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138- Constater en même temps que la construction sur le terrain d’autrui est

fondamentalement une impense et que le Code en traite au titre de l’accession met face à une alternative.

On peut estimer que les codificateurs, en envisageant cette hypothèse au sein des dispositions consacrées à l’accession, ont commis une nouvelle erreur de classification, cela de la même manière qu’ils ont indûment rattaché à ce mécanisme le problème de l’attribution des fruits au propriétaire ou celui de la délimitation de la propriété immobilière1.

On peut au contraire admettre que la construction sur le sol d’autrui a bien sa place dans la théorie de l’accession.

La doctrine se prononce incontestablement en faveur de cette seconde approche. Aucun auteur n’a jamais douté que l’article 555 relève du mécanisme de l’accession ; au contraire même, puisque cette disposition appelle souvent les seuls développements consacrés à la matière. Cette dernière attitude est parfaitement fondée. Mais il faut souligner qu’elle ne peut être cohérente qu’à condition de reconnaître la propriété du constructeur sur les ouvrages dont il est l’auteur. L’accession gouvernant par hypothèse les cas de rapprochement de deux biens différemment appropriés, la construction sur le sol d’autrui n’obéit à ce schéma qu’à cette condition. Si le constructeur est propriétaire des édifices qu’il a bâtis, on peut soutenir qu’il y a union d’un bien, la construction, au bien d’autrui, le sol. La difficulté est alors tranchée par l’éviction du propriétaire du bien accessoire, mécanisme topique de l’accession.

Cependant, l’hypothèse d’une propriété du constructeur sur les édifices est loin de rallier tous les suffrages de la doctrine. Pis, puisque parmi les auteurs qui y sont favorables, une large part limite son analyse au cas où le constructeur a pris à bail le sol sur lequel il bâtit.

Cette question doit donc être reprise ici, parce que la démonstration du droit de propriété de tout constructeur sur les ouvrages dont il est l’auteur, quel que soit son droit ou son absence de droit sur le sol qui les porte, est nécessaire à ce que la légitimité du rattachement de l’article 555 à la théorie de l’accession soit fermement établie (§ I). La démonstration ne serait cependant ni complète ni vraiment convaincante si, après avoir établi l’existence théorique de cette propriété, on n’envisageait pas son exercice effectif par le constructeur (§ II).

§

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EXISTENCE DE LA PROPRIETE DU CONSTRUCTEUR SUR LES EDIFICES

139- Les auteurs soutenant l’existence du droit de propriété du constructeur sur les ouvrages

dont il est l’auteur ont fait feu de tout bois. Des arguments d’ordre divers ont été avancés, dont certains se réclament d’une tradition philosophique selon laquelle seul le travail s’impose comme source légitime de propriété2. M. Chabrun, à l’occasion de l’élaboration de la loi du 18 juillet 1937, écrivait en ce sens : « le travail crée par lui-même un véritable droit de propriété en faveur du

travailleur, droit indépendant de celui qui appartient au propriétaire de la chose travaillée »3. Wahl peut alors affirmer dans la même veine, à propos du droit de propriété du preneur sur les édifices élevés en cours de bail, que « selon les principes en effet, il est clair que celui qui crée une chose

mobilière ou immobilière a droit à la propriété de cette chose »4, dès lors, faudrait-il préciser cependant, qu’il les a élevés dans son intérêt propre5. Ce à quoi il est pourtant facile de rétorquer que les « principes » invoqués n’ont pas été consacrés par le droit positif6 qui « ignore l’existence

d’un droit de propriété uniquement fondé sur le travail. Cette notion n’a jusqu’à présent que valeur d’une formule littéraire, (…) trop discutée pour être admise parmi les concepts fondamentaux du droit privé »7. « Jusqu’à présent, la propriété se prouve par titre, par prescription, non par

l’activité créatrice dépensée »8 ajoute-on. Ce n’est donc pas sur le terrain philosophique, qui se nourrit avant tout de convictions personnelles, qu’il se pourra trouver un fondement assez solide à la propriété du constructeur sur les édifices élevés sur le sol d’autrui.

