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L’École française et son rapport à la culture

CHAPITRE II. COMMENT LA SOCIOLOGIE A-T-ELLE PENSE LES

2. L’École française et son rapport à la culture

D’après les recherches récentes6 effectuées sur les styles éducatifs de certains pays, l’école en France est considérée comme « école du savoir». Ce qui signifie que la France fait partie des pays qui accordent davantage d’importance à l’instruction et à la sélection qu’aux aspects relationnels entre élèves et enseignants. Ces mêmes recherches démontrent que l’école française apparaît à un observateur étranger comme un lieu fonctionnel exclusivement destiné à l’enseignement, où les enseignants sont attachés à leur discipline en tant que spécialistes et où les élèves viennent apprendre. L’objectif du système éducatif français consiste à transmettre à

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Voir l’entretien avec Régis Malet (« Recherche et Formation », 2010).

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Cet article est en libre accès sur internet à l’adresse suivante : www.inrp.fr/publications/edition- electronique/recherche-et-formation/RR065-8.pdf>.

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Voir Dubet, Duru-Bellat et Vérétout, 2010 :122-126.Voir aussi la recherche de Claire Planel sur les écoles françaises et anglaises 2009 : 75-85.

tous un savoir universel tout en sélectionnant les meilleurs (système fondé sur la méritocratie). C’est pourquoi, l’élève est contraint de subir une série d’épreuves. Néanmoins, dans le système éducatif français, le problème des inégalités scolaires demeure important en raison de la sélection. L’enseignement est naturellement basé sur les valeurs humanistes classiques (éducation rationnelle et universelle). Il va de soi qu’il s’agit des valeurs centrales de la culture française, qui ne prennent cependant pas en compte l’individu dans sa spécificité. Au fur et à mesure que le public scolaire devient hétérogène, le système éducatif devient donc de plus en plus inégalitaire (résultats PISA 2009)7.

Parallèlement, les enseignants français8 sont, bien souvent, caractérisés par une rationalité et un intellectualisme, ainsi qu’un certain niveau d’abstraction dans la classe. Ils se caractérisent aussi par le manque de différenciation pédagogique9 et de travail en groupe. De plus, ils semblent être plus sévères que les enseignants des autres pays (par exemple l’Angleterre) en ce qui concerne l’évaluation de leurs élèves. Ces pratiques pédagogiques et ces attitudes s’expliquent aussi par les valeurs culturelles précédemment mentionnées qui sont profondément adaptées à la culture des enseignants. Notamment, en France malgré les contraintes du marché et l’importance des grandes réformes (« l’ouverture sur l’extérieur », « l’élève au

centre », « il faut construire des compétences avant d’acquérir des savoirs »), les

recherches montrent que le système éducatif demeure élitiste selon les valeurs de l’intellectualisme et de l’universalisme. Ce qui signifie que la particularité de la

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(Voir les résultats de PISA 2009 : http://www.oecd.org/dataoecd/33/5/46624382.pdf) Les récents résultats d’évaluation internationale PISA 2009 (Programme International de Suivi des Acquis des élèves) montrent que l’école française se singularise par de fortes inégalités et par son niveau moyen (voir aussi François Jarraud : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/12/08122010- pisa.aspx). Plus concrètement, depuis le premier PISA en 2000, les résultats scolaires ne se sont pas améliorés en France. Bien au contraire, de 2000 à 2009 on constate que le pourcentage d’élèves les moins performants a doublé (8%).La proportion d'élèves très faibles (de niveaux 1 et 2) est passée de 15 à 20%. C’est là une situation très inquiétante, qui renvoie aux problèmes sociaux, étant donné que la France est l’un des pays dans lesquels la corrélation entre les résultats des élèves (selon l’évaluation à PISA) et le niveau socioéconomique des parents est très forte (par exemple inégalités scolaires entre filles et garçons, échec scolaire des élèves issus de l’immigration ou pauvreté relative).

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Voir Planel, 2009 : 76-85

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En particulier, en ce qui concerne les réformes politiques favorables à la différenciation de l’enseignement, certains enseignants sont sceptiques et considèrent avec réserve les pouvoirs politiques alors que d’importants problèmes de l’école ne sont pas résolus. Ils notent ainsi dans Perrenoud (1997 : 40) : « Aussi longtemps que le gouvernement n’aura pas pris clairement position, dégagé des moyens nouveaux substantiels, abaissé l’effectif des classes, amélioré les conditions de travail des enseignants, accordé plus d’autonomie, soutenu des initiatives, nous ne bougerons pas ! Aux indécis et aux tièdes, les ambigüités du pouvoir offrent un magnifique alibi ! ».

Chapitre III. Dans quelle institution les jeunes enseignants vont-ils travailler? Avec quelle conception de la culture ?

culture académique est toujours considérée comme une valeur stable du système éducatif, et plus généralement de la République Française.

