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La question de l’éveil aux langues est une des principales questions de notre recherche. Nous expérimenterons des séances dans notre classe et nous accompagneront des enseignants à la mise en œuvre de séances (chapitre 3 partie 3.1). Afin de pouvoir les mener à bien, et de tester en classe l’approche de l’éveil aux langues, il nous a fallu nous documenter et réfléchir aux actions à mener. Nous nous sommes questionné sur ce qu’est l’éveil aux langues. D’où vient cette approche ? Comment est-elle utilisée dans les classes et pourquoi ? Quels sont ses bénéfices pour les élèves ?

3.4.1. L’éveil aux langues : définition et enjeux ?

Nous allons d’abord définir l’éveil aux langues. Pour Candelier (2003 : 263), « on ne peut parler d’éveil aux langues que lorsqu’une part des activités porte sur des langues que l’école n’a pas l’ambition d’enseigner et qui peuvent être ou non la langue maternelle de certains élèves. On a pris soin de faire figurer tout à la fois des langues typologiquement et géographiquement éloignées (c'est ainsi que sont proposées, entre autres, des activités de découverte à partir de la graphie chinoise), et des langues parentes où le jeu consistera à repérer les analogies (le travail sur les langues romanes est éloquent à cet égard). »

Dabène (2003 : 8) rappelle que les activités proposées peuvent se développer tout autant au niveau de la représentation qu’à celui de l’observation ou de la réflexion, voire de la production, leur but étant essentiellement de rendre l’apprenant conscient de la diversité des langues et d’élargir ainsi son univers cognitif. Kervran, quant à elle, montre qu’on ne peut pas confondre l’éveil aux langues et l’apprentissage des langues étrangères. Pour elle, l’éveil aux langues est une multiplicité de langues. Il n’a pour vocation l’apprentissage d’une ou plusieurs langues mais vise plutôt un apprentissage « sur ou à propos des langues » (Kervran, 2006 : 29). L’éveil aux langues apporte un regard positif sur la compétence plurilingue. Celle-ci est alors légitimée et les élèves sont autorisés à utiliser les différentes ressources linguistiques dont ils disposent pour partager des connaissances (Armand, Dagenais et Nicollin , 2008 : 52).

3.4.2. Émergence de l’éveil aux langues

Le terme d’éveil aux langues est apparu en Grande-Bretagne dans les années 80 sous le terme de « awareness of language ». Eric Hawkins, linguiste et éducateur britannique, est considéré comme en étant l’initiateur.Cette notion a été « inventée » dans le but d’apporter des

réponses à des problèmes précis. En effet, à cette époque, les difficultés d’intégration et les échecs scolaires étaient nombreux chez les élèves issus de l’immigration. Les élèves anglophones avaient des difficultés à apprendre les langues étrangères et leurs difficultés en anglais étaient liées à leur capacité métalangagières limitées43.

Pour Armand, Dagenais et Nicollin (2008 : 49), « ses objectifs visaient à établir un pont entre la langue d’enseignement, l’enseignement des langues dites étrangères, et les langues d’origine des enfants immigrants, à contrer les préjugés liés aux langues et à donner un aperçu du fonctionnement de différentes langues (en développant des capacités métalinguistiques) ». Dans tous les cas, la volonté est d’inciter la curiosité des élèves à l’égard des langues, des dialectes ou encore des emprunts.

Nous verrons que cette approche a été traduite dans le monde de différentes manières. Perregaux (1993 : 7) parle de « prise de conscience de l’usage, du fonctionnement et de la diversité de la langue ». Nous pouvons donc dire que le concept d’ « awarness of langage » (Perregaux, 1993 : 1) est une conscientisation de la structure de la langue par l’enfant. L’éveil aux langues vise à améliorer les compétences langagières des élèves.

3.4.3. Les différents programmes d’éveil aux langues en Europe et dans le

monde

Depuis les années 80 et sa première mise en œuvre en Angleterre, l’éveil aux langues a fait l’objet de nombreux programmes en Europe avec EVLANG, Janua Linguarum, EOLE et au Canada avec ELODIL.

Nous allons les présenter dans le paragraphe suivant afin de montrer que cette approche a toute sa place en maternelle et dans notre contexte.

Le programme EVLANG (Evaluation du programme didactique européen d’éveil aux langues) a été mis en place par des chercheurs français comme M. Candelier et C. Perregaux. Il a réuni des chercheurs et des formateurs de 5 pays : Autriche, Espagne, France, Italie, et Suisse durant plus de 3 ans, de 1997 à 2001. C’est un dispositif d’expérimentation et d’évaluation portant sur 2000 élèves des deux dernières années de l’école primaire (CM1-CM2). L’enjeu était de montrer que l’éveil aux langues est applicable à grande échelle

43 Institut de recherche et documentation pédagogique, https://www.irdp.ch/data/secure/613/document/eveil-aux-langues-613.pdf (consulté le 7 mai 2020).

(Candelier et Tupin, 2002). Une trentaine de support didactique ont pu être élaborés et testés par des enseignants « expérimentateurs ».

Le programme Janua Linguarum est le prolongement du programme EVLANG. Il en est également l’extension puisque 16 pays en font partie. Il avait pour objectif que l’éveil aux langues soit inscrit dans les programmes scolaires, de l’école maternelle à la fin du premier cycle de l’enseignement secondaire.

Deux activités principales ont été développées au cours de cette expérimentation : production et adaptation de supports didactiques et étude des conditions de l’implantation de l’approche dans différents systèmes éducatifs (Kervran, 2006).

Eveil aux langues/ ouverture aux langues de l’école (EOLE) est un programme Suisse mis en place par l’Institut de recherche et de documentation pédagogique (IRDP). L’équipe de Jean-François Pietro avec pour objectif la création d’un site interne mettant en avant l’éveil aux langues et ses bénéfices44. Ce programme comprend quatre volets : l’ouverture aux langues, faire découvrir les langues régionales aux élèves ; fonctionnement de la langue, et des activités en ligne permettant aux enseignants volontaires de trouver des pistes de travail. Il programme vise à développer chez les élèves des attitudes d'ouverture face à la diversité linguistique et culturelle présente aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la classe.

Le programme ELODIL a été mis en place par une équipe de chercheurs, pilotée par F ? Armand, d’étudiants et d’enseignants au Québec à partir de 2003. ELODIL est initialement réalisé dans le cadre d’une recherche-action dans une école multiethnique de Montréal qui s’inspire des activités d’éveil aux langues mis en place en Europe, notamment EVLANG. Les objectifs éducatifs sont de permettre aux enseignants d’acquérir une attitude « d’ouverture à la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse »45. De plus, cela permet d’avoir les compétences pour intégrer le pluralisme dans leur classe46. Armand, Dagenais et Nicollin (2008 : 50) décrivent quatre objectifs poursuivis par le programme ÉLODIL. Nous retrouvons des objectifs communs aux démarches d’éveil aux langues.

Les résultats montrent que les différents programmes mis en oeuvre facilitent l’émergence de représentations positives de la diversité des langues chez les enseignants et les

44 http://eole.irdp.ch/eole/ (consulté le 25 février 2019).

45 https://www.elodil.umontreal.ca/fileadmin/documents/Guides/eal/01-introduction-contexte-pratique.pdf (con-sulté le 25 février 2019).

élèves et favorise à long terme l’acquisition de capacités métalinguistiques (en particulier chez les élèves les plus faibles scolairement) notamment en matière de mémorisation et de discrimination auditive dans les langues non familières » (Armand, Dagenais et Nicollin (2008 :50).

De nombreux supports didactiques ont été élaborer grâce aux différents programmes (EVLANG, EOLE) ou avec l’ouvrage pédagogique langue du monde en cycle 1, 2, et 3 de Kervran. Ces différents programmes ont été élaborés afin d’éduquer les élèves pour vivre dans un monde multiculturel et plurilinguiste (Armand, Dagenais et Nicollin, 2008: 50). Ils reprennent complétement les objectifs formulés par le document cadre de l’UNESCO intitulé L’éducation dans un monde multilingue (2003). Il est souligné la nécessité « d’encourager la démarche qui fait de la langue une composante essentielle de l’éducation interculturelle, en vue d’encourager la compréhension entre différentes populations et d’assurer le respect des droits fondamentaux » (op cit, 33)47.

3.4.5. Les activités

Kervan (2006 : 29) rappelle que l’éveil aux langues « a pour objet une multiplicité de langues et il n’a pas de visée directement tournée vers l’apprentissage d’une ou plusieurs langues particulières mais vise plutôt des apprentissages sur ou à propos des langues ». Cette approche ne doit pas être confondue avec l’apprentissage d’une langue. En classe, il est possible de commencer par l’utilisation des langues des élèves en s’appuyant sur leur vécu. Les ensei-gnants ont la possibilité de demander aux parents de venir en classe parler leur langue, mais aussi simplement d’utiliser le langage en situation plus maitrisé par les élèves.

Des chercheurs comme Young et Mary (2016) ont mené des observations dans les classes du Grand-Est pour analyser les pratiques linguistiques innovantes. Des enseignantes (Birot, 2016 ; Simonin, 2018) ont mis en place des dispositifs et les ont analysés avec l’aide de chercheurs ou auto-analysés . Les supports utilisés dans les classes sont nombreux : albums plurilingues, comptines et chants dans différentes langues, sacs à histoires, kamishibaï pluri-lingues. Toutes ces activités vont permettre le développement des compétences des élèves en fonction des différents objectifs souhaités. L’éveil aux langues permet d’éduquer l’oreille aux réalités mélodiques et accentuelles des langues. Pour cela, il est possible d’écouter des

47 Unesco (2003). Education dans un monde multilingue. En ligne :

comptines et des chants dans différentes langues. Cette approche affine l’attention, apprend à discriminer les sons et à développer la mémoire auditive en écoutant la même comptine dans des langues différentes. Et elle va aider les élèves à manipuler sans appréhension des sons et des mots inconnus en jouant avec les sonorités et en inventant des mots en référence à la langue entendue. Pour développer une approche interculturelle et faire prendre conscience aux élèves du monde qui les entourent et familiariser les élèves avec la diversité des cultures et des langues, les enseignants vont sont encouragés à faire écouter et comprendre des albums de langue étran-gère, découvrir la culture étrangère au travers d’albums ou de documentaires en français (pay-sages, habitats à lier au « percevoir, imaginer, créer… »), et pour développer une approche inter-culturelle.

A travers les approches plurielles et l’éveil aux langues, plusieurs langues et cultures sont sollicitées. Cela correspond à « une nouvelle manière d’aborder les langues dans la classe en multipliant les occasions de passer de l’une à l’autre, en prenant appui sur ce que les élèves savent dans l’une pour mieux en comprendre une autre, en découvrant ce qui est semblable ou différent dans les unes et les autres. Les élèves travaillent sur plusieurs langues en même temps et non sur une seule » (De pietro, 2007 : 32). Pour aller plus loin dans notre réflexion, nous allons présenter une pratique pédagogique qui se développe dans le monde anglo-saxon et commence à être diffusée dans le contexte scolaire de la maternelle française.: le translanguaging.

3.5. Vers une politique linguistique pratiquée : le translanguaging ou