• Aucun résultat trouvé

Chapitre II : Entrepreneuriat social et émancipation

1. L’émancipation au cœur de l’économie sociale et solidaire

La conception européenne de l’entrepreneuriat social, exposée dans le chapitre précédent, puise en partie ses sources dans l’économie sociale et solidaire. De la sorte, il nous revient à présent de remonter aux origines de cette « autre économie » (Laville & Cattani, 2006), en vue de saisir la nature et la portée du projet émancipatoire mis en œuvre par les entreprises sociales. Dès sa naissance, au commencement du XIXe siècle, l’économie sociale se veut aux antipodes du mode de production capitaliste fondé sur la concurrence et l’accumulation de richesse. Mettant en avant de nouvelles manières de produire, de consommer, de créer du lien social et surtout, de lutter pour ses droits, elle souhaite bâtir une alternative collective et solidaire, visant à corriger les défauts de l’individualisme promu par le système libéral. Il s’agit alors d’explorer de nouvelles voies permettant aux travailleurs de la base, aux pauvres et aux exclus de s’émanciper, en acquérant indépendance et autonomie dans leur choix de consommation et leurs actes de production, tout en gagnant davantage de pouvoir pour conduire leur vie. Au sein de cette partie, nous nous proposons de remonter aux origines d’un tel programme en explorant les liens unissant l’économie sociale (1.2.), puis l’économie solidaire (1.3.), à l’émancipation sociale. Mais avant cela, découvrons les premières conceptualisations de la notion d’émancipation (1.1.).

1.1. Origines de la notion d’émancipation

Etymologiquement, le mot « émancipation » vient du latin « emancipare », construit à partir du « e » privatif et de « manucapare », qui signifie « prendre par la main ». Cette notion renvoie donc originellement au fait d’affranchir un esclave du droit de vente, l’achat d’un esclave se faisant en effet en le prenant par la main.

A partir du XVIIIe siècle, le mot « émancipation » acquiert en sens plus vaste : il fait alors référence à tout acte d’affranchissement vis-à-vis d’une autorité, d’une domination ou d’une tutelle de toute sorte. « S’émanciper » est un moyen de se libérer de l’oppression en acquérant liberté et autodétermination. Pour les philosophes des Lumières qui s’approprient ce terme, l’émancipation humaine est le principe même de l’avancement des sociétés modernes. Comme le souligne Kant (1991, p. 35) dans une définition devenue classique, « les Lumières, c’est la sortie de l’homme de la minorité dont il est lui-même responsable ». Il ajoute alors : « […] La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre ». Selon le philosophe, l’émancipation passe ainsi par l’acquisition par l’Homme de la connaissance rationnelle, permettant d’opérer une rupture d’avec l’autorité de la tradition, de la croyance et de la superstition. La progression de la raison est en soi un préalable à la libération de l’humanité.

Toutefois, les idéaux progressistes des Lumières, plutôt que d’être incarnés dans la réalité durant la période révolutionnaire, sont largement demeurés au stade de propositions théoriques. C’est là le cœur de la critique avancée par Marx et Engels, qui estiment que les bourgeois de la Révolution française ont manié les valeurs de liberté et d’autodétermination, non pas pour

51

faciliter l’émancipation de tous, mais pour justifier la mise en œuvre d’un système économique injuste et inégalitaire, générateur d’oppression pour la majorité des travailleurs (Marx & Engels, 1970). Selon Marx, l’émancipation, contrairement aux propositions kantiennes, n’est pas un acte mental de nature individuelle, mais un acte historique qui s’opère à travers une transformation collective des relations sociales et des structures de production (Mészáros, 2004). Unis contre le système libéral qui les aliène et les déshumanise, les travailleurs doivent donc prendre possession des moyens de production, de manière à acquérir une véritable indépendance économique. Et cela passe par la révolution, la seule qui puisse abolir le capital et la propriété privée.

