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4. Cadre théorique

4.3. L’ingénierie des compétences

4.3.3. L’évaluation par compétences

4.3.3.1. Qu’est-ce que l’évaluation ?

Dans ce travail, nous traiterons particulièrement de l’évaluation par compétences car cette dernière est plus appropriée à notre recherche. Il semble avant tout important d’expliciter le terme « évaluation » pour en dépeindre les différentes manières de procéder.

De Ketele et Pacquay (1986) définissent l’évaluation comme étant un : « processus qui consiste à recueillir un ensemble d'informations pertinentes, valides et fiables et à examiner le degré d'adéquation entre cet ensemble d'informations et un ensemble de critères choisis adéquatement pour fonder une décision » (De Ketele & Pacquay, 1986, p. 266). En formation, l’évaluation est un moyen de contrôler des acquisitions relatives au savoir et aux savoir-faire des apprenants. Pour Aubret et Gilbert (2003) : « l’évaluation [...] a une double fonction : réguler des apprentissages, vérifier et certifier des acquisitions » (Aubret & Gilbert, 2003, p.1)

Deux méthodes d’évaluations prédominent au sein des systèmes éducatifs : l’évaluation formative et l’évaluation sommative. Minder (2007) différencie ces deux méthodes de la sorte : « l’évaluation formative poursuit un but pédagogique, tandis que l’évaluation sommative répond à une fonction sociale et institutionnelle. La première se fait en classe, et la seconde s’opère lors d’une situation d’interrogation ou d’examen » (Minder, 2007, p.10).

Le tableau ci-dessous, élaboré par Minder (2007), caractérise les deux conceptions de l’évaluation sous la perspective de quatre critères :

Figure 6 : Caractéristiques de l’évaluation formative et de l’évaluation sommative (Figure tirée de Minder, 2007)

4.3.3.2. Comment évaluer la compétence ?

La littérature traitant de l’évaluation des compétences est abondante et devient un tournant dans le champ de la formation. Rey (2014) affirme que la notion de compétence est difficile à appréhender notamment en termes d’évaluation. En effet, comme nous l’avons souligné précédemment, la définition même de la compétence étant polysémique, son évaluation en devient de facto problématique. Ainsi, les professionnels peinent à comprendre quels éléments de la compétence ils doivent évaluer et la manière dont ils doivent procéder pour le faire.

Pour pallier ce problème, Jonnaert (2014) affirme qu’avant toute évaluation, les professionnels de la formation doivent clairement expliciter leur perception de la notion de compétence car « s’ils ne parlent pas de la même compétence, toute velléité de comparer ces travaux d’évaluation des compétences est aléatoire » (Jonnaert, 2014, p. 42-43). De ce fait, la nécessité d’avoir une définition précise est primordiale et doit se faire préalablement.

Pour éviter ces malentendus, Jonnaert (2014) considère qu’« une modélisation de la notion de compétence [...] peut servir de cadre de référence aux évaluateurs » (Ibid., p. 37). Ainsi, ces derniers doivent être au clair avec la notion de compétence, sans oublier leurs attentes envers les apprenants. Une modélisation avec des indicateurs précis permet et facilite le partage d’un référentiel commun, à toute démarche d’évaluation.

Pour remédier à ces difficultés, nous avons recensé quatre critères à prendre en compte lors de l’évaluation des apprenants : élaborer des indicateurs et critères de compétences, évaluer par une approche formative, évaluer en situation et évaluer la réflexivité de l’apprenant.

4.3.3.3. Élaborer des indicateurs et critères de compétences

Afin de juger le niveau de compétence de l’apprenant, l’évaluateur recourt à de multiples critères et indicateurs portant sur différents aspects de l’activité. Les critères sont des repères qui vont aider l’enseignant à juger et évaluer le degré d’atteinte des objectifs. Ces critères sont composés d’indicateurs que Chauvet (2001) définit comme étant des « éléments concrets, observables, quantitatifs ou qualitatifs permettant d’apprécier, selon le cas, dans quelle mesure un objectif est atteint, ou si la performance attendue a été réalisée ou encore si la technique utilisée est maîtrisée » (Chauvet, 2001, p.85). Les indicateurs ne visent pas la mesure d’une activité mais ils permettent d’entrevoir les signes et traces sur l’objet d’évaluation (Tourmem, 2015). Ainsi, ils permettent de lister précisément les différentes tâches à accomplir selon les objectifs recherchés et d’expliciter les aspects particuliers de la compétence à mobiliser.

