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L’ ACCROISSEMENT LOCAL DES SURFACES CULTIVEES

Dans le document Le maïs et le Béarn de 1945 à 1960 (Page 158-164)

LES AVANCEES EN MATIERE DE PRODUCTION

A- L’ ACCROISSEMENT LOCAL DES SURFACES CULTIVEES

Au milieu des années cinquante, Louis Saint-Martin lance un nouveau chantier, dont la réalisation lui paraît la plus problématique et incertaine : celui de l’extension dans le département des surfaces consacrées à la culture du maïs.

Dans les colonnes du journal Le Sillon, en décembre 1955, Louis Saint- Martin passe en revue les divers moyens qui doivent permettre de parvenir à ce résultat. Il évoque l’acquisition de nouvelles terres ou l’inclusion de prairies permanentes dans l’assolement, avec création, à la place, de prairies temporaires. Une autre solution consiste à agrandir les parcelles par la suppression des haies, talus et fossés, et la réduction des fourrières. Il relève l’écart qui existe entre les surfaces cadastrées et les surfaces réellement plantées, écart par ailleurs mis en évidence à l’occasion des concours de maïs, qui est de l’ordre de 15 à 20 %, et qui peut atteindre 25 % pour les petites exploitations. Il n’ignore pas que ces aménagements peuvent nuire au joli aspect bocager des campagnes béarnaises et basques, et souligne que les haies servant de coupe-vent doivent être conservées.

Le remembrement et le regroupement parcellaire servent aussi à poursuivre l’objectif, notamment dans les vallées. Le remembrement est une opération nationale qui met en œuvre des moyens importants sur tout le territoire, afin de pallier le grand morcellement des terres cultivables.

A-1 Le défrichage des terres incultes

a- Les objectifs à atteindre

Mais le moyen d’action le plus efficace visé par le directeur des services agricoles pour accroître les terres labourées est celui du défrichage des touyas. Il s‘agit de terres incultes qui servent depuis des temps ancestraux aux paysans bas-pyrénéens de terres à litière et pacage. Louis Saint-Martin pense qu’une partie au moins de ces terres peut être récupérée pour la culture du maïs. Il cite nommément des agriculteurs béarnais, des pionniers, qui ont ainsi gagné de la terre sur les touyas. Il estime à plusieurs dizaines de milliers d’hectares les surfaces qui peuvent être rendues productives dans le département. Il fait observer que l’on dispose maintenant de matériels modernes et de formules élaborées d’enrichissement des sols qui permettent d’envisager une telle opération sur une grande échelle dans des conditions économiques réalistes.

Louis Saint-Martin n’ignore pas les obstacles qui vont se dresser sur la route et les énumère. Le plus sérieux est celui de la propriété. Bien souvent, les touyas sont propriété collective des municipalités et syndicats de communes. Et le petit paysan est attaché aux usages anciens. Pour surmonter les obstacles juridiques, il pense à la solution de baux de longue durée portant sur une partie des terres concernées, expérience qui est en cours à Serres-Castet, au nord de Pau. Il y aura lieu, au préalable, de sonder et d’analyser les sols afin de s’assurer de leur valeur culturale.

Louis Saint-Martin énumère les opérations successives à réaliser, depuis le défrichage à l’aide de rotavators, jusqu’à la mise en culture. Il souligne qu’il ne faudra pas passer directement du touya à la céréale du Sud-Ouest, des cultures de seigle, avoine, millet, pommes de terre devront précéder l’ensemencement en maïs qui n’est envisagé qu’en quatrième année. Et une meilleure fumure permettra de récupérer autant de soutrage que par le passé sur les surfaces réduites conservées en touyas.

L’objectif est de permettre à de nombreuses fermes d’atteindre une dimension fiable, par le gain ainsi procuré de quelques hectares sur les terres incultes, et de rentabiliser correctement par la même occasion les investissements réalisés en machinisme. Et Louis Saint-Martin mise sur le dynamisme et la soif de progrès des jeunes agriculteurs pour attaquer ce « magnifique chantier »116.

De fait, il trouve le relais idéal au niveau du cercle départemental des jeunes agriculteurs, acquis à la cause du progrès. Louis Saint-Martin participe à la première assemblée générale du cercle, qui se tient le lundi 26 mars 1956 à la Maison Justin-Blanc à Pau, sous la présidence d’Hubert Buchou. Dans le courant de l’allocution générale qu’il prononce, Louis Saint-Martin aborde la question du défrichage des touyas. Il attire l’attention des jeunes sur l’enjeu que représente pour eux la mise en œuvre de cette opération. Il leur suggère de faire l’inventaire, canton par canton, des terres susceptibles de devenir cultivables. Il prévoit de faire une synthèse des possibilités qui seront inventoriées au niveau départemental, et d’engager ensuite des discussions avec les maires des communes concernées pour concrétiser des ventes ou des locations de longues durée de parcelles. Il rappelle l’objectif de parvenir à une taille d’exploitation fiable, rentable, allant de pair avec la motorisation117.

