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Critique de la sociologie contemporaine

CHAPITRE II. COMMENT LA SOCIOLOGIE A-T-ELLE PENSE LES

6. Critique de la sociologie contemporaine

Notre critique par rapport à l’action de l’individu porte sur le cadre dans lequel se produit cette action. Par exemple, Dubet attribue le fait que l’individu des classes populaires puisse dépasser les difficultés des épreuves à l’efficacité de ses efforts. Certes, cela constitue une grande réussite pour l’individu, mais ce n’est pas ce dernier qui a décidé des critères de sa réussite, lesquels sont déjà déterminés par le ministère de l’Éducation. En d’autres termes, l’action de l’individu est chaque fois évaluée dans un cadre déterminé par ceux qui règlent et élaborent les réformes éducatives. Ce qui signifie que les élèves des classes populaires réussissent dans ce cadre parce qu’ils ont l’obligation de réussir. Ils sont donc contraints d’agir pour réussir. Ainsi, leur efficacité se relève comme un effort singulier. Par ailleurs, selon Périer (2010 : 48- 49), le monde scolaire n’est pas une donnée intangible et identiquement appropriée, mais un cadre de l’action construit, qui agit variablement sur les individus présents, plus ou moins engagés pour le faire évoluer. En effet, Périer combine les inégalités interactionnelles entre les individus « en situation avec les inégalités scolaires contextuelles et structurelles construites hors de portée du champ d’action, sinon du champ de conscience des acteurs », tout en analysant les inégalités dans les routines ordinaires de la classe. Ainsi, en étudiant les interactions en classe, l’auteur peut comprendre les différentes manières dont les acteurs négocient les situations selon des

Chapitre II. Comment la sociologie a-t-elle pensé les débuts de métier enseignant?

ressources inégales et il peut voir la manière comment les acteurs sont chaque fois façonnés par la structure scolaire et historique.

On avait pensé qu’en instaurant l’égalité des chances à l’école, tous les élèves auraient la possibilité d’une évolution réussie, selon leur seul mérite, dans le cadre d’une compétition équitable, neutralisant les inégalités sociales (voir Duru-Bellat et Van Zanten, 2009: 20-21). Cependant, on observe33 que l’égalité des chances a davantage encore accru le rôle sélectif de l’école, et que celle-ci favorise la reproduction des inégalités sociales en les légitimant. D’ailleurs, les classes favorisées pourraient trouver d’autres moyens de se reproduire, tels que les institutions d’enseignement privées. L’égalité des chances a ainsi conduit à la création d’une « élite de l’élite ».

Par ailleurs, selon l’approche critique de l’image de l’individu développée par Dubet et Martuccelli (1996 : 61), les mêmes individus intériorisent le pouvoir des institutions sociales. S’il y a, dans l’École contemporaine, le sens d’une dynamique interactionnelle entre les acteurs et si des libertés nouvelles sont offertes34, c’est pour que les acteurs puissent légitimer leur rôle dans l’institution. Périer pose cependant la question suivante : quels sont les critères de légitimation qui régulent l’interaction entre les acteurs ? (Périer, 2010 : 50). S’agit-il de « formes explicites » (contrat avec la classe ou avec les élèves) ou « secrètes » (tacites, latentes) de stabiliser et de réguler les « interrelations entre les mondes sociaux » plus ou moins dissonants ? Autrement dit, Périer constate que, d’une part, les marges de liberté et les occasions d’initiatives sont plus importantes aujourd’hui pour les acteurs du monde scolaire (professeurs, inspecteurs, conseillers, parents, élèves, etc.) mais que, d’autre part, les tensions et les conflits entre eux sont en augmentation. Ce qui témoigne, selon lui, d’une crise dans la division du travail pédagogique et scolaire.

Une autre observation relative à la sociologie de l’expérience nous paraît quelque peu problématique: il s’agit de la perspective de l’équilibre entre l’institution et l’individu. Cependant, au cours de notre enquête, au moment où nous avons étudié l’expérience des individus, nous avons pu examiner les structures dans lesquelles ils agissent. Nous pourrions ainsi observer les problèmes des inégalités scolaires et, plus

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Voir Bourdieu et Passeron, 1970

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Cependant, comme le note Périer (2010 :49), « ce libéralisme de l’action est tempéré par le poids des responsabilités qui leur incombent et dont les jeunes professeurs ressentent particulièrement la charge avec ses effets d’usure morale, de sentiment d’inefficacité voire de perte d’identité lorsque difficultés et conflits émaillent l’ordinaire du métier et le sens des missions ».

généralement, les difficultés à parvenir à l’harmonisation totale des relations entre l’institution et les individus. En étudiant l’expérience de l’individu, nous pourrions constater une institution en crise, mais il s’agit sans doute d’une institution dynamique qui pousse les individus à l’action afin de les intégrer. Ainsi, nous posons les questions que suivantes : Dans quelle perspective étudier l’expérience de l’individu lorsque ce dernier est toujours contraint de se soumettre à un système qui ne nous permet de le considérer entièrement ? Est-il possible en étudiant l’expérience de comprendre tous les changements sociaux ou, selon Durkheim, cela s’avère-t-il impossible du fait que « les pensées individuelles sont façonnées par l’ensemble du

corps social »? Dans l’affirmative, les individus seraient-ils des travailleurs

dynamiques afin de dépasser la crise des institutions et d’établir une relation équilibrée ? Dans ce cas, il serait intéressant d’évaluer la somme de travail de chaque individu et d’émettre l’hypothèse que tous ne travaillent pas de la même manière. Nous pourrions observer que le système exige un travail plus ardu de la part des individus des classes inférieures que ceux des classes supérieures, dans une action qui est orientée vers l’établissement de son dynamisme, tout en confirmant sa relation avec la classe dominante35. Par conséquent, la relation entre l’institution et les individus est-elle harmonieuse ou se construit-elle au détriment du poids du travail de la majorité des individus? Dans ce second cas, le soutien de l’action individuelle par l’institution ne serait-il qu’un prétexte pour que cette dernière continue à renforcer son dynamisme, à se transformer et, ainsi, à se reproduire ?

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Le finalisme voudrait notamment faire de l’institution un appareil en vue d’expliquer le fonctionnement de l’institution selon les besoins manipulés par l’institution elle-même. Voir Bourricaut (1975 : 587) pour la relation entre le besoin de la société et le besoin de la classe dominante : ¨Le

besoin de la société (c'est-à-dire le « besoin » de la classe dominante, qui se réduirait à la visée de reproduire indéfiniment son propre pouvoir) détermine aussi strictement la structure de l'institution que le besoin de l'artisan détermine la structure de l'outil qui lui permet d'assouvir ce besoin. Lorsqu'on dit : l'ouvrier a « besoin de savoir lire et écrire », le « besoin de l'ouvrier » est entendu exactement dans le sens où l'on dit : « cette chaussure a besoin d'être cirée »¨.

Chapitre III. Dans quelle institution les jeunes enseignants vont-ils travailler? Avec quelle conception de la culture ?

CHAPITRE III

DANS QUELLE INSTITUTION LES JEUNES ENSEIGNANTS VONT-ILS TRAVAILLER ? AVEC QUELLE CONCEPTION DE LA CULTURE ?

Dans ce chapitre, nous allons analyser les conditions dans lesquelles les jeunes enseignants français travaillent à l’heure actuelle. En présentant l’École française selon les récentes recherches, nous allons tout d’abord montrer la position de l’École en ce qui concerne la nouvelle culture qui émerge à l’échelle européenne et mondiale, à savoir la demande d’une politique éducative européenne commune, le développement d’une « culture financière »1 dans l’Éducation, la coexistence de la culture scolaire et des discours sociaux et les questions d’actualité.

Nous réaliserons ensuite une analyse diachronique de la culture sous différents angles, tels que les rapports à la culture générale2 et à la culture commune des élèves

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Voir : PISA 2012, Financial Literacy Framework (21 décembre 2010): http://www.pisa.oecd.org/dataoecd/8/43/46962580.pdf

On pourrait citer pour exemple l’étude de l’OCDE, en raison des conditions socioculturelles actuelles. L’organisation a jugé qu’il était davantage nécessaire pour les jeunes d’acquérir une culture financière afin d’affronter les risques. «Il est important d’aider les jeunes à comprendre les enjeux

financiers, alors que les jeunes générations sont de plus en plus confrontées aux produits complexes et services financiers». Cette culture comprend une série de termes financiers qui confirment les objectifs

définis par l’OCDE en ce qui concerne le développement économique des pays membres : «la gestion

des comptes bancaires et des cartes de crédit/débit, la planification et la gestion des finances, la compréhension des impôts et de l'épargne, des risques et des intérêts, les responsabilités et les droits des consommateurs au niveau des contrats financiers». De plus, selon l’enquête réalisée par PISA la

culture financière correspond à une demande des pays membres en matière de formation financière de leurs citoyens. De plus, du fait de la crise économique, elle apparaît comme une nécessité absolue pour prendre les décisions les mieux adaptées et pour éviter les erreurs. Par conséquent, on pourrait probablement affirmer que la « culture générale » n’est plus la première priorité des systèmes éducatifs des États modernes.

La demande de culture financière que nous avons mentionnée correspond bien aux nouvelles conditions. Elle constitue en effet au niveau mondial la base d’une nouvelle culture émergente que Richard Sennett (2006) a nommée la «culture du nouveau capitalisme». Il va de soi que l’institution scolaire se construit chaque fois à partir de modèles socioculturels dominants (tels que les réseaux ou les savoirs financiers). Il semble que la culture scolaire fasse progressivement place à cette nouvelle culture. Il s’agit d’une culture que tous doivent acquérir afin de pouvoir s’intégrer dans la société moderne. Il s’agit, d’ailleurs, de la nouvelle figure du citoyen, « citoyen d’un système mondial ». C’est pourquoi, l’État, le système éducatif, l’école, les enseignants, les parents et les élèves s’orientent vers cet objectif. Il faut intégrer dans la culture des compétences rapides sans les approfondir, acquérir des techniques pour s’adapter directement aux mutations, qui constituent la caractéristique de la société moderne (oir Z. Bauman, 2000). Telle est la logique de la construction de «l’individu de base» dont parle Ballion (1982 :232). Ce qui veut dire que l’individu «touche à tout et ne maîtrise rien» en vue de satisfaire les deux passions de l’époque actuelle, «l’égalitarisme et la soumission à l’expert, à

l’autorité».

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L’expression « culture générale » entre dans les mœurs à partir du XXe siècle et, en plus de relier les « vieilles humanités » à la littérature présente, elle s’applique aux matières scientifiques, dès lors promues au rang d’ « humanités nouvelles » ou d’ « humanités modernes » (voir l’analyse de François

afin d’évaluer l’importance des programmes scolaires pour le développement d’une culture scolaire en France. Enfin, nous présenterons les exigences actuelles des programmes scolaires et leur influence sur le travail des jeunes enseignants aujourd’hui.