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La construction sociale de la réalité s’appuie sur la relativité de la notion de vérité ou de réalité : « la réalité n’existe pas en-dehors du système d’acteurs qui la produit » (Baumard, 1997, p. 3). Dans la réalité à la fois subjective et objective, les individus ont des capacités d’apprentissage et d’action. La réalité est construite par ces acteurs, via le langage, selon des conditions contextuelles et temporelles. Ces fondements sont maintenant expliqués.

3.1.1 Subjectivisme versus objectivisme

La réalité sociale est à la fois subjective et objective. La vie quotidienne se présente comme une réalité interprétée par les individus, une réalité possédant un sens de manière subjective, un monde cohérent (Berger & Luckmann, 1966). La réalité se présente alors comme un monde intersubjectif, un monde partagé, malgré les perspectives propres à chacun. Les interprétations sont donc multiples, sans que l’on puisse dire que certaines sont vraies ou valides et d’autres pas (Crotty, 1998; Heracleous, 2004).

Social construction, or constructivist philosophy, is built on the thesis of ontological relativity, which holds that all tenable statements about existence depend on a worldview, and no worldview is uniquely determined by empirical or sense data about the world22 (Patton, 2002, p. 96-97).

Mais en même temps, l’individu reconnaît qu’il existe quelque chose d’extérieur à lui, un monde social objectif (Berger & Luckmann, 1966).

Social constructionism is at once realist and relativist. To say that meaningful reality is socially constructed is not to say that it is not real. […] Constructionism in epistemology is perfectly compatible with realism in ontology23 (Crotty, 1998, p. 63).

22 « La construction sociale, ou la philosophie constructiviste, est basée sur la thèse de la relativité ontologique, selon laquelle tous les énoncés sur l’existence dépendent d’un point de vue, et aucun point de vue n’est uniquement déterminé par les données empiriques ou sensitives du monde » [Traduction D. Gazo]. 23 « Le constructionnisme social est à la fois réaliste et relativiste. Dire que la réalité signifiante est socialement construite ne signifie pas que la réalité n’existe pas. […] Le constructionnisme en épistémologie est parfaitement compatible avec le réalisme ontologique » [Traduction D. Gazo].

Les points de vue des élus sont ainsi considérés dans cette étude comme des versions personnelles, multiples et diverses, autrement dit subjectives d’une réalité sociale objective et co-construite par les institutions spécialisées, les bibliothèques et les élus.

3.1.2 Capacités des individus

La construction de sens est une activité humaine; les individus ont la capacité d’apprendre de leurs actions, de leurs expériences. En ce sens, les auteurs parlent des individus en tant qu’agents réflexifs ou acteurs (Rouleau, 2007; Van Dijk, 1997).

The individual-as-actor constructs internal knowledge of facts, values and procedures through ongoing interaction between his or her internalised knowledge and his or her participation in the external world24 (Talja, Tuominen & Savolainen, 2005, p. 85).

Les individus occupent une place centrale dans la construction sociale, puisque « les structures sociales ou les formes globales de la vie en groupe sont reproduites, appropriées et transformées dans les pratiques, les interactions et les conversations quotidiennes » (Rouleau, 2007, p. 163).

Il va sans dire que les élus municipaux occupent une place prépondérante dans la présente recherche parce qu’ils ont non seulement les capacités humaines de réflexion qui vont être mises à contribution dans cette étude, mais aussi parce qu’ils ont de nombreuses responsabilités vis-à-vis des bibliothèques publiques, notamment en ce qui concerne leurs missions, et ont le pouvoir politique et décisionnel pour agir.

24 « L’individu en tant qu’acteur construit sa connaissance interne des faits, valeurs et procédures à travers les interactions continues entre sa connaissance intériorisée et sa participation au monde extérieur » [Traduction D. Gazo].