De manière significative, les premiers penseurs de l’économie sociale vont s’inscrire en porte- à-faux vis-à-vis de cette conception révolutionnaire de l’émancipation. Comme le rappelle Draperi (2009), au XIXe siècle, les théoriciens du modèle coopérativiste et associatif, tel Charles Gide en France, portent avant tout un projet social réformiste et essentiellement non violent. Quand bien même leurs actions puissent être jugées illégitimes ou être interdites par la puissance publique :

[...] l’économie sociale comme l’économie solidaire s’appuient sur l’idée fondamentale que l’émancipation doit être conquise par l’association volontaire, solidaire et égalitaire de ses membres plutôt que par l’appel aux armes contre le pouvoir (Draperi, 2009, p. 22).

Face aux propositions communistes qui imposent un renversement de l’ordre social et aux arguments libéraux qui défendent la perpétuation du système en vigueur, l’économie sociale ouvre alors une troisième voie, celle d’un mouvement collectif fondé sur les principes de solidarité et d’autogestion.

1.2. L’émancipation à travers l’économie sociale

Pour retrouver les racines de l’économie sociale, il est nécessaire de remonter à la fin du XVIIIe siècle, moment de l’émergence des premières utopies de l’association (Chanial & Laville, 2005). Les socialistes utopiques que sont Fourier et Saint-Simon bâtissent alors des modèles de société censés opposer au règne de l’individualisme de la société libérale un système fondé sur le pouvoir du collectif. Selon Saint-Simon et ses disciples, l’Association, perçue comme une religion, constitue une matrice garante d’harmonie. Elle permet d’imposer une unité toute- puissante face au désordre économique et social. Il s’agit d’abolir la loi de l’offre et de la demande, de supprimer la vente et l’achat, et de transformer la propriété en fonction sociale, de façon à faire de l’Etat, devenu « l’association des travailleurs », la seule entité capable de redistribuer des richesses entre les membres de la société. Fourier, qui considère les saint- simoniens trop autoritaires et moralistes, considère quant à lui qu’associer les hommes c’est d’abord associer les passions, et non les réprimer. Les membres d’une société sont ainsi voués à s’unir selon leurs goûts, leurs sentiments et leurs idées, afin qu’ils s’aident mutuellement pour satisfaire leurs passions. Ils se regroupent par séries affectives au sein de « phalanges », unités de production domestiques, agricoles et professionnelles, dont la vocation est de communiquer

52

entre elles à travers le monde, de manière à réaliser l’Harmonie universelle. Malgré leurs différences, les systèmes saint-simonien et fouriériste font de l’association la garante de l’émancipation complète des individus. Et bien qu’ils soient demeurés des utopies, leurs principes ont laissé des traces permanentes dans la pensée des théoriciens de l’associationnisme. Au XIXe siècle surgissent en effet de nouvelles formes organisationnelles qui, aux côtés des associations existantes datant de l’Ancien régime (compagnonnages et sociétés de secours mutuel), proposent de bâtir une économie « fraternelle et solidaire » (Chanial & Laville, 2005). De nombreuses associations de production, ouvrières comme paysannes, font leur apparition et affirment un objectif clair d’émancipation : libérer les travailleurs des métiers du régime du salariat en garantissant l’autogestion de la production. D’inspiration saint-simonienne, cette théorie de l’association

[...] invite les ouvriers, promus seule force productive et seule source de richesses, à mettre en commun leurs instruments et leur force de travail afin de constituer un capital collectif inaliénable sur la base duquel, ainsi regroupés, ils ne devaient plus dépendre que d’eux-mêmes. Egaux en droits comme en devoirs, délivrés des patrons, de la propriété individuelle et du salariat, ils pourraient ainsi diriger en commun l’industrie et supprimer la concurrence (Laville & Chanial, 2005, p. 54).

Outre les associations de travailleurs, des organisations de consommateurs apparaissent dans le paysage ouvrier de l’époque. A Rochdale, dans le Lancashire (Angleterre), un groupe de tisserands se rassemblent en 1844 pour fonder une association et ouvrir un magasin. Leur but est simple : garantir à leur clientèle des prix raisonnables et une bonne qualité de produits. Ils mettent aussi en œuvre quatre règles fondamentales qui sont aujourd’hui les principes fondateurs du mouvement coopératif : 1) Liberté totale d’adhésion à la coopérative ; 2) Principe de décision « un membre, une voix » ; 3) Répartition des bénéfices entre les membres en fonction de leurs ventes ; 4) Rémunération limitée du capital (Singer, 2002). A l’instar de l’initiative des « Pionniers de Rochdale », les expériences associatives se multiplient en Europe de l’Ouest durant la première moitié du XIXe siècle : colonies agricoles d’inspiration fouriériste, systèmes de crédit et d’assurance mutuels, ateliers sociaux sur le modèle de Louis Blanc, etc. Elles visent non seulement une réorganisation de la production, mais aussi, et surtout, une réorganisation de la société. De fait, la réforme sociale est perçue comme un préalable à la réforme politique. Si la hiérarchie industrielle dans les associations repose sur l’élection, la hiérarchie politique doit en être de même. Un tel projet de démocratisation trouve alors sa pleine expression dans les mouvements de 1848, dont l’un des objectifs et de mettre en œuvre une « politique de l’association » (Chanial & Laville, 2005, p. 57).

Suite aux répressions qui sanctionnent ces projets politiques et traumatisent le mouvement ouvrier, l’associativisme explore une autre voie, en conciliation avec le réformisme politique. L’économie sociale entre alors progressivement dans une phase d’institutionnalisation, ses organisations étant progressivement tolérées par la puissance publique et même promues par un ensemble de politiques et de penseurs de tous bords. En France, l’économiste et historien Charles Gide est reconnu comme étant l’un des premiers théoriciens de l’économie sociale

53

(Draperi, 2009). Il lance en novembre 1886 le premier journal coopératif français, l’Emancipation, dont le numéro originel constitue le manifeste de ce qu’on va bientôt appeler « l’école de Nîmes » (Pénin, 2006). Dans cet écrit, Gide met en évidence la force des modèles associatif et coopératif, lesquels peuvent selon lui garantir la réalisation du progrès social en tirant profit de la solidarité entre les Hommes. En cette fin du XIXe siècle, il estime d’ailleurs que ce sont les coopératives de consommateurs qui constituent les formes d’organisation les plus prometteuses. Comme le rappelle Pénin (2006, p. 69) :

les coopératives introduisent le principe démocratique (un homme, une voix) dans une économie dominée par le pouvoir du capital ; elles créent un secteur où la recherche du profit n’est plus le mobile d’action et où le principe d’organisation n’est plus la concurrence, mais la solidarité ; elles constituent des structures d’éducation populaire où les classes populaires peuvent se former à la gestion, se préparant ainsi à prendre en main l’ensemble de l’économie.

A travers la participation démocratique et l’éducation populaire, le consommateur-coopérateur peut ainsi passer du statut d’agent passif à celui d’agent actif, conscient de ses droits, de ses devoirs et de ses véritables intérêts. La coopérative s’affirme alors comme une structure émancipatrice, lieu de prise de conscience et de prise de pouvoir, qui permet l’accès des individus au terrain de l’action politique. La conception gidienne de l’économie sociale, bien que très influente à la fin du XIXe siècle, n’est toutefois pas la seule en vigueur à cette époque. Outre cette doctrine, les chercheurs de la Société chrétienne suisse d’économie sociale ont distingué en 1890 trois écoles de l’économie sociale (Gide et al., 1890) :

- L’école de Le Play ou du christianisme social, selon laquelle les réformes sociales doivent résulter de l’action combinée de la religion (la famille), de la charité (le patronage d’industrie), des individus réunis en associations et de l’Etat, garantissant le respect de la justice ;

- L’école collectiviste, rattachée au mouvement socialiste, selon laquelle tous les moyens de production (usines, outillage, sol) doivent être mis en commun afin de devenir la propriété collective de l’ensemble des citoyens, de sorte qu’ils puissent jouir équitablement des fruits de leur travail ;

- L’école libérale, enfin, selon laquelle le progrès social découle tout d’abord d’initiatives individuelles, qui ne doivent jamais être entravées, mais seulement appuyées par l’Etat, lequel assure fondamentalement la sécurité des citoyens et le respect de leur propriété. Selon cette conception, l’économie sociale apparaît dès lors comme une « économie libérale tempérée par des chapitres sociaux » (Parodi, 2009, non paginé).

