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5.3 La ville 3

5.4.2 L’élue municipale

La conseillère municipale a commencé à fréquenter la bibliothèque assez tard dans sa vie, par curiosité et pour ses besoins personnels. Son élection l’a sensibilisée aux besoins des citoyens. Elle dit : « On est plus ouvert aux besoins ». Elle dit être également plus « au courant » depuis qu’elle est conseillère municipale.

5.4.3 Les thèmes et métaphores

Pour l’élue, la bibliothèque publique « ça doit être vivant. Ce n’est pas juste un dépôt de livres. Ça doit vivre. Ça doit être en lien avec la communauté, tout ce qui se passe dans la communauté ». La bibliothèque permet de « souder certains liens, de développer certains liens » dans la communauté. Elle agit comme un centre d’activités communautaires, un « lieu de rencontre ». Les collections vivent également à travers les animations. La conseillère a beaucoup insisté sur la bibliothèque en tant que « lieu de vie ». Elle a donc une autre image que celle qui consiste à aller chercher un livre et s’en aller. Elle s’intéresse aux animations, à tout ce qui est fait pour que les collections soient vues autrement que sous l’angle prêt/emprunt.

L’élue aime le livre; elle dit « juste le livre comme tel est un stimulant ». Tous ces livres offrent une « ouverture au monde. [Rires] C’est d’ouvrir, d’élargir les horizons pour chacun, de leur permettre de se poser des questions, de leur donner l’occasion de se poser des questions et d’avoir, entre autres, des éléments de réponse […] une ouverture aussi aux différentes cultures ». La bibliothèque permet d’élargir les centres d’intérêt, de découvrir, « de piquer la curiosité ». L’élue parle de « plonger » dans un livre. On voit là l’impression d’immersion comme si le livre nous submerge et nous sépare du monde, de la réalité. Il nous emmène ailleurs. La bibliothèque donne « des clés » pour entrer dans ces autres mondes que sont les livres. La clé est ce qui donne accès. La bibliothèque est donc un outil pour pénétrer dans ces mondes.

La bibliothèque est aussi, pour la conseillère municipale, un « lieu de mémoire » pour que se transmettent les connaissances de génération en génération. C’est encore « un lieu de dialogue entre lecteurs », donc un lieu d’échanges, de débat d’idées.

La mission de la bibliothèque est d’ordre culturel pour autant que l’on étende le mot culture : « si la culture c’est l’accès aux arts à travers les livres, si la culture c’est l’accès à la mémoire à travers les livres, si la culture c’est aussi tout ce qui nous entoure au niveau de la nature ». Dans la politique culturelle par contre, la culture apparait plus dans sa dimension anthropologique : « la culture comme une composante identitaire favorisant un sentiment d’appartenance et de fierté chez les citoyens ».

Pour la conseillère municipale, tout est bon pour approfondir une recherche : les livres, les revues, le prêt entre bibliothèques, Internet etc. Notamment, les enfants doivent pouvoir approfondir leurs apprentissages grâce aux collections de la bibliothèque municipale. Car ce qui fait la qualité de cette bibliothèque c’est qu’elle est « abondamment garnie et assidûment fréquentée », se félicite la politique culturelle.

Les liens avec l’école sont présents dans la politique culturelle tandis qu’ils n’apparaissent pas dans le discours de l’élue. Interrogée sur ce point dans la seconde entrevue, l’élue me demande ce que pourraient être ces liens. Elle n’a pas idée de ce que pourrait être un partenariat écoles-bibliothèque publique.

La politique culturelle veut rendre la culture plus accessible en encourageant les « loisirs culturels », tandis que l’élue n’a pas parlé de loisirs dans la première entrevue. Interrogée à ce sujet durant la seconde entrevue, la conseillère municipale a reconnu que « pour certains la lecture est un loisir ».

Les thèmes et métaphores dans le discours de l’élu sont présentés dans le Tableau 34.

Tableau 34 - Les thèmes et métaphores dans le discours de l’élue de la ville 4

Entrevues avec l’élue Politique culturelle

ƒ lecture = loisir ƒ encourager les loisirs culturels

ƒ culture, concept englobant ƒ culture comme composante identitaire ƒ liens avec la commission scolaire ƒ « approfondir une recherche »

ƒ « souder les liens dans la communauté » ƒ « lieu de mémoire »

ƒ « lieu de rencontre »

ƒ faciliter l’accès ƒ « responsabiliser les citoyens » au respect

des documents

ƒ lecture « stimulant »; « élargir les

horizons » ; on « plonge dans les livres »

ƒ « lieu de dialogue entre les lecteurs » ƒ qualité du fonds documentaire ƒ lieu « vivant »

ƒ animations littéraires ƒ augmenter les services ƒ guide : la bibliothèque donne les « clés »

pour pénétrer dans d’autres mondes

La conseillère municipale ne dit pas grand-chose sur les publics ni sur les services offerts. Elle a parlé de ses besoins et usages personnels (information, échanges intergénérationnels et culture). C’est un discours basé sur la seule expérience de l’élue en tant que lectrice et sur une image sociale de la bibliothèque (lieu de rencontre, lieu vivant, lieu de dialogue).

