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Depuis de nombreuses années, plusieurs philosophes, théoriciens et autres grands psychologues se sont penchés sur le phénomène des émotions (voir Sander & Scherer, 2009).

Parmi diverses approches, les théories des évaluations cognitives postulent que ce sont les appraisals – ou évaluations d’une situation, basées sur certains critères – qui sont responsables de la production et de la différentiation des émotions. Ce serait donc différentes évaluations réalisées par un individu au sujet d’un événement, selon sa pertinence, ses implications, sa signification normative, ainsi que le propre potentiel de maîtrise de l’individu face à cet événement, qui produiraient différentes émotions (Scherer, 2001). Mais selon ces théories, les appraisals expliqueraient également les mécanismes de perception des émotions, notamment par un processus d’inférence. En effet, divers traits et indices faciaux observés sur un visage seraient utilisés pour inférer quelles opérations mentales et quels processus d’appraisal sont effectués par un individu en question, et pour ainsi décoder quelle est son expression faciale et son émotion (Sander, Grandjean, Kaiser, Wehrle, & Scherer, 2007). Les théories des appraisals permettent donc de construire des modèles empiriquement testables des mécanismes de production et de perception des émotions.

Mais ces théories des évaluations cognitives considèrent généralement que les appraisals reflètent le sens d’un événement pour une personne et ses implications pour son bien-être personnel, et les recherches dans ce domaine ont eu tendance à étudier les appraisals au niveau de l’individu, comme s’il était isolé socialement, c’est-à-dire sans prendre en compte l’effet éventuel du contexte social et culturel sur les processus d’appraisals (Manstead

& Fischer, 2001). Certains auteurs ont donc commencé à étudier le rôle d’autrui dans les situations émotionnelles (Jakobs, Fischer, & Manstead, 1997), et ceci amena Manstead et Fischer (2001) à développer le concept de social appraisal, qu’ils définissent en ces termes : évaluation des comportements, pensées ou sentiments d’autrui en réponse à un événement émotionnel, en plus de l’évaluation de l’événement en soi. Il s’agit donc bien ici de l’évaluation qu’un individu réalise au sujet de la réaction émotionnelle d’autrui dans une situation émotionnelle donnée, en plus de l’évaluation qu’il réalise sur cette dernière (Manstead & Fischer, 2001). Nous pouvons donc considérer le social appraisal comme l’évaluation de la façon dont autrui évalue lui-même un événement émotionnel. Ces auteurs stipulent que nos propres appraisals seraient fortement influencés par les réactions émotionnelles des autres personnes dans la même situation, que ce soit de manière explicite ou implicite.

Selon ces mêmes auteurs, le social appraisal serait capable d’influencer non seulement la manière dont les émotions sont ouvertement exprimées par un individu, mais également l’expérience émotionnelle en soi, telle qu’elle est vécue par cet individu. Le social appraisal a donc un effet sur différents aspects de la production des émotions, tant en ce qui concerne leur expression que leur ressenti. Il semble aussi intéressant de se demander ce qu’il en est du cas, non plus de la production, mais de la perception des émotions.

La perception émotionnelle, du moins en ce qui concerne la perception des expressions faciales, est un phénomène complexe sur lequel agissent de nombreux facteurs.

En effet, plusieurs études ont démontré que la reconnaissance d’expressions faciales émotionnelles est influencée par des traits de personnalité individuels (Fraley, Niedenthal, Marks, Brumbaugh, & Vicary, 2006), par certaines caractéristiques faciales du visage en question, comme la direction de son regard (Adams & Kleck, 2005 ; Sander et al., 2007), ainsi que par des facteurs contextuels, tels que le langage corporel (Meeren, Van Heijnsbergen & de Gelder, 2005), les informations contextuelles (Aviezer et al., 2008 ; Righart & de Gelder, 2008), ou d’autres émotions contextuelles (Fenske & Eastwood, 2003 ; Masuda et al., 2006) qui accompagnent l’expression à reconnaître.