Au sein de ce paysage pluriel de l’économie sociale, la théorie coopérative gidienne bâtit un chemin alternatif. Charles Gide reconnaît ainsi l’importance de la charité mais refuse d'associer son mouvement à une quelconque œuvre caritative de l’industrie. De plus, s’il croit, comme les collectivistes, à la gestion en commun des moyens de production, il rejette l’idée selon laquelle une révolution devrait mettre fin à la propriété privée du capital (Pénin, 2006). Enfin, les thèses gidiennes, fondées sur les principes de solidarité et de collaboration entre individus, prennent le contre-pied des propositions libérales qui font du changement social le résultat de la seule initiative individuelle. Face à l’ensemble de ces conceptions concurrentes, c’est finalement la

54

doctrine de Charles Gide qui servira de fondement au développement de l’économie sociale dans les pays francophones tout au long du XXe siècle.

Au cours de son institutionnalisation progressive, l’économie sociale s’est cristallisée autour de trois formes organisationnelles : la coopérative, la mutuelle et l’association. Selon Chanial et Laville (2005), ce phénomène, associé au mouvement de professionnalisation des organisations, a contribué à l’effacement de la dimension politique de l’économie sociale :

La spécialisation, l’évaluation de l’efficacité productive des coopératives et mutuelles en référence à celles des autres entreprises, l’insertion des associations dans les politiques sociales nationales ont entraîné une technicisation des enjeux liés aux organisations d’économie sociale (Chanial & Laville, 2005, p. 63).

De nombreuses coopératives, associations et mutuelles ont alors abandonné leur ambition sociétale au profit de la recherche de la performance gestionnaire et de l’adéquation vis-à-vis des normes publiques, devenant ainsi presque similaires aux entreprises capitalistes. En se définissant à partir de règles statutaires – comme la non domination du capital – et non plus sur la base de valeurs – comme la solidarité – elles auraient progressivement délaissé l’ambition de représenter des alternatives au mode de production et d’organisation capitaliste. Car, comme le souligne Gaiger (2004, p. 397, notre traduction), « la nature non capitaliste d’une organisation économique ne se mesure pas avec certitude par le caractère collectif de son système de propriété ». En vérité, des organisations autogérées comme les coopératives, fondées sur le principe de participation démocratique des travailleurs, peuvent souvent fonctionner de manière similaire aux entreprises traditionnelles. C’est le cas, par exemple, de nombreuses coopératives de production implantées dans les pays émergents comme le Brésil. Du fait du manque d’investissement et du défaut de formation des travailleurs, ces organisations en viennent souvent à adopter une gouvernance centralisée et verticale, à travers laquelle seul un nombre restreint d’hommes et de femmes prend part aux décisions stratégiques (Melo Lisboa, 2005). Dès lors, pour penser la relation entre économie sociale et émancipation, il est nécessaire de se projeter au-delà des statuts juridiques définissant ce secteur. En effet, depuis les années 1960, de nombreuses initiatives collectives, échappant aux règles statutaires de l’économie sociale, ont fait leur apparition aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. Revendiquant leur attachement au principe de solidarité, elles se constituent dans les années 1980 au sein d’un vaste mouvement, celui de l’économie solidaire, dont l’ambition est de se réapproprier la vocation émancipatrice historique des premières organisations de l’économie sociale.

1.3. Economie solidaire et émancipation

Les années 1960 sont marquées par la montée en force de nouvelles modalités d’action politique. Dans un contexte de croissance économique et d’amélioration du niveau de vie, de « nouveaux mouvements sociaux », en rupture avec le militantisme traditionnel (partis