L’argument d’opportunité, consistant à relever que rendre le bailleur propriétaire en cours de bail des ouvrages faits par le preneur découragerait ce dernier de toute initiative visant au développement des capacités productives de la chose9, n’a guère de force. Si la solution est peut être économiquement meilleure, elle reste à fonder d’un point de vue juridique.

1 Supra n° 21 et suiv.

2 Sur cette question du travail comme fondement de la propriété, cf. X. Dijon, « Le droit naturel », T. I, « Les

questions du droit », PUF coll. Thémis 1998 p. 264 et suiv.

3 Rapport du 5 décembre 1930, annexe 4. 207, Doc. Parl., Sénat 1930 p. 341, cité par G. Ziegel, « Le droit

d’un contractant à la plus-value créée par lui en dehors des stipulations du contrat », Dalloz 1939 p. 213. On

devrait alors remarquer que le constructeur faisant le plus souvent intervenir un professionnel pour la réalisation des travaux, la construction, selon ces principes, devrait appartenir à ce dernier et non à celui qu’il est convenu d’appeler le constructeur, c’est-à-dire le maître d’œuvre. Si cette thèse a pu être soutenue ( E. Chatelain, « De la nature du contrat entre ouvrier et entrepreneur », thèse Alcan 1902 ; « Esquisse d’une

nouvelle théorie du contrat de travail », RTD civ. 1904 p. 313 et suiv.), elle ignore superbement le contrat

passé entre l’entrepreneur et le maître d’œuvre (cf. la critique de F. Gény, RTD civ. 1902 p. 333 et suiv.). 4 Note sous Angers, 6 juin 1894, S. 1896, II, p. 25 col. 2.

5 En ce sens, G. Goubeaux, « La règle de l’accessoire en droit privé », LGDJ 1969 n° 218 et P. Lévie, « Traité théorique et pratique des constructions érigées sur le terrain d’autrui », thèse Louvain 1951 n° 63 et 105.

6 On peut cependant en trouver un écho assez net dans l’article 571 du Code civil consacré à la spécification et retenant pour le cas où la valeur de la main d’œuvre surpasse de beaucoup celle de la matière employée la propriété du spécificateur sur l’ensemble.

7 G. Ziegel, ibidem.

8 G. Goubeaux, op. cit. n° 214.

Ne sont guère plus convaincants les arguments venant de la rédaction des textes, et notamment celui tiré de ce que l’article 555 énonce que le propriétaire du sol qui n’entend pas exiger la démolition des édifices élevés sans droit sur son sol par un tiers de mauvaise foi peut les « conserver », ce qui supposerait nécessairement qu’il en soit d’ores et déjà propriétaire10. En effet, ce terme s’oppose simplement à « démolir » : le propriétaire « conserve » les édifices toute les fois qu’il n’exige pas leur enlèvement11. Au contraire, à rester dans une approche exégétique des textes, le Code civil paraît bien établir un lien entre le fait de bâtir et la propriété des ouvrages lorsqu’il énonce, dans l’article 553, que « toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l’intérieur,

sont présumés faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir, si le contraire n’est prouvé (…) »12.

Si on écarte donc du débat les arguments fondés sur des présupposés philosophiques, des considérations d’opportunité, ou sur l’exégèse des textes, il faut, plus modestement, analyser la jurisprudence pour tenter de déterminer si celle-ci a pris parti sur cette question. La consécration jurisprudentielle, implicite mais néanmoins certaine, du droit de propriété du preneur sur les édifices qu’il a élevé sur le sol pris à bail reste cependant limitée (A). Que décider en effet lorsque le constructeur n’a aucun droit sur le sol ? L’étude de la position des juridictions sur cette question doit s’accompagner de celle de sa portée réelle (B).