3.1.3 Texte versus contexte

Le langage occupe une place prépondérante dans la construction de la réalité parce qu’il constitue le système conventionnel de signes grâce auquel les individus partagent leurs points de vue (Berger & Luckmann, 1966). Autrement dit, « nous vivons publiquement, en utilisant des significations qui appartiennent au domaine public et selon des procédures de négociation et d’interprétation partagées par notre entourage » (Bruner, 1991, p. 28). Les individus construisent et partagent les rôles et les identités à travers leur langage actualisé dans les textes (Van Dijk, 1997).

Le sens n’est donc pas inhérent à l’objet réel, attendant d’être dévoilé. Il est construit dans un contexte particulier. Van Dijk définit le contexte comme « something we need to know about in order to properly understand the event, action or discourse, something that functions as background, setting, surroundings, conditions or consequences25 » (1997, p. 11). Mais la définition du contexte ne fait pas consensus parmi les spécialistes.

Le discours des élus est central dans la présente recherche. C’est par le biais de leurs discours que les points de vue des élus sont étudiés. Mais ce discours s’inscrit dans un contexte particulier dont il est nécessaire de tenir compte pour mieux le comprendre.

3.1.4 Temporalité

La construction sociale s’intéresse aux conditions et aux étapes du processus de construction du sens. La fabrication de sens est rétrospective (Berger & Luckmann, 1966). L’intérêt pour la recherche est de remonter le fil du temps pour tenter de comprendre comment le sens a été construit au fil des expériences de l’individu.

25 « Quelque chose que nous avons besoin de connaître pour comprendre correctement l’évènement, l’action ou le discours, quelque chose qui fonctionne comme arrière-plan, endroit, environnement, conditions ou conséquences » [Traduction D. Gazo].

Temporality in this sense refers to the temporal location of a communicative action in relation to other communications and situational features of a social context that influence how agents in that context interpret this action26 (Heracleous & Barrett, 2001, p. 760-1).

Les points de vue des élus sur les missions des bibliothèques publiques se sont ainsi construits au fur et à mesure de leurs expériences personnelles et politiques avec ces bibliothèques. Il est donc nécessaire de connaître leurs expériences.

3.1.5 Construction et déconstruction

Toute construction peut être déconstruite. Ainsi si la réalité est construite, il est possible de la déconstruire, c’est-à-dire de remettre en question ce qui est pris pour acquis pour montrer comment le sens de cette réalité a été construit.

Le chercheur entreprend en fait une démarche de « re-construction » a posteriori des évènements pour mettre au jour les processus qui ont mené à la naturalisation des phénomènes sociaux et organisationnels. Le point de vue de la construction sociale implique donc une démarche de recherche visant à repérer les mécanismes de stabilisation de la réalité sociale (Rouleau, 2007, p. 166).

Les discours des élus municipaux vont être déconstruits de manière à faire émerger les pris pour acquis et le processus de construction du sens à travers le langage.

3.1.6 Résumé sur la construction sociale

Pour résumer, l’approche de la construction sociale permet d’orienter la recherche vers une compréhension en profondeur de la construction de sens et des pratiques d’un groupe de personnes ainsi que des pris pour acquis sur lesquels s’appuient ces constructions

26 « La temporalité dans ce sens réfère à la situation temporelle d’un acte de communication en relation avec d’autres communications et caractéristiques situationnelles dans un contexte social qui influe sur la manière dont les agents, dans ce contexte, interprètent cette action » [Traduction D. Gazo].

de sens et ces pratiques (Talja, Tuominen & Savolainen, 2005). Le contexte, la temporalité et l’émergence des pris pour acquis par la déconstruction du discours sont des éléments importants pour comprendre le processus de construction de sens.

Le discours est au centre de la construction sociale de la réalité, parce que « without discourse, there is no social reality, and without understanding discourse, we cannot understand our reality, our experiences, ourselves27 » (Philipps & Hardy, 2002, p. 2). Le discours des élus municipaux québécois constitue donc l’objet de cette recherche pour comprendre les points de vue de ces élus.