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1.2. La ville de Bethoncourt

APPRENTIE CHERCHEURE

Nous avons exercé nos premières années dans l’enseignement autant en élémentaire qu’en maternelle. La plupart de nos élèves étaient monolingues. Seulement un ou deux élèves parlaient une seconde langue, et un élève était allophone. Dans ce contexte, la diversité linguistique et culturelle n’était que trop peu représentée.

Depuis 2016, nous exerçons en tant que directrice à l’école maternelle Victor Hugo de Bethoncourt nous avons en charge cette année la classe des PS, mais depuis notre arrivée nous avons exercé sur les 3 niveaux (petite, moyen et grande section).

Nous étions à la fois anxieuse des discours qui circulaient sur la commune de Bethoncourt, mais aussi enthousiaste d’aider des élèves que mes collègues présentaient en difficulté scolaires notamment langagières et de travailler en équipe. Comme nous le verrons plus tard, la ville de Bethoncourt est connue et rencontre une image négative en raison du taux de chômage très important des jeunes, de la vétusté du quartier (malgré les remises à neuf), de problèmes de sécurité et de manque de civilité par les populations des communes avoisinantes. Les journaux font très souvent mention des problèmes dans le quartier (par exemple le club de football a été dissous en raison de trop nombreuses bagarres sur le terrain). (cf. Contexte Bethoncourt chapitre 2 partie 2).

En arrivant dans cette école, nous avons été très surprise par les difficultés présentes : le mutisme des élèves, et leurs difficultés en langage (manque de vocabulaire, structures syntaxiques très faibles, problèmes de prononciation), les pleurs lors de la séparation avec les parents qui duraient même en MS et GS, le manque de projet des enseignants et le manque de cohésion dans l’équipe enseignante et éducative; les résultats très faibles en CP, le lien

pratiquement inexistant avec les parents, et les incompréhensions.

La première difficulté que nous avons constatée est le lien quasi inexistant avec les parents. En effet, enseignante dans une école rurale, nous avions construit de nombreux contacts avec les parents d’élèves de maternelle, mais de l’élémentaire aussi. Après de nombreuses discussions avec les collègues, j’ai très vite compris que les enseignants étaient très réticents à entrer en contact avec les parents, mais aussi à montrer leur pratique. Les parents ne pouvaient pas rentrer pas dans l’école pour déposer les enfants, mais ils les laissaient à la porte et les enfants se rendaient seuls dans leur classe et cela dès l’âge de 2 ans. La principale raison invoquée par l’équipe pédagogique de l’école était le plan Vigipirate. En effet, en raison des attentats survenus en France et notamment en 2015, les entrées et sorties des écoles sont très encadrées. Mais cet aménagement date de plusieurs années, il n’a donc rien à voir avec les règles de sécurité en vigueur. Le second argument était l’acquisition de l’autonomie par les élèves. Les élèves arrivant seuls doivent se déshabiller seuls, enlever leurs chaussures, mettre les chaussons, ranger leurs affaires, sans l’aide de l’adulte. Il nous semble cependant difficile de demander à un élève de devenir autonome sans même lui avoir montré au préalable comment le devenir et qu’on l’ait accompagné dans son autonomie. Enfin, la dernière justification invoquée est que cela ne permettait pas aux élèves de se séparer correctement de leurs parents. Or, les pleurs des enfants étaient « déplacés » à la porte de la classe et encore plus difficiles à gérer. En effet, l’adulte à la porte n’est pas en capacité de sécuriser l’entrée et réconforter un élève qui n’est pas prêt pour la séparation. De plus, nous pouvons qualifier cette séparation de violente, l’élève n’étant plus en sécurité affective.

La seconde difficulté qui m’est apparue était l’absence de projets d’équipe, bien que l’axe 4 du projet REP+ du collège Anatole France auquel l’école est rattachée demande aux acteurs de « Favoriser le travail collectif de l'équipe éducative. Développer la co-intervention en aménageant des temps de concertation » ( annexe 1 : 193).

Il n’y avait aucun projet inter-classes ou de projet pour l’école. Chaque enseignant construisait les apprentissages sans même se demander ce qui avait été fait ou ce qui sera fait dans les autres classes. Le décloisonnement l’après-midi avec les GS avait du mal à se mettre en place. Ensuite, aucun lien n’existait entre les différentes écoles du quartier, ni concertation, ni progression commune, ni projet commun. Les seules interactions se limitaient aux formations REP +.

En troisième lieu, et c’est certainement l’un des points qui m’a le plus questionnée est le mutisme de certains élèves face aux adultes. J’ai été rassurée quand certains se sont mis à parler

entre eux même si c’était dans leur langue maternelle. Alors que certains collègues l’interdisaient dans leur classe, nous nous réjouissions.

Enfin, lors de ma première réunion avec les enseignants de CP, leur constat était sans appel : les élèves étaient la plupart en difficulté et l’acquisition de la lecture était difficile, en raison d’un manque de lexique et d’une langue française pas assez construite. Il faut se poser la question de difficulté en elle-même. Selon Thamin (2015 : 144), il est nécessaire de faire la distinction entre ces difficultés : langagières, d’apprentissage, du comportement, scolaires, linguistiques, trouble du langage et pose la question du diagnostic. Peut-on parler de difficulté dès l’entrée à l’école maternelle pour des élèves qui ont une langue maternelle différente de celle de l’école ?

