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5.1 La ville 1

5.1.4 Les effets idéationnels du discours

Toute une partie du discours est prononcée au « on », pronom personnel qui désigne un collectif incluant le locuteur. Ici le « on » désigne le comité d’administration de la bibliothèque dont l’élu fait partie et qui œuvre au développement de la bibliothèque (par exemple le conseiller municipal dit : « on travaille beaucoup » ou bien « on s’est rendu compte »,

etc.). Par contre, le conseil municipal dont fait également partie l’élu de la ville 1 est désigné principalement comme « le conseil » ou « les élus ». L’élu montre ainsi son implication dans le développement de la bibliothèque par le conseil d’administration tandis qu’il se distingue du conseil municipal. Le discours passe au « tu » le plus souvent quand l’élu se met à la place du lecteur. Par exemple il dit : « Il y a des choses que tu vas aller chercher à la bibliothèque que tu ne pourras pas avoir sur ton Internet ». L’usage du « tu » pour désigner le lecteur est intéressant; il montre une certaine familiarité avec le lecteur mais aussi que l’élu qui utilise le « je » ou le « on » pour parler de lui, est étranger au lecteur. Le conseiller municipal se distingue donc à la fois du conseil municipal et de l’usager, tandis qu’il s’inclut dans le conseil d’administration de la bibliothèque. Cela démontre son intérêt à travailler au développement de la bibliothèque au sein du conseil d’administration, même s’il se sent isolé au conseil municipal sur ce point, et même s’il n’est pas un usager de la bibliothèque.

L’élu a utilisé quelques verbes performatifs pour enjoindre la municipalité à mettre l’accent sur la bibliothèque (« Elle [la municipalité] doit investir beaucoup là dedans », « on [la ville] doit mettre beaucoup d’effort pour développer une bibliothèque », « il faut mettre l’accent sur la bibliothèque »). L’élu présente ainsi ce qui est pour lui un impératif : l’investissement municipal pour la bibliothèque publique. Ces verbes « devoir » et « falloir » conjugués au présent de l’indicatif présupposent que l’investissement actuel n’est pas satisfaisant pour l’élu. Celui-ci se doit de convaincre le conseil municipal d’investir davantage dans la bibliothèque. Il évalue : « on en met pas assez dans les bibliothèques en comparaison de ce qu’on met dans le sport ».

Parallèlement, l’élu enjoint la bibliothèque à plus d’accessibilité (« il faut que ça soit accessible »), de convivialité (« il faut que tu mettes ça agréable si tu veux attirer le monde ») et à cibler le public jeune (« c’est eux autres [les jeunes à l’école] qu’il faut cibler. […] Mais c’est les jeunes au niveau des écoles qu’il faut aller cibler »). Pour l’élu ce sont là les trois cibles de la bibliothèque : l’accessibilité, la convivialité et le public jeune. La conjugaison au présent de l’indicatif des verbes performatifs montre ici aussi que ces cibles n’ont pas été atteintes et qu’il y a place à amélioration sur ces trois points.

L’élu avoue avoir présupposé dans le passé une différence entre le milieu rural et le milieu urbain concernant le besoin de bibliothèque. Il dit : « je me disais en moi-même, les gens de la paroisse, c’était un milieu rural, on va participer mais je ne voyais pas qu’il y aurait beaucoup de gens du milieu rural qui iraient à la bibliothèque ». Cette dichotomie présupposée a disparu devant les faits : « à ma grande surprise, le pourcentage était aussi fort que les gens du village ». Mais d’autres présupposés concernant les publics sont encore présents dans son discours. Quand il évoque les publics de la bibliothèque, l’élu utilise des verbes d’état et des verbes énonciatifs conjugués au présent, ce qui donne une impression de véracité des faits évoqués. À propos des personnes âgées qui viennent à la bibliothèque, il dit : « c’est un endroit pour sortir de la maison, s’en aller là, aller faire la lecture, en même temps peut-être rencontrer des gens ». La bibliothèque est donc un lieu de rencontre. Plus globalement, « les gens s’instruisent. Ils prennent des connaissances qu’ils ne trouvent pas ailleurs » mais « ils ne savent pas tout ce qu’il y a dans la bibliothèque qui peut être intéressant ». Autrement dit, les gens méconnaissent la bibliothèque.

La plus grande partie du discours est conjuguée au présent ou au passé, utilisant principalement des verbes d’état ou des expressions qui imposent le dit comme un fait établi. Notamment, l’abonnement payant « est un frein » au développement de la bibliothèque. Ceci est présenté comme une vérité vérifiée (« on s’est aperçu que c’était un frein »). La gratuité ne peut donc être remise en cause, selon le conseiller municipal.