5.4.4 Les effets idéationnels du discours

Le même pronom personnel est utilisé pour évoquer soit le point de vue de l’élue, avec des verbes énonciatifs comme « je trouve », « je pense », soit la personne en tant que lectrice et usager de la bibliothèque (« si je trouvais dans ma bibliothèque […] si je pouvais extraire du livre », etc.). L’élue conjugue ses phrases au conditionnel quand elle se situe comme lectrice dans une bibliothèque idéale. Elle évoque ainsi les possibilités de développement de la bibliothèque selon elle.

Pour elle, la bibliothèque « c’est » un lieu visible, vivant, lieu de rencontre. Le verbe d’état conjugué au présent avec le pronom impersonnel donne une impression de véracité du propos qui ne peut être contredit. De la même manière, la conseillère municipale prend pour acquis que la culture ne se résume pas aux Arts mais est un concept englobant. Elle dit : « La culture ce n’est pas juste les arts visuels, les arts. Ce n’est pas juste les arts comme tels. C’est aussi tout ce qui nous entoure ».

La politique culturelle s’appuie sur les ressources dont dispose la bibliothèque et sa fréquentation. Il est écrit : « [la ville 4] possède une bibliothèque municipale abondamment garnie et assidûment fréquentée ». Le verbe d’état et les deux adverbes ne laissent pas de place à une possible contestation. Le fait est pris pour acquis.

L’élue dresse un portrait de sa communauté qui apparaît irréfutable. Elle dit à propos des analphabètes : « Il n’y en n’a pas ici. [...] Généralement de toute façon à [la ville 4], la moyenne des gens a plus de diplômes que dans d’autres municipalités ». L’expression « de toute façon » exclut d’autres manières de considérer le niveau scolaire de la population de la ville 4 que celle de l’élue. De même à propos des nouveaux arrivants, l’élue dit : « Il n’y en n’a pas. Ce n’est pas une question ici ». Donc l’argumentation tourne court, la conseillère municipale m’impose de passer à la question suivante. Elle a donc une image du public très rigide.

La conseillère municipale utilise des verbes performatifs pour citer ce qui est pour elle impératif. Elle dit : « la bibliothèque publique ça doit être vivant. […] Ça doit vivre. Ça doit être en lien avec la communauté, tout ce qui se passe dans la communauté […] Il doit y avoir une ouverture là-dessus [l’accueil des nouveaux arrivants] ». Dans la politique culturelle, il n’y a pas de verbe performatif, mais il est noté « la nécessité pour la bibliothèque d’accroître sa collection et d’être encore plus accessible au public ». Il s’agit donc bien d’un impératif. Il faut « faciliter l’accès à la bibliothèque [et] augmenter les services de la bibliothèque ». Les verbes indiquent bien le but à poursuivre, mais les moyens pour y parvenir sont inconnus de même que les résultats attendus.

Tableau 35 - Les effets idéationnels du discours de l’élue de la ville 4

Indicateurs Entrevues avec l’élu Politique culturelle Distance ƒ je = lectrice et je = élue

Pris pour acquis

ƒ lieu vivant ƒ lieu de rencontre

ƒ culture = concept englobant

ƒ pas d’analphabètes ni de nouveaux arrivants ƒ citoyens instruits ƒ ressources documentaires de la bibliothèque ƒ bonne fréquentation de la bibliothèque

Impératif ƒ lien avec la communauté ƒ ƒ accroître la collection être plus accessible

Le discours de l’élue de la ville 4 repose sur ses propres usages de la bibliothèque. La conseillère municipale élude certaines argumentations sur les publics en avançant des pris pour acquis sur la population de la ville 4. Grâce à l’usage du conditionnel, elle se montre intéressée par les possibilités futures de développement des services de la bibliothèque. La politique culturelle prend pour acquis les ressources de la bibliothèque et sa fréquentation. Mais les impératifs qu’elle pose pour la bibliothèque sont flous puisque les moyens à mettre en œuvre et les résultats attendus n’y sont pas présentés.