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INTRODUCTION : DU CONFORT URBAIN A LA MARCHE EN VILLE Le confort urbain : Une notion multicritère situationnelle

Marche et confort dans l’espace public

INTRODUCTION : DU CONFORT URBAIN A LA MARCHE EN VILLE Le confort urbain : Une notion multicritère situationnelle

Comment définir le confort urbain ? Quels sont les critères du confort urbain ? Le « confort » est une notion qui vient de l’environnement intérieur, qui s’applique au « chez soi » et qui s’oppose généralement au monde extérieur car le confort est personnel, il appartient à l’individu, chacun a son propre confort, il n’est pas standardisable et évolue dans le temps (Grégoire Chelkoff). Comment parler alors de confort urbain ? Cette notion est-elle transposable au « dehors », s’adapte-t-elle à l’environnement urbain partagé qu’est l’espace public, en se standardisant ? Les gestionnaires de l’espace public tentent de rendre ce dernier le plus confortable possible, pour qui, pour quoi ? La pratique de la marche en ville, est soumise à la qualité de l’environnement dans lequel elle est pratiquée. Il fait donc sens de travailler sur le confort de l’espace public pour ceux qui le pratiquent par la marche. Il existe bien des critères de confort, physiquement et objectivement mesurables qui sont d’ailleurs utilisés par les aménageurs comme indicateurs et garants du bien être des usagers. Nous pouvons citer par exemple le confort acoustique, le confort lumineux, le confort lié à la qualité de l’air et à la pollution, le confort lié à la qualité du sol et à la voirie en général. Ces critères sont relatifs à des besoins dont la variabilité d’un sujet à l’autre est assez faible et qu’il est possible de mesurer et de contrôler physiquement grâce à l’existence de seuils de tolérance (lesquels font basculer le sujet dans l’inconfort s’ils sont franchis). Cependant, concernant d’autres critères, plus subjectifs et qui participent néanmoins à l’émergence du sentiment de confort, il parait moins évident d’établir une « norme » puisque, le piéton, dans sa multiplicité n’a pas les mêmes besoins en fonction de son identité (âge, genre, motricité etc.), de la temporalité et de l’environnement marché. En cela, le confort urbain (qui regroupe à la fois la dimension objective et la dimension plus subjective) n’est donc pas le même pour tous. Il est alors légitime de se poser la question de la pertinence de la transposition de cette notion associée généralement à l’intime, à la sphère privée, pour une application à l’espace public. Il semble complexe de rendre l’espace public confortable pour tous car ce

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qui est confortable pour l’un pourrait provoquer l’inconfort de l’autre. La théorie des affordances (Gibson 1979 (1)), peut constituer en ce sens, une réponse partielle, en ce que l’environnement constitue un ensemble de ressources à disposition des individus dont les comportements et actions vont résulter des qualités perçues et des possibilités d’action qui sont offertes par l’environnement. Les affordances sont donc considérées comme les différentes possibilités d’interaction offertes à l’individu par son environnement. Ainsi, tout aménagement serait potentiellement confortable si nous considérons que le confort dépend de cette liberté d’usage par toutes les catégories d’usagers. Une première piste serait donc « d’autoriser » chaque usager à s’approprier l’espace public en fonction de ses besoins et valeurs propres -qui sont eux-mêmes évolutifs- à la seule et unique condition de ne pas entraver l’appropriation – aussi différente soit elle- de l’autre. La clef du confort urbain résiderait dans une sorte de « privatisation » (momentanée) de l’espace public ? La prescription favoriserait donc l’inconfort ? L’étude multicritères du confort urbain (2) menée dans le cadre d’une recherche initiée par le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (2010), a permis de mettre en évidence que le confort n’est pas la stricte antinomie de l’inconfort d’une part et met également en évidence la difficulté à définir la notion de confort urbain en opposition à la « facilité » à définir la notion d’inconfort urbain. Cette étude, effectuée auprès de piétons fréquentant des places publiques, démontre que le sentiment de confort urbain n’émerge pas systématiquement en l’absence de nuisances et/ou d’inconfort. Le confort urbain est une notion situationnelle qui résulte de la combinaison des caractéristiques environnementales (physiques, sociales et temporelles) et des caractéristiques intra-subjectives. Il ne serait donc pas cohérent de parler d’un confort urbain unique mais plutôt de conforts de l’espace public, ce qui en fait une notion relative à des situations qui dépendent elles-mêmes, du sujet, de la temporalité et de l’espace dans lequel il s’inscrit. Il n’existe donc pas de « confort de la marche » mais plutôt des situations de marche plus ou moins confortables.

