase permet désormais de modifier génétiquement les différents compartiments d’une tumeur, et est indispensable pour étudier le rôle du TGFE dans chacun des compartiments du stroma dans un contexte tumoral.

b) Contexte immunosuppresseur de l’ADKP

Nous avons vu précédemment que l’un des majeurs rôles du TGFE sur le système immunitaire passe par la régulation de l’homéostasie des lymphocytes T, correspondant à un mécanisme général d’immunosuppression.

Cette immunosuppression est très présente dans le cancer du pancréas [Makohon-Moore et al. 2016487], et ce dès les étapes précoces de la tumorigénèse [Clark et al. 2007242]. En particulier il a été montré que le TGFE pouvait induire, dans un contexte tumoral pancréatique, la conversion des lymphocytes T CD4+ en lymphocytes T CD4+/FoxP3+ ou encore Treg. Le

130 bloquage de la signalisation TGFE avec un anticorps bloquant permet de restaurer une population CD4+ effectrice, bien que son effet sur la progression n’ait pas été évalué dans cette étude [Moo-Young et al. 2009488]. Ces Treg inhibe l’activation des lymphocytes T cytotoxiques et empêche donc la réponse immunitaire adaptative anti-tumorale. Par ailleurs, les Treg peuvent aussi promouvoir la progression tumorale via la sécrétion de cytokines pro-tumorales comme le TGFE, NFNB, ou le TNFD [Byrne et al. 2011489]. Le blocage de la signalisation TGFE dans les lymphocytes T est une stratégie intéressante en tant que thérapie anti-cancéreuse [Gorelik

Figure 30 : Rôle du TGFEE dans le micro-environnement tumoral de l’ADKP. Le TGFE agit sur chacun des compartiments du micro-environnement tumoral, et est responsable du maintien de la fibrose et de l’immuno-suppression. Bien que son rôle sur le tissu nerveux ne soit pas bien déterminé, il est potentiellement impliqué dans les phénomènes de remodelage neural et d’hyperalgésie. Abbréviations : PSC, Pancreatic Stellate Cell ; MEC, Matrice Extra-Cellulaire ; CTGF, Connective Tissue Growth Factor ; PDGF, Platelet Derived Growth Factor; NGF, Nerve Growth Factor; TEM, Transition Epithélio-Mésenchymateuse; TNFD, Tumor Necrosis Factor D; NFNB, Nuclear Factor NB, IL, Interleukin; TAM M2, Tumor Associated Macrophage type M2; Treg, lymphocytes T régulateurs; CTL, lymphocytes T cytotoxiques ; DC, Cellules Dendritiques.

131 et al. 2001490]. Une étude récente de Principe et al. [2016438] apporte un complément d’information intéressant dans le cadre de l’ADKP. En effet, dans des souris présentant une activation de KrasG12D dans l’épithélium pancréatique, et une inactivation systémique de la voie de signalisation TGFE, les auteurs identifient sur le site de la tumeur, mais pas dans la circulation, des populations de lymphocytes T CD4+Foxp3+ (Treg) et CD8+CD69- (lymphocytes T cytotoxiques CTL non activés). La déplétion du répertoire T ou bien alors seulement des CTL n’aggrave pas la progression des lésions, suggérant une immunosuppression quasi-totale au niveau des lésions cancéreuses pancréatiques. Enfin, de manière intéressante, le transfert adoptif de cellules T CD8+ génétiquement modifiées pour ne plus répondre au TGFE entraîne une réponse cytotoxique envers les cellules néoplasiques. Ces travaux confirment que l’inactivation du répertoire T par le TGFE est un évènement majeur de la progression tumorale (Fig. 30).

Le TGFE peut également induire la conversion des macrophages associés aux tumeurs (Tumor Associated Macrophages, TAMs) en TAMs de type M2, un phénotype favorisant la progression tumorale [Yang et Moses 2010491]. Les TAMs de type M2 ont de nombreuses fonctions telles que l’immunosuppression, vascularisation, invasion et métastase, cellules souches cancéreuses [Mielgo et al. 2013492]. Ils sécrètent des cytokines immunosuppressives telles que IL10 ou TGFE, ce qui bloque l’activation des cellules T effectrices [Biswas et Mantovani 2010493]. Le TGFE et IL10 produit par les cellules tumorales pancréatiques participent également à l’immunosuppression via l’inhibition de la prolifération et de la fonction des cellules dendritiques [Bellone et al. 2006494]. Les TAMs M2 encouragent également la progression tumorale via l’activation dans les cellules tumorales des voies de signalisation RANTES, TNFD, IL-1D, ou IL-6 [Deschênes-Simard et al. 2013495] (Fig. 30).

