• Aucun résultat trouvé

DYNAMIQUE DES APPRENTISSAGES ET INSERTION DES TRAVAILLEURS NON-VOYANTS

DYNAMIQUE DES APPRENTISSAGES ET CHANGEMENTS TECHNICO-ORGANISATIONNELS

DYNAMIQUE DES APPRENTISSAGES ET INSERTION DES TRAVAILLEURS NON-VOYANTS

Intéressons-nous maintenant aux utilisateurs non-voyants d’applications informatiques et examinons à quelles conditions organisationnelles ces salariés peuvent s'inscrire dans une dynamique d'apprentissage pertinente.

Compétences requises pour les utilisateurs aveugles d'applications informatiques

Plus que pour les autres salariés, la première compétence à posséder/développer de la part des non-voyants est la persévérance. Elle est liée à une capacité à mobiliser un collectif

de soutien et d’entraide, constitué de collègues non-voyants et voyants. Les premiers sont

surtout requis pour identifier les postes possibles (identification du sens), les filières et les outils spécifiques qui permettent d’assurer le même travail que des voyants (identification des objectifs professionnels réalistes). Ces éléments permettent de renforcer l'appétence pour « acquitter » le coût cognitif d'acquisition des compétences techniques et professionnelles.

Cette acquisition est alors permise grâce à l'aide fournie par des voyants : soutien pour l'acquisition de savoirs et savoir-faire opérationnels liés au type d'activité (par exemple, la maîtrise des techniques de vente au téléphone), mais également les compétences requises pour l'utilisation professionnelle des logiciels (connaissance des principes de l'informatique, de la bureautique, capacité à se les représenter quand on est aveugle) ; ainsi que les dispositifs spécifiques permettant l’adaptation pour non-voyants (clavier Braille, logiciel Visiobraille), ce qui, faut-il le préciser, suppose de connaître le braille et de savoir le lire vite pour soutenir la comparaison avec les salariés voyants. Plusieurs de ces compétences nécessitent des intéressés qu’ils s’investissent en dehors de leur temps de travail, notamment, en mobilisant des personnes proches pour leur lire des documents ou leur décrire des situations.

Par ailleurs, certains travailleurs non-voyants parviennent à exercer un rôle de concepteur de dispositifs adaptés pour les non-voyants, ce qui, d'une part, nécessite de posséder, le plus souvent au préalable, des connaissances relatives aux principes mêmes de ces technologies, et d'autre part, requiert le soutien d'informaticiens et d'ingénieurs voyants, notamment pour convaincre les hiérarchies de l'intérêt de cette reconversion.

L'informatique adaptée comme source d'apprentissages individuels et collectifs

Pour acquérir ce large spectre de compétences, les salariés aveugles doivent donc s'appuyer sur un véritable collectif d’apprentissage, collectif dépassant souvent le cadre strict de l'organisation et dont la qualité de la régulation est déterminante sur les capacités d'apprentissage de chacun.

Une fois enclenché, le processus de montée en compétence, de prise de confiance en soi, encourage alors certains, devenus experts dans l’utilisation des outils adaptés, à prendre des initiatives, par exemple, en proposant leurs services aux informaticiens chargés du développement des interfaces pour non-voyants (les informaticiens ne pouvant se mettre exactement à la place des utilisateurs non-voyants pour apprécier le bien fondé des choix fonctionnels et la qualité de la programmation). De leur côté, en acceptant l’échange professionnel autour de la mise au point d’interfaces adaptés, les informaticiens entrent à leur

tour dans un processus d’apprentissage collectif, qui leur permet d’être des experts de l’adaptation des postes pour non-voyants.

De plus, en mettant au point des routines d'échange subtiles, en mobilisant les compétences des voyants (proches et distants), en contournant les règles formelles (sortir de leur rôle de téléopérateur), les utilisateurs non-voyants parviennent à dépasser les situations handicapantes. Ce qui montre, chez eux, non seulement une intelligence pratique des situations qu’ils affrontent, mais également une appétence à mobiliser leurs compétences.

Les sources organisationnelles du dysapprentissage

Contrepartie de l'indispensable insertion dans un collectif pour posséder les compétences pertinentes, les fréquents changements organisationnels provoquant de nombreux renouvellements de personnes, fragilisent les collectifs d'entraide et, ce faisant, remettent en cause la dynamique d'acquisition de compétences. Ce à quoi s'ajoutent les changements de dispositifs informatiques proprement dits : ces derniers sont systématiquement envisagés sans tenir compte du besoin en interfaces adaptées pour non-voyants.

Ces derniers ne pouvant plus accéder aux mêmes outils, ni aux mêmes informations, connaissent alors plusieurs périodes de mise à l’écart, lors desquelles des tâches, le plus souvent sources de dysapprentissages (au sens de perte de connaissances acquises), leurs sont proposées (télémarketing en journée, accueil téléphonique traditionnel). Ces périodes sont sources d’inquiétude quant au devenir de leur activité dans ce type de service et fragilisent ainsi, aussi bien les capacités à apprendre (les apprentissages antérieurs sont empêchés) que l'appétence (par perte de sens de l'activité professionnelle). De plus, le dysapprentissage se manifeste également par l'impossibilité d'apprendre le fonctionnement de nouveaux outils (à l'atrophie des compétences acquises, s'ajoute le décrochage par rapport aux collègues voyants utilisant les dernières versions de logiciel). Le caractère dissymétrique de la relation aux voyants est renforcé, ce qui réduit les échanges, les demandes de renseignement (pour ne pas déranger dans un contexte d'accentuation des exigences de productivité).

Apparaît alors un cercle vicieux du dysapprentissage : le salarié aveugle travaille tout seul, n’est pas informé, rate des réunions, ignore des changements portant sur les détails quotidiens de l’activité (tarifs, promotions, nouveaux produits et services, etc.). Il devient rapidement moins performant, moins compétent, toutes choses égales par ailleurs, que ses collègues voyants. Ce qui favorise la perpétuation des représentations que les responsables

voyants possèdent sur les salariés aveugles et ne permet guère de prendre en compte les réels besoins (pour communiquer, accéder à l'information, s'insérer professionnellement) de ces derniers.

Il en résulte une alternance de périodes de volonté de se battre, de montrer qu’ils peuvent acquérir les mêmes compétences que les autres (appétence), et de périodes de découragement (perte d'appétence). Et si certains, grâce à leur volonté, leur persévérance, le soutien de collectifs parviennent à accumuler ce capital social et de connaissances indispensables pour remplir un rôle dans l’entreprise, d’autres, compte tenu de contextes d’entraide différents (non reconnaissance des efforts accomplis et des besoins spécifiques d'adaptation), sont inscrits dans un processus de dysapprentissage, lequel ne fait que renforcer les représentations des voyants à leur encontre.

DYNAMIQUE DES APPRENTISSAGES ET GESTION DU PLATEAU TECHNIQUE