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De la même manière que Giovanni Busino (1993) avait proposé une critique du savoir

sociologiques, je vais mobiliser un certain nombre de travaux ayant tous pour objectif de

formuler une critique argumentée de tout ou partie de la sociologie de la traduction et des courants qu’elle mobilise. Bien entendu, ces critiques sont "situées" dans l'espace des sciences sociales et ne sont que partiellement désintéressées. Toutefois, bien que provenant d'approches souvent présentées comme opposées et irréconciliables (typiquement individualisme méthodologique contre théorie des champs), je les mobiliserai de façon conjointe en retenant que cette diversité d'approches peut présenter une complémentarité, une façon d'apprécier sous une multiplicité d'angles un même phénomène.

Critiques de la nouvelle sociologie des sciences

J'ai classé ces critiques en cinq catégories, selon qu’elles portent : sur la prétention à être en rupture ; sur les contradictions internes au raisonnement ; sur la conception de la

sociologie et des concepts mobilisés ; sur la position même des partisans du programme fort ; et sur les conceptions de la science.

Critiques de la prétention de nouveauté et de rupture

Tandis que les promoteurs et les membres de ce courant affirment régulièrement le caractère radicalement novateur de leur approche, il faut souligner leur ignorance (feinte ou réelle) des travaux antérieurs. Ainsi, M. Fournier (1982) rappelle que Durkheim, Mauss, Halbwachs avaient très tôt envisagé le caractère social de la science, non seulement au sens où l'activité scientifique est l'œuvre d'un collectif (« avec ses définitions propres, des traditions déjà anciennes et une méthode qui n'était qu'à lui »), mais également en ce qu'elle « demeure toujours en relation, plus ou moins étroite selon le cas, avec d'autres modes ou éléments de connaissance (sens commun, religion, etc.) ». Durkheim avait même souligné, sans développer ce point, que l'activité scientifique ne tenait pas uniquement dans les acquis théoriques validés, mais qu'elle comportait une part majeure en cours d'élaboration, « concrète et vivante, qui s'ignore en partie et se cherche encore, (…) la vie scientifique tandis qu'elle est encore à l'état libre ». Rappelons également que, pour développer sa conception de la sociologie des sciences (articuler les points de vue des savants avec leurs positions sociales), Merton (1947) classe la manière dont Marx, Scheler, Manheim, Durkheim et Sorokin ont envisagé l'étude des interactions entre science et société. C'est ce qui permet à P. Bourdieu (1994) de souligner que le programme fort, « en faisant abstraction de la logique spécifique du monde de la production et des producteurs professionnels » (p. 92), constitue une régression par rapport à R. K. Merton. Rappelant, lui aussi, que R. K. Merton avait déjà abondamment traité la question de la science comme « mélange indissociable de social et de cognitif », G. Busino (1998) ajoute qu’il avait posé que « la tâche de l’analyste consiste à ne pas confondre la nature sociale avec les procédures explicatives ».

M. Dubois (1999) fait remarquer que la question de savoir si l'on peut expliquer en termes strictement sociologiques le contenu et la nature de la connaissance scientifique – question que B. Barnes, D. Bloor et H. Collins présentent comme novatrice - avait déjà été traitée dans les années 1930 par B. Hessen et Bernal. Ces derniers avaient, dans une perspective marxiste, cherché à rendre compte de la dépendance sociale de la science, ainsi que du fait que la connaissance scientifique ne progresse pas de façon aléatoire. Ces travaux ont ainsi permis de pointer combien l'institution scientifique permet de satisfaire à une demande sociale. Dans le même sens, F.-A. Isambert (1985) rappelle qu’avant R. K. Merton, toute une lignée relativisante de la sociologie de la connaissance allant de Weber à Schütz,

ainsi qu'à Berger et Luckman, sans oublier l'ethnométhodologie et Kuhn, ont souligné, à leur manière, l'importance d'évaluer l'influence des faits sociaux sur l'apparition de nouvelles productions scientifiques. G. Gurvitch (1966) identifiait quatre catégories d'interactions entre connaissance scientifique et cadres sociaux : expérimentations, hypothèses, organisations de production et de diffusion de résultats (pp. 34-5). Ce qui lui permettait de comparer, pour différents types de sociétés, les formes et la place relative occupée par la science. Enfin, mentionnons les perspectives ouvertes par l'Ecole de Francfort qui, recherchant l'origine de la domination du côté du monopole de la connaissance et du savoir, visait la reconstitution des relations entre les théories scientifiques et les conditions sociologiques de leur production, sans négliger l'étude du sens socio-historique des résultats de la science.