Le contexte a donc un effet non négligeable sur nos propres perceptions et évaluations d’expressions faciales émotionnelles. Mais il convient de distinguer l’effet d’un simple contexte, tel que cité ci-dessus, de l’effet d’un contexte évaluatif – c’est-à-dire d’un contexte constitué d’un visage émotionnel qui réalise lui-même une évaluation sur un objet d’attention commune. C’est effectivement dans le cadre d’un contexte évaluatif que l’on peut parler de social appraisal et de l’influence des évaluations du visage contextuel sur nos propres évaluations, concernant un même événement émotionnel. Des recherches ont trouvé qu’un contexte évaluatif influence l’évaluation affective que l’on réalise sur certains objets (Bayliss, Frischen, Fenske, & Tipper, 2007), ainsi que les jugements d’attractivité d’une personne (Jones, DeBruine, Little, Burris, & Feinberg, 2007). Ces résultats confirment que les évaluations d’autrui dans un contexte donné affectent nos propres évaluations au sujet d’un objet d’attention conjointe.

Certaines études ont donc trouvé que le contexte et les informations qu’il contient influencent notre perception d’expressions émotionnelles, et d’autres recherches ont fourni les preuves qu’un contexte évaluatif a un impact sur nos propres évaluations et jugements de stimuli divers. A notre connaissance, seule l’étude de Mumenthaler et Sander (in revision) a réuni ces deux domaines d’investigation en s’intéressant à l’effet d’un contexte évaluatif spécifiquement sur la reconnaissance d’expressions faciales émotionnelles. Leurs résultats ont

démontré qu’un visage contextuel évaluatif est effectivement pris en compte par les individus pour juger un visage émotionnel cible, et que ce qui a ainsi été défini comme le « social appraisal » a un impact sur la perception émotionnelle.

Nous savons désormais que les jugements d’expressions faciales sont influencés par les informations contextuelles, et notamment par la présence d’un contexte évaluatif, constitué d’un visage émotionnel qui regarde en direction d’une expression cible qu’il s’agit d’évaluer – on parle d’effet du social appraisal sur la perception émotionnelle. Il est maintenant nécessaire de se demander si cet effet est dû à une réflexion consciente de l’individu, qui interprèterait et donnerait du sens à ce qu’il voit dans son environnement de manière explicite, ou si un contexte évaluatif pourrait exercer un effet implicite sur la perception d’expressions émotionnelles, c’est-à-dire indépendamment de l’interprétation consciente et réfléchie de l’individu. Sachant que les stimuli pertinents sont traités en priorité par le système attentionnel (Brosch, Sander, & Scherer, 2007) et que de nombreux traitements émotionnels sont effectués à un niveau implicite (e.g., Murphy & Zajonc, 1993 ; Morris, Öhman, & Dolan, 1998 ; Whalen et al., 1998 ; Dimberg, Thunberg, & Elmehed, 2000 ; Nomura et al., 2004 ; Whalen et al., 2004 ; Eastwood & Smilek, 2005 ; Winkielman, Berridge, & Wilbarger, 2005 ; Li, Zinbarg, Boehm, & Paller, 2008), nous posons l’hypothèse qu’un contexte évaluatif peut influencer la perception émotionnelle, et ceci sans que les individus en soient conscients. En effet, nous pensons qu’un contexte évaluatif – à savoir un visage émotionnel qui réalise une évaluation sur un objet d’attention commune – est un élément pertinent qui devrait capter l’attention et être traité prioritairement par le système attentionnel, comme une grande partie des stimuli émotionnels. L’évaluation de ce contexte évaluatif – ou social appraisal – devrait ainsi influencer de façon implicite les jugements des individus en ce qui concerne une expression faciale donnée. Le but de cette étude est donc de répliquer les résultats de Mumenthaler et Sander (in revision), c’est-à-dire de trouver un effet du social appraisal sur le jugement d’expressions faciales émotionnelles cible, mais cette fois-ci en présentant un contexte évaluatif d’une durée très brève, qui ne permette pas un traitement élaboré et conscient de la part de l’individu.

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