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170- Le rapprochement de deux biens, dont l’un fait figure d’accessoire de l’autre, ouvre

sur l’éviction du propriétaire de l’accessoire au profit du propriétaire du principal. Cette éviction le prive de manière définitive de son droit de propriété et s’apparente ainsi à une véritable expropriation, sinon du point de vue de la technique juridique, du moins dans la rigueur de ses effets1. Aussi les auteurs ont-ils tenté de justifier en droit un tel résultat : il n’est pas concevable de dépouiller sans autre forme de procès un propriétaire de son droit « absolu et sacré ». L’exercice est ardu et a conduit à des aveux d’impuissance2.

Le droit romain est de peu d’utilité à cet égard, dans la mesure où il n’offrait guère plus qu’une collection disparate de solutions pratiques3, inspirées par un souci d’équité4. Le terme même d’accessio désignait à Rome non un attribut du droit de propriété mais la chose accessoire elle-même5. Contre la casuistique romaine, les rédacteurs du Code civil, à la suite de Pothier6, ont tenté une approche systématique de la matière en regroupant sous le vocable d’accession la production de fruits par la chose et l’incorporation. Mais la théorie défendue par le Code civil dans ce domaine ne parvient pas à s’imposer à la diversité des situations qu’elle tente de fédérer. Le Code hésite d’ailleurs sur son fondement, en qualifiant tour à tour l’accession d’attribut de la propriété dans l’article 546 et de mode d’acquisition dans l’article 712.

Reflétant cette hésitation, la doctrine est divisée sur la justification technique de l’éviction du propriétaire de l’accessoire. Les théories à vocation syncrétique ne sont pas rares et leur cohérence s’en ressent. Néanmoins, les auteurs se rejoignent quant au caractère automatique de

1 Voir cependant J. Carbonnier, « Droit civil », T. III, « Les biens », PUF 2000 n° 217 c). Sur ce rapprochement, cf. supra n° 63 note 3.

2 Ainsi Ch. Beudant et P. Voirin, « Cours de droit civil français », T. IV, « Les biens » 1938 n° 337 : « Si,

entrant dans le détail, on se demande d’une manière plus précise, ce qu’est au juste l’accession, il est difficile de donner une réponse rigoureuse. Ni en droit romain, ni dans l’ancien droit, ni sous le Code civil on ne l’a jamais su exactement. »

3 En ce sens, G. Goubeaux, « La règle de l’accessoire en droit privé », LGDJ 1969 n° 179 ; J. Brissé Saint Macary, « De l’accession artificielle immobilière », thèse Bordeaux 1929 p. 12 ; F. Zenati et Th. Revet, « Les

biens », PUF 1997 n° 159 ; R. d’Aigneaux, « De l’accession à Rome et en France », thèse Caen 1878, p. 56 :

« La vérité est qu’il n’y a pas en droit romain d’idée unique qui relie entre elles toutes les hypothèses qu’on

désigne sous le nom d’accession ».

4 Ch. Beudant et P. Voirin, op. cit. n° 337.

5 Ch. Beudant et P. Voirin, ibidem ; G. Goubeaux, ibidem ; M. Planiol et G. Ripert, « Traité élémentaire de

droit civil », T. I n° 2717 ; J.-P. Bertrel, « L’accession artificielle immobilière. Contribution à la nature juridique du droit de superficie », RTD civ. 1994 p. 737 et suiv. spéc. p. 737 ; Ch. Demolombe, « Cours de Code napoléon », T. IX, 1875 n° 572.

l’accession. Intimement liée au phénomène qui la cause, l’accession lui emprunte sa réalité : l’éviction du propriétaire de l’accessoire se produit en même temps que l’union matérielle. L’accession est ainsi avant tout perçue comme un phénomène d’ordre matériel7, et comme telle, n’accède plus à la dimension d’une véritable règle juridique8. Elle a pour nécessité celle du phénomène avec lequel elle vient à se confondre.

171- Une autre analyse de l’accession peut cependant être proposée. Elle consiste à séparer

l’accession de la matière pour la réintroduire dans le droit. Le rapprochement de deux biens rend souhaitable la préservation de l’unité qu’ils tendent à former. Cependant, la divergence dans la personne de leur propriétaire incite au contraire à en prononcer la dissociation. D’où l’état de tension où se trouve la chose issue de l’union : elle est un bien qui tend à l’homogénéité en ce qu’il constitue une unité fonctionnelle mais qui demeure hétérogène en ce qu’il est formé de deux biens qui conservent des propriétaires différents.

- Lorsqu’une telle dissociation peut s’opérer sans dommages pour aucun des deux biens unis, l’éviction du propriétaire de l’accessoire, c’est-à-dire l’accession en tant que règle juridique, révèle un choix du droit en faveur de l’unité et au détriment de ce dernier. Dans le conflit entre les propriétaires du principal et de l’accessoire, l’unité est préservée entre les mains de celui qui peut le plus légitimement y prétendre, c’est-à-dire le propriétaire du principal.

- Lorsque l’union des biens est indivisible, le conflit entre les propriétaires du principal et de l’accessoire demeure tout aussi vif même si le droit ne peut plus envisager la séparation comme mode de solution de ce conflit. L’éviction du propriétaire de l’accessoire, aux cotés de l’indivision, sont alors les seules réponses envisageables face à une union au maintien de laquelle la nature oblige.

Quelle que soit l’hypothèse, le phénomène d’union n’est que le fait générateur d’un conflit de droits de propriété que le droit s’attache à régler. L’accession n’est rien d’autre qu’une règle juridique, parmi d’autres possibles, permettant de trancher le différend. Elle n’a plus l’automaticité et la nécessité du phénomène d’union.

172- Entre ces deux conceptions, la doctrine ne montre guère d’hésitations. Même si la

majorité des auteurs remarque dans l’accession la présence d’un conflit de propriétés9, ceux-ci sont

7 M. Planiol, note sous Paris, 8 février 1892, D.P. 1892, p. 411 ; S. Pouderoux, « Les constructions sur le bien

d’autrui », thèse Lyon 1987 n° 244, pour qui l’accession « est un phénomène avant tout matériel » ; J.-P.

Marty, « La dissociation juridique de l’immeuble », thèse Toulouse 1976 n° 94. 8 Alors que ces mêmes auteurs y voient un mode d’acquisition de la propriété.

9 Ch. Beudant et P. Voirin, op. cit. n° 338 II et 346 ; G. Goubeaux, op. cit. n° 187 ; M. Planiol, note précitée, p. 410 col. 2 ; H. Aberkane, « Essai d’une théorie générale de l’obligation propter rem en droit positif

français », LGDJ 1957 n° 159 ; M.-Cl. Fayard, « Les impenses », LGDJ 1969 n° 105 ; S. Pouderoux, op. cit.

n° 229 ; J. Brissé Saint Macary op. cit. p. 43 ; J.-P. Delmas-Saint-Hilaire, « De l’application de l’article 555

loin d’adhérer à la compréhension du mécanisme de l’accession que cette constatation devrait induire. Pour la doctrine en effet, le conflit n’existe qu’à l’état potentiel, virtuel. Il n’accède pas à l’autonomie puisque l’union matérielle qui l’engendre engendre en même temps et nécessairement l’éviction du propriétaire de l’accessoire et donc sa solution. Le conflit se noue et se dénoue simultanément. Comme on a pu le faire remarquer, l’accession ne résout pas le conflit, elle l’évite10. En cela, l’accession apparaît aujourd’hui en doctrine comme un évitement du conflit de propriétés (Chapitre I). Mais nier qu’il y ait une difficulté n’aide nullement à sa résolution. Seule une seconde approche, qui fait de l’accession un mode de règlement du conflit de propriétés, est à même de fournir une explication satisfaisante du mécanisme acquisitif que constitue l’accession (Chapitre II).

« Traité théorique et pratique des constructions érigées sur le terrain d’autrui », thèse Louvain 1951 n° 60 p. 160 ; A. Wahl, note sous Angers, 6 juin 1894, S. 1896, II, p. 31 etc.

10 J.-P. Marty, op. cit. n° 10 ; J.-P. Bertrel, « L’accession artificielle immobilière. Contribution à la nature

CHAPITRE I / L’ACCESSION, EVITEMENT D’UN CONFLIT

DE PROPRIETES

173- Cherchant avant tout à rationaliser les solutions romaines par l’élaboration d’une

théorie générale de l’accession, le Code civil a cru pouvoir aller encore au-delà et y rattacher la question du jus fruendi. L’idée à l’origine de ce rapprochement peut être résumée ainsi. Puisque les fruits ne sont acquis au propriétaire de la chose frugifère que parce qu’ils sont l’accessoire de celle-ci, de la même manière devront lui être attribués les biens qui, même différemment appropriés, en deviennent eux aussi l’accessoire suite à leur incorporation.