A

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POSITION DE LA JURISPRUDENCE

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LA PROPRIETE DU PRENEUR

140- Fréquemment saisie de litiges entre bailleurs et preneurs, la Cour de cassation a eu en

de nombreuses occurrences la possibilité de se prononcer sur la question de la propriété des ouvrages élevés par le locataire pendant la durée du bail. Ses affirmations successives ont démontré à ce sujet une permanente hésitation, à laquelle l’arrêt souvent cité du 1er décembre 1964 n’a malheureusement pas mis fin. Aussi n’est-ce pas dans les prises de position expresses de la jurisprudence sur cette question qu’il faut espérer trouver une réponse suffisamment ferme (I). Seule l’analyse des droits qu’elle reconnaît au preneur sur les édifices, et principalement celui de les enlever tant que dure sa jouissance, permet d’affirmer qu’elle en fait un propriétaire à part entière (II). La consécration du droit de propriété du preneur sur les ouvrages dont il est l’auteur résulte ainsi bien plus d’une prise de position jurisprudentielle implicite qu’explicite.

10 En ce sens, S. Pouderoux, « Les constructions sur le bien d’autrui », thèse Lyon 1987 n° 270. D’autant « qu’on pourra remarquer que le terme « conserver » qui ne figurait que dans le troisième alinéa de l’article

555 a été substitué dans l’alinéa premier au terme « retenir » par la loi du 17 mai 1960. On peut surtout considérer comme plus significatif que le mot n’a pas été employé seul mais dans l’expression « conserver la propriété » » souligne G. Goubeaux, sans retenir pour autant cet argument (op. cit. n° 218 note 123).

11 P. Lévie, op. cit. n° 49 ; H. Aberkane, « Essai d’une théorie générale de l’obligation propter rem en droit

positif français », LGDJ 1957 n° 150.

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FAIBLESSE DES PRISES DE POSITION EXPLICITES DE LA JURISPRUDENCE

141- L’hésitation des tribunaux quant au problème de la propriété du preneur sur les

édifices élevés en cours de bail est assurément un mal endémique dont il serait téméraire d’affirmer que nous sommes aujourd’hui guéris. Vers 1850, un premier courant jurisprudentiel, défendant le jeu de l’accession dès l’instant de l’incorporation de l’accessoire au principal, en déduisait que le propriétaire du sol devenait par la force des choses propriétaire des ouvrages élevés par le preneur au fur et à mesure de leur édification13. Cette conception recula bientôt devant la consécration d’un principe inverse14 ; principe qui fut lui-même ensuite renversé. La propriété immédiate du bailleur fut reconnue dès la fin du XIXe siècle15 et la solution se maintint jusqu’au milieu du XXe siècle16. Dans cette dernière période, les tribunaux ne déniaient pas pour autant systématiquement tout droit de propriété au preneur sur les édifices dont il était l’auteur. S’appuyant sur les stipulations du bail, les juridictions découvraient fréquemment une « renonciation » du bailleur au jeu de l’accession, et partant, en déduisaient que le preneur pouvait alors être reconnu comme propriétaire des ouvrages, du moins pendant la durée de sa jouissance. Ainsi, la clause prévoyant que les constructions faites par le preneur seraient affectées à la garantie du paiement des loyers a été interprétée en ce sens17, de même, et cela plus audacieusement, que celles énonçant que le preneur n’aurait droit à aucune indemnité en fin de bail pour ses ouvrages ou fixant cette indemnité de manière forfaitaire18. Les juges ont en effet estimé sur ce point que le sacrifice consenti par le preneur n’avait de sens que comme juste contrepartie de la renonciation momentanée du bailleur à la propriété des constructions19. Ces dernières clauses étant extrêmement fréquentes en pratique, les tribunaux ont été habitués à reconnaître par ce biais une propriété quasi systématique du preneur sur les ouvrages dont il était l’auteur20. Or, puisque vers 1950, « sinon en principe, du moins dans ses solutions

pratiques, la jurisprudence ne connaît que l’accession facultative et différée »21 , le détour par

13 Civ. 8 juillet 1851, S. 1851, I, p. 682. Adde., moins nettement, Civ. 3 janvier 1849, D. 1849, I, p. 23 ; Req. 1er juillet 1851, S. 1851, I, p. 481.

