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4.2 Simulations des ´ecoulements turbulents : m´ethodes spectrales

4.3.1 Intermittence bas´ee sur le champ de vitesse

Depuis les travaux fondateurs de Kolmogorov en 1941 (K41) [271], la turbulence pleine-ment d´evelopp´ee a ´et´e intensivepleine-ment ´etudi´ee sur les plans th´eorique, num´erique et exp´eri-mental [20, 58, 147, 253, 272–274]. Une des approches classiques d’analyse des ´ecoulements turbulents consiste `a rechercher des propri´et´es statistiques universelles dans les fluctuations des incr´ements de la vitesse sur une distance l :

δv(r, le) = v(r + le) − v(r), (4.35) o`u e est un vecteur unitaire arbitraire. Par exemple, la recherche des propri´et´es en loi d’´echelle de la fonction de structure longitudinale :

Sp(l) =< (e.δv(r, le))p > ∼ lζp, p > 0 (4.36) o`u < ... > repr´esente la moyenne d’ensemble, conduit `a un spectre d’exposants de loi d’´echelle ζp qui a ´et´e largement utilis´e comme caract´erisation statistique des champs de vitesse turbulents [20, 58, 272–274]. La th´eorie asymptotique K41 est bas´ee sur diff´erentes hypoth`eses de nature statistique, `a savoir homog´en´e¨ıt´e, isotropie et constance du taux moyen de dissipation de l’´energie par unit´e de masse ε = ν

2

P

i,j(∂jvi+ ∂ivj)2. Elle pr´edit l’existence d’une zone inertielle η ¿ l ¿ L pour laquelle les fonctions de structure se comportent comme :

Sp(l) ∼ εp/3lp/3, (4.37) o`u η est l’´echelle dissipative dite de Kolmogorov et L l’´echelle int´egrale (´echelle o`u l’´energie est inject´ee dans l’´ecoulement). Bien que ces hypoth`eses soient g´en´eralement consid´er´ees comme exactes, de nombreux travaux num´eriques [20,254,272,275] comme exp´erimentaux [20, 58, 272–274, 276–284] ont mis en ´evidence un ´ecart significatif de l’exposant ζp par rapport `a la pr´ediction ζp = 1

3p donn´ee par la th´eorie K41, pour les grandes valeurs de p. Le comportement non-lin´eaire observ´e du spectre ζp caract´erise l’´evolution de la densit´e de probabilit´e des incr´ements longitudinaux de la vitesse dans la zone inertielle, partant d’une forme Gaussienne aux grandes ´echelles jusqu’`a atteindre une forme avec des queues en forme d’exponentielles ´etir´ees aux petites ´echelles [273, 278, 279, 285–289]. Cette ´evolution de la statistique des incr´ements longitudinaux de la vitesse `a travers les ´echelles est au coeur de la description multifractale de l’intermittence des petites ´echelles, qui a ´et´e initi´ee par les travaux de Parisi et Frisch en 1985 [39]. La th´eorie K41 est en fait bas´ee sur l’hypoth`ese qu’en chaque point r du fluide, le champ de vitesse a le mˆeme comportement en loi d’´echelle e.δv(r, le) ∼ l1/3, conduisant ainsi au spectre d’energie E(k) = k−5/3 [20] . En interpr´etant le comportement non-lin´eaire de ζp comme une cons´equence directe de l’existence de fluctuations spatiales dans la r´egularit´e locale du champ de vitesse :

4.3 Description multifractale de l’intermittence 141

o`u l’exposant h d´epend d´esormais de la position r, Parisi et Frisch [39] ont propos´e une description g´eom´etrique du ph´enom`ene d’intermittence. Pour chaque valeur de l’exposant h, si on appelle D(h) la dimension fractale de l’ensemble des points de l’espace r pour lesquels h(r) = h, alors en injectant de mani`ere ad´equate cette relation en loi d’´echelle (Eq. (4.38)) dans l’´equation (4.36), on peut relier le spectre des singularit´es D(h) et l’ensemble des exposants ζp par une transformation de Legendre :

D(h) = min

p ¡ph − ζp+ d¢, (4.39) o`u d = 3 est la dimension Euclidienne de l’espace. Les propri´et´es de la transform´ee de Legendre montrent qu’un spectre ζp non-lin´eaire est ´equivalent `a l’hypoth`ese de l’existence d’un continuum de valeurs de l’exposant h. Cependant l’´equation (4.39) n’est valide que pour les valeurs positives et enti`eres de p, ce qui empˆeche la d´etermination compl`ete du spectre D(h) (en particulier la partie d´ecroissante de ce spectre correspondant aux singu-larit´es les moins prononc´ees est inaccessible `a la m´ethode des fonctions de structure [65]). Au d´ebut des ann´ees 90, la m´ethode MMTO 1D [61–63, 65] a ´et´e introduite dans le but de contourner les insuffisances des techniques num´eriques commun´ement utilis´ees pour ef-fectuer une analyse multifractale (par exemple la m´ethode des fonctions de structure et les techniques de comptage de boˆıtes). Comme nous l’avons ´evoqu´e dans la section 1.1 l’utilisation des ondelettes (`a la place des incr´ements ou des boˆıtes) permet en d´efinitive le calcul de fonctions de partition qui se comportent comme Z(q, a) ∼ aτ (q), o`u les ex-posants τ (q) ne sont rien moins qu’une g´en´eralisation des exex-posants ζp dans la mesure o`u q est d´esormais un nombre r´eel allant de −∞ `a +∞. Comme cela est d´emontr´e dans les r´ef´erences [64, 72], la transformation de Legendre du spectre τ (q) permet d’atteindre la partie croissante (q > 0) et la partie d´ecroissante (q < 0) du spectre des singularit´es D(h). Des r´esultats pr´eliminaires, obtenus avec la m´ethode MMTO 1D pour des donn´ees exp´erimentales enregistr´ees en soufflerie `a grands nombres de Reynolds, ont confirm´e le caract`ere non lin´eaire du spectre τ (q) et donc la nature multifractale des fluctuations lon-gitudinales de vitesse [61–63].