Louis Saint-Martin poursuit en parallèle l’objectif d’augmenter la productivité des touyas, pour accompagner et compenser la réduction de leur superficie engendrée par la mise en culture. En 1956, la direction des services agricoles procède à des essais de fumure de touyas dans douze champs de démonstration. De fait, les parcelles avec engrais produisent 50 % de plus de tuie utile à l’exploitation que les parcelles sans engrais. Les essais permettent aussi de définir les modes de labourage les plus appropriés, et les apports d’engrais susceptibles de pallier le plus la pauvreté en acide phosphorique et en potasse des terres récupérées. Les quantités à utiliser sont calculées de manière précise, et un plan d’assolement est proposé, plaçant le maïs en quatrième et cinquième année118.

La direction des services agricoles poursuit ses essais de fumure des touyas. Sept essais démonstratifs sont ainsi réalisés en 1958, et contrôlés en 1959. Ils confirment les gains de production de tuie engendrés par l’usage des engrais119.

b- La phase décisionnelle

Lors de sa session en date du 18 novembre 1957, la chambre d’Agriculture des Basses-Pyrénées se penche sur les résultats d’une enquête menée par le Génie rural au niveau du département, et entend celui qui l’a réalisée, l’ingénieur en chef Mallet. L’étude porte, pour

117 Le Sillon 15 avril 1956 118

Le Sillon 15 mai 1957

l’essentiel, sur la question de savoir quelles sont les communes favorables au défrichage. Sur cinq cent soixante communes que comptent les Basses-Pyrénées, trois cents ont répondu, et cent quatre- vingt-dix ont indiqué qu’elles étaient intéressées par l’opération. Elles ont communiqué la surface totale des landes et touyas de leur commune, qui atteint 69 445 hectares, et la surface qu’elles estiment propices au défrichage, soit 17 078 hectares. En outre, soixante-deux communes sont intéressées par des opérations de remembrement, et quatre-vingt-sept par des échanges amiables.

Le Génie rural a également réalisé une étude sur le coût des diverses opérations du défrichage : débroussaillage, dessouchage, arrachage de haies, comblement des fossés, réfrichement, clôtures, amendements calcaires et apports d’engrais. Cette enquête doit être suivie de décisions gouvernementales, et la question se pose du cadre de distribution des subventions qu’il faudra retenir. La question est débattue par la chambre d’Agriculture, les intervenants pensent que la constitution d’associations foncières dédiées aux opérations serait une bonne solution.

À la suite de cet exposé, Louis Saint-Martin présente un rapport très complet sur ce sujet de la mise en valeur des landes et touyas. Il se félicite du résultat de l’enquête. Le risque était en effet que les agriculteurs apportent des réponses négatives, Louis Saint-Martin savait devoir compter avec le « mythe du touya », sur l’attachement ancestral des paysans, en particulier les moins fortunés, au droit de vaine pâture, même si celle-ci était bien maigre. Par ailleurs, la faiblesse des moyens techniques de défrichage contribuait jusque-là à la renonciation à ce type d’opération. La motorisation change les données du problème. Louis Saint-Martin est persuadé qu’il sera possible de produire autant de litière, voire plus, sur des surfaces plus réduites, ceci par l’utilisation d’une fumure phospho-potassique. Et de plus, le sol des touyas est bien pourvu en azote organique. Il considère qu’une extraordinaire richesse dort ainsi dans ces sols, depuis des millénaires. Il dit que la motorisation sera« la fée magique qui réveillera ce trésor ».

Le directeur des services agricoles évoque les options de culture qui permettraient de semer du maïs sans attendre la quatrième année après le défrichage. Il a observé que certains agriculteurs sèment dès la première année de la prairie temporaire, ce qui permet d’envisager des assolements plus performants. Il signale que l’institut national agronomique a réalisé une étude sur la mise en valeur des landes du Pont-Long, situées au nord de Pau, à la demande du comité d’expansion économique. Cette étude confirme l’intérêt économique du projet de défrichage. Louis Saint-Martin estime que les obstacles techniques

peuvent être considérés comme surmontés. Il note une évolution psychologique favorable des agriculteurs, plus rapide que prévue. Il reste à trouver les solutions juridiques et financières. Il pense que toute solution passe par l’établissement d’un plan communal de lotissement des landes, soigneusement étudié pour que les surfaces soient réparties de manière équitable entre les agriculteurs afin de leur permettre d’agrandir leurs exploitations. Une partie des terres défrichées pourrait également recevoir des fermes nouvelles. Un tel plan devrait être agréé par les services compétents, ce qui ouvrirait la voie à l’obtention de subventions. Et Le dégagement de 30 000 à 40 000 hectares de culture supplémentaires est un enjeu considérable pour le département des Basses-Pyrénées, qui ne compte que 230 000 hectares de terres labourables.