Nombreux sont les auteurs qui ont présenté des méthodes pour catégoriser les critères et indicateurs de compétences (Tourmen, 2015). Un des auteurs, Mayen (2005), propose aux évaluateurs de se focaliser sur les critères et indicateurs suivants : les buts, les indices de situations ou prises d’informations, l’utilisation de règles d’action, la connaissance de certains gestes ainsi que la conception fondant et soutenant l’action des individus. (Mayen, 2005, cité par Tourmen, 2015, p. 132).

Il est toutefois important de notifier que, malgré cette catégorisation, une zone d’incertitude peut demeurer ce qui amène l’évaluateur à effectuer des modifications (Ibid.). Les critères et indicateurs élaborés par Mayen (2005) sont également utiles pour l’apprenant car il peut vérifier s’il a réalisé la tâche demandée, conformément à ce qui est attendu par l’évaluateur.

4.3.3.4. Évaluer par une approche formative

L’approche par compétence favorise une évaluation formative « filée », c’est-à-dire descriptive et évolutive dans le temps (Scallon, 2004). Une évaluation formative permet de situer les acquisitions des apprenants par rapport aux objectifs d’apprentissages établis. Elle permet de mesurer les progrès des apprenants, à savoir l’écart entre leurs performances et les attentes pédagogiques. L’objectif de l’évaluation par compétence n’est pas réellement d’évaluer les apprenants mais plutôt de diagnostiquer et réguler les apprentissages. Comme l’affirme Rey (2014), « Plutôt que de mesurer, [la compétence] impose de comprendre, c’est-à-dire de porter au jour les processus qui permettent le traitement adéquat de tâches toujours nouvelles » (Rey, 2014, p. 33). L’évaluation formative permet alors de déceler rapidement les lacunes des individus et d’ajuster la suite de l’apprentissage pour permettre une réelle progression des apprenants.

Ainsi, pour Campanale (2009), « l’évaluation se centre sur l’observation de comportements en évolution qui se stabilisent au fil de plusieurs situations » (Campanale, 2009, p.77).

L’évaluation se fait sur le temps et demande à l’examinateur de construire et reconstruire ce processus car ce dernier diffère selon le contexte. Scallon (2015) estime qu’« on ne peut porter un jugement sur l’élève que si on a également suivi sa progression, ce qui suppose que plusieurs tâches ou situations-problèmes aient servi de balises tout au long du parcours de l’élève » (Scallon, 2015, p.121). On évalue alors la capacité des apprenants à mobiliser des savoirs, savoir-faire et savoir-être dans des situations complexes préétablies. Pour Scallon (2004), le but de cette démarche est d’observer la manière d’agir des apprenants afin qu’ils progressent.

Contrairement à d’autres approches, ici, l’erreur n’est pas perçue comme négative mais fait entièrement partie de l'apprentissage. C’est par le biais de feedback que l’apprenant rectifie ses erreurs et réajuste ses actions afin de développer les compétences attendues. Pour Désilets et Tardif (1993), les apprenants doivent être suivis par « un feedback susceptible de les conscientiser sur leurs pistes d’amélioration favorisant ainsi le développement métacognitif » (Désilets & Tardif, 1993, p. 20-21). Le feedback du formateur est alors une étape essentielle et fait entièrement partie de l’apprentissage du formé. Les remarques du professionnel permettent de sensibiliser l’apprenant à ses lacunes afin qu’ils puissent les améliorer rapidement.