Étude de la marche au prisme du confort urbain Protocole méthodologique

La marche en ville est, par nature le mode de déplacement qui expose le plus l’individu à l’environnement dans lequel il inscrit son action (l’individu est l’unité véhiculaire (Winkin 2009 (3)). Il s’agit ainsi d’une exposition au plan physique et social qui peut être plus ou moins bien vécue- en fonction de l’environnement marché (environnement au sens de cadre physique), de l’autre qu’il rencontre, des conditions climatiques. C’est ce à quoi nous faisions référence, plus avant, lorsqu’nous parlions de « situations de marche plus ou moins confortables ». Dans le cadre de nos recherches, nous avons souhaité identifier ce qui est considéré comme éléments de confort d’une part et comme freins à la marche en ville d’autre part. Nous avons défini un protocole méthodologique bâti en deux grandes étapes successives. La première étape reposant sur une série d’observations des comportements de « marche », sur différents espaces publics parisiens, sélectionnés pour leurs différences morphologiques, d’ambiances et d’usages7. Nous souhaitions observer le « comment » de la marche (allure, point de regard, stratégie d’évitement…) en fonction des différents espaces marchés, des différentes temporalités et des sujets. Dans un second temps, nous avons souhaité interroger les marcheurs de ces espaces publics pour confronter ce « comment » de la marche (ce qu’ils font) et ce qu’ils disent de la marche et de l’espace marché. Nous avons donc construit un questionnaire visant le recueil de données concernant les habitudes de déplacement des marcheurs de ces espaces publics, le rapport à la marche entretenu par ces marcheurs et les représentations de la marche en ville. Ces méthodes de recueil de données sont complémentaires en ce qu’elles nous permettent, de savoir à la fois ce que les individus font (comment, ils marchent un espace en particulier) et ce qu’ils disent/expliquent (pourquoi ils marchent de telle ou telle façon, quelles sont leurs stratégies de déplacement à pied). Nous avons inscrit nos observations et nos enquêtes de terrain par questionnaire dans un cadre temporel qui correspond aux routines de marche et aux habitudes de déplacement, de notre population cible, à savoir une population « active » en ce qu’elle effectue presque quotidiennement des déplacements domicile-travail. Ce choix nous a permis en effet d’appréhender la marche du quotidien, celle-ci même qui, par son caractère routinier est automatisée,

7 Un tronçon du boulevard Haussmann (Paris 9e), le tunnel de la rue de Rambouillet (Paris 12e), un tronçon de l’avenue de Clichy

(Paris 17e), le franchissement de la porte d’Italie (Paris 13e) vers le Kremlin-Bicêtre (Val de Marne), un tronçon de la rue La

Fontaine (Paris 16e), le parvis de la gare RER Saint Denis-Stade de France (Seine-Saint-Denis) et un tronçon de l’Avenue de

parfois niée, ce qui correspond le mieux aux comportements que nous avions choisi d’étudier. Les observations et la passation des questionnaires ont donc eu lieu uniquement la semaine (du lundi au vendredi) en fonction des tranches horaires qui impliquent un déplacement à pied « routinier » pour la population qui nous intéresse. A savoir cinq créneaux horaires : tôt le matin (6h30-8h), le matin (9h- 10h30), le midi (12h14h), la fin d’après-midi (17h-19h) et le début de soirée (19h30-21h). L’échantillon d’enquêtés par questionnaire se compose de 221 sujets dont 46 % de femmes et 53 % d’hommes (1 % Non Renseigné). Les sujets interrogés sont âgés de 19 ans à 69 ans mais la répartition par tranche d’âge (INSEE) est assez inégale puisque nous constatons une surreprésentation des sujets appartenant aux tranches d’âge comprises entre 19 ans et 54 ans et une représentation beaucoup moins importante des sujets âgés de 55 ans à moins de 64 ans. Nous exposerons dans la sous-partie suivante les premiers résultats de cette enquête par questionnaire que nous avons obtenus en réalisant une analyse statistique descriptive avec fréquence. Si cette étude nous a permis d’obtenir un certain nombre de résultats qui viennent enrichir les connaissances sur le lien entre confort et marche dans l’espace public, elle a toutefois démontré certaines limites que nous pouvons notamment imputer à la méthodologie employée. Nous considérons cette étude comme la phase exploratoire de nos recherches, que nous souhaitons donc approfondir par des entretiens individuels et des focus groups. Il nous parait effectivement indispensable de mettre à l’épreuve les résultats que nous exposons plus après et/ou de les compléter en ne nous limitant pas à la passation de questionnaires dont le caractère « in situ » induit certains biais sur les réponses.

Confort de la marche versus freins à la marche

Le graphique ci-dessous (figure 1) représente les critères d’inconfort et les nuisances urbaines qui sont pour l’ensemble de l’échantillon (221 sujets) perçues comme décourageants la marche en ville.

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FIGURE 1. Graphique extrait de l'enquête sur les comportements de marche dans l'espace public parisien.

Source : Relevés de l’auteur en Mai 2013.

Ainsi, sont perçus par la majorité des sujets de l’échantillon comme un frein à la marche en ville : les conditions climatiques extrêmes, les mauvaises odeurs, le manque de propreté, l’encombrement du trottoir, le sentiment d’insécurité, la densité de personnes, le bruit de la circulation et la pollution de l’air. Hors-mis les conditions climatiques et l’encombrement des trottoirs, les autres critères d’inconfort qui sont considérés comme principaux « freins » à la marche en ville, sont liés à la présence de l’autre sur l’espace public. De façon directe (sentiment d’insécurité, la densité de personnes) ou indirecte (les mauvaises odeurs, le manque de propreté) et notamment l’autre qui se déplace de façon motorisée (le bruit de circulation, la pollution de l’air). La gêne principale qui décourage à la marche est donc en lien avec la présence ou l’action d’autrui sur l’espace public. Il s’agit également de gènes/nuisances sur lesquelles les individus n’ont pas de contrôle ce qui augmente de façon importante la perception de la gêne ressentie (Cohen, 1980 (4) ; Baum et al, 1982(5)) et fait émerger un sentiment de stress chez les individus (Moser, 1992 (6)) qui participe à l’inconfort. Ainsi, dans les conditions morphologiques et d’aménagement qui sont celles de l’espace public parisien, il semble que le frein principal à la marche soit la rencontre de l’autre, celui qu’on ne veut pas voir, ceux qui trop nombreux, entravent nos cheminements, celui et/ou ceux dont la présence provoque un sentiment d’insécurité. Nous nous sommes en particulier intéressés à cette rencontre inconfortable avec l’autre en analysant nos données au prisme du genre. Ainsi, nous pouvons nous apercevoir que les critères d’inconfort qui découragent à la pratique de la marche en ville sont différents en fonction justement de la variable « genre » et en particulier les

critères qui participent de l’émergence du sentiment d’insécurité sur l’espace public. Nous constatons par exemple que parmi les femmes interrogées lors de nos enquêtes, une proportion plus importante que les hommes, ressent une gêne lorsqu’elles marchent dans un espace public qui « manque d’éclairage », dont la « densité de personnes » est importante et en « présence de certaines personnes » (notamment des « bandes de jeunes », des « mendiants »). De façon plus générale, 63 % des femmes interrogées considèrent que le sentiment d’insécurité est un frein à la marche en ville tandis que seulement 41 % des hommes interrogés affirment que ce sentiment d’insécurité est un frein à la marche en ville.

FIGURE2. Graphique illustrant la répartition des critères favorisant le sentiment d'insécurité, en fonction du genre.

Source : Relevés de l’auteur en Mai 2013.

Ces freins à la marche sont déclarés comme potentiellement décourageant la marche en ville. Cela étant dit, s’ils peuvent « freiner » les sujets dans leur pratique de la marche de façon momentanée, ces critères constituent plutôt des freins à « l’envie de marcher » en ce qu’ils contribuent à rendre la projection de sa pratique, dans de telles conditions, inconfortable. Ainsi, il nous faudrait être en capacité de mesurer l’impact de ces « freins » sur la pratique réelle de la marche au quotidien. Nous venons donc d’exposer de façon succincte, les principaux freins et les principales nuisances urbaines qui peuvent décourager les individus à la marche en ville. Nous avons également travaillé sur les éléments qui participent du sentiment de confort urbain et peuvent donc potentiellement encourager la marche en ville. Les résultats de notre enquête viennent confirmer les résultats d’autres études portant sur le confort en milieu urbain sans pour autant qu’il soit directement question du rapport entre confort et marche en ville. Ainsi, l’historicité du lieu marché, l’animation d’un quartier, la présence de végétation, la pacification de la circulation routière sont autant de critères environnementaux et sociaux qui participent de l’émergence du sentiment de confort dans l’espace public urbain. Certains autres critères qui font confort pour la marche en ville sont d’ordre intra-subjectifs et/ou sont relatifs à la situation de marche. L’un de ces critères qui semble avoir un poids très important dans l’émergence du sentiment de confort, concerne le motif de déplacement. En effet, les sujets semblent plus « confortables » lorsqu’ils choisissent de marcher lors de promenades par exemple, plutôt que lorsqu’ils sont contraints à marcher dans l’optique de relier un point A à un point B dans le cadre des déplacements du quotidien, se rendre sur son lieu de travail par exemple. Nous aborderons notamment ce motif du déplacement dans la partie qui suit, en nous intéressant plus particulièrement aux représentations de la marche en ville.

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% manque d'éclairage densité de personnes présence de certaines personnes Sujets en %

Comparaison "genrée" des criteres qui participent à l'émergence du sentiment d'insécurité

femmes hommes

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