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2. Les parcours des IPEF et les responsabilités qu’ils exercent

2.2. Les enjeux des employeurs

2.2.6. Les IPEF et l’essaimage

L’essaimage est une notion couramment employée, mais elle est floue et prête parfois à confusion. La mission l’utilise ici avec précautions, dans une acception particulière adaptée à son propos : une affectation d’une durée plus ou moins longue, et éventuellement définitive, en dehors des deux premiers cercles des employeurs

« naturels » du corps des IPEF : le premier cercle est constitué des services de l’État (dont notamment les ministères de rattachement : MAAF, MEDDE, MLETR) et le deuxième cercle réunit les opérateurs de l’État et organismes de recherche liés aux ministères de rattachement et ainsi que les collectivités dans les domaines correspondants. Ces deux premiers cercles constituent des « maisons d’emploi »

cohérentes au sein desquelles des migrations en cours de carrière semblent très naturelles.

L’éloignement est plus important et les possibles retours sont moins simples à gérer que pour les parcours au sein de ces deux cercles. Il se fait en général en détachement ou mise en disponibilité (pour le secteur privé notamment), alors qu’au sein des maisons d’emploi des positions normale d’activité sont envisageables et maintenant souvent préférées car plus propices à des conditions de retour satisfaisantes.

Les possibilités offertes par l’essaimage dans le déroulé des parcours sont présentées comme un élément d’attractivité dans le cadre des amphis « retape » organisés pour promouvoir le corps dans les écoles.

L’essaimage prend in fine deux modalités distinctes :

• un passage temporaire par des structures fonctionnant sur un registre autre que celles du secteur public français, dont principalement des entreprises intervenant sur des marchés concurrentiels ;

• un départ définitif.

En théorie, l’essaimage temporaire, diversifiant et en enrichissant les parcours, permet de développer de nouvelles compétences professionnelles et humaines, dont l’acquisition peut se révéler très intéressante pour l’exercice de fonctions de responsabilité dans le secteur public. Au titre des échanges qu’il organise, il permet de sortir de «l’entre soi» des maisons d’emploi, facilite l’échange d’idées et le transfert des méthodes entre les secteurs public, parapublic et privé, à condition que les mobilités soient facilitées et que les retours d’expérience soient valorisés. En pratique, des freins de plus en plus nombreux existent : écart dans les contextes de travail et dans les cultures managériales et professionnelles, écarts de rémunération, développement de l’attention portée aux situations de conflits d’intérêts et, corrélativement, des règles déontologiques, etc. ; qui limitent souvent cet essaimage temporaire à l’échec d’un essaimage définitif.

L’essaimage définitif constitue un élément important dans la démographie du corps.

Les départs correspondants facilitent en effet :

• les recrutements à des ages plus avancés ce qui permet au corps de jouer un rôle de corps de débouchés,

• les progressions de carrière, pour ceux qui restent dans les maisons d’emploi du secteur public.

Dans une situation de déséquilibre démographique, cette fonction prend une importance particulière. Ce point sera développé au chapitre 3.2.

De façon à développer un essaimage actif, l’UnIPEF, par le biais de son directeur de la mobilité, a engagé une démarche professionnalisée auprès des « chasseurs de têtes » (conseils en recrutement), destinée à promouvoir et encadrer l’essaimage des IPEF, adhérents ou non, vers le secteur privé et les collectivités territoriales. Un élément de cette politique consiste à préparer les successions à certains postes de responsabilité en y dirigeant des jeunes, à un niveau de fonctions préparatoires facilitant l’accès à des niveaux supérieurs qu’il est illusoire de vouloir occuper directement

Dans un marché du travail devenu multi-employeur l’UnIPEF est aujourd’hui capable de suivre les jeunes ingénieurs qui se sont engagés dans cette voie, mieux que le CEIGIPEF, qui peine à localiser et suivre les individus, dès lors qu’ils ont quitté le giron des maisons mères de rattachement. Les propositions de la partie 3 iront dans le sens de compléter cette initiative en développant de telles fonctions au sein de l’administration dans le cadre d’une démarche volontariste.

Selon le bilan de gestion du corps 2013, l’emploi dans le secteur privé représente moins de 10 % des effectifs du corps soit 9,4 %. Ce chiffre est très stable : 341 IPEF travaillaient dans le secteur privé en 2013, contre 348 en 2009 au moment de la fusion des IPC et des IGREF.

Le taux de présence des IPEF encore membres du corps dans le secteur privé est très contrasté selon les voies de recrutement dans le corps : il atteint 16 % pour les X, 8,4 % pour les autres concours externes, 3,9 % pour les concours internes et 1,9 % pour les listes d’aptitude.

Les démissions et radiations représentent moins de 10 individus par an.

A. Un moindre intérêt des entreprises

L’essaimage dans les entreprises privées était une tradition dans le corps des IPC, moins développée toutefois que dans le corps des Mines, mais plus répandue que dans le corps du GREF. Les parcours professionnels du MAAF sont historiquement moins ouverts à l’essaimage dans les entreprises agroalimentaires que les parcours de la sphère du MEDDE ou de Bercy vers les entreprises de leur domaine d’intervention.

Les passerelles vers le privé évoluent. Alors qu’il était de bon ton, dans les grandes entreprises du BTP, d’accueillir au sein de leur encadrement supérieur un nombre rituel, quasi statutaire, d’IPC, et alors qu’il y a encore dix ans celles-ci venaient « faire leur marché » en débauchant des ingénieurs du corps ayant acquis en DDE une solide expérience de chantier et de conduite de projet, aujourd’hui les transferts se font à l’initiative des IPEF eux-mêmes, et les entreprises ne recherchent plus spécifiquement ce « produit », les métiers exercés au sein de l’administration étant désormais beaucoup plus éloignés de leurs préoccupations. Les opérateurs, en revanche, jouent encore ce rôle de passerelle et le flux par Bercy et les cabinets, qui a toujours fonctionné, reste encore très actif.

B. Un projet fort pour une part des IPEF

L’essaimage dans le privé relève d’un choix personnel : face à des carrières jugées de moins en moins attractives au sein des services de l’État, les IPEF qui ont rejoint le secteur privé ne le regrettent pas et soulignent le décalage « entre le temps administratif, rythmé par les palabres et les jeux de pouvoir, et le temps économique, déterminé par la vitesse, la réactivité, l’attribution de moyens et la prise de responsabilité ».

Ayant trouvé leur poste par leurs propres moyens, nombre d’IPEF exerçant dans le secteur privé ne sont guère tentés de servir de point d’entrée d’un réseau au bénéfice collectif d’un corps auquel ils considèrent finalement « ne rien devoir ». Leur recrutement s’est fondé sur trois composantes de leur parcours professionnel : leur expérience technique, notamment en matière de management de projet, leur capacité à appréhender la complexité et leurs valeurs comportementales.

L’étiquette IPEF n’a aujourd’hui plus le même sens pour les entreprises. « Les CV des jeunes qui travaillent en administration centrale ne sont plus intelligibles aujourd’hui » nous a affirmé l’un de nos interlocuteurs en responsabilité chez un opérateur, Les entreprises ne trouvent les compétences qu’elles recherchent que chez des IPEF exerçant au sein d’opérateurs publics, dans des cabinets ministériels, à Bercy ou dotés d’un profil de spécialiste via un parcours de recherche.

Les entreprises n’expriment plus le besoin de recruter des transfuges de l’administration qui en connaissent les règles et en maîtrisent les usages pour faire valoir leurs positions, et s’appuient volontiers et naturellement sur des cabinets de lobbying : elles ont de moins en moins de politiques d’embauche spécifique de hauts fonctionnaires.

Aujourd’hui, l’État n’est plus identifié comme le lieu principal du pouvoir, offrant des compensations réelles et symboliques à la faiblesse relative de ses rémunérations. Cet attrait déclinant du service de l’État se traduit par le fait que le mythe de l’entrepreneur et celui du chef d’entreprise supplantent maintenant, largement, celui du haut fonctionnaire et peuvent tenter de plus en plus de jeunes, privilégiant la prise de risque à l’environnement protecteur mais sclérosant des institutions. La sécurité apportée par un statut de fonctionnaire apparaît certainement plus accessoire aujourd’hui à ce public, qui n’y voit pas un avantage contrebalançant les contraintes qu’il occasionne (délai pour accéder au secteur privé, notamment).

Il appartient à chaque IPEF, tenté par le secteur privé, de se prévaloir d’un parcours formateur, lui assurant des compétences qui lui donnent une valeur ajoutée immédiate, et de faire preuve d’humilité en acceptant d’entrer à un niveau de l’entreprise qui ne bénéficie pas du prestige et de la reconnaissance hiérarchique auxquels il était habitué dans le service de l’État.