Toutefois, même si le dynamisme des institutions traditionnelles constitue une spécificité française, le système éducatif français, comme tous les pays10, est désormais pressé de se conformer11 à la politique éducative européenne commune (Conseil de l’Europe, UNESCO, OCDE), ainsi que d’accepter dans le champ de l’école la coexistence de la culture scolaire avec les discours sociaux et les questions d’actualité12. Ce qui signifie, comme le dirait Alain Coulon13, que les perspectives développées aujourd’hui à l’école reflètent davantage les contraintes de la situation présente (« pression institutionnelle ») que la forte tradition de culture académique. Ces perspectives incluent une série d’actions, d’idées et de dispositions qui constituent une nouvelle culture au sein de l’école. C’est pourquoi, la culture scolaire se trouve aujourd’hui mondialement en «crise»14 (en cours de transformation radicale), étant donné que l’on est passé à une nouvelle période transitoire qui conduira à un autre cadre socio-économique et culturel15. François Jacquet-

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Nathalie Mons souligne dans le cas français que face à cette apparente résistance au changement au sein de l’OCDE, on assiste dans l’enseignement obligatoire à une convergence des politiques éducatives autour d’un triptyque réformiste fortement consensuel : a) la décentralisation, b) la différenciation des enseignements au sein de l’école unique et c) le libre choix de l’école publique et privée, ces nouvelles politiques étant assises sur un monde de régulation renouvelé fondé sur l’évaluation des résultats (2007 : 3).

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Ce qui pourrait provoquer des réactions parmi les chercheurs français qui accordent une importance particulière au capital culturel plutôt qu’au capital économique. Van Zanten (2009 : 102) fait notamment observer : « En France, l’importance du capital culturel est rarement mise en cause par les chercheurs français alors que celle du capital économique doit être réévaluée. Certes, les modes de sélection dans le système scolaire français avantagent, plus que dans d’autres pays, les élèves dotés d’un capital culturel élevé mais, nous allons le montrer, les avantages culturels être ‘achetés’ de différentes façons, dont certains apparaissent comme plus légitimés que d’autres dans un pays qui, globalement, accepte voire vénère les barrières culturelles, mais dénonce avec rigueur les barrières économiques ».

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Cf. Barrère et Jacquet-Francillon, 2008 : 8.

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Voir Coulon pour la naissance des nouvelles perspectives, 1993 : 78-80.

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On trouve chez Dubar 2000, la notion de «crise» comme «idée d’une rupture d’équilibre entre

diverses composantes». La crise affecte non seulement les comportements économiques et les relations

sociales, mais aussi les subjectivités individuelles («crise anthropologique», selon Dubar).

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Les canadiennes Lessard et Tardif (2001) reconnaissent le pôle humaniste de l’éducation française qui associait traditionnellement fortement l'école aux idéaux d'équité et de justice sociale. Cependant, les auteurs estiment qu’il est difficile pour la France d’adapter cet idéal aux nouvelles conditions sociaux-économiques : « En effet, la France a longtemps affirmé haut et fort la place centrale de l'Etat à titre de grand organisateur de l'éducation et a insisté sur le caractère national d'une éducation égalitaire. Dans une perspective où la nation est un idéal de premier plan, l'éducation, le développement d'une culture commune égalitaire et la préparation à l'exercice de la citoyenneté sont indissociables. S'il y a bien toujours une sensibilité française persistante à la centralité de l'Etat dans le dessein du projet éducatif, la diversification et le pluralisme lié à l'immigration, les problèmes des banlieues, ainsi que l'avènement de la Communauté européenne, imposent à la France de nouveaux questionnements. Par

Francillon16 considère qu’actuellement les programmes scolaires sont organisés selon les réflexions et les décisions gouvernementales des technocrates, des gestionnaires et des responsables économiques. Plus généralement, l’école fonctionne sous les pressions de l’économie, de l’extension du secteur tertiaire et de l’administration ainsi que des exigences des familles en tant que consommateurs. D’ailleurs, il est affirmé (Duru-Bellat et Van Zanten, 1999 : 27) qu’à certains moments de l’histoire, et principalement lorsque les institutions se trouvent en crise, les choix singuliers de certaines politiques éducatives exercent une influence déterminante. Pour être en phase avec les changements technologiques, l’école elle-même privilégie progressivement dans les nouveaux programmes l’acquisition d’une culture scientifique ou technique, bouleversant ainsi par le sommet de la hiérarchie les apprentissages de type humaniste (Pasquier, 2005 :39) et elle se considère comme responsable d’un infléchissement vers une culture des résultats qui n’était pas sa priorité jusqu’alors (Barrère, 2011 : 17). Les mutations actuelles creusent les écarts entre la culture scolaire et la culture vivante17, en rendant le rôle de l’école encore plus

complexe et en surchargeant les programmes de nouvelles tâches.