14 Civ. 7 avril 1862, S. 1862, I, p. 459 ; Req. 27 novembre 1864, D.P. 1865, I, p. 110 ; Req. 13 février 1872, D.P. 1872, I, p. 256 et S. 1872, I, p. 104 obs. Dumon ; Req. 8 mai 1877, D.P. 1877, I, p. 309.

15 Civ. 19 juillet 1893, D.P. 1893, I, p. 603 ; S. 1894, I, p. 241 note A. Wahl.

16 Civ. 14 décembre 1921, D.P. 1925, I, p. 111, Gaz. Pal. 1922, 1, p. 171, énonçant que « le propriétaire du

sol devient propriétaire immédiatement par le seul fait de leur incorporation, de toutes les constructions élevées par un tiers, que cette règle, d’une portée générale, s’applique notamment au locataire pour les constructions édifiées sur le terrain à lui loué » ; Req. 20 mars 1939, JCP 1939, I, p. 1252.

17 Civ. 7 avril 1862, S. 1862, I, p. 459.

18 Paris, 2 février 1935, D.H. 1935 p. 201 ; Paris 31 mars 1954, Gaz. Pal. 1954, 2, p. 212 ; Paris, 8 juillet 1954, Gaz. Pal. 1954, 2, p. 118 ; Civ. 1re, 14 janvier 1958, Bull. civ. I n° 35.

19 En ce sens, M.-Cl. Fayard, « Les impenses », LGDJ 1969 n° 132.

20 G. Goubeaux, « La règle de l’accessoire en droit privé », LGDJ 1969 n° 212.

21 P. Lévie, « Traité théorique et pratique des constructions érigées sur le terrain d’autrui », thèse Louvain 1951 n° 38.

l’idée d’une renonciation du bailleur au bénéfice de l’accession immédiate à son profit est apparu comme de plus en plus inutile et artificiel22, à tel point qu’on a pu le qualifier « d’invention gratuite,

destinée à justifier la propriété du preneur »23. Aussi la Cour de cassation a-t-elle une nouvelle fois modifié sa jurisprudence pour énoncer, le 1er décembre 1964, que « si en l’absence d’accord des

parties, le sort des constructions élevées par le preneur sur le fonds donné à bail est réglé à l’expiration du bail par l’article 555, alinéas 1 et 2, du Code civil, le preneur reste propriétaire, pendant la durée de la location, des constructions qu’il a édifiées sur le terrain du bailleur (…) »24. La formulation de l’arrêt, qui emprunte aux attendus dits de principe, ainsi que sa confirmation ultérieure par les différentes formations de la Cour de cassation25 pourrait inciter à tenir cette solution pour certaine. Mais les hésitations répétées de la Haute juridiction sur cette question obligent à la plus grande méfiance26. Seul pourrait garantir en réalité la pérennité de la solution le fait qu’elle se trouverait en parfaite cohérence avec l’approche actuelle de l’équilibre des rapports entre bailleurs et preneurs. Or tel paraît bien être le cas, puisque le législateur est éminemment favorable à la reconnaissance de droits de plus en plus étendus aux preneurs sur le bien qu’ils louent27.

142- On sera alors d’autant plus surpris de trouver une vigoureuse contestation

jurisprudentielle de l’attendu de principe de 1964 en matière de baux ruraux.

