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En s’appuyant sur le modèle de système national de recherche et d’innova-tion (SNRI) construit par Barré ([Barré, 2007] et [Barré, 2011]) et la théorie des systèmes d’innovation ([Freeman, 1987], [Lundvall, 1992], [Edquist, 1997], [Malerba, 1999], [Carlsson et Stankiewicz, 1995] et [Hughes, 1990]), nous avons proposé dans le chapitre précédent une analyse du système français de financement de la recherche sur projet. Nous avons par ailleurs précisé qu’il n’existe pas de cadre pour approcher la dynamique d’évolution d’un système de recherche (voir également [Hekkert et al., 2007], [Bergek et al., 2008] et [Hekkert et Negro, 2009]) tout en montrant qu’en limitant le périmètre d’étude aux questions du finance-ment de la recherche sur projet, il est possible d’appréhender cette dynamique à travers l’identification des fonctions qui constituent le système. De là nous avons construit une cartographie du "système national du financement de la recherche" (SNFRI) français qui s’articule autour des fonctions définies par Barré (Orientation, Programmation, Recherche) auxquelles nous avons ajouté une fonction Evaluation. Cette dernière est décrite de manière informelle dans le chapitre précédent comme une fonction qui agrège l’impact (pris en son sens le plus large) de tous les projets financés dans le système, de sorte que l’Orientation ait connaissance de la direction prise par ce dernier à travers la réalisation de ces projets.

Nous avons en effet précédemment montré que l’évaluation de la recherche n’est qu’une composante de l’évaluation du système. Réduire cette dernière à l’évaluation de la recherche, reviendrait à ne pas considérer le système dans sa globalité et perdrait ainsi de son intérêt. Un travail terminologique doit ainsi être réalisé. Alors que l’on parle de scientométrie lorsque l’on évalue la recherche, il n’existe à notre connaissance aucun terme pour évoquer l’évaluation du système. Nous proposons ici d’utiliser le terme de systémérie, qui correspondrait à la science de la mesure et de l’analyse de l’état d’un système. La définition formelle de la systémétrie n’est pas l’objet de cet thèse, mais celle-ci doit correspondre

Introduction de la partie modélisation

à une généralisation de la définition que nous avons donné de l’évaluation du système. En revanche, nous introduisons ce terme pour l’opposer clairement à la scientométrie et éviter toute confusion.

Le chapitre précédent nous a par ailleurs permis d’attester empiriquement que les quatre fonctions existent bien dans le système et sont suffisantes pour expliquer la décision de financement ou non d’un projet de recherche publique. Il a également permis d’appréhender l’ensemble formé par le système de financement de la recherche et la politique dans laquelle il s’inscrit comme un ensemble dynamique, dont les caractéristiques évoluent, entre autres en réponse à des ajustements de structure qu’une méthode d’évaluation du système satisfaisante est capable de préconiser.

Dans ce chapitre, nous proposons de nous appuyer sur ce travail pour construire un modèle formel d’évaluation de système national du financement de la recherche et de l’innovation (SNFRI) permettant d’appréhender sa dy-namique. Plus précisément, l’ambition de ce modèle est de pouvoir percevoir la direction prise par le système, et surtout de pouvoir mesurer la différence entre cette direction et l’objectif qui avait été donné initialement par l’Orientation. Pour y parvenir, nous proposons de construire formellement une fonction projet, qui fait le lien entre les caractéristiques d’un projet de recherche et son impact global, puis de l’utiliser pour évaluer le système selon le cadre défini précédemment. Une fonction Evaluation sera ainsi également construite formel-lement. Ce cadre servira par ailleurs à présenter l’organisation circulaire du flux d’information à l’intérieur du système, principale responsable de sa dynamique, dont le moteur est l’Evaluation.