Le président Louis Bidau remercie Louis Saint-Martin pour son brillant exposé. La chambre d’Agriculture décide, après discussion, de préparer une demande de subvention, dans les conditions de celles qui ont été accordées pour les landes de Gascogne, à laquelle seront jointes les conclusions du débat qui vient d’avoir lieu120. C’est un sérieux problème de financement qu’il va falloir résoudre. Louis Saint-Martin évalue à trois milliards de francs le montant des prêts à négocier sur une durée de vingt ans, à faible taux d’intérêt, pour mener à bien cette grande opération de défrichage.

A-2 Les échanges et le remembrement

Des dispositions légales visent à favoriser les échanges amiables de terres entre agriculteurs. Un décret du 20 décembre 1954 a voulu encourager les initiatives individuelles, trop rares en la matière, et a décidé d’une diminution sensible des frais afférents à ce type d’opération. Le décret et ses textes d’application instaurent des comités composés du maire et de quatre à six propriétaires de la commune. Il accorde l’exemption du droit sur les mutations immobilières à titre onéreux frappant les soultes et les plus-values. Il accorde à l’échangiste une aide égale à cinq fois l’impôt foncier ayant frappé la parcelle dont il est attributaire. Les frais de notaire et d’hypothèque sont réduits. Ces comités d’échange doivent être constitués avant le 31 décembre 1958. La fédération syndicale départementale suscite des réunions d’information auxquelles sont conviés des techniciens du Génie rural121. Le 17 novembre 1958, la chambre d’Agriculture des Basses- Pyrénées émet un vœu pour que soit prorogée la date limite de

120

Le Sillon 15 janvier 1958

fondation des comités communaux d’échanges amiables au 31 décembre 1960. Elle doit expirer au 31 décembre 1958. Les populations rurales, en effet, n’ont pas été suffisamment informées des avantages du dispositif légal122.

Lors de son assemblée générale tenue le 21 avril 1960 à Pau, le cercle des jeunes agriculteurs syndicalistes du Béarn et du Pays basque vote une motion qui contient des demandes pour un remembrement obligatoire, avec mise en place des moyens en hommes et en crédits suffisants pour une réalisation totale dans les dix prochaines années. Elle contient aussi une demande pour la création de sociétés foncières professionnelles ayant pour objet de contrôler toutes les ventes et locations de biens agricoles123.

Hubert Buchou se préoccupe de la réalisation et surtout de l’accélération nécessaire du remembrement dans le département des Basses-Pyrénées. Il souhaite que de nouvelles mesures incitatives soient prises par les pouvoirs publics pour multiplier les opérations, telles que primes à l’hectare ou prêts spéciaux124. Il traite à nouveau de cette question de la structure des exploitations agricoles au cours du conseil d’administration de la fédération syndicale départementale tenu le 28 juillet 1960. Il présente un rapport qui fait l’objet d’un débat. Il est décidé d’une action auprès de la FNSEA nationale pour que le problème de l’évolution des structures soit pris en compte avec autant d’importance que celui de la fixation des prix125.

Les actions syndicales, impulsées pour une part importante par Hubert Buchou, vont influer sur les réflexions des pouvoirs publics et trouver quelques concrétisations dans la loi d’orientation agricole du 5 août 1960. Son titre III est consacré aux aménagements fonciers. Le but est d’encourager les diverses formes de regroupement volontaire de propriétés et d’exploitations non rentables. Des dispositions ont été directement inspirées par la FNSEA, elles visent à encourager la constitution de sociétés civiles d’exploitation agricole et de groupements de propriétaires et d’exploitants. Des textes à venir devront en préciser le régime juridique. Les articles 15 à 18 prévoient la constitution de sociétés régionales d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER). L’objet de celles-ci est d’acquérir des terres, librement mises à la vente ou incultes, qu’elles pourront 122 Le Sillon 15 décembre 1958 123 Le Sillon 1er mai 1960 124 Le Sillon 1er juillet 1960 125 Le Sillon 1er septembre 1960

exproprier afin de procéder à leur rétrocession après aménagement éventuel. La rétrocession doit se faire au plus tard cinq ans après l’acquisition. Pendant cette période transitoire, et sous certaines conditions, les SAFER peuvent donner les biens en location.

Le titre IV de la loi vise la mise en valeur du sol. L’article 19 codifie un droit de réquisition sur les terres incultes. Un exploitant agricole pourra ainsi récupérer des terres incultes situées au voisinage de son exploitation. Après mise en demeure d’exploiter restée sans effet, une expropriation en vue de la vente ou de la concession à un tiers pourra être décidée. Les terres incultes peuvent aussi donner lieu à la constitution d’un lotissement dont le but est de créer des parcelles rationnellement exploitables. Les SAFER peuvent racheter des lots126.

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