Quant au fait que les innovations échappent à leurs concepteurs, G. Simmel avait déjà décrit ce phénomène dans la Tragédie de la culture. Ainsi, constatait-il que « l'esprit engendre d'innombrables productions qui continuent d'exister dans leur autonomie spécifique, indépendamment de l'âme qui les a créées » (1988, p. 177). Ce constat ne concernait d'ailleurs pas uniquement les inventions, puisque « dans presque tous les produits de notre activité spirituelle, il y a une certaine quote-part de signification qui n'a pas été créée par nous » (p. 203). Simmel situait ainsi la tragédie de la culture dans la déchirure s'insinuant nécessairement entre le sujet de la création et ses objets : « les contenus culturels sont certes créés par des sujets et destinés à des sujets, mais dans le stade intermédiaire de la forme objective qu'ils prennent (…), ils évoluent suivant une logique immanente, et deviennent par là-même étrangers à leur origine et à leur fin » (pp. 205-6). Précisons que l'auteur inclut explicitement dans cette analyse les dispositifs techniques produits industriellement à des fins marchandes1. Abordant à son tour la question des techniques devenues incontrôlables, G. Gurvitch (1968) met en exergue le rôle du groupe des technocrates dans ce processus : « détenteurs des secrets techniques, des engins techniques tout-puissants, de compétences hors pair, (…) ils se trouvent en position de substituer le subalterne à la vue d'ensemble, de dominer au lieu d'obéir ». C'est bien l'indépendance croissante de ce groupe professionnel qui

1 « Ainsi, par exemple, la fabrication industrielle de bien des produits manufacturés peut suggérer celle de produits secondaires pour lesquels il n'existe pas vraiment de besoin ; mais la nécessité contraignante d'utiliser à plein ces installations une fois créées, pousse à cette fabrication ; la série technique exige, en elle-même, d'être complétée par des membres dont la série psychique (…) n'a pas besoin ; ainsi naissent des offres de marchandises qui suscitent à leur tour des besoins artificiels et, du point de vue de la culture des sujets, insensés » (Simmel, 1988, p. 206).

explique le décalage croissant entre le développement des techniques, d'une part, et les structures sociales et leurs œuvres de civilisation, d'autre part.

Critiques soulignant les contradictions internes au raisonnement

Un autre ensemble de critiques s’adressent au cœur même de l’argumentation pour en souligner le caractère profondément paradoxal. Ainsi, F.-A. Isambert (1985) fait remarquer que la « nouvelle sociologie des sciences » veut montrer : d’une part, que tout, dans l'activité scientifique, connaissance et faits, est dépendant d'influences sociales, voire est déterminé par des facteurs sociaux ; d’autre part, que l'on ne peut distinguer le cognitif du social. Pour tenir ces deux positions incompatibles (ou bien on veut apprécier l'influence du social sur le cognitif et dans ce cas, il faut pouvoir distinguer le social du cognitif ; ou bien il y a indistinction et dans ce cas, on ne peut rien montrer), les auteurs en restent à des formules très générales, incapables de montrer avec précision ces influences. Plus fondamentalement encore, s'il est impossible de dégager une rationalité scientifique objective, tirée de l'analyse des faits, la sociologie des sciences, elle-même postulant au statut de science, ne peut prétendre à un statut privilégié et chercher à démystifier les pratiques des scientifiques.

