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2. Etat de la question

2.4. Etude du social appraisal à un niveau implicite

L’étude de Mumenthaler et Sander (in revision) a utilisé des visages dynamiques présentés durant plusieurs secondes et affichant des expressions émotionnelles selon un déroulement temporel précis ; d’abord les deux visages apparaissaient à l’écran, puis le mouvement du regard du visage contextuel se dirigeait en direction ou à l’opposé du visage cible, étant suivi par l’apparition de l’expression faciale sur le visage central, pour se terminer par la survenue de l’expression émotionnelle sur le visage en périphérie. On peut donc se demander si l’effet du social appraisal serait dû à une réflexion consciente de l’individu, qui comprendrait la signification de l’expression centrale après en avoir tiré une explication plausible selon l’émotion contextuelle, mais également selon le lien temporel et causal entre les deux visages émotionnels. Dans ce cas, l’effet du social appraisal sur la perception émotionnelle serait dû à un traitement explicite réalisé par les participants.

Cependant, la littérature nous parle de nombreux traitements émotionnels qui sont effectués de manière implicite. En effet, plusieurs recherches ont pu démontrer que les individus sont sensibles aux informations émotionnelles, et notamment aux visages, sans pour autant qu’ils les perçoivent consciemment (pour une revue, voir Eastwood & Smilek, 2005).

La méthode la plus célèbre pour étudier la perception implicite est probablement celle du masquage, qui consiste à présenter un visage émotionnel cible suivi d’un masque – un stimulus visuel censé bloquer la perception consciente du visage cible. Mais il faut pour cela que l’intervalle de temps entre la présentation de la cible et celle du masque soit assez bref,

afin que l’observateur n’ait pas conscience du stimulus cible (Milders, Sahraie, & Logan, 2008), qui devrait alors être traité uniquement à un niveau implicite. Des études de neuroimagerie ont d’ailleurs démontré une activation au niveau cérébral pour des visages émotionnels masqués, donc perçus non consciemment (Pessoa, 2005). Certains auteurs ont mis en évidence une réponse précoce de l’amygdale en réaction à des visages masqués de peur (Whalen et al., 1998), et ceci même pour des stimuli représentant uniquement un regard de peur (Whalen et al., 2004), ou encore en réponse à des visages masqués de colère (Morris et al., 1998 ; Nomura et al., 2004). Ces études démontrent qu’un traitement implicite a bien lieu, sans pour autant que les participants ne rapportent explicitement avoir vu les visages émotionnels.

Au-delà d’une activation cérébrale précoce, ces visages émotionnels masqués, bien qu’ils ne soient pas consciemment perçus, peuvent influencer le comportement des participants (Winkielman et al., 2005), ou leur communication émotionnelle, via une modification de leur propre configuration faciale, correspondant quelque peu à l’expression masquée leur ayant été présentée (Dimberg et al., 2000). Plus intéressant encore, de tels visages peuvent moduler les évaluations affectives des individus. Par exemple, Murphy et Zajonc (1993) ont prouvé que la présentation de visages émotionnels masqués influençait, selon la valence de ces derniers, les jugements affectifs de stimuli nouveaux auxquels ils avaient été associés. En effet, leurs résultats ont montré que les participants rapportent une augmentation de leurs préférences pour des symboles chinois lorsque ceux-ci ont été précédés de visages masqués de joie, ainsi qu’une diminution de leurs préférences pour des symboles qui ont été précédés de visages masqués de colère. Une étude plus récente, celle de Li et collaborateurs en 2008, a trouvé le même effet. Les auteurs ont présenté des expressions faciales de surprise à des participants, expressions dont la valence émotionnelle est plutôt ambiguë, et qu’il s’agissait justement d’évaluer. Il est ressorti des résultats que les participants ont évalué plus négativement ces expressions faciales de surprise si elles avaient été précédées de visages masqués exprimant de la peur, en comparaison à des visages masqués affichant une expression de joie, bien que les sujets ne rapportent aucune perception consciente des visages masqués.

Ces études démontrent donc que certains stimuli émotionnels, dont les expressions faciales, sont traités très rapidement et de manière automatique par le système attentionnel, et influencent ainsi les comportements et jugements subséquents des individus, sans pour autant qu’ils en aient conscience. Nous pouvons donc dire que les visages émotionnels sont traités même à un niveau implicite. Ce serait en fait tous les stimuli pertinents, peu importe leur

valence propre, qui seraient traités prioritairement par le système attentionnel, et ceci indépendamment de la volonté ou de la conscience des individus (Brosch et al., 2007).

Comme de nombreuses recherches l’ont illustré, les informations contextuelles et les réactions émotionnelles d’autrui sont prises en compte lors des évaluations affectives des individus, et semblent donc être une source d’information pertinente, permettant probablement de mieux comprendre son environnement et de pouvoir réagir de manière adaptée à son contexte social. Nous pouvons donc postuler que le social appraisal est un élément pertinent spécifiquement pour le décodage d’une expression faciale émotionnelle, puisqu’il permet une lecture plus fine de celle-ci (voir Mumenthaler & Sander, in revision), et qu’un contexte évaluatif devrait ainsi capter l’attention et être traité à un niveau automatique et rapide. Le but de cette étude est donc de pouvoir tester l’effet implicite du social appraisal sur la perception émotionnelle, en présentant un visage contextuel masqué et en observant son effet sur le jugement d’une expression faciale cible.

Il existe toutefois des différences interindividuelles importantes quant à la façon dont l’attention est allouée aux visages émotionnels. Par exemple, plusieurs recherches ont montré que chez une population de personnes anxieuses et phobiques sociales, on observe de manière générale un biais d’attention sélective vers les stimuli indiquant une source de menace ou de danger potentiel (Beck & Clark, 1997), comme des visages de peur ou de colère ; c’est-à-dire que des individus qui présentent un niveau élevé d’anxiété orientent leur attention spatiale et leur regard vers des indices de menace, plus que ne le font des individus présentant un faible niveau d’anxiété (e.g., Mogg, Philippot, & Bradley, 2004; Mogg, Garner, & Bradley, 2007) Or, chez les anxieux sociaux, ce biais est présent même pour des visages masqués (Mogg &

Bradley, 2002 ; Li et al., 2008). Cela signifie que ces stimuli, auxquels ils sont singulièrement sensibles du fait de leur anxiété, captent leur vigilance de manière particulièrement précoce et automatique, même s’ils sont traités implicitement. L’étude de Li et collaborateurs (2008) illustre ce biais, puisqu’elle a trouvé que des expressions faciales de surprise sont jugées plus négativement par les participants si elles ont été précédées par des visages masqués de peur, en comparaison à des visages masqués de joie, et ce essentiellement chez les participants les plus anxieux. Cela suggère que des visages émotionnels masqués modifient la valence des jugements d’expressions de surprise des participants, et que cet effet varie en fonction de leur niveau d’anxiété. Dans la présente étude, nous allons donc prendre en compte cette variable individuelle et nous attendre à ce que des visages contextuels masqués influencent implicitement la perception émotionnelle des individus en général, et ce d’autant plus chez

des personnes anxieuses sociales, qu’il s’agisse d’expressions de peur ou de colère, auxquelles elles sont particulièrement sensibles.

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