Par ailleurs, les enseignants se concentrent souvent sur la question lexicale alors que l’acquisition de la langue concerne tous les points de la langue : morpho grammatical et lexicale, syntaxe, phonétique/phonologie, langue/culture. Les enseignants appréhendent plutôt les élèves comme des enfants en difficulté plutôt que comme des élèves ayant déjà acquis des compétences dans une autre langue. De plus, les lectures que nous avons faites montrent que ce n’est pas forcément que le lexique n’est pas acquis. En effet, dans la langue maternelle, l’enfant peut connaitre le concept mais pas le lexique dans la langue seconde.

Ces observations ont soulevé chez nous de nombreux questionnements, notamment autour de l’accueil des élèves de 2 à 4 ans. Nous nous demandions comment accueillir ces élèves avec bienveillance pour qu’ils se sentent bien à l’école, quelles démarches didactiques et pédagogiques pouvaient permettre l’intercompréhension entre élèves et enseignants malgré des langues différentes, et ce que nous pouvions mettre en place dans notre classe et dans notre école pour favoriser l’acquisition du français langue de scolarisation en tenant compte des langues des élèves. De plus, nous souhaitions pouvoir mettre en œuvre des projets au sein de l’école en partenariat avec les parents d’élèves afin de développer une véritable co-éducation et de travailler les langues des familles.

Notre cheminement a commencé en 2016 lors de l’ouverture d’un master 2 PIF à l’ESPE de Besançon (aujourd’hui INSPE) où nous avons eu l’occasion de discuter avec l’enseignante chercheure S. Cambrone Lasnes et de découvrir l’éveil aux langues. Nous nous y sommes intéressée et avons mis en œuvre dans la classe différentes activités : écoute de comptines, accueil de parents, nombres en plusieurs langues. Malheureusement, nous n’avons pas pu cette année-là participer à cette formation de master 2 PIF.

Affectée à l’école maternelle de Bethoncourt, nous ne savions pas vraiment à quoi nous attendre. Nous avions toujours travaillé soit en milieu rural soit en milieu semi-urbain, mais nous ne connaissions pas ou très peu les élèves allophones. Nous nous sommes sentie en difficulté face aux problèmes de communication avec les élèves qui ne parlaient pas le français. Les consignes n’étaient pas comprises, les enfants pleuraient beaucoup et nous ne comprenions pas leurs besoins. Une première formation avec le CASNAV et Simonin65, suivi d’une journée académique sur le plurilinguisme nous a apporté une première vision du plurilinguisme et des outils à utiliser en classe. Mais il nous manquait encore quelque chose pour aller plus loin, que nous nous savions définir à cette époque. Une nouvelle formation avec Thamin et Simonin a confirmé notre besoin d’aller plus loin, pour mieux comprendre nos élèves et leurs parents, les accueillir avec plus de bienveillance et leur permettre l’acquisition de la langue française comme langue de scolarisation mais aussi de communication.

Pour cette recherche, nous passons donc d’une posture d’enseignante à une posture d’apprentie-chercheur. En sciences de l’éducation, les postures sont définies par « des manières langagières et cognitives de s'emparer d'une tâche », c’est-à-dire, qu’à un moment donné une personne va solliciter « une structure pré-construite » du « penser-dire-faire », en réponse à une situation ou à une tâche donnée. Une posture est inscrite dans une situation en fonction de de ce qui se passe en classe, elle est donc temporaire et dépend fortement du contexte (Donnio)66.

C’est ce que décrit le schéma suivant :

65 Formation dans le cadre du crédit d’heures en REP + pour comprendre notre public et la place des langues à l’école.

66 Donnio, D. (non daté). Les postures et gestes professionnels de l’enseignant. En ligne : https://peda.ac- mayotte.fr/images/Documents/EPS/TICE_EPS/Les_Postures_et_gestes_professionnels_de_lenseignant_D.DON-NIO_1.pdf (consulté le 20 février 2020).

Figure 30 Schéma expliquant le mécanisme des postures de l’enseignant en fonction du contexte.

Source : Donnio (non daté).

Les postures des enseignants sont donc déterminées par différents facteurs : les rapports aux savoirs théoriques, l’expérience, le rapport au social et aux valeurs, le capital émotionnel et l’attachement, la déontologie et le rapport à l’institution.

Figure 31 Les différents facteurs déterminant les postures des enseignants Source : Donnio (non daté).

Ces facteurs influencent les perceptions et les représentations des situations et l’enseignant fera un choix de posture en fonction de ceux-ci. Nos préoccupations d’enseignants sont de mettre en place chez les élèves un certain nombre d’objets de savoir. En tant que chercheure dans la classe, nous devrons donc nous préoccuper de ces postures mais aussi des postures inhérentes à celle de la recherche. Nous serons donc dans une recherche action, nous permettant d’être à la fois enseignante dans classe et chercheur.

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U

NE RECHERCHE ACTION DANS L

ECOLE ET DANS LA