Conséquence logique de ces contradictions imbriquées, les tenants du programme fort réduisent l'influence du social à une seule dimension, celle concernant les pratiques stratégiques des chercheurs, considérés comme des illusionnistes, produisant autant les connaissances que les faits sur lesquels ils s'appuient pour prouver leurs théories. Comme le souligne G. Busino (1998), cela conduit à une nouvelle contradiction : « Mettre tous les savoirs sur le même plan, nonobstant les disparités des critères internes de validation, revient à dire qu’il est impossible d’expliquer pourquoi des savoirs survivent aux conditions particulières de leur élaboration » (p. 45). Ils font, par exemple, fi des contraintes méthodologiques s’exerçant au travers de normes cognitives auxquelles les chercheurs doivent se plier, notamment sous la forme de l’exercice d’une censure scientifique. Par ailleurs, reconnaître que tous les critères permettant d’identifier la connaissance scientifique ne sont ni invariants ni universels n’autorise nullement à conclure que la connaissance scientifique est instable et dépend du contexte social. « La gravitation, l’imperméabilité des corps, l’inertie, la désintégration de la matière, les états solides, liquides, gazeux, etc., prouvent exactement le contraire » (Busino, 1998, p. 71).

De son côté, note F.-A. Isambert, les études de cas, dont certaines empruntent à l'ethnométhodologie, bien que très détaillées, ne sont pas vraiment mobilisées comme des

preuves ou la base d'une induction, mais juxtaposées aux affirmations du programme fort. C’est également ce que dénonce P. Ragouet (2002) qui pointe le faible retour réflexif sur le statut des matériaux recueillis lors d’observations ethnométhodologiques. Y. Gingras (1995) montre qu'il existe un gouffre entre les justifications des thèses du programme fort et les preuves empiriques que ses partisans disent apporter. D'ailleurs, la plupart des descriptions d'inspiration ethnographique seraient volontiers admises par la plupart des sociologues, des politologues et des historiens qui ont l'habitude de s'intéresser aux contextes sociopolitiques des décisions, ou aux dimensions matérielles de la réalité pour rendre compte de phénomènes sociaux, n’étaient les déclarations de rupture radicale et le parti pris de donner aux objets la capacité d’agir.

Critique de la conception de la sociologie et des concepts mobilisés

Vers la dissolution de la sociologie ? A ces critiques, s’ajoutent celles portant sur la

conception même de la sociologie, réduite à des choix méthodologiques. Dans cette perspective, comme le résume P. Ragouet (2002), au-delà de leurs différences internes, les tenants du programme fort ont en commun : le textisme (s’intéresser essentiellement aux discours, aux textes, aux « inscriptions littéraires », comme si la pratique scientifique ne s’appuyait pas sur des faits naturels), l’hyper-relationnisme et une tendance à la compulsion

idiographique. Le relationnisme est une expression empruntée à K. Mannheim (Idéologie et

utopie) qui « signifie que tous les éléments de signification dans une situation donnée se

rapportent les uns aux autres et tirent leur sens des interrelations réciproques dans un cadre de pensée donné ». Ce qui permet de faire l’économie de la détermination du poids relatif des facteurs, de leur importance, de leur chronologie, de la hiérarchie entre laboratoires et disciplines, des positions et dispositions des agents, elles-mêmes résultant de leur socialisation antérieure.

Par ailleurs, « considérer les microbes comme des "acteurs sociaux" et des dispositifs techniques comme des quasi-objets capables de "réflexion" (…) implique l'abandon pur et simple des catégories traditionnelles de la sociologie (…) [et] débouche sur un "jeu littéraire" qui sacrifie bel et bien l'essentiel du projet scientifique de la sociologie des sciences » (Dubois, 2002). Enfin, P. Ragouet souligne combien cette sociologie n’a guère besoin de l’histoire. D’où le choix pour des techniques d’observation hinc et nunc et, corrélativement, du rejet de certaines questions et thématiques de recherche. En réalité, ajoute l’auteur, la sociologie ne saurait se réduire à une entreprise purement descriptive ou

idiographique, oublieuse des corpus théoriques antérieurs et ne cherchant pas à mettre en relation les observations avec d’autres faits.