Remarquons toutefois que pour les nombres de Reynolds relativement faibles (Rλ de l’ordre de quelques centaines), la zone inertielle effective mise `a jour dans les simulations num´eriques comme dans les exp´eriences est plutˆot ´etroite ce qui rend l’estimation des exposants de loi d’´echelle ζp et τ (q) tr`es difficile, entˆach´ee de grandes barres d’erreur. En r´ealit´e, l’existence mˆeme de loi d’´echelle telle que l’´equation (4.36) pour les fonctions de structure [284, 290, 291], o`u celle pr´edite pour les fonctions de partition bas´ees sur la m´ethode MMTO [76–78,80], n’est pas clairement ´etablie pour les donn´ees exp´erimentales, et ceci mˆeme pour les nombres de Reynolds les plus grands. En effet, les courbes ln(Sp(l)) en fonction de ln(l) pr´esentent une courbure convexe suffisament significative pour que, rigoureusement, on ne puisse pas parler d’invariance d’´echelle. Cette observation remet en question la validit´e de la description multifractale. Benzi et al. [292–294] ont propos´e une alternative `a la d´eviation `a l’invariance d’´echelle qui consiste `a tracer une fonction de structure en fonction d’une autre, et `a observer le comportement en loi d’´echelle ´eventuel.

142 Application des m´ethodes MMTO 2D et 3D pour l’´etude de la turbulence d´evelopp´ee

Plus pr´ecis´ement, l’exposant ζp peur ˆetre obtenu `a partir de la loi Sp(l) ∼ S3(l)ζp, en util-isant le r´esultat th´eorique ζ3 = 1 (voir [20]). Il s’agit de l’hypoth`ese dite d’“auto-similarit´e ´etendue” (extended self-similarity (ESS) en anglais) qui permet d’´etendre le comportement en loi d’´echelle vers les ´echelles dissipatives [275, 292–294]. L’hypoth`ese ESS est bien ac-cept´ee et un large consensus parmi la communaut´e des chercheurs europ´eens s’est ´etabli en 1996 [284], au moins en ce qui concerne son application `a la turbulence homog`ene isotrope. Dans ce cadre, l’hypoth`ese ESS a ´et´e renforc´ee par l’approche dite du “propaga-teur” d´evelopp´ee par Castaing et ses coll. [239,279,290,295–300] et r´ecemment r´eexamin´ee grˆace `a l’utilisation de la transform´ee en ondelettes [76–78, 80, 243, 301]. Remarquons que l’approche de Castaing peut ˆetre reli´ee `a une description de type Fokker-Planck/Langevin de l’intermittence [302–304]. Selon cette description, le champ de vitesse est un processus de Markov `a travers les ´echelles sugg´erant ainsi que la densit´e de probabilit´e des incr´ements de vitesse `a diff´erentes ´echelles suit une ´equation diff´erentielle de type Fokker-Planck car-act´eris´ee par un terme de d´erive et un coefficient de diffusion. Bien que cette description soit, dans une large mesure, tr`es formelle et ph´enom´enologique, elle reste d’un grand int´erˆet potentiel pour l’´etude des comportements en loi d’´echelle [305]. Notons ´egalement que de nombreux travaux th´eoriques se sont attach´es `a ´etablir un lien entre l’approche de type Fokker-Planck et la dynamique des ´equations de Navier-Stokes [306,307]. Tr`es r´ecemment, des calculs syst´ematiques des cumulants de ln |e.δv(r, le)| bas´es sur des profils 1D de vitesse longitudinale provenant de trois montages exp´erimentaux diff´erents et couvrant une large gamme de nombres de Reynolds (de Rλ = 89 `a 2500), ont clairement mis en ´evidence certaines lacunes de l’hypoth`ese ESS [308]. En effet cette ´etude montre que la brisure d’in-variance d’´echelle est principalement due au cumulant d’ordre 1 qui d´epend fortement du nombre de Reynolds et des conditions exp´erimentales, tandis que, de fa¸con surprenante, le cumulant d’ordre 2 d´emontre un comportement invariant d’´echelle universel d´ej`a pour des valeurs de Rλ aussi petites que Rλ ' 100. De plus, l’extrapolation de ces r´esultats `a la limite des grands nombres de Reynolds confirme la validit´e asymptotique de la descrip-tion multifractale log-normale du ph´enom`ene d’intermittence avec un spectre ζp de forme quadratique :

ζp = τ (p) + d = −C1p − C2

p2

2, (4.40)

o`u le param`etre d’intermittence C2 = 0.025 ± 0.003 [308]. Comme une explication pos-sible de la brisure d’invariance d’´echelle observ´ee dans le cumulant d’ordre 1 `a nom-bre de Reynolds fini (et qui pollue le comportement en loi de puissance de Sp(l) pour toutes les valeurs de p) on peut ´evoquer la pr´esence de fluctuations anisotropiques de la vitesse dans la zone inertielle, ayant probablement comme origine les fronti`eres spatiales du domaine d’´etude et les effets r´esultant du mode de for¸cage. Nous renvoyons le lecteur aux r´ef´erences [309–312] o`u il est d´emontr´e comment l’on peut s’affranchir de ces effets d’anisotropie en utilisant la th´eorie des repr´esentations irr´eductibles du groupe des rota-tions.

4.3 Description multifractale de l’intermittence 143