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Les attentes comportementales vis-à-vis des bénéficiaires : la « motivation »

Partie 2 : L’analyse des services rendus aux bénéficiaires

4. L’ACCOMPAGNEMENT EN STRUCTURE AIO

4.3. Les attentes comportementales vis-à-vis des bénéficiaires : la « motivation »

Le terme de « motivation » est tout à la fois explicitement énoncé par les bénéficiaires et par les interlocuteurs dans les structures rencontrées mais il est également présent de manière sous-jacente dans les discours tenus.

Ce que revêt ce mot est, pour autant, différent selon les structures, entre les structures et leurs bénéficiaires et selon les bénéficiaires eux-mêmes.

4.3.1. Les jeunes

Les jeunes semblent faire preuve d’un comportement par mimétisme par rapport aux attendus supposés de la structure quant à la notion de « motivation ». Ils vont tenter de produire les signes attendus par la structure et cherchent donc à adapter leur comportement aux codes pressentis par les institutions qu’ils comparent d’ailleurs à une entreprise : « C’est comme un patron qui attend que tu le rappelles pour voir si t’es motivé. » (Entretien jeune décrocheur scolaire)

Les jeunes motivés ont donc intégré qu’il faut montrer, signifier sa motivation et cela se fait en prenant rendez-vous, en faisant leurs propres recherches et en posant des questions pour montrer leur intérêt.

« Si je fais une demande sur Internet, ça fait la meuf qui envoie sa demande quand elle veut, ça ne fait pas motivée. » (Entretien jeune décrocheur scolaire)

Il semble que les jeunes aient effectivement bien perçu l’importance donné à ce terme par la Mission locale et le sens qui lui est associé. En effet, pour cette structure, la motivation renvoie à la confiance qu’a le jeune en lui et en sa capacité à être acteur de son projet. « Le jeune doit être acteur de son parcours.» (Entretien Mission locale). De ce fait, l’un des objectifs de la Mission locale est de « leur donner confiance, de leur faire prendre confiance en eux, par un travail tout au long du parcours, dans le temps. » (Entretien Mission locale)

Derrière cet apparent consensus, un quiproquo se dessine.

Les Missions locales considèrent que « La Mission locale n’est pas là pour leur donner un coup de pied dans les fesses : "tu vas faire ci, tu vas faire ça" ! ». Les jeunes admettent qu’une partie des efforts doivent venir d’eux-mêmes « Le combat c’est contre soi-même. Faut que nous on se motive. » (Entretien jeune décrocheur scolaire). Pour autant, ils expriment le besoin d’être soutenus par la structure d’AIO, qui est, selon eux, bien placée pour les empêcher de se « démotiver » et leur donner la possibilité de « travailler et être motivé pour trouver un projet. » (Entretien jeune décrocheur scolaire). En effet, pour eux, la motivation correspond à l’espoir, à l’envie de s’en sortir, à l’envie d’avoir une seconde chance et la Mission locale leur apparaît comme l’acteur qui va leur offrir une porte de sortie, une opportunité pour l’avenir : « ça te motive pour l’avenir », « la motivation, elle vient au fur et à mesure de l’aide. » (Entretien jeune décrocheur scolaire)

De ce fait, si la structure ne répond pas rapidement à leurs attentes, si elle ne leur consacre pas assez d’attention, alors qu’ils pensent avoir réalisé toutes les démarches prouvant leur « motivation », ils se détournent facilement de cette structure. « Quand on les appelle, ils ne décrochent pas ou ils te mettent en attente pendant 1h. Ils ne sont jamais là pour toi à la Mission locale ! Après ils disent "on ne va pas te courir après", mais si on a autre chose on ne va pas se focaliser sur eux. » (Entretien jeune décrocheur scolaire)

Entretenir la motivation chez le jeune n’est pas chose évidente, les Missions locales précisent que rappeler les jeunes n’est pas toujours facile. Les conseillers doivent gérer un portefeuille conséquent et de ce fait, même si la consigne est de rappeler le bénéficiaire, le conseiller n’a pas toujours la possibilité de rappeler les bénéficiaires en temps et en heure. « On devrait aussi relancer les retardataires… mais on n’a pas le temps. » ; « C’est purement temporaire et matériel, ce n’est pas un test. Après, on est la tête dans le guidon, on a plein de gens à suivre qui sont là et en demande. » (Entretien Mission locale)