4.3.3.5. Évaluer en situation

Pour Tardif et Dubois (2010), si l’on considère que la compétence correspond à un savoir agir, c’est qu’elle s’évalue exclusivement dans des situations spécifiques : « si évaluer des compétences correspond à évaluer un savoir agir, alors elles ne peuvent pas être évaluées en dehors des situations exigeant une mise en acte » (Tardif & Dubois, 2010, cité par Tourmem, 2015, p.121). Mottier-Lopez (2007) et Campanale (2009), considèrent également l’évaluation comme étant avant tout, une pratique située.

En effet, la situation est fondamentale car c’est dans l’action que les compétences sont inférées (Scallon, 2015, p.123). C’est seulement dans l’action qu’il est possible de repérer les compétences d’un individu, soit de repérer s’il est en mesure d’agir (en appliquant son savoir, savoir-faire, savoir-être) ou s’il est simplement en possession de compétences (Le Boterf, 2008). Tourmem (2015) assure également que « la voie royale pour estimer un niveau de compétences consiste […] à donner à vivre une ou plusieurs situations et à voir si (et comment) la personne s’en sort (tests, épreuves pratiques, etc.) » (Tourmem, 2015, p. 121).

De ce fait, l’évaluateur doit « créer des situations pointues pouvant déclencher la démonstration d’une compétence sur demande expresse » (Scallon, 2015, p. 98). Pour inférer une compétence, l’évaluateur ne doit pas s’intéresser exclusivement à une seule situation, mais plutôt dégager la capacité de chaque individu à mobiliser diverses ressources d’une situation à l’autre (Ibid., p.

232). Il est primordial d’observer de multiples situations et de les diversifier pour juger la compétence de l’individu. C’est par la simulation que les apprenants pourront activer et développer leurs compétences.

4.3.3.6. Évaluer la réflexivité de l’apprenant

Pour Jonnaert (2014), « repenser l’évaluation des compétences c’est avant toute chose réintroduire l’apprenant dans le processus d’évaluation » (Jonnaert, 2014, p.55). En effet, la particularité de cette démarche est d’impliquer tout individu dans leurs processus d’évaluation.

L’apprenant est alors maître et acteur principal de son apprentissage (Ibid.).

Pour Scallon (2015), « la personne compétente doit aussi être consciente de la démarche qu’elle emprunte, c’est-à-dire faire preuve de réflexivité » (Scallon, 2015, p.102). L’évaluation par compétence vise ainsi à développer la réflexivité de l’apprenant pour lui permettre de construire ses compétences et de les ajuster pour résoudre au mieux les situations complexes. C’est « par des retours réflexifs sur ses actions en situation, [que l’apprenant] peut clarifier son cheminement dans sa propre construction d’une compétence » (Jonnaert, 2014, p.55).

Ainsi, Allal (1999) recense trois modalités d’évaluation permettant d’impliquer les formés dans le processus d’évaluation (Allal, 1999, p. 88). La première modalité est l’auto-évaluation permettant de « stimuler l’autoréflexion » de l’apprenant (Scallon, 2015). Par ce biais, le formé évalue son propre travail ainsi que sa manière d’agir sur la base d’outils d’évaluations. Pour Wilkinson et coll. (2009), cette démarche est « essentielle au développement de toute compétence professionnelle » (Wilkinson & coll., 2009, cité par Scallon, 2015, p.107).

La deuxième modalité est l’évaluation mutuelle qui implique l’évaluation des productions et des manières de procéder par d’autres apprenants. Dans cette démarche, les apprenants sont évalués par leurs pairs (Ibid.).

La co-évaluation est la dernière modalité. Elle permet à l’apprenant de confronter son auto-évaluation à celle établie par l’évaluateur. Cette dernière vise avant tout une comparaison constructive permettant à l’apprenant une meilleure progression.

4.3.3.7. Un outil indispensable

4.3.3.7.1. Le portefeuille de compétence

Le portefeuille de compétence ou portfolio est « un outil de consignation de données sous forme de porte-documents électronique ou papier permettant de cumuler des traces au regard d’un ou de plusieurs objectifs donnés » (Bélair et Van Nieuwenhoven, 2010, p.161). En d’autres termes, le portfolio est un outil formatif visant à conserver les acquis et à évaluer les compétences des individus par une approche réflexive.