Ces projets individuels se préparent relativement peu en formation initiale. Le nombre des ingénieurs-élèves qui suivent le collège des ingénieurs (qui constitue une formation initiale complémentaire visant une ouverture directe vers le secteur privé) est maintenant très faible (un à deux par an), après une période initiale de plus fort engouement qui avait aussi conduit à ouvrir aux ingénieurs-élèves des ponts et chaussées la possibilité de suivre le MBA international de l’ENPC.

L’actuelle application des règles de déontologie est particulièrement contraignante pour les IPEF ayant construit une compétence dans un domaine particulier. Notamment dans les domaines où sont en jeu des marchés publics, il est très difficile d’aller travailler dans une entreprise relevant du même domaine. Ces dispositions sont perçues comme bloquant les échanges avec le secteur privé et accentuent la précocité des départs.

C. Des retours souvent difficiles

En pratique, le retour du « chevalier blanc » qui revient du secteur privé dans l’administration ne reçoit pas l’accueil de « l’enfant prodigue », alors même qu’il se produit généralement également après un échec, réel ou ressenti. À la difficulté de cet échec et souvent d’un écart sensible de rémunération s’ajoute un accueil souvent peu amène : celui qui, avant son départ, était souvent considéré comme brillant et prometteur, se voit implicitement reproché d’être de retour, lui qui n’était pas censé revenir ; il se retrouve dans un contexte encombré où les places sont prises, où ses aptitudes sont peu reconnues, et où son irruption est considérée comme une incongruité, voire comme une forme d’usurpation du statut : avoir bénéficié des

avantages du privé sans en subir les conséquences. Les vagues assez récentes de radiations, qui avaient été longtemps négligées, ont contribué à clarifier la situation. Ce sentiment est exacerbé par les règles des départs en retraite : lorsque l’on a cotisé une partie de sa carrière dans le secteur privé et que l’on n’a ainsi pas cotisé un nombre de trimestre suffisant sous statut de l’État, il est possible de poursuivre pour accroître le nombre de ses trimestres, et de voir ainsi une retraite liquidée avec les pensions du public et celles du privé cumulées.

D. Un sujet débattu appelant une clarification

La question du flux de départs raisonnable au sein du corps et du soutien éventuel à lui apporter fait l’objet d’appréciations très contradictoires : certains jugent que ce faible nombre est le signe d’un repliement coupable à courte vue, d’autres considèrent que l’orientation précoce vers le secteur privé n’est pas, contrairement au corps des ingénieurs des mines (IM), le projet du corps et ils insistent sur le fait qu’il n’y a pas lieu de confondre le projet des écoles de formation, qui doivent évidemment former des responsables pour le secteur industriel en plus grand nombre que pour le secteur public, et celui du corps, qui ne doit considérer le secteur privé que comme un accompagnement accessoire et non pas central de son projet. Certains vont jusqu’à considérer que le passage par Bercy devrait être découragé.

Il pourrait pourtant être intéressant de constituer des parcours organisés, qui donnent une véritable connaissance de l’entreprise aux IPEF, et permettent, en retour, une meilleure prise en compte de la réalité des entreprises dans la mise en œuvre des politiques publiques. C’est en début de carrière que l’acquisition par les IPEF d’une expérience du secteur privé pourrait être intéressante pour les ministères autant que pour les individus. Le risque de non-retour des jeunes ingénieurs concernés avait conduit au choix, au sein du corps des ponts, d’une acquisition générale d’une première expérience en la matière dans le cursus de formation via un « stage long ».

Il semble utile, une nouvelle fois, de bien clarifier cette dimension du projet du corps : confronté à ces divergences d’opinion, il revient au chef de corps en lien avec les SG de clarifier pour tous la doctrine. La mission privilégie, quant à elle dans ce qui suit, l’idée que le corps des IPEF ne doit pas s’évertuer à singer le corps des ingénieurs des mines et doit assumer le fait que son champ de compétence central est ancré dans l’action publique et les services publics, que ceux-ci soient opérés par des acteurs publics ou privés. Les parcours public-privé dont il est question et qui sont utiles pour l’intérêt commun des parties concernées, et notamment des régulateurs de ces secteurs, sont plus particulièrement ceux qui s’inscrivent dans ce périmètre. Cela n’exclut en rien la possibilité de parcours plus atypiques, mais ceux-ci ne sont pas constitutifs, dans l’esprit de la mission, de la stratégie de gestion du corps.