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DYNAMIQUE DES APPRENTISSAGES ET GESTION DU PLATEAU TECHNIQUE HOSPITALIER

DYNAMIQUE DES APPRENTISSAGES ET CHANGEMENTS TECHNICO-ORGANISATIONNELS

DYNAMIQUE DES APPRENTISSAGES ET GESTION DU PLATEAU TECHNIQUE HOSPITALIER

Avec la gestion du plateau technique hospitalier, nous abordons une troisième facette de la dynamique des apprentissages. Après avoir vu, avec le téléenseignement, une situation où le changement perturbe les pratiques des professionnelle en agissant à la fois sur le sens et le contenu de l'activité, et après avoir montré, dans le cas de l'insertion des salariés aveugles, combien pouvaient être ambigus les effets du renouvellement technologique, nous allons maintenant nous intéresser aux processus d'apprentissages concernant ceux dont le métier est, par construction, de gérer les évolutions des équipements biomédicaux (achat, maintenance, formation).

Compétences requises pour une gestion efficace des équipements biomédicaux

Si l'on compare les différentes configurations mettant en scène les professionnels hospitaliers intervenant dans la gestion du plateau technique hospitalier, celle qui présente le plus d'efficacité collective (plus grande transparence dans les procédures de choix, meilleure acceptabilité des décisions, meilleure visibilité globale des processus de soin, plus grande souplesse dans la réponse aux besoins des soignants), se caractérise d'abord par des pratiques de coopération entre catégories d’acteurs hospitaliers, centrées sur l’aptitude des ingénieurs biomédicaux à valoriser des apprentissages collectifs. En d'autres termes, pour assurer l'essentiel de leurs activités, les ingénieurs biomédicaux doivent, non seulement posséder les compétences de base de tout technologue (principes généraux des différentes familles de

dispositifs), mais ils doivent avoir acquis une connaissance des systèmes techniques propres au monde hospitalier (par spécialité médicale et par technologie) et des procédures juridiques d'achat, tout en se tenant informés des besoins des soignants, des innovations pertinentes et de la qualité des fournisseurs (notamment, en matière de maintenance).

Dans ce contexte, les relations de coopération avec les services de soin et les ingénieurs biomédicaux d'autres établissements constituent des ressources incontournables. Or, cette aptitude à réguler les interactions entre catégories professionnelles, qui correspond à des apprentissages collectifs, ne dépend pas de la seule volonté individuelle de chaque ingénieur. Elle résulte, d'abord, de dispositions acquises antérieurement à l’entrée dans l’hôpital, dispositions incluant le capital scolaire acquis dans les écoles d'ingénieurs grandes et petites, mais aussi la « vocation biomédicale », c'est-à-dire l'attrait exercé par un monde riche en dispositifs techniques variés et au service de la santé de la population, vocation souvent en lien avec l'appartenance à un milieu familial comprenant des médecins. Par ailleurs, l'aptitude à réguler les professionnels de la santé dépend de décisions d'organisation et d'une histoire hospitalière locale : la position et le rôle du service biomédical dans l'organigramme, notamment vis-à-vis des services économiques et des services techniques, le soutien apporté par la direction générale, l'intensité des rivalités entre chefs de services.

Configurations favorisant les apprentissages collectifs

Ajoutons que la compétence distinctive des ingénieurs biomédicaux réside dans leur maîtrise d'une vision globale de l’organisation hospitalière, vision résultant d'une analyse fine de l'utilisation locale des dispositifs techniques. Or, cette compétence n'est apprise qu'au fil des cycles budgétaires annuels et des demandes d’intervention d’urgence, en interrogeant et en restant à l'écoute des personnels hospitaliers, en observant leurs manières de faire et en accumulant des connaissances sur leurs services, mais également sur les fournisseurs et leurs qualités, sur les matériels et leur maintenance. Mais si les ingénieurs apprennent des médecins et des soignants, symétriquement, ils interviennent comme pédagogues (vis-à-vis des médecins, des paramédicaux et des techniciens), tout en se plaçant également dans une

posture d'apprenant. Sans remettre en cause le bien fondé de leurs rationalités respectives, ils

leur apprennent à mieux connaître et comprendre les contraintes de leurs partenaires, connaissances acquises grâce à leur position centrale (ou encore mieux, panoptique) dans l'hôpital. Cette posture de formateur leur est d’autant plus accessible qu’ils ont dû eux-mêmes acquérir ces différents savoirs pour exercer leur fonction résolument transverse.

Ainsi la capacité d'apprentissage collectif (intra-hospitalière entre professions techniques et de santé, et inter-hospitalière, au sein du groupe professionnel des ingénieurs biomédicaux) est structurante, car elle est centrée sur la régulation entre groupes professionnels, qu’il s’agisse de la production de règles encadrant l’activité (établir la procédure de renouvellement des équipements biomédicaux) ou de l’activité elle-même (vérifier la pertinence d'une demande, choisir un équipement et un fournisseur, ainsi que la procédure de maintenance adaptée). L'activité des ingénieurs biomédicaux, comme celle de leurs principaux interlocuteurs, se comprend sous l'angle de l'échange mutuel cumulatif, dépassant la division du travail et incluant la volonté de tenir compte des points de vue de chacun1.

Les sources organisationnelles du dysapprentissage

Toutefois, il ne faut pas minimiser la fragilité de ces apprentissages : si, au sein d'un même hôpital, certains membres du collectif s'en vont, il y a de fortes chances pour que les régulations entre catégories et disciplines soient à renégocier et qu'une partie des connaissances (issues de ces apprentissages) soit perdue. De même, des réorganisations (au sein des services de direction) ou des fusions de services de soin (constitution de pôles) peuvent déstabiliser les régulations, changer les relations, modifier des habitudes de négociations et éventuellement limiter cette vision globale, si utile pour l'acquisition de la compétence distinctive du biomédical.

De telles remises en cause peuvent conduire à des configurations où l’enjeu autour de la technique (notamment, les activités de maintenance) n’est pas l’obtention d’une plus grande efficacité technico-économique, mais le contrôle de sa maîtrise (et des activités qui la composent). Ce qui contribue à réduire, chez certains acteurs de la gestion technique, la prise de conscience des besoins des soignants (les contradictions vécues) et empêche les apprentissages collectifs requis : on quitte le registre de l’argumentation (sur le modèle d’un espace de débat professionnel) pour celui du rapport de force (crise, violence, recherche d'incidents mineurs).

Par ailleurs, l'absence d'organisation professionnelle influente, à la fois reflet et cause de la faiblesse des échanges entre pairs (les ingénieurs biomédicaux disséminés dans les

1 Les ingénieurs biomédicaux participeraient d'un mouvement plus général, concernant les cadres qui, selon V. Delteil et P. Dieuaide (2001), se distinguent dorénavant par « les capacités de médiation (…) impliquant en particulier des dispositions sociocognitives (qualités d'écoute, de dialogue, de négociation) ».

différents hôpitaux), non seulement réduit la capacité des apprentissages collectifs (expliquant la répétition d'erreurs, vis-à-vis de certains fournisseurs), mais ne parvient pas à infléchir la faible reconnaissance accordée à ces ingénieurs dans les états-majors hospitaliers.

DYNAMIQUE DES APPRENTISSAGES ET INEGALE DISTRIBUTION DES