La déplétion chimique des TAMS in vivo bloque le développement de l’ADM suite à l’induction d’une pancréatite [Liou et al. 2013123], suggérant un rôle pro-tumoral des macrophages dès les premières phases de la tumorigénèse pancréatique. De manière intéressante, la présence de macrophages de type M2 au niveau de l’invasion du plexus neural est facteur de mauvais pronostic chez les patients opérables, avec ou sans thérapie adjuvante [Sugimoto et al. 2014]. Ces macrophages peuvent également être la source de NGF (Nerve Growth Factor) [Lindsay et al. 2005496], une cytokine connue pour remodeler le tissu neural et déclencher les signaux de douleurs au niveau des fibres nerveuses [Bapat et al. 2011206] (Fig.

132 30). Le TGFE est capable d’activer le NGF dans d’autres types cellulaires [Haas et al. 2009497, résultats non publiés du laboratoire]. Ainsi, il est possible que le TGFE active l’expression du NGF dans les macrophages de type M2.

Bien que le TGFE ait de nombreux autres rôles immuno-suppressifs potentiellement actifs dans le cadre du cancer du pancréas, aucune évidence directe de son rôle sur les MDSCs, sur les lymphocytes B, sur les neutrophiles ou sur les NK [Yang et Moses 2010491] n’a été démontrée dans le cadre de l’ADKP. L’altération de la voie de signalisation TGFE spécifiquement dans chacun des compartiments est difficile à réaliser en raison de l’absence des promoteurs spécifiques pour diriger l’expression des recombinases. En revanche, l’influence d’une inactivation systémique du TGFE sur les différents compartiments immunitaires de la tumeur pancréatique permettra d’identifier les cellules sensibles au TGFE dans la tumeur pancréatique humaine. L’anticorps monoclonal 2G8 contre le récepteur de type II au TGFE développé par Eli Lilly and Company réduit le tumorigénèse pancréatique via la perturbation du compartiment fibroblastique, mais le statut des différentes cellules immunitaires n’a pas été évalué dans cette étude [Ostapoff et al. 2014498].

c) TGFE et innervation de la tumeur

L’ADKP est une tumeur très innervée, non seulement à cause de l’invasion tumorale locale au niveau des plexus nerveux à proximité de l’organe, mais également à cause d’un important remodelage neural qui s’effectue au cours de la tumorigénèse [Bapat et al. 2011206]. Plusieurs études suggèrent fortement que le TGFE pourrait participer directement ou indirectement à ce remodelage neural et la douleur ressentie par les patients atteints d’ADKP.

Dans le contexte de la tumeur pancréatique, nous avons vu que le TGFE est capable d’induire l’expression de NGF, facteur neurotrophique majeur, au sein des TAMs M2, mais également des PSCs [Haas et al. 2009497]. Le NGF est un signal nociceptif important et peut donc contribuer à la douleur induite par le TGFE. Le TGFE active aussi l’expression d’Artemin dans des PSCs humains, ce qui corrèle avec la douleur, l’inflammation, l’infiltration de cellules inflammatoires dans l’espace périneural, ainsi qu’avec l’hypertrophie du tissu neural [Ceyhan et al. 2007499]. Le TGFE peut aussi avoir un rôle direct sur les cellules neurales, puisqu’il a été décrit comme un facteur neurotrophique pour les neurones sensoriels il y a de nombreuses années [Chalazonitis et al. 1992500]. Il est également impliqué dans le processus nociceptif [Lantero et al. 2012501]. Par exemple, le TGFE induit l’hyperexcitabilité, l’hyperalgésie, et

133 contribue à la douleur chez des rats atteints de pancréatite chronique [Zhu et al. 2012502] (Fig. 30). Le potentiel thérapeutique d’une inactivation systémique du TGFE sur l’invasion périneurale et la modulation de la douleur n’est pour l’instant pas établi.

d) Conclusion

Alors que le rôle du TGFE sur la cellule épithéliale tumorale pancréatique dépend du stade de la tumeur et du contexte génétique et moléculaire, ses actions pro-fibrotiques et immunosuppressives sont relativement stables et invariables. On comprend ainsi le challenge d’une inhibition systémique du TGFE dans le cadre de la tumorigénèse pancréatique, le risque étant d’engendrer une prolifération accrue et soudaine tout en libérant les contraintes physiques du stroma, de telle manière que l’immunité restaurée ne serait pas capable de venir à bout de la charge tumorale. Nous allons maintenant faire le bilan des essais précliniques et cliniques en cours et à venir, impliquant une inhibition du TGFE dans l’ADKP.