4.3.2. Les salariés en formation

Pour les salariés en formation, la motivation est à la fois la source et le résultat d’un changement, d’une rupture dans le parcours professionnel. La motivation correspond au fait d’avoir envie d’évoluer, de changer de métier ou de branche : « j’avais tellement envie d’évoluer professionnellement que je ne me suis pas laissée abattre » ; « vous savez je suis vraiment motivée, si j’ai arrêté mon boulot pour faire des études c’est que vraiment … faut en vouloir ! » (Entretien salarié en formation)

Comme pour les jeunes décrocheurs scolaires, les salariés estiment que les structures mettent en place divers tests pour mesurer leur motivation ; leur volonté est mise à l’épreuve. Les salariés interprètent cela comme une sécurisation de l’investissement formation qui sera fait sur eux.

Il s’agit de savoir trouver le bon organisme, la bonne structure : « Moi je me suis vraiment battu quand même, ça a été une année lourde, frapper à une porte, frapper à une autre, c’est un peu le ping-pong, on nous envoie dans un service puis tout compte fait c’est l’autre, puis faut déjà avoir une idée de ce qu’on veut faire alors que tout compte fait il y a peut-être autre chose qui te colle plus. » (Entretien salarié en formation)

Il s’agit de savoir faire les démarches : « quand j’ai eu la date, ça s’est accéléré parce qu’il fallait faire le dossier très rapidement.» ; « c’était à moi de faire les recherches » ; « il a fallu faire une lettre de motivation. » (Entretien salarié en formation)

Il s’agit aussi parfois de co-investir dans sa formation pour signaler sa motivation : « Si vous voulez, moi je prends en charge les 10 % de salaire que je perds, je prends en charge la moitié des frais de scolarité. Ça c’est pour voir si le candidat est motivé… » (Entretien salarié en formation)

Ici aussi, les bénéficiaires ne se méprennent pas sur le sens donné au terme motivation par les structures qui les épaulent : « ça peut être une sécurité pour tous ces organismes de financement parce que ça évite aussi de payer une formation à quelqu’un qui voudrait se payer une année de bon temps. » (Entretien salarié en formation)

Cependant, ce test vis-à-vis du degré de motivation sera d’autant mieux accepté qu’en parallèle la structure viendra encourager, soutenir et guider le projet du salarié : « La conseillère du FONGECIF m’a tellement bien soutenue et épaulée que j’ai donné de moi-même. » ; « Oui c’est pour ça qu’on parlait du soutient quand on va au CIO ou vers d’autres organismes, certains ont besoins d’êtres épaulés, soutenus. » « La conseillère du FONGECIF est super parce qu’elle nous pousse pour voir si on est motivé, moi ça a été mon booster ! » (Entretien salarié en formation)

4.3.3. Les demandeurs d’emploi

Pour les demandeurs d’emploi, être motivé c’est « vouloir trouver du travail, n’importe lequel ! » (Entretien demandeur d’emploi)

Si les jeunes décrocheurs scolaires et les salariés en formation évoquent le terme de « motivation », on trouve plutôt des sources de « démotivation » chez les demandeurs d’emploi.

Cependant, au contact de la réalité de la recherche d’emploi, la motivation peut parfois s’émousser.

Plusieurs raisons à cela :

- D’abord, la motivation peut venir à manquer car travailler peut entraîner une diminution du niveau de vie, du fait de coûts induits par l’emploi ou de perte d’avantages : perte de la CMU (Couverture Maladie Universelle), perte de revenus, frais de transport, frais de cantine et potentiellement frais de garde des enfants. Cette perte entraîne une désutilité du travail. L’idéal ici est de mettre en avant les avantages, autres que monétaires, liés au retour à l’emploi :

« Ce n’est pas la même perspective temporelle, le court terme prévaut quand ils font leurs comptes. Le RSA c’est mal fait. Il y a des coûts supplémentaires au travail. On ne leur donne pas assez envie. Il faut leur donner envie de faire un sacrifice. Je trouve qu’il y a des choses à faire en insertion, c’est de leur donner envie, de leur permettre de dépasser la vision du court terme. Ce n’est pas simple. » (Entretien Pôle emploi)

- Ensuite, la démotivation peut être liée à un projet professionnel incompris, un manque d’écoute :

« quand vous avez une conseillère à qui vous dites que vous voulez faire ce projet-là, qui vous répond d’office "vous ne pouvez pas faire ça, ça ne sera pas accepté". Qui vous dit "je vous renvoie en formation pour refaire votre projet professionnel" ! À force, j’en ai un peu ras-le-bol. » (Entretien demandeur d’emploi)

- Plus encore, une perte de repères engendrée par le changement d’un conseiller ou le changement de structure peut entraîner une lassitude, un découragement : « Mais il faut tout reprendre, tout ça, les objectifs et tout … moi ça m’a chamboulé » ; « Moi, j’ai été aidé par la Mission locale, c’était une fois par mois, c’était très bien. Ma conseillère m’aidait pour les CV, les améliorer, etc. Après j’ai eu 26 ans, on m’a dit "on ne peut plus te garder, il faut aller à Pôle emploi". Je pensais que Pôle emploi allait me téléphoner, on ne m’a rien dit, j’ai téléphoné pour avoir un vous. Pas de rendez-vous ! » (Entretien demandeur d’emploi)

- Le renouvellement des situations d’échecs ou des situations qui n’aboutissent pas : « À force, on se dit "tiens, on va essayer quelque chose" et puis après ça marche pas. » (Entretien demandeur d’emploi)

- Ce qui est également évoqué par les demandeurs d’emploi c’est l’inadéquation entre recherche d’emploi et propositions formulées : « Il en est ressorti que je devais faire patrouilleur autoroutier.

Donc … ça n’avait rien à voir avec ce que je répondais aux questions, je n’ai pas compris. » (Entretien demandeur d’emploi)

- Cette prescription inadaptée peut alors être ressentie comme un manque de considération :

« On m’avait envoyé à 40 km de chez moi. Arrivée là-bas, on m’a dit "qu’est-ce que tu fais là ? Il y en a un à côté de [chez toi] ! " » ; « Après je vous dis, j’ai fait un essai en espace vert, j’ai été à la médecine du travail. Ils m’ont dit "pas question" par contre, ils m’ont dit que je pouvais faire cariste. […] Oui mais cariste ! Je n’ai plus le droit de conduire un engin. Tout ce qui est à vibration, je n’ai plus le droit et elle veut me mettre sur un Clark ? C’est ridicule pour moi. C’est la médecine du travail ! Si je peux monter sur un Clark, je suis désolé mais je peux monter sur un engin. Donc quand vous voyez ça… » (Entretien demandeur d’emploi)

De tout cela, se dégage souvent un sentiment de fatalité face à l’avenir: « ça, on vous le fait souvent comprendre. Arrivé à un certain âge, vous restez sur le côté et c’est tout. » (Entretien demandeur d’emploi)

Par rapport à cette motivation qui est associé chez le demandeur d’emploi à la volonté de trouver du travail, la perception de Pôle emploi est un peu en décalage. Pour cette structure, la motivation est plutôt associée à la notion d’autonomie dans la recherche d’emploi. Les nouvelles normes de suivi de cette structure intègrent pleinement ce postulat :

« Le suivi mensuel n’existe plus. Il y a trois façons de suivre les demandeurs d’emploi : - le parcours renforcé, pour favoriser une recherche d’emploi, avec des rendez-vous 1 ou 2 fois par mois.

- le parcours guidé : on les voit obligatoirement à 4 et 9 mois et en fonction des éléments qu’ils nous donnent. On fixe des jalons intermédiaires à 6 mois par exemple à 1 an : on donne des axes de recherches de réflexion, des actes à faire avec la Maison de l’emploi, notamment sur des ateliers. On leur demande de prendre contact, d’aller sur ces ateliers et au RDV suivant on leur demande ce qu’il en est.

- enfin le parcours en appui. On les voit au 4ème et 9ème mois, mais là c’est pour des personnes très autonomes. » (Entretien Pôle emploi)

Il ressort de cet écart de perception des risques d’incompréhension, de méprises ou de tensions.