Pour Forgette-Giroux et Simon (1998) quatre catégories d’éléments figurent dans les portfolios : les habiletés cognitives, les comportements, les attitudes et valeurs ainsi que les progrès de l’apprenant (Forgette-Giroux & Simon, 1998, cité par Scallon, 2004, p. 290). Ces derniers ajoutent que le portfolio peut contenir des justifications et commentaires émis par l’apprenant.

Ce porte-document permet alors au formé de « conserver les traces de ses actions successives

» (Jonnaert, 2014, p.55). Cette démarche lui permettra de stimuler sa réflexivité et d’ajuster ses compétences.

Le portfolio de développement demande aux apprenants « une analyse réflexive sur les diverses expériences vécues ainsi que l’articulation entre théorie et pratique » (Bélair & Van Nieuwenhoven, 2010, p.171). Ce dossier leur permet de contrôler leurs apprentissages et développer une réflexivité sur leur propre pratique et compétences développées. Pour Scallon (2004), cette démarche va « au-delà du simple constat de ce que l’étudiant a pu réaliser dans le cadre des séminaires théoriques, durant la période de stage ou durant n’importe quel autre type d’expériences personnelles vécues » (Scallon, 2004, p. 287).

Le portfolio prend alors la forme d’un bilan de compétences permettant, entre autres, à l’apprenant de lister les compétences acquises et compétences à développer. Utilisé généralement par les évaluateurs, le bilan de compétence permet d’évaluer la progression et « de vérifier dans quelle mesure tel ou tel sujet est en mesure de démontrer sa maîtrise des compétences visées par le programme auquel il est inscrit » (Boutin, 2004, p. 32).

Que retenir ?

➢ Un nouveau paradigme surgit dans le monde de la formation : on passe d’une ingénierie de la formation à l’ingénierie des compétences :

- L’ingénierie de la formation s’intéresse aux dispositifs de formation, en développant une approche par objectifs (APO)

- L’ingénierie des compétences s’intéresse aux compétences des individus, en développant une approche par compétences (APC)

➢ L’APO vise à transmettre des connaissances aux apprenants et s’intéresse à la réalisation d’une action. Elle se caractérise par :

- Une parcellisation des contenus scolaires qui va du plus simple au plus complexe

- Une explicitation quant aux apprentissages attendus - Une reproduction d’acquis dans des situations similaires - Des apprentissages donnés par les enseignants

➢ L’APC a pour objectif d’aider les apprenants à construire eux-mêmes leurs connaissances. Les caractéristiques sont alors :

- De place l’individu au cœur de l’apprentissage

- De réaliser des tâches allant du plus complexe au plus simple - De mettre l’accent mis sur les situations inattendues

- De bénéficier de l’aide d’un enseignant-facilitateur

➢ L’approche par compétence fait en sorte que les individus tâchent d’exploiter leurs compétences en situation.

L’évaluation permet de contrôler et réguler les apprentissages des apprenants.

➢ Deux méthodes d’évaluations : l’évaluation formative et l’évaluation sommative - L’évaluation formative intervient à différents temps de l’apprentissage. Elle

permet de cibler les progrès et lacunes de l’apprenant

- L’évaluation sommative permet d’évaluer, à la fin d’un processus d’apprentissage, les niveaux de performance atteints par l’apprenant

➢ L’évaluation par compétences a pour objectif de repérer les compétences de l’apprenant et sa maîtrise des ressources, dans les situations complexes.

➢ La notion de situation est importante en APC car c’est par ce biais que l’examinateur peut inférer les compétences des individus.

➢ Pour évaluer la compétence, l’examinateur doit :

- Créer des critères et indicateurs adéquats permettant de décrire les compétences attendues

- Concevoir des situations-problèmes - Privilégier une évaluation formative - Développer la réflexivité de l’apprenant

➢ Le portfolio est un outil efficace car il permet à l’apprenant de réfléchir sur ses actions et de contrôler ainsi son apprentissage pour s’évaluer.

4.4. Professionnalisation