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Partie 2 : L’analyse des services rendus aux bénéficiaires

3. L’ACCESSIBILITÉ AUX STRUCTURES ET AUX PRESTATIONS

3.3. Le non recours

3.3.2. La non demande

Une information effective mais une non demande volontaire

La question des individus qui refusent de fréquenter les structures, sous le prétexte qu’elles ne peuvent rien leur apporter est essentiellement liée à l’image d’elles-mêmes que les structures diffusent ou à la

« mauvaise publicité » qui peut leur être faite. Ce problème ne relève pas de la responsabilité directe des structures mais il est certes conséquent puisqu’il correspond au moins aux deux premiers items du graphique n°54.

Parfois, l’offre de service apportée ne convient pas aux attentes des bénéficiaires. On remarque alors un certain décalage entre les attentes du public et la réponse apportée par les structures. Ce décalage repose parfois sur des « malentendus », des positions culturelles différentes et des pratiques professionnelles qui insistent sur le « rôle moteur » de l’individu dans la construction de son parcours.

Cette situation apparaît notamment dans le cas des jeunes décrocheurs scolaires, souvent en attente d’un emploi, voire même en attente d’une solution rapide. Le bénéficiaire se rend donc en structure pour connaître les services proposés mais il n’adhère pas aux principes de l’offre : « Pas de solution pour moi, ou ce n’est pas ce que j’attendais. Perso, ça ne m’a servi à rien. Voir le COP, ça m’a servi à rien. J’ai même été au Centre information jeunesse, et ça ne m’a servi à rien aussi. J’attendais à ce qu’il me trouve quelque chose à faire. » (Intervention sociologique décrocheurs scolaires)

Les solutions alternatives trouvées par les bénéficiaires, comme l’aide apportée par un proche ou le recours aux agences d’intérim, sont également source de non recours par la non demande. Mais elles sont généralement consécutives à une première non réponse de la structure. Dans un rapport à l’institution déjà mis à mal par un vécu scolaire douloureux, le jeune déçu part et ne revient pas. Il peut s’ensuivre alors une période d’errance institutionnelle :

« Quand on les appelle, ils ne décrochent pas ou ils te mettent en attente pendant 1h. Ils ne sont jamais là pour toi la Mission locale ! Après ils disent on ne va pas te courir après, mais si on a autre chose on ne va pas se focaliser sur eux. » (Intervention sociologique décrocheurs scolaires)

« Moi une fois, à la Mission Locale, je voulais de l’aide pour un boulot. Je devais faire une lettre de motivation, je leur ai demandé un service et puis, ils m’ont refusé, ils m’ont raccroché au nez. Ils m’ont dit "vous avez plus l’âge, on ne vous donne plus de coup de main" et clac, raccroché ! [« Ils vous ont pas dit "vous pourriez appeler tel endroit ?" »]

Non, je suis allé voir à côté de chez moi, à Manpower. J’ai demandé à un conseiller Manpower, elle a pris ma lettre de motivation et l’a corrigée. » (Intervention sociologique demandeur d’emploi)

Une information effective mais une non demande par contrainte

Dans cette configuration du non recours, les raisons identifiées de la contrainte sont diverses.

Il peut s’agir d’un manque de confiance du bénéficiaire. Rappelons que, dans l’enquête par questionnaires auprès des bénéficiaires, les items « Vous ne vouliez pas parler de vos problèmes »,

« vous ne vous sentiez pas à la hauteur » et « vous aviez peur » regroupent 21 % des raisons de l’hésitation à l’inscription dans la structure. Ainsi, cette situation peut engendrer une non prise en charge des réels besoins des bénéficiaires, car ceux-ci sont tus, comme le précise ce demandeur d’emploi : « Mon compagnon a des problèmes d’illettrisme et il ne le dira pas par contre. Des fois, les conseillers devraient insister plus. Ce serait bien de vérifier avant, que la personne elle sache remplir

les papiers. Même au niveau lecture. Mon compagnon ne sait pas remplir les papiers mais il ne le dira pas. Pour lui c’est une honte en fait. » (Intervention sociologique Demandeur d’emploi)

Il peut s’agir d’un mauvais accueil décourageant le bénéficiaire à développer sa demande ou même à revenir : « L’accueil, c’est ce qui donne envie de revenir. La fille d’en bas [la secrétaire], elle t’embrouille pour rien, ça donne pas envie de revenir. » (Intervention sociologique décrocheur scolaire). Le premier contact avec l’institution est essentiel. Pour certains, les rigueurs administratives peuvent être un frein à l’image d’Alban : « Déjà, faut s’inscrire à la Mission locale et ça c’est galère. Moi je voulais faire une formation, à Montataire, mais j’ai perdu ma carte d’identité » (Alban). De même Isabelle : « Comment ça se fait qu’avec l’inscription la dame de l’accueil m’a demandé un nom de conseiller ? Je lui ai dit non vu que c’était la première fois que je venais, et il lui fallait un nom obligatoirement ! » (Intervention sociologique Jeune décrocheur)

Autre risque de non recours, le non-respect de la parole donnée. Les jeunes ont intégré que dans la relation avec une institution, un engagement est attendu d’eux. Mais pour eux, c’est un engagement bilatéral. Si celui-ci vient à faire défaut à cause de l’institution, le contrat est rompu. Ce demandeur d’emploi en a pâti : « J’ai eu un rendez-vous, mais il a été annulé parce que la conseillère a été malade, elle devait me rappeler pour me redonner un rendez-vous et elle ne m’a jamais rappelé. [« Et vous, vous avez rappelé ? »] Non. On m’a dit qu’on me rappelait donc je ne l’ai pas rappelé. Je ne suis pas un pigeon. [...] On est tous maître de nos engagements. » (Intervention sociologique Demandeur d’emploi)

Une absence de compréhension entre bénéficiaire et conseiller peut également entraîner une forme de non recours par la non demande. Parfois cette incompréhension est issue d’un essai de réorientation du projet professionnel : « Mon COP arrêtait pas de me dire que j’étais trop nul, que je ne pourrais pas et comme j’ai pété les plombs, je suis parti directement du collège » (Intervention sociologique décrocheurs scolaires). D’autres fois, l’absence de compréhension provient directement du langage employé par le conseiller : « la conseillère de la Mission locale parle mal, on ne comprend pas quand elle parle. J’étais avec mon éducatrice, et même elle, elle ne comprenait pas ce qu’elle disait. Elle est trop compliquée. Elle s’explique mal. Je lui ai dit et elle m’a dit "bah tant pis !" » (Intervention sociologique décrocheurs scolaires). « La conseillère avait dit qu’elle allait nous aider à trouver un patron ou un CAP et moi elle m’avait dit qu’elle m’aiderait pour ça, pour que je signe pour la Compétence Plus. Mais une ou deux semaines après, elle m’a dit qu’elle n’avait jamais dit ça, après qu’on ait signé. J’me suis fait carotter. » (Intervention sociologique décrocheurs scolaires)