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INTERPRÉTATION ANALYTIQUE DES RÉSULTATS D’ENQUÊTE ET PISTES D’ACTION

En termes plus analytiques, ce premier volet du travail évaluatif engagé au regard de la mise en œuvre du volet orientation du CPRDFP Picard peut renvoyer à un certain nombre de points de réflexions.

En termes d’approche territoriale, la logique qui a prévalu est celle d’un maillage homogène du territoire régional pour une couverture égalitaire. Cette logique de développement n’est pas directement imputable à la politique du Conseil régional dans la mesure où ces réseaux lui préexistent pour une large part. Essaimés sur l’espace régional sans articulation et dans une logique de segmentation par publics (scolaires, post-scolaires et adultes), ces structures d’AIO ne s’inscrivent pas, au moment de leur implantation territoriale, dans une logique d’Orientation tout au long de la vie. Si cette perspective tend à s’imposer comme une norme (encore très souple) et plus certainement comme un horizon de signification, la notion d’orientation tout au long de la vie (OTLV) ne renvoie pas qu’à un cadre temporel. Elle engage pour se réaliser une réflexion sur la fluidité des passages entre réseaux ou leur intégration. Cette dernière perspective semble difficilement réalisable et les conseils régionaux n’en détiennent pas la clé institutionnelle même après le 1er janvier 2015. Il semble donc bien que ce soit dans une perspective de coordination renforcée que la notion d’OTLV soit à développer. Or coordonner des réseaux qui n’ont pas les mêmes espaces d’action et la même aire de « recrutement » de leurs publics relève de la gageure. Construire une fluidité dans le temps du conseil en orientation suppose ainsi d’aménager des solutions spatiales. La couverture territoriale picarde, tout comme celle des régions françaises dans leur globalité, est de ce point de vue problématique. Outre que cette couverture a quelques trous, elle se traduit également par une faible adaptation de l’offre d’orientation à l’intensité des problèmes sociaux identifiés sur les territoires. La réflexion en termes d’adaptation de l’offre d’orientation à la demande sociale est peu commune en France. Elle pose en effet de nombreux problèmes et enjeux. Réfléchir à une couverture plus adaptative et équitable de l’offre d’orientation suppose en effet de donner une plus grande marge d’adaptation des dispositifs aux conseillers et de pouvoir faire varier les moyens financiers et humains en fonction des besoins individuels identifiés sur les territoires. Concentrer les moyens sur les territoires les plus problématiques suppose donc, à titre d’exemple, une connaissance approfondie de la demande sociale d’orientation, la possibilité de renforcer les moyens financiers sur certains espaces. Il pourrait ainsi être imaginé une carte des

« zones d’orientation prioritaires » régulièrement actualisée où pourrait se concentrer un appui financier et humain renforcé. Une telle perspective est ainsi complexe et difficile à aménager mais une première étape pourrait résider dans l’établissement d’une cartographie complète et détaillée de la demande d’orientation qui mette en évidence les inégalités spatiales dans l’accès à un service d’orientation. Ce peut être une porte d’entrée vers une offre plus réactive et personnalisante aux besoins des usagers.

En termes d’analyse du changement introduit par la politique régionale, nous avons pu constater une appétence assez marquée au changement dans la stratégie de la collectivité. Dans le champ de l’orientation qui n’appartenait pourtant pas jusqu’à la loi du 5 mars 2014 au cœur des compétences régionales, nous avons pu relever de nombreuses réformes et les multiples instabilités institutionnelles et professionnelles qu’elles génèrent nécessairement. Nous avons pu observer également que cette dynamique de changement oscille entre un volontarisme régional affirmé et une forme de « suivisme » à l’égard de politiques nationales instables et discontinues. Ce dernier point témoigne au passage des inégalités entre régions françaises qui peut se traduire par des niveaux de dépendance plus ou moins forts aux politiques de l’État central. En l’occurrence, cette dynamique de changements réguliers dans la politique régionale se traduit par une gestion du réseau d’AIO marquée par des réformes répétées qui fragilisent la position régulatrice de la Région et obèrent la lisibilité de sa politique pour les opérateurs de terrain. Ainsi, en dépit de la mise en œuvre durant 3 ans d’un instrument de mise en cohérence des représentations sur l’orientation, des divergences de valeurs et des clivages de normes persistent au sein d’un référentiel d’action publique fragmenté. Les assises organisationnelles de cette politique incarnent ces stop & go dans des formes peu articulées. Enfin, concernant les instruments de la politique régionale, s’ils sont bien repérés, ils s’avèrent soit peu structurants quand ils visent à donner du sens, ou sont vécus comme des formes de management public trop contraignants quand ils ont une visée régulatrice. Il nous semble qu’à l’issue d’une série de changements organisationnels intervenus dans la politique régionale et à l’aube de nouveaux bouleversements, un effort doit être réalisé pour consolider l’adhésion des acteurs à la politique régionale et restaurer ou installer une forme de confiance dans le fonctionnement des structures de pilotage de la politique régionale d’AIO.