Un autre ensemble de critiques vise l'incapacité des tenants du programme fort à

envisager une multiplicité d'explications. Ainsi, M. Dubois (2002) pointe le fait que la

radicalité du programme fort « repose tout entière sur cette clause qui implique qu'à un

phénomène unique ne peut correspondre simultanément une justification rationnelle et un enracinement social ». Alors qu'il faudrait reconstituer les logiques à l'œuvre, les "bonnes

raisons" qu'ont les scientifiques de privilégier telle théorie dans telle situation (les théories ne sont ni toujours, ni totalement contraignantes), « identifier dans une perspective sociologique

la dynamique argumentative propre à son domaine d'étude ». Dans le même sens, G. Busino

(1998) parle de la nécessité d’étudier les règles de l’argumentation (en s'appuyant sur les travaux de J.-B. Grize1) et le fonctionnement des espaces de discussion (J. Habermas), pour bien montrer en quoi le domaine scientifique est différent du sens commun (ce ne sont pas les mêmes formes d’argumentation : plus impersonnelle et démonstrative dans la science, plus dépendante des représentations et visant la conviction dans la logique naturelle). C'est aussi ce que pense Y. Gringas pour qui le programme fort occulte « le rôle moteur de l'argumentation dans le processus d'évaluation et de certification des connaissances », cette argumentation quant à elle ne pouvant puiser qu'aux ressources cognitives collectives disponibles au moment du débat. On pourrait ajouter que les capacités culturelles individuelles à participer aux discussions, comme l’audace, l’élégance et l’aisance (Bourdieu, 2001, p. 89), ou encore la capacité à prendre la parole publiquement (Bourdieu, 1979), ne sont pas sans lien avec la possession de titres, une certaine socialisation antérieure, une compétence socialement acquise à dominer. Et puis, il faut du temps pour argumenter et contre-argumenter, expérimenter à nouveau et ainsi sélectionner les théories scientifiques selon des arguments rationnels (Boudon, 2003). C'est sur le long terme, à force de rectifications argumentatives, sous le contrôle social des membres de la cité savante que s'élabore une objectivité discursive. Ce n'est qu'en référence à toutes ces dimensions que peuvent être pertinentes des microanalyses à caractère ethnographique, considérées alors comme le point de départ d'un questionnement et d'une explication (notamment, par comparaisons et mise en perspective historique et sociale).

Critiques des conceptions de la science

G. Busino (1998) rappelle que les travaux du programme fort ont donné naissance à de nombreuses études basées sur une conception de la science comme système de conventions, qui consiste à penser que même les méthodes des scientifiques ne sont que le résultat de comportements instrumentaux, fondés sur un consensus à propos de certains principes fondamentaux. Dès lors, non seulement les savoirs des sciences sont considérés comme identiques à ceux du sens commun, mais on pose (sans le démontrer précisément) l’existence d’un déterminisme entre formes de connaissances et cadres sociaux. En d'autres termes, en la considérant comme l’extériorisation de la société et de ses principes d’organisation, les tenants du programme fort en arrivent à dissoudre la science dans l’arbitraire (Isambert, 1985) et à postuler que la raison et la rationalité sont des idéologies ou que la science est équivalente à la magie1.

Quant au scientifique, il est conçu comme un bricoleur opportuniste fabriquant les faits scientifiques par une démarche de conviction. « Mais si tout est illusion, comment se fait-il que certaines de ces illusions durent si longtemps et qu’elles puissent résoudre tant d’énigmes intellectuelles et de difficultés pratiques ? » (Busino, 1998, p. 49). Personne ne nie que la science est immergée dans la société, pas plus que les connaissances scientifiques sont redevables aux techniques et aux dispositifs. Mais « pourquoi considérer que la science en train de se faire est plus importante que la science déjà faite et pourquoi juger la science exclusivement à partir des modalités de son émergence et de sa production » (p. 52) ? D’une part, la valeur et la validité du savoir scientifique dépassent les contextes qui en ont favorisé et permis la production. D’autre part, cela n’explique pas « pourquoi un énoncé, construit en un moment particulier et dépendant d’instruments spécifiques, est plus efficace qu’un autre pour rendre intelligible la réalité » (p. 56).

A vrai dire, rien ne prouve que tous les savants sacrifient leur intérêt scientifique à celui de leur carrière. Quant à ceux qui le font, il n'est pas certain que cela les éloigne systématiquement des objectifs de la science. Plus généralement, les comportements des scientifiques ne s’expliquent pas par le seul calcul rationnel (cynique), mais par la logique spécifique au champ de la science, caractérisée par la compétence et l’appétence, c’est-à-dire :

1 Sans rajouter à l'infini des références critiques, on peut citer C. Grignon (2004) : « par un retournement complet, la radicalisation de la sociologie des sciences conduit ainsi la sociologie à favoriser le retour du besoin antiscientifique de croyance que l'esprit de libre examen dont elle est issue avait combattu et refoulé » (p. 127).

« le capital scientifique incorporé (…), devenus sens du jeu, (…) [ainsi que] la croyance non seulement dans les enjeux mais aussi dans le jeu lui-même » (Bourdieu, 2001, pp. 101-103). Cette logique peut conduire au progrès de la science, mais à une condition : que la discipline ait acquis une forte autonomie (coût d'entrée élevé, indépendance vis-à-vis de la demande sociale). A mesure que s'affirme cette autonomie, chaque savant est confronté à « des concurrents de plus en plus fortement armés pour le critiquer rationnellement et le discréditer : (…) l'antagonisme (…) tend à devenir de plus en plus radical et de plus en plus fécond parce que l'accord forcé où s'engendre la raison laisse de moins en moins de place à l'impensé de la doxa » (Bourdieu, 1976, p. 99). En d'autres termes, « les conditions de validité d’une théorie ne se confondent pas avec ses implications sociopolitiques » (Busino, 1998, p. 39) et les fondateurs du programme fort, confondent crédibilité (résultant en partie du jeu politique) et validité (résultat de la mise en œuvre de procédures et méthodes, d’évaluation, de vérifications).

Sans oublier que se centrer sur la seule observation de la situation, prétendre que toute connaissance n'a de valeur que localement, « constitue une source d'aveuglément quant aux processus à l'œuvre hors du laboratoire qui permettent d'expliquer la formation d'un consensus autour de la validité de telle ou telle connaissance » (Busino, 1998, p. 50). C’est considérer que le laboratoire est coupé du monde de mille façons, alors qu’il est avant tout situé dans un espace hiérarchisé comportant d’autres laboratoires, d’autres disciplines (Bourdieu, 2001, p. 55). C'est s'empêcher de comprendre comment « des scientifiques travaillant indépendamment les uns des autres, dans des sites différents, parviennent à élaborer des découvertes identiques, simultanément » (Dubois, 1998, p. 289), c'est faire fi de l'arrière-fond commun « qui permet de différencier l'attitude scientifique d'autres types d'attitudes ».

En adoptant la posture qui consiste à ne rien comprendre aux sciences étudiées, en ignorant volontairement le contenu même de la discipline qu'ils observent, les tenants de la nouvelle sociologie des sciences n'abordent l'activité scientifique « que dans sa dimension phénoménale sans que l'observateur (…) ne puisse saisir (…) ce qui échappe à la stricte contemporanéité de la perception – notamment les antécédents et les finalités théoriques des acteurs observés » (Dubois, 1999, p. 50). Ils commettent ainsi deux grandes catégories d'erreurs : ils ignorent les dimensions sociales, culturelles et cognitives propres à l'action scientifique, en donnant une représentation désocialisée ; et ils réduisent les interactions à leur pure apparence (les intrigues), occultant la construction de sens, l'activité proprement conceptuelle, ainsi que la mobilisation des savoirs formalisés (notamment sous forme

d’instruments). Comme le souligne T. Shinn (2000), ils ignorent également et volontairement, avec le concept de non-différenciation, de tissu sans couture, les différentes formes de la division du travail scientifique et technique. Ce qui leur interdit de comprendre « la permanence des institutions historiques et la réalité des frontières entre groupes d'acteurs constitués autour d'objectifs et de procédures spécifiques », mais également le rôle que joue cette même division du travail, non dénuée de dynamisme, dans la convergence intellectuelle, c'est-à-dire dans la lente appropriation par des univers professionnels distincts, de concepts et de dispositifs communs.

La position des partisans du programme fort et la diffusion du courant

On peut enfin pointer les raisons contextuelles pour lesquelles ce courant s'est si largement diffusé. Pour G. Busino, cela tient au fait que ses partisans se rattachent aux

cultural studies qui, valorisant les différences et les identités particulières, confèrent