Dans un fameux arrêt Tellier du 13 mai 1986, la Troisième chambre civile de la Cour de cassation a annulé l’apport fait par un preneur à une société agricole portant sur les améliorations culturales faites sur le fonds loué28. Très discuté, l’arrêt pouvait être interprété comme ne s’appliquant qu’aux seules améliorations dont l’autonomie disparaissait totalement en s’incorporant à l’immeuble, en d’autres termes, à ce qu’il est coutume d’appeler impenses ; tandis que le preneur, conformément au droit commun, demeurait propriétaire des constructions et plantations et pouvait dès lors les

22 G. Goubeaux, ibidem.

23 P. Esmein, note sous Civ. 1re, 1er décembre 1964, JCP 1965, II, 14213. Adde., P. Lévie, op. cit. n° 66 qui parle « d’expédient équivoque » et J.-P. Bertrel, « L’accession artificielle immobilière. Contribution à la

nature juridique du droit de superficie », RTD civ. 1994 p. 737 et suiv. spéc. p. 765 qui s’étonne qu’il n’ait

pas davantage déclenché les foudres de la doctrine.

24 Civ. 1re, JCP 1965, II, 14213 note P. Esmein ; D. 1965, II, p. 473 ; RTD civ. 1965 p. 373 obs. J.-D. Bredin ; Gaz. Pal. 1965, 1, p. 79 ; Rev. loyers 1965 p. 86. Sur l’évolution de la jurisprudence préparant ce revirement, voir les développements de G. Goubeaux, op. cit. n° 215. Contrairement à ce que certains auteurs semblent soutenir (R. Saint-Alary, Rép. civ. Dalloz V° Accession, n° 158 ; L. Rozes, J.-Cl. Civil art. 553 à 555, fasc. F, n° 27), cette solution ne repose nullement, même de manière implicite, sur l’existence d’une renonciation du bailleur au jeu de l’accession.

25 Pour la 1re Chambre civile : 5 janvier 1968, Bull. civ. I n° 5 ; 23 octobre 1990, Bull. civ. I n° 217 et D. 1990 IR p. 266 ; pour la 2e Chambre civile : 23 novembre 1966, JCP 1967, II, 15169 note J. Bigot ; pour la 3e Chambre civile : 17 juillet 1974, Bull. civ. III n° 315 ; 15 mai 1970, Bull. civ. III n° 337.

26 Prudence dont font montre certains auteurs quant il s’agit d’exposer la portée de l’arrêt du 1er décembre 1964 : R. Saint-Alary, Rép. civ. Dalloz V° Accession, n° 162 et L. Rozes, J.-Cl. Civil art. 553 à 555, fasc. F, n° 32.

27 G. Goubeaux, « La règle de l’accessoire en droit privé », LGDJ 1969 n° 209.

28 JCP éd. N 1987, II, p. 54 note J.-P. Moreau et éd. G 1987, II, 20800 note P. Ourliac et M. de Juglart ; RD rur. 1986 p. 436 ; RD imm. 1986 p. 511 obs. Y. Jegouzo et L. Lorvellec.

apporter à une société agricole. Mais le 27 janvier 199329, la même formation énonçait qu’à « défaut

de stipulation contraire, les plantations effectuées en cours de location appartiennent au bailleur, ce qui a pour conséquence de priver le preneur de la faculté d’en transférer la propriété à autrui »,

faisant ainsi écho à un arrêt du 21 mars 1992 ayant décidé que le preneur n’a aucun droit au titre des améliorations constructions et plantations avant la fixation en justice de l’indemnité à laquelle il peut prétendre, arrêt dans lequel on a vu « une préférence indiscutable pour la théorie de

l'accession immédiate »30.