Notre démarche pour cela s’inscrit dans le prolongement de la critique des approches d’« Evidence-Based Policy Making » (EBPM) [De Marchi et al., 2016], qui dénonce la naïveté de l’idée selon laquelle il serait possible d’aiguiller une politique sur la seule base de données objectives [Tsoukiàs et al., 2013]. Cette critique ne nie pas qu’il existe une demande sociétale et politique pour l’utilisation de données objectives afin de soutenir l’élaboration et l’évaluation des politiques. Elle souligne cependant que les données objectives ne peuvent jamais à elles seules suffire à produire une évaluation [Daniell et al., 2016]. En particulier, [Tsoukiàs et al., 2013] et [Jeanmougin et al., 2017] soulignent l’importance de prendre en compte, dans toute évaluation de politique publique, la légitimité de la politique, considérée comme une dimension d’évaluation à part entière, irréductible à l’atteinte ou non des objectifs de la politique censément mesurable

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par des "données objectives". Dans la suite de ce chapitre, nous accorderons une attention toute particulière à cette notion de légitimité. L’analyse conceptuelle de cette notion philosophiquement complexe dépassant le cadre du présent tra-vail, nous utiliserons cette notion dans le sens qui lui est donné par [Meinard, 2017]. Dans ce qui suit, nous commençons par analyser, dans une approche descriptive, l’évaluation du système. Nous poursuivrons en montrant comment notre approche permet de rendre compte de la dynamique du système. Enfin, nous terminerons en adoptant une approche normative pour proposer une nouvelle organisation du système, qui pourrait être une réponse aux limites identifiées du système actuel.

Remarques préliminaires à la modélisation

Avant de proposer notre modèle du financement de la recherche et de l’innova-tion, il convient de prendre quelques précautions. Il est par ailleurs important de noter que ces remarques préliminaires à la modélisation sont inspirées du travail réalisé par [Schneider, 1996] dans sa thèse qui lui même utilise [Le Moigne, 1977] et Stachowiak 1965 (les références étant en langue allemande, nous faisons confiance à Schneider pour l’interprétation qu’il en a fait).

Ainsi selon Stachowiak un modèle en science sociale présente trois caractéris-tiques ou fonctions :

1. La fonction de représentation 2. La fonction de réduction 3. La fonction subjectivisante

A ces caractéristiques nous pouvons ajouter la définition de la modélisation que donne [Le Moigne, 1999] : "Action d’élaboration et de construction intentionnelle, par composition de symboles, de modèles susceptibles de rendre intelligible un phé-nomène perçu complexe, et d’amplifier le raisonnement de l’acteur projetant une intervention délibérée au sein du phénomène ; raisonnement visant notamment à anticiper les conséquences de ces projets d’actions possibles".

Nous en déduisons qu’un modèle est une représentation simplifiée et compré-hensible d’une situation réelle plus complexe (Schneider parle du principe de simi-larité en lien avec les fonctions de représentation et de réduction de Stachowiak) réalisée pour comprendre ou expliquer un phénomène précis (Schneider parle du principe d’utilité en lien avec la fonction subjectivisante de Stachowiak).

Autant le principe de similarité d’un modèle est trivial autant celui d’utilité mérite quelques explications. En effet, le propre d’un modèle est de rendre intelli-gible quelque chose qui ne l’est pas à priori. Dans ce contexte, le modélisateur qui

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cherche à construire un modèle pour répondre à une question précise (principe d’utilité) doit généralement faire certains raccourcis et simplifications. Ceux-ci sont sans conséquence sur la problématique mais peuvent conduire un observateur extérieur à imaginer que la situation réelle n’a pas été modélisée dans son ensemble et ne répondrait ainsi pas au principe de similarité. La compréhension d’un modèle n’est donc pas dissociable de sa problématique.

Maintenant que ces remarques sur l’action de modéliser ont été faites, revenons au SNFRI. En l’espèce, pour construire notre modèle nous simplifions la réalité (principe de similarité) selon les hypothèses suivantes (principe d’utilité) :

— L’intégralité du financement de la recherche sur projet est réalisée selon une organisation séparée : nous avons souligné que c’est effectivement cette organisation qui est privilégiée mais rien n’indique qu’elle est exclusive. — Nous considérons les fonctions constitutives du système comme

indépen-dantes les unes des autres : nous avons précédemment mis en évidence que cette indépendance n’est que très partielle notamment vis à vis de la res-source humaine qui constitue chacune de ces fonctions. En particulier, les fonctions Orientation, Programmation et Evaluation sont constituées de personnels issus de la Recherche.

Chapitre 4