L’élu est satisfait de la bibliothèque de sa ville. Il se félicite : « ça fait que ça va très bien ». L’adverbe « très » suivi de l’adjectif qualificatif « bien » précise le jugement de valeur de l’élu et la valeur elle-même de la bibliothèque comme un état de fait. La qualité de la bibliothèque ne peut donc être remise en cause, selon l’élu.

Pour celui-ci, une ville « ne peut pas se passer d’une bibliothèque ». La négation du verbe « pouvoir » indique bien que toute contradiction est impossible. L’existence même de la bibliothèque est ainsi légitimée par le discours du conseiller municipal. Pour lui, la fusion municipale a été bénéfique à la bibliothèque. Il parle au passé de manière là encore à éviter une remise en cause : « depuis qu’il y a eu les fusions là, la ville a mis beaucoup d’accent sur la bibliothèque ». L’investissement municipal vis-à-vis de la bibliothèque, qui paraissait

insatisfaisant pour l’élu (il a utilisé des verbes performatifs pour enjoindre la municipalité à investir), est tout de même reconnu dans le discours de l’élu, notamment depuis la fusion municipale. L’élu est donc conscient qu’un effort a été consenti depuis la fusion, mais il continue de penser qu’un effort supplémentaire est nécessaire.

Lorsqu’il répond à ma question sur de possibles services ou collections particuliers pour les communautés culturelles, l’élu reconnaît que ce serait à développer et que c’est inexistant pour le moment. Il dit : « on commence. Mais ce sont des choses auxquelles il va falloir penser ». Ici, l’élu évoque une possibilité de développement de la bibliothèque. Dans la politique culturelle, des pistes d’intervention concernent la bibliothèque : « évaluation des ressources financière accordées à la bibliothèque » dans le but de « reconnaître les rôles et mandats [de la bibliothèque] et [la] soutenir dans [sa] mission » et la « consolidation de l’équipement de la bibliothèque » afin de « maximiser [son] utilisation ». Les verbes « reconnaître » et « soutenir » ne donnent aucune indication sur les moyens utilisés pour viser l’objectif. De plus, les nominalisations « évaluation » et « consolidation » effacent l’action mise en œuvre au profit d’un résultat qui reste flou. Le futur de la bibliothèque est donc peu évoqué par l’élu et dans la politique culturelle. Et quand des possibilités de développement apparaissent, elles restent imprécises.

Tableau 20 - Les effets idéationnels du discours de l’élu de la ville 1

Indicateurs Entrevues avec l’élu Politique culturelle

Distance

ƒ l’élu s’inclut dans le conseil

d’administration mais se distingue du conseil municipal

ƒ l’élu se montre familier des

usagers mais lui-même n’en est pas un

Pris pour acquis

ƒ pris pour acquis concernant les

publics

ƒ faits indéniables : gratuité, qualité de la bibliothèque, nécessité de la bibliothèque dans une ville, efforts de la municipalité depuis la fusion

Futur et conditionnel ƒ cibler le public des nouveaux arrivants ƒ consolider l’équipement

ƒ maximiser son utilisation

Impératif

ƒ investissement municipal reconnu

par l’élu mais jugé encore insuffisant

ƒ objectifs pour la bibliothèque :

accessibilité, convivialité, public jeune

ƒ évaluation des ressources

financières de la bibliothèque

ƒ reconnaître son rôle

L’élu se présente comme un membre du conseil d’administration de la bibliothèque et non comme un membre du conseil municipal, démontrant ainsi sa satisfaction à travailler au développement de la bibliothèque et son isolement au conseil municipal en ce qui a trait à la bibliothèque. L’élu se montre familier des usagers de la bibliothèque mais avoue qu’il n’en fait pas partie. Il présente d’ailleurs quelques pris pour acquis concernant les publics qui témoignent d’une méconnaissance des publics de la bibliothèque, ou tout au moins des idées reçues sur ces publics. Le conseiller municipal présente ses dires quant à la qualité de la bibliothèque et son importance dans la ville comme des faits indéniables. C’est donc un discours de satisfaction de la part de l’élu. Le futur de la bibliothèque est quasiment absent de son discours. Quant à la politique culturelle, elle évoque des objectifs sans préciser les actions possibles ni les résultats escomptés. Il ne s’agit donc pas d’un discours proactif, un discours qui propose une vision de la bibliothèque.