Une telle jurisprudence est d’autant plus remarquable qu’elle va à l’encontre de la volonté affichée du législateur en ce domaine. Avant l’arrêt Tellier de 1986 s’était développée une pratique courante consistant pour le fermier à apporter en propriété à une société agricole les améliorations qu’il avait réalisées sur le fonds loué, cela concomitamment à l’apport du bail lui-même. L’avantage était que la société cessionnaire pouvait poursuivre l’amortissement comptable de ces améliorations. La Troisième chambre civile ayant déclaré nul ce type d’apports, le législateur a tenté de briser cette jurisprudence par une loi du 23 janvier 199031 autorisant expressément le preneur à céder, dans certains cas précis, les améliorations culturales dont il est l’auteur. Or si le nouvel article L 411-75 du Code rural autorise cette cession pendant la durée du bail, ce ne peut être que parce que ces améliorations appartiennent en cours de bail au preneur. « Affirmer le contraire serait absurde, car,

en l’état actuel de notre système juridique, l’observateur peine à imaginer comment une personne pourrait transférer à un tiers la propriété d’une « chose » extérieure à son patrimoine »32.

143- La résistance de la Troisième chambre civile, qui a réaffirmé sa position en 199333, devient alors problématique. On a tenté de l’expliquer par la spécificité des baux ruraux qui rendrait, malgré la prise de position du législateur en 199034, toute propriété du preneur sur ses

29 RD rur 1993 « notez bien » p. 51.

30 J.-P. Moreau, « Le droit du preneur à ferme qui a apporté des améliorations au fonds loué : propriété

temporaire ou droit de créance ? » in « Droit civil, procédure, linguistique juridique. Ecrits en l’hommage de G. Cornu », PUF 1994 p. 333 et suiv., spéc. p. 338.

31 A laquelle la Cour de cassation a de manière « surprenante » refusé l’application aux baux en cours : Civ. 3e, 24 juin 1992, JCP 1993 éd. N, II, p. 61 note H. Thuillier et p. 146 obs. J.-P. Moreau.

32 Note anonyme (de J.-M. Gilardeau), RD rur. 1993 « Notez bien » p. 51.

33 27 janvier 1993, précité. La Troisième chambre civile aurait d’ailleurs, selon certains auteurs, définitivement consacré le système de l’accession immédiate en 1999. En décidant que, faute d’avoir suffisamment caractérisé la renonciation du bailleur à l’accession, la Cour d’appel ne pouvait pas décider que le preneur demeurait libre d’arracher les plans de vigne à la fin du bail et bénéficier ainsi des droits de replantation, la Troisième chambre civile semble en effet considérer que le bailleur est immédiatement propriétaire des ouvrages et plantations élevés par le preneur, sauf renonciation (Civ. 3e, 24 mars 1999, D. 2000, jur. p. 139 et suiv., conclusions J.-F. Weber et note E. Agostini et F. Roussel. Adde., Civ. 3e, 10 novembre 1999, JCP 2000, II, 10328 note F. Roussel). Cette analyse de l’arrêt est discutable, dans la mesure où l’interdiction faite au preneur d’arracher les vignes (sauf acceptation du bailleur) n’est consacrée qu’à l’échéance du bail (Civ. 3e, 24 mars 1999) ou après la résiliation du bail (Civ. 3e, 10 novembre 1999). Sur ce point, infra n° 145.

34 Il n’y aurait d’ailleurs pas lieu de s’y arrêter dans la mesure où elle serait dictée par de seules considérations fiscales et comptables, l’objectif poursuivi étant simplement de permettre l’amortissement des dépenses

ouvrages illusoire. Les différents arguments avancés tendent tous à prouver qu’une telle propriété conférée au preneur n’en aurait que le nom, sans qu’y correspondent les prérogatives qui en découlent ordinairement35. Ils ne sont guère recevables dans la mesure où la même remarque peut être faite en dehors de la matière des baux ruraux36.

Dès lors, il faut conclure qu’aucune spécificité de la législation des baux ruraux n’est à même d’expliquer en cette matière le refus très net de la jurisprudence actuelle quant à la reconnaissance