Toutefois, quant il s’agit d’approfondir cette théorie syncrétique et de se prononcer sur la nature même de l’accession, le Code civil hésite. L’article 546 en fait un attribut de la propriété, et la place qu’occupent ces dispositions au sein du Code, au livre II consacré à la propriété plutôt qu’au livre III traitant des manières de l’acquérir, confirme cette analyse11. En revanche, l’article 712 l’érige en mode d’acquisition de la propriété, aux cotés de la prescription et autres modes visés par l’article 711, suivant en cela la doctrine de Pothier12. Or ces deux analyses sont difficilement conciliables. Attribut de la propriété, l’accession apparaît comme l’extension d’une propriété existante aux accessoires qui s’unissent à son objet. Mode d’acquisition, elle permet au propriétaire du principal d’obtenir un droit de propriété nouveau sur un bien accessoire. Cette dualité de fondement n’aurait cependant pas dû égarer la doctrine. Elle correspond en effet simplement à la dualité des hypothèses que les rédacteurs du Code civil ont réunies sous le vocable d’accession13. L’accession par production est un attribut de la propriété, le jus fruendi ayant toujours été considéré comme tel. En revanche, l’accession par incorporation peut être assimilée à un véritable mode d’acquisition de la propriété de l’accessoire14. Rompre l’unité factice établie par le Code civil entre la production des fruits et l’incorporation permet de mettre fin du même coup à la dualité du fondement de l’accession15. Reste que l’analyse de l’accession en un attribut de la propriété conserve des partisans

11 Ch. Beudant et P. Voirin, « Cours de droit civil français », T. IV, « Les biens » 1938 n° 358. 12 « Traité du droit de domaine de propriété », n° 150.

13 Sur cette analyse, Ch. Aubry et Ch. Rau, « Droit civil français », T. II, par P. Esmein 1961 n° 192 note 1 ; G. Baudry-Lacantinerie et M. Chauveau, « Traité théorique et pratique de droit civil », T. VI, « Des biens » 1905 n° 282 ; L. Josserand, « Cours de droit civil positif français », T. I, 1938 n° 1650.

14 Voir cependant, pour une analyse exactement inverse, faisant de l’accession par production un mode d’acquérir et de l’accession par incorporation une extension de la propriété, F. Zenati, « Essai sur la nature

juridique de la propriété. Contribution à la définition du droit subjectif », thèse Lyon 1981, spéc. n° 407 note

56.

15 Certains auteurs critiquent ouvertement le caractère artificiel de la construction opérée par le Code civil : « L’utilisation du concept d’accession pour désigner deux institutions aussi disparates que le jus fruendi et

(Section I), même si la majorité des auteurs préfère y voir un mode d’acquisition de la propriété (Section II).

SECTION I / L’ACCESSION, ATTRIBUT DE LA PROPRIETE

174- Faire de l’accession un attribut de la propriété revient à considérer que la propriété

comporte en elle-même la vertu de s’étendre aux accessoires de l’objet sur lequel elle porte. Cette conception est ainsi bâtie à l’image du jus fruendi : de la même manière que la propriété de la chose frugifère s’étend aux fruits qui s’en détachent, la propriété de toute chose s’étend aux accessoires qui s’y unissent. Mais le caractère même de cet attribut ne fait pas l’unanimité, étant tantôt perçu comme un attribut « naturel », tantôt comme un attribut « juridique » de la propriété. Conçue comme un attribut naturel de la propriété, l’accession n’est guère que le constat d’une réalité tangible. La chose s’étant accrue par l’incorporation d’un bien accessoire, le droit de propriété qui la grève s’adapte nécessairement et automatiquement à la nouvelle configuration de son objet. Il n’y a pas là de règle juridique, encore moins d’acquisition de l’accessoire, mais un simple phénomène (§ I). Conçue comme un attribut juridique de la propriété, l’accession garantit un usage optimum et exclusif de la chose en rendant son propriétaire maître des accessoires qui s’y unissent. C’est un attribut juridique de la propriété que de s’étendre à ses accessoires (§ II).

§

I

/

L

ACCESSION

,

ATTRIBUT NATUREL DE LA PROPRIETE

175- L’analyse de l’accession en un attribut naturel de la propriété fut défendue par

Demolombe dans son Cours de Code napoléon16. Si elle n’a pas manqué d’être critiquée17, elle n’en

n° 160. Dans le même sens, J. Brissé Saint Macary, « De l’accession artificielle immobilière », thèse Bordeaux 1929 p. 9 et 10 ; Ch. Demolombe, « Cours de Code napoléon », T. IX, 1875 n° 573 ; E. Larcher, « Des constructions élevées sur le terrain d’autrui », thèse Paris 1894 p. 81 ; R. de la Grasserie, « De

l’accession», thèse Caen 1865, p. 99.

Mais la critique est implicite chez les auteurs qui renoncent à traiter de la production des fruits au titre de l’accession : H., L., J. Mazeaud et F. Chabas, « Leçons de droit civil », T. II, vol. 2, « Biens »

Montchrestien 1994 n° 1588 et suiv. ; 60 et 212 ainsi que 63 a) 1° ; Ch. Beudant et P. Voirin, op. cit. n° 337 et suiv. ; M. Planiol et G. Ripert, « Traité pratique de droit civil français », T. III, « Les biens », par M. Picard 1952 n° 256 et suiv. ; Ch. Aubry et Ch. Rau, op. cit. n° 203 et suiv. ; G. Marty et P. Raynaud, « Les biens » par P. Jourdain, Dalloz 1995 n° 121 et suiv., spéc. n°124.

Pour une présentation suivant le Code cependant : F. Terré et Ph. Simler, « Droit civil. Les biens », Dalloz 1998 n° 227 et suiv. ; Ch. Larroumet, « Droit civil », T. II, « Les biens, droits réels principaux », Economica 1997 n° 654 et suiv.

16 Op. cit. n° 571.

17 G. Goubeaux, « La règle de l’accessoire en droit privé », LGDJ 1969 n° 182 et suiv. ; voir aussi J.-P. Bertrel, « L’accession artificielle immobilière. Contribution à la nature juridique du droit de superficie », RTD civ. 1994 p. 737 et suiv. spéc. p. 741.

influence pas moins les conceptions actuelles de l’accession18 et conserve ouvertement des défenseurs19. Cherchant à montrer que, dans la pureté des principes, il n’y a pas acquisition de propriété mais simple attribut de la propriété, Demolombe, dans sa démonstration, dépasse son objectif et écartant tout jeu de la règle de droit, ramène l’accession au seul phénomène, à la seule matière. L’union de deux choses provoque l’accroissement de la chose principale et simultanément la disparition de la chose accessoire. Une image peut en être trouvée dans l’animal se nourrissant du fourrage appartenant à un tiers. Ce tiers est dépouillé de sa propriété tout simplement parce que son bien a disparu tandis que le propriétaire de l’animal conserve nécessairement son droit sur une chose qui n’a fait que s’accroître. Ce même phénomène peut être ainsi envisagé sous deux aspects selon que l’on se place du point de vue du propriétaire du principal ou de l’accessoire20. Dans le premier cas, il y aura accroissement de la chose (A), dans le second, disparition (B). Mais l’analyse, en ce qu’elle réduit l’accession au phénomène, est trop mécanique pour emporter la conviction.

A

/

L

ACCROISSEMENT DU PRINCIPAL

La dualité de fondements proposée par le Code civil à l’accession, tantôt attribut21, tantôt mode d’acquisition22 de la propriété, reflète la dualité de ses manifestations, accession par production et accession par incorporation. Etendre la compréhension de l’accession comme attribut de la propriété à l’incorporation conduit à une analyse qui demeure tributaire de celle du jus fruendi (I) et qui, sur un fondement aussi fragile, ne peut guère convaincre (II).

I

/

RACINES DE L

IDEE D

ACCROISSEMENT

176- Exposant sa théorie, Demolombe part de l’accession par production. Avant leur

détachement, les fruits sont intimement liés à la chose et forment avec elle un tout : « Tant que les

18 Voir R. Saint-Alary qui parlait à propos de l’accession de « l’extension que reçoit une chose » (Rép. civ. Dalloz V° Accession 1987 n° 1), avant que de modifier son approche en parlant de « l’extension du droit de

propriété d’une chose » (ibidem, dans sa rédaction de 1999). D’une manière générale, l’idée d’automaticité de

l’accession doit beaucoup à cette analyse.

19 « On peut donc suivre Demolombe lorsqu’il soutient la thèse de la continuité. Dans la véritable accession,

celle par incorporation, il est constant, comme l’a observé Marcadé, qu’il n’y a pas de transfert d’un droit ni naissance d’un droit nouveau : seul l’objet de la propriété se modifie » : F. Zenati et Th. Revet, op. cit. n° 160

et auparavant, G. Ripert et J. Boulanger, « Traité de droit civil d’après le traité de Planiol », T. II,

« Obligations, droits réels » 1957 n° 2490 : « Il n’y a pas acquisition d’un droit mais modification de l’objet

du droit » ; P.-F. Girard, « Manuel élémentaire de droit romain », 1911 p. 325 : « Il n’y a pas (…) acquisition de propriété nouvelle mais un simple accroissement de l’objet du droit de propriété préexistant (…) ».

20 A rigoureusement parler d’ailleurs, il n’y a pas dans cette conception d’accessoire et de principal, mais seulement un bien accru (le bien accédé) et un bien disparu (le bien accédant).

21 Article 546. 22 Article 712.

fruits sont renfermés dans le corps même de la chose, ils en sont partie intégrante et homogène ; les fruits pendants par branches ou par racines sont une partie du sol (…). Il n’y a pas là deux choses : l’une, principale ; l’autre, accessoire (…). Il n’y a qu’un seul être et qu’un objet unique ; et le droit de propriété s’applique, en effet, uniquement au sol lui-même, tel quel, planté ou couvert de récoltes (…) »23. Après leur détachement, les fruits deviennent autonomes mais la propriété qui les grève n’est pas différente de celle qui grevait la chose frugifère elle-même : « Le maître ne fait qu’exercer

son droit de propriété (…) ; il n’acquiert pas, en vertu d’un nouveau droit, cette chose qui vient, en se détachant de la sienne, de revêtir une individualité distincte ; c’est uniquement son droit de propriété antérieur qui se maintient et qui se constitue sur cette chose produite par la sienne (…) »24.

Demolombe inverse alors la démonstration en cas d’incorporation. Des deux choses autonomes qui existaient, comme le sont après détachement les fruits et la chose frugifère, leur réunion n’en laisse subsister qu’une seule, comme n’existe que la chose frugifère avant détachement des fruits. Exactement de la même façon que la chose frugifère s’accroît des fruits qu’elle porte avant que ceux-ci s’en séparent, la chose principale s’accroît des accessoires qui s’y unissent. « Si

l’on suppose, par exemple, qu’il s’agit de constructions ou de plantations faites sur le sol de l’un, avec les matériaux de l’autre, il n’y a plus désormais deux choses : l’une principale, l’autre accessoire ; il n’y a pas : 1° le sol ; 2° des matériaux, des pierres ou des arbres ; il y a ici encore qu’un seul et même être et qu’un objet unique ; il n’y a que le sol, tel quel, bâti ou planté désormais (…) »25.

177- Cette perception de l’accession conduit Demolombe à refuser d’y voir une règle

juridique gouvernée par la maxime accessorium sequitur principale. Dès lors qu’il ne subsiste plus qu’une seule et même chose, il est vain de vouloir faire intervenir un rapport d’accessoire à principal qui suppose par définition deux choses distinctes26. Il suffit d’observer la nature pour savoir laquelle des choses unies s’est accrue aux dépens de l’autre. Elle renvoie à l’idée d’un droit de propriété qui, contrairement à ce que la doctrine classique, héritière des post-glossateurs,

23 Ch. Demolombe, « Cours de Code napoléon », T. IX, 1875 n° 573. 24 Ibidem.

25 Ibidem.

26 « Rationnellement, philosophiquement, on ne saurait voir un mode d’acquérir dans le fait, dans le résultat

du fait, qu’on a appelé accession. Le droit d’accession repose sur cette idée que la propriété d’une chose principale emporte la propriété d’une autre chose, qui en est partie dépendante et subordonnée ; il suppose ainsi deux choses dont l’une devient accessoire de l’autre. Or il est facile de reconnaître que cette condition n’existe pas dans le fait qu’on appelle accession », Ch. Demolombe, op. cit. n° 572 in fine (souligné par

nous). Adde. F. Zenati, relevant qu’il « est patent que la construction et le sol ne forment qu’un seul et même

bien » (obs. sur Ass. plén. 6 janvier 1994, RTD civ. 1994 p. 891) et l’analyse (critique) de cette approche chez

G. Goubeaux : « On ne peut même pas chercher un rapport d’accessoire à principal entre les éléments

constitutifs d’un ensemble indivisible : il faudrait pour cela que l’union de deux éléments fit apparaître un bien nouveau. Or on affirme précisément qu’il n’y a pas d’autre bien que le sol , accru peut-être, mais qui conserve son identité. Bien plus, l’accession en tant que règle juridique n’existe pas : il n’y a qu’un phénomène matériel d’accroissement d’une chose » (op. cit. n° 182).

enseigne, ne se confond pas avec l’objet sur lequel elle porte. Aussi ne doit-on pas s’étonner de la