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PARTIE 2 CADRE CONCEPTUEL

5. INTERACTIONS SOCIALES ET APPRENTISSAGE

5.1 INTERACTION SOCIALE

Qu’elles soient communes ou plus spécialisées, les définitions du concept d’interaction comportent l’idée d’une influence entre deux objets. Faisons un rapide détour par les définitions les plus communes. Inter- : « Elément du latin inter « entre », exprimant l’espacement, la répartition ou une relation réciproque » (Petit Robert, 1989) Interaction : « Action réciproque » (Petit Robert, 1989) « Influence qu'exercent les uns sur les autres des phénomènes, des faits, des objets, des personnes. » (Académie française, en ligne12). Passons maintenant à quelques définitions plus spécialisées issues de la psychologie sociale. « L’interaction a lieu lorsqu’une unité d’action produite par un sujet A agit comme stimulus d’une unité réponse chez un autre sujet B et vice versa. » (Maisonneuve, 1997).

Deux termes semblent centraux : influence et réciprocité. Mais que recouvrent-ils plus précisément ? Germaine De Montmollin (1977) propose une définition intéressante. Sur base d’une approche générale de l’interaction, elle définit l’interaction sociale comme la somme des effets résultant de la présence, des paroles ou de l’action d’autrui sur les réponses (réactions observables) de l’individu à son environnement non social (un objet, une question, etc.) ou social. Dans cette définition, la réciprocité est abordée dans le cadre de la réponse de l’individu à l’environnement social. « Dans la mesure où la perception du sujet percevant est modifiée par l’attente d’une réciprocité, il y a interaction sociale [...] C’est la réciprocité, la conduite en retour, qui donne aux conduites à l’égard d’autrui leur caractère d’interaction, non le fait qu’elles soient sociales. » (p.20-21)

En ce qui concerne plus spécifiquement notre domaine de l’apprentissage, c’est bien évidemment l’impact d’autrui sur les réponses à l’environnement non social et plus particulièrement aux objets de savoirs qui nous intéressent. Tentons de schématiser cette relation à la Figure 10. Dans notre schéma, un individu A, l’apprenant, face à un objet d’apprentissage, aura ou non une réponse (RA ou Ro). Il y a interaction sociale quand sa réponse est influencée par la seule présence, les paroles et/ou l’action de l’individu B (RAB).

Nous parlerons d’interactants pour désigner les individus effectivement impliqués dans une interaction sociale (Marc et Picard, 2003). Ce schéma est bien entendu général et permet de regrouper les diverses situations d’interactