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2. Cadrage théorique

2.3 L’écriture émergente et les liens lecture-écriture

De nombreuses recherches ont été effectuées sur le thème de l’écriture émergente, notamment en Suisse par l’équipe de la Maison des Petits, à Genève. La Maison des Petits est un établissement scolaire public, qui travaille en lien avec l’université sur la formation et la recherche.

[…] l’acquisition de l’écrit représente une nouvelle conquête cognitive qui consiste en une reconstruction de l’oral vers l’écrit, ce dernier s’élaborant sur un autre plan de représentation cognitive que celui de l’oral et faisant appel à des apprentissages scolaires formels. (Saada, 2006, p.12)

Nous souhaitons ici faire un petit détour et aborder de manière théorique l’entrée dans l’écriture.

Concernant cette entrée, nous voulons citer Lurçat (1983), lorsqu’elle présente les conclusions de son analyse de l’évolution de l’écriture chez l’enfant : « En somme, l’acquisition de l’écriture est le résultat d’un long apprentissage qui débute à l’école maternelle par l’éducation de la trajectoire et s’achève quand l’enfant parvient à formuler sa pensée par écrit » (p. 17).

Nous nous rendons bien compte que l’apprentissage de l’écrit est un travail de longue haleine qui doit être entraîné dès le plus jeune âge. En effectuant diverses lectures afin d’étoffer notre cadre théorique, nous avons appris de multiples choses sur le domaine de l’écrit à l’entrée à l’école. En effet, nous souhaiterions reprendre les mots de Hindryckx, Lenoir et Nyssen (2002), lorsque celles-ci décrivent les compétences en écriture de l’enfant, sur le plan du geste graphique. Elles énumèrent les différentes étapes qui sont acquises entre 4-5 ans, que nous allons lister ci-dessous:

- La lettre apparaît. C’est une période de conflit entre le mouvement et la forme : les lettres sont déformées et désorientées.

- Les premières lettres sont produites spontanément (de grande taille, réparties en désordre sur la feuille).

- L’enfant déforme en copiant. Les altérations sont d’origine motrice, ou perceptive. La lettre isolée est mieux réalisée que le mot.

- Les premiers chiffres sont produits spontanément.

- Enfin, l’enfant parvient à écrire son prénom. (p.22-23)

Ces étapes nous permettent de mieux cibler et de mieux cerner le niveau d’écriture des élèves à leur entrée à l’école enfantine. En ce sens, nous savons à quoi nous attendre et cela nous permet de mettre à niveau nos attentes. En effet, vu que nous devrons constituer des groupes de niveau, il est primordial que nous connaissions les étapes de l’écriture, afin des les évaluer le plus objectivement possible.

Nous souhaitons aussi aborder ici les différents modèles d’acquisition de l’écriture présentés par Saada-Robert et al. (2005). Comme le montrent les auteurs, il existe quatre modèles d’acquisition de la lecture-écriture, que nous allons voir ci-dessous, et le sujet de la progression dans

l’acquisition de la littéracie est également abordé. Comme le disent Saada-Robert et al. (2005), ces modèles sur la question de la progression des stratégies d’acquisition de la lecture et de l’écriture peuvent être mis en rapport les uns avec les autres.

Il s’agit d’un modèle d’acquisition par stade, d’un modèle par étapes avec évolution parallèle de la lecture et de l’écriture, d’un modèle à double fondation et enfin d’un modèle dans lequel chaque étape est définie pas une dominance de stratégies. (Saada-Robert et al. 2005, p. 17-18)

Le modèle d’acquisition par stades suggère une alternance entre la lecture et l’écriture. Le premier stade est logographique. Il s’agit à ce moment pour l’élève de reconnaître quelques mots familiers, qu’il va ensuite mémoriser, mais uniquement de manière logographique. Il va enregistrer l’enveloppe du mot en retenant sa longueur, le dépassement des hampes, les points et accents. A ce stade, l’écriture n’est encore que gribouillage, car l’enfant ne prétend pas donner une signification au mot. Le second stade de ce modèle d’acquisition est le stade alphabétique. A ce moment, l’écriture a un rôle très important car c’est grâce à elle que les élèves vont se rendre compte de l’utilité des lettres. Dès lors, l’élève comprendra qu’il est nécessaire d’apprendre les lettres afin de pouvoir écrire correctement. « Il réalise que la communication passe par l’utilisation de lettres conventionnellement et socialement fixées. La construction du système alphabétique débute ainsi par cette prise de conscience » (Saada-Robert et al., p. 19).

Enfin, le dernier stade est un stade orthographique dans lequel les élèves arrivent à lire et à épeler des mots qui sont fréquemment utilisés.

Figure 6 : Evolution de la langue écrite selon Frith (1985)

Le second modèle d’acquisition cité ci-dessus est le modèle par étapes avec évolution parallèle de la lecture et de l’écriture. Dans ce modèle, la progression se fait par étapes et la lecture et l’écriture sont développées et évoluent en parallèle. « L’entrée dans l’écrit est d’abord prélinguistique pour la lecture et l’écriture » (Saada-Robert et al., 2005, p. 20). L’élève passe par un stade où il devine les mots. Ensuite, petit à petit, l’élève met en place des stratégies de lecture et d’écriture « alphabétiques partielles ». A ce stade, il tient compte de la première lettre du mot et essaie de faire correspondre un phonème à la lettre concordante. A partir de là, il arrivera progressivement à construire le principe alphabétique complet, « […] c’est-à-dire l’utilisation systématique des sons pour lire des mots (des lettres) et l’utilisation de lettres pour transcrire des sons » (Saada-Robert et al., 2005, p. 20). Enfin, l’élève parviendra à la lecture et l’écriture orthographique, portant sur le mot en entier.

Figure 7 : Evolution de la langue écrite selon Ehri (1997)

Le troisième modèle d’acquisition est le modèle à double fondation. Dans ce dernier, il s’agit de mettre en avant le fait que l’élève « reconnaît et produit des mots, dès le départ, de manière à la fois logographique et alphabétique » (Saada-Robert et al., 2005, p. 20). A ce stade, l’élève peut déjà produire de l’écrit en imitant les gestes d’un scripteur. Cependant son écrit sera représenté par des vagues ou des signes picturaux. Par la suite, le système alphabétique et logographique va permettre à l’enfant d’amorcer l’étape orthographique. L’élève prendra en considération les mots en tant qu’unités lexicales. Il est à noter que l’étape orthographique se fonde elle aussi sur une progression. Effectivement, l’élève prend conscience petit à petit des irrégularités de la langue, ainsi que des règles du système orthographique et morphographique.

Figure 8 : Evolution de la langue écrite selon Seymour (1997)

Le dernier modèle d’acquisition dont traitent Saada-Robert et al. (2005) est le modèle à dominances. Il s’agit là aussi d’un modèle qui permet la progression par étapes, dans lesquelles la lecture et l’écriture évoluent en parallèle. Dans ce modèle, chaque étape est définie par une dominance de stratégie. Dans la première étape, l’élève utilise « […] des stratégies de prélecture et préécriture aussi bien logographiques, qu’alphabétiques voire même orthographiques pour quelques mots familiers, simples et fréquemment rencontrés. Cependant, ces stratégies sont, de manière dominante, logographiques » (Saada-Robert et al., 2005, p. 20). Durant la deuxième étape, la dominance se porte sur les stratégies alphabétiques. A ce stade, l’élève accorde moins d’importance aux stratégies précédentes. Finalement, durant la troisième étape la dominance est fixée sur les stratégies orthographiques.

Figure 9 : Evolution de la langue écrite selon Rieben & Saada-Robert (1997)

Le tableau ci-dessous résume les grandes étapes de l’acquisition de l’écriture. Ces étapes sont au nombre de quatre, et se divisent parfois en plusieurs « sous étapes ». Les quatre grandes étapes sont les suivantes : la production de traces ; la production de lettres ; la production de lettres en correspondance phonologique ; la production de mots. On voit bien ici l’évolution dans l’acquisition de l’écriture. Ces différentes étapes peuvent d’ailleurs être mises en lien avec le modèle d’acquisition de l’écriture et de la lecture de Frith, qui comporte les stades suivants : le stade logographique, le stade alphabétique et le stade orthographique (voir partie « La lecture émergente »).

Production de traces IMP

Imitation picturale : stratégies sémiopicturales et stratégies d’imitation graphique (l’enfant imite le geste du scripteur expert)

GRA

Stratégies sémiographiques : traces graphiques discontinues, ensemble de pseudo-lettres, quelques lettres connues (issues du prénom ou de mots familiers) et de chiffres, dispersés sur la feuille

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Production de lettres

Ensemble de lettres utilisées en variation d’ordre, issues du répertoire logographique VNO

Principe de la variété et du nombre de lettres, sans analyse du son, application du principe selon lequel il faut des lettres pour écrire, des lettres différentes pour des mots différents, et un nombre minimal de lettres pour faire un mot (lettres issues du répertoire de l’enfant, combinées différemment). Le projet d’écriture est le plus souvent « perdu »

LOG

Production de lettres en ligne (lettres issues de l’ensemble du répertoire logographique), lettre(s) mises en correspondance avec le projet d’écriture, sans correspondance phonologique

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Production de lettres en correspondance phonologique Début du traitement alphabétique

SYL

Stratégies syllabiques ; essai de correspondance phonographique, appliquée à la syllabe, avec marque des consonnes (ARD pour araignée, KM pour camion, BS pour bus, MS pour maison) ALP

Stratégies alphabétiques ; essai de transcription de tous les sons, hypothèse alphabétique, y compris consonnes et voyelles (DOKTOR pour docteur)

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Production de mots LEX

Stratégies lexicales ; unités lexicales segmentées (écriture de mots segmentées) ; systématisation des régularités orthographiques, utilisation des digrammes (an, on, au, ou, ch, etc.), utilisation de morphèmes (pluriel des noms, « e » muet des terminaisons de verbes, etc.)

Figure 10 : Liste des stratégies d’écriture émergente repris de Saada-Robert et al., (2005, p.78)

Ferreiro (1989) s’est également penchée sur les différentes phases de l’acquisition de l’écriture.

Ses recherches lui permettent de :

[…] conclure que les règles de correspondance entre écrit et oral se construisent progressivement, tout d'abord à travers des hypothèses de correspondances entre lettres et syllabes, puis entre lettres et phonèmes, puis enfin entre graphies et phonèmes grâce à un repérage progressif du caractère alphabétique de notre système d'écriture. Les principaux moments de l'évolution de la connaissance du système d'écriture sont décrits par Ferreiro et Gomez Palacio à travers quatre niveaux essentiels. (p. 2)

Nous allons à présent rapidement décrire ces niveaux, qui sont en accord avec ce que nous avons cité auparavant. Le premier niveau est le niveau pré-syllabique. Durant ce temps, l’enfant peut écrire de la même manière des « mots » qui ne portent pourtant pas le même sens. Il ne se rendra compte que plus tard que pour lire différents mots, il faut qu’il y ait une différence objective dans les écritures. Le second niveau est le niveau syllabique. A ce stade, l’enfant commence à « […]

établir des correspondances entre les aspects sonores et les aspects graphiques de son écriture.

L'unité sonore qu'il retient est la syllabe et il produit généralement une graphie par syllabe » (Ferreiro, 1989, p. 2). Le troisième niveau est le niveau syllabico-alphabétique. Deux modes de correspondance sons/graphies coexistent ici : le mode syllabique (une graphie est associée à une syllabe) et le mode alphabétique (une graphie est associée à un phonème). Enfin, le dernier niveau est le niveau alphabétique. Cette dernière étape correspond à « […] l'écriture proprement alphabétique dans laquelle, selon Ferreiro, chaque signe graphique représente un phonème de la langue » (p. 3). Cependant, l’attention portée à l’orthographe ne se développe que plus tard.

La première catégorie du tableau tiré de la recherche de Saada-Robert et al. (2005) est consacrée à la production de traces, et plus particulièrement à l’imitation picturale. Relevons ici la différence qu’il existe entre l’écriture automatique et la copie. Selon Lurçat (1985) :

[…] la copie d’une lettre ou d’un mot suppose la possibilité d’identifier la forme et de la reproduire. En partant de la perception visuelle du modèle, l’enfant doit pouvoir guider son mouvement pour réaliser la lettre ou le mot. La reproduction d’un modèle visuel n’est pas immédiate, elle dépend de liaisons interfonctionnelles entre la vue et la kinésthésie.

Les liaisons établies, la copie devient possible ; mais elle est elle-même le fruit d’un apprentissage. (p.21)

D’ailleurs, lors de sa recherche, Lurçat révèle que dans les petites sections, aucun enfant n’a réussi à copier les lettres ni les mots, cet apprentissage se développant plus tard. En ce qui concerne notre recherche, nous ne souhaitons pas analyser cette compétence mais uniquement le paramètre de l’écriture spontanée.

Dans l’écriture des lettres, il y a plusieurs aspects à prendre en considération. Selon Auzias et al.

(1977), il y a deux aspects importants dans la structure des lettres, à savoir la dimension et la forme. En ce qui concerne la dimension, nous savons que les élèves tracent des lettres plus ou moins grandes. « Selon une convention très ancienne, on mesure le corps des lettres, en hauteur, pour établir la dimension d’une écriture » (Auzias & al., 1977, p. 35). En ce qui concerne la forme des lettres, les quatre paramètres suivants sont à prendre en compte. En effet, selon Auzias et al. (1977), il s’agit premièrement de l’individualisation. Il est important que la lettre soit tracée comme une unité, il ne doit pas y avoir de blanc séparant les diverses parties d’une lettre.

Deuxièmement, il s’agit de l’orientation générale correcte. En effet, il ne doit pas y avoir d’inversion haut-bas ou droite-gauche. Troisièmement, il faut prendre en compte la présence de tous les éléments de la lettre, car certains éléments sont indispensables pour la lisibilité.

Quatrièmement, il s’agit de l’orientation, positions relatives et proportions relatives des éléments de lettres respectées. Par exemple, dans l’écriture de la lettre « g », il faut tenir compte de l’orientation de la boucle (la partie courbe de la boucle se trouve à gauche de la partie rectiligne et sous le corps), à la position relative de la boucle (la tangence entre la partie rectiligne de la boucle et le corps se fait sur la droite de celui-ci) ainsi qu’à la proportion relative (la boucle est plus grande que le corps de la lettre).

2.3.1 La littéracie

Nous nous rendons bien compte que l’écriture et la lecture ne sont pas dissociables. Lorsque nous traitons de l’un, nous devons traiter de l’autre aussi. Effectivement, comme le dit Dolz (2009), pour qui une interaction oral-écrit est obligatoire : « Tant qu’on n’écrit pas, on ne sait pas lire » (conférence ex-cathedra). En effet, l’écrit convoque indéniablement la lecture. A ce titre, il n’est pas possible d’effectuer une séparation entre lecture-écriture.

De nombreux travaux récents en psycholinguistique (Rieben, Fayol & Perfetti, 1997) montrent que la lecture se construit par l'enfant aussi bien à travers la lecture que l'écriture et qu'elle met en jeu des mécanismes d'apprentissage portant sur un savoir complexe. Dans la littérature, plusieurs modèles développementaux décrivent l'acquisition de la langue écrite selon trois phases : logographique, alphabétique et orthographique. La succession de ces trois phases pour la lecture et l'écriture est actuellement admise par de nombreux auteurs ; par contre, le passage d'une phase à l'autre et les liens entre lecture et écriture ne sont pas vus de la même manière par tous. Par exemple, le modèle de Frith (1985) démontre la nécessité d'un va-et-vient entre lecture et écriture. Ainsi, l'enfant établit ses premiers contacts avec le monde de l'écrit en lisant des écrits dans la rue, dans son environnement familier, etc. (phase logographique). Ensuite, à travers l'écriture, l'enfant va progressivement prendre conscience de la nécessité de découper l'oral en segments phonologiques, les sons, et de leur faire correspondre des graphèmes, les lettres (phase alphabétique). Cette prise de conscience va permettre à l'enfant de déchiffrer certains mots. Ci-dessous se trouve un tableau du modèle développemental de Frith, reprenant ces trois phases de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

Figure 11 : Modèle développemental de Frith

Comme le disent Goigoux et Cèbe (2006) : « […] pour apprendre à déchiffrer, l’enfant doit mémoriser les relations entre graphèmes et phonèmes et savoir les utiliser » (p. 21). Finalement, à travers la lecture, l'enfant va se confronter aux régularités et irrégularités orthographiques de la langue écrite, et transposer ses connaissances dans l'écriture (phase orthographique). Un autre modèle, celui de Rieben et Saada-Robert (1997), sous-tend également des liens très forts entre lecture et écriture, mais présente les étapes d'une manière moins linéaire, en montrant qu'un enfant peut mobiliser dans un même moment des stratégies propres à deux ou trois phases à la fois et que la lecture et l'écriture se développent en parallèle.

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