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ESQUISSE D'UN MODELE D'ANALYSE DU CHANGEMENT TECHNICO-ORGANISATIONNEL

JUSTIFICATION D'UNE ANALYSE TYPOLOGIQUE

Pour mettre en œuvre les trois axes d'investigation, je vais procéder par construction de quatre typologies, chacune composée de moments-types ou idéaltypes. Ainsi, pour identifier une dynamique des collectifs, je vais élaborer quatre idéaltypes de collectifs (quatre collectifs types) et utiliser la grille que forment les quatre types pour mesurer des écarts, des transformations du lien social, entre la période précédant l'introduction du changement et la période suivant cette introduction. Cette façon de faire ne va pas de soi.

En effet, comme l'indique D. Schnapper (1999), l'analyse typologique n'a pas nécessairement bonne presse. Aussi faut-il prendre le temps d'en montrer l'intérêt, notamment en en définissant le sens. Pourtant, l'établissement d'une typologie ou la construction du type idéal, en tant que « opération de stylisation de la réalité sociale pour mieux la comprendre est caractéristique de la sociologie en général, comme de l'ensemble des sciences humaines. En ce sens, la typologie paraît consubstantielle à la démarche sociologique elle-même » (Schnapper, 1999, p. 2). Dans cette perspective, J. Coenen-Huther (2003) précise que la mobilisation d'idéaux types est une démarche scientifique qui déborde le cadre des auteurs l'ayant explicitement revendiquée. Ainsi, E. Durkheim l’a mise en œuvre dans son étude sur le suicide et R.K. Merton « dans la construction d'un paradigme pour l'analyse des modes d'adaptation individuelle aux contraintes structurelles ». L'auteur va jusqu'à faire remarquer que Montesquieu, qui a beaucoup inspiré Weber et Tocqueville, procédait implicitement de la sorte. De façon complémentaire, en se référant aussi bien à Weber, qu'à Durkheim ou Simmel, P. Lazarsfeld, R. Aron ou P. Bourdieu, D. Schnapper montre le caractère fréquent de la construction d'idéaltypes dans la démarche sociologique.

Il n'est toutefois pas inutile de rappeler que l'idéaltype1 est un instrument pour comprendre la réalité sociale, un tableau simplifié, « le moyen de rendre intelligibles les relations sociales que l'enquête permet d'analyser » (Schnapper, 1999, p. 15). « Il n'a d'autre signification que celle d'un concept limite, purement idéal auquel on mesure la réalité pour clarifier le contenu empirique de certains de ses éléments importants et avec lequel on la compare » (Weber, 1995, p. 176). Selon cette théorisation, l'idéal type est d'abord construit par stylisation d'éléments de la réalité en la dépouillant de tout élément parasite, réduite à ce qui est strictement nécessaire, en renonçant délibérément à l'exhaustivité. Ce qui souligne que pour rendre crédible une typologie, il faut préciser la part d'interprétation qui préside à son élaboration : une typologie n'est pas une simple description, pas plus qu'elle ne se réduit à l'étape de classement des données.

Le type ainsi obtenu est idéal dans la mesure où il ne correspond pas à un élément observable, mais sert de référence pour définir et surtout comparer des objets empiriques. Car cette construction n'est pas une fin en soi : elle constitue la première étape permettant, dans un deuxième temps, d'examiner les matériaux empiriques, de les confronter à cet idéal (à ses

valeurs constitutives) et d'identifier des écarts (réalité/idéal). Dans un troisième temps, la recherche va consister à élaborer des hypothèses pour rendre compte de ces écarts (motivations, comportement des acteurs). Dit autrement, si l'on ne peut parler véritablement de méthode idéaltypique, on peut par contre « parler d'une méthode dont la conceptualisation par types idéaux n'est qu'un aspect : cette méthode est la modélisation qui, pour faire bref, consiste à se donner une représentation volontairement simplifiée de la réalité comme guide pour des investigations ultérieures » (Coenen-Huther, 2003).

D. Schnapper préfère parler d'analyse typologique pour désigner la mise en œuvre (dans une perspective de comparaison et de classement) de plusieurs idéaltypes : ainsi, l'analyse produite par Weber des trois types idéaux de la domination (légale, traditionnelle et charismatique) constitue une typologie de la domination légitime. Des situations réelles peuvent alors être analysées comme résultant de la combinaison de ces idéaux-types, par établissement de relations entre les idéaux. En somme, l'analyse typologique ne consiste pas à classer des personnes ou des comportements (c'est l'étape classificatoire), mais à élaborer la logique des relations abstraites, notamment en reliant les comportements et les discours observés, aux structures sociales les plus générales.

Il faut répondre à une autre objection : l'analyse typologique n'enferme-t-elle pas les personnes dans une catégorie ? Ce reproche doit plutôt être adressé à l'analyse classificatoire. En réalité, l'analyse typologique permet de prendre ses distances par rapport aux risques de réification (puisque l'idéaltype est explicitement construit et modifiable au vu de la connaissance de situations concrètes) et de prendre en compte la dynamique des trajectoires et des situations (puisque l'objectif est d'établir des relations – par exemple entre les éléments de la structure sociale et la manière dont les individus réinterprètent les contraintes structurelles).

Enfin, si « le type idéal reflète la vie sociale telle qu'elle pourrait être sous certaines conditions de cohérence rationnelle » (Max Weber faisait le parallèle entre idéaltype et utopie), il importe néanmoins d'ajouter qu'il s'agit bien d'une visée de connaissance non normative. Comme le souligne B. Lahire (2005), réfléchissant (à partir des travaux de L. Wittgenstein, d'une part, et de J.-C. Passeron d'autre part) aux rapports entre sociologie et analogie, et en souhaitant donner les moyens d'éviter la fétichisation des concepts, « l'idéaltype comme outil, moyen, étalon, qui sert à la comparaison, se distingue

1 Ou type idéal, traduction de idealtypus, terme introduit en sciences sociales par M. Weber qui a produit « incontestablement (…) la tentative la plus élaborée – bien qu'un peu laborieuse – de préciser en quoi consiste

fondamentalement de l'usage réaliste des concepts qui prétend parler du réel tel qu'en lui-même » (p. 78). C'est bien du côté de l'usage comparatif que l'idéal type peut tirer sa vertu heuristique (tout comme l'analogie), mais à condition d'en borner soigneusement le degré d'extension (tout ne peut se ramener à cette métaphore) et de ne pas chercher à faire que tout se conforme à cet idéal. D'où l'importance de bien prendre en compte les contre-exemples, de ne pas les ignorer : l'inadéquation de certains faits conduit à tenir compte de nouvelles réalités.