La question du changement est au cœur de nombreux travaux d’analyse des politiques publiques dont certains enseignements peuvent trouver quelque utilité ici. En termes de temporalité du changement, les analyses sur longue période des agendas politiques73 ont souligné la récurrence d’une alternance de phases prolongées de stabilité et de périodes courtes de changement. En termes d’intensité du changement74, les travaux d’analyse des politiques publiques soulignent que le changement est une composante importante et nécessaire de la conduite de l’action publique mais que la stabilité est également nécessaire à la construction d’une routine et de la confiance institutionnelle. En particulier dans le cadre d’une politique régionale qui repose principalement sur une activité de coordination de réseaux, la routine et la confiance institutionnelle sont des éléments clés. Pour installer ces conditions, il apparaît nécessaire que la politique régionale construise puis s’inscrive dans une dépendance de

73 Baumgartner F, Jones B., Agendas and instability in American politics, Chicago, University of Chicago Press, 1993

74 HALL P., « Policy Paradigms, Social Learning, and the State : The Case of Economic Policymaking in Britain », Comparative Politics, vol. 25, n°3, 1993, p. 275-296.

sentier75 plus affirmée. Cette stabilité nécessaire sera d’autant plus facile à construire si elle s’inscrit dans un cadre politique pleinement légitime et institué qui suppose de donner à la politique régionale d’orientation un statut clairement défini.

La question du statut de la politique d’orientation au sein de l’ensemble des politiques régionales apparaît en effet comme un impensé fréquent en France. Cette politique demeure en effet le plus souvent dans une position subalterne de double marginalité à l’égard de la politique de formation, elle-même référée à la politique régionale de développement économique76. Du fait de leur héritage politico-administratif, les politiques publiques françaises sont caractérisées par une emprise forte de la notion de secteur d’action publique77. Cette notion renvoie à l’idée selon laquelle la régulation politique s’appuie en France sur une structuration forte des domaines d’action publique autour de valeurs, de système d’acteurs et d’instruments spécifiques qui en fixent les frontières. La politique nationale a été fortement marquée par ce modèle qui explique la structuration verticale de secteurs comme l’éducation, la santé, l’agriculture, la défense, etc. Une des questions fortes concernant la régionalisation en France est de savoir dans quelle mesure les conseils régionaux sont à même de constituer leurs champs de compétences en secteurs d’action publique régionaux. Le champ de la formation professionnelle s’inscrit assez bien dans cette logique avec des directions spécifiques, des personnels dédiés, des documents d’orientations stratégiques, des budgets propres et des modes de régulation stabilisés. Il nous semble que pour donner à l’orientation tout au long de la vie et au Service public régional d’orientation toute leur légitimité, il serait nécessaire de porter le degré d’institutionnalisation de l’orientation dans les politiques régionales au même niveau que celui de la formation professionnelle. En d’autres termes, il serait souhaitable de constituer le champ de l’orientation en secteur d’action publique régional. Cela suppose de consolider, stabiliser et renforcer le socle cognitif de cette politique en atténuant ou réarticulant les clivages identifiés autour des finalités et des modalités de régulation de l’orientation. Pour le dire encore autrement, il semble nécessaire de mieux articuler les logiques de prise en compte des « publics » et celle des « secteurs économiques ». Au niveau organisationnel, deux dimensions sont à considérer : à l’interne, il apparaît

75 La notion de dépendance au sentier emprunté s’appuie sur une métaphore visant à décrire l’idée selon laquelle les choix contemporains s’appuient sur les décisions antérieures. Suivre un sentier suppose d’effectuer des choix entre bifurcations successives et chaque choix porte sur la bifurcation actuelle sans revenir sur les choix de bifurcations effectués auparavant (on ne rebrousse pas chemin pour s’interroger sur le point de savoir si le choix effectué auparavant et parfois de manière lointaine était pertinent, on poursuit dans la voie empruntée). Elle a été notamment développée par Paul Pierson pour expliquer la continuité dans les trajectoires de politiques publiques.

76 Berthet T., Gayraud L. (2003), « Gouverner l'action publique aux marges, l'exemple de l'orientation professionnelle » dans M. Bel, O. Mériaux et P. Méhaut, La décentralisation de la formation professionnelle en France. Quels changements dans la conduite de l'action publique ?, Paris, L'Harmattan.

77 Développée en France par Pierre Muller, la notion de secteur d’action publique se définit comme « une structuration verticale des rôles sociaux (en général professionnels) qui fixe des règles de fonctionnement, d’élaboration des normes et de valeurs spécifiques, de sélection des élites et de délimitation des frontières » (P. Muller, « Secteur » dans Boussaguet L., Jacquot S., Ravinet P., Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2010).

important de conduire une réflexion sur les changements organisationnels nécessaires pour développer l’autonomie de ce secteur tout en développant les articulations avec les autres secteurs de la politique régionale (formation, développement économique, transport, logement, culture). À l’externe (ou en ré externalisant), entrer dans une logique d’animation d’une politique régionale partenariale qui suppose au préalable d’en restaurer les outils de pilotage conjoint avec l’État (ARML, CARIF et OREF).

Transformer l’orientation tout au long de la vie en secteur régional d’action publique est une tâche particulièrement ambitieuse. La loi du 5 mars 2014, en ce qu’elle nécessite de confronter problèmes et solutions possibles, constitue une fenêtre d’opportunité pour construire une politique régionale de plein exercice.

Partie 2 :