55

politiques et syndicats), avancent des revendications en faveur d’un modèle alternatif de société (Mathieu, 2004). Porteurs de la cause féministe et de l’écologie, ils exigent l’instauration de rapports sociaux plus égalitaires, entre hommes et femmes tout d’abord, mais aussi entre tous les êtres humains et leur environnement naturel. Au même moment, les thèses altermondialistes rencontrent un fort écho dans le monde. Opposés au système néolibéral, les mouvements en faveur d’une autre mondialisation proposent d’instaurer des échanges plus humains et plus justes entre le Nord et le Sud. Avec la crise des années 1970, qui vient accroître les inégalités et creuser les écarts de richesse entre les pays, ces propositions alternatives vont prendre une ampleur nouvelle. Dans les pays développés, la montée rapide du chômage et de l’exclusion génère une demande sociale urgente, à laquelle de nouvelles formes d’organisation collective vont tenter de répondre, souvent en lieu et place des pouvoirs publics, parfois en association avec eux.

A partir des années 1980, ces organisations sociales très diverses – expériences de terrain, groupes, collectifs, associations, réseaux – commencent à se regrouper sous la bannière de l’économie solidaire, en mettant en avant trois types de solidarité active (Sibille, 2016) :

1. La solidarité avec les exclus du travail, du logement, de la santé... les « hors

économique »

Les entreprises d’insertion, les épiceries solidaires et les institutions de microfinance, par exemple, s’adressent avant tout aux exclus du système économique néolibéral, en leur proposant à travers des produits et des services de nouvelles modalités d’insertion dans la société.

2. La solidarité avec le Sud

Les associations de producteurs du commerce équitable et les ONG en faveur de la solidarité internationale proposent d’instaurer de nouveaux termes d’échange pour diminuer les écarts de richesse entre les pays développés et les pays en développement. 3. La solidarité avec les générations à venir

Les coopératives de recyclage, les associations d’agriculteurs biologiques ou encore les associations promouvant l’économie circulaire, canalisent des préoccupations environnementales de plus en plus présentes dans la société.

Si l’économie solidaire se propose d’occuper un espace d’intervention sociale en mettant en avant les valeurs d’entraide et de partage, elle ne souhaite pas pour autant se confondre avec un type d’action caritative, qui viendrait simplement pallier les défauts de l’Etat providence. En vérité, elle désire faire revivre l’élan associatif de la première moitié du XIXe siècle en replaçant la solidarité, un concept central de l’économie sociale dès ses origines, au centre de l’action économique. Il s’agit dès lors de redonner toute sa dimension transformatrice aux organisations alternatives – coopératives, mutuelles et associations – en faisant d’elles des instruments au service de la démocratisation de l’économie (Laville & Chanial, 2005). L’ambition politique de l’économie solidaire est donc clairement affirmée. En générant des « espaces publics de proximité » (Colin, Eme & Laville, 1994), propices au dialogue et à l’échange entre tous les citoyens, les initiatives de l’économie solidaire se donnent pour mission de générer de nouveaux liens sociaux, fondés sur la base d’échanges aussi bien marchands (vente de produits et de

56

services) que non marchands (dons et contributions volontaires). Ce nouveau système économique resocialisé devra donc mettre l’humain au centre de la production et de la consommation de biens et de services.

En constant dialogue avec les acteurs de l’économie sociale, les théoriciens de l’économie solidaire vont être amenés à repenser la question de la gouvernance des organisations solidaires. L’enjeu est en effet de savoir quelles formes organisationnelles sont réellement susceptibles de proposer une alternative au mode de production et d’organisation capitaliste, et donc de favoriser l’émancipation sociale. Sont-ce les entités régies par statut, comme les coopératives, les associations et les mutuelles, ou bien les organisations informelles qui font vivre les principes associatifs en leur cœur, sans avoir recours à des instruments juridiques ? Selon les partisans du modèle statutaire, l’existence de contraintes juridiques réduit considérablement la possibilité de déviance vis-à-vis des idéaux démocratiques de l’organisation. Comme l’exprime clairement Draperi (2009, pp. 30-31) :

Bien qu’insuffisants, les statuts coopératifs, mutualistes et associatifs présentent le premier mérite de permettre de créer des collectifs ayant une activité économique autrement qu’en réunissant du matériel ou des capitaux. [...] Il existe une correspondance étroite entre l’objet d’émancipation et le statut de groupement de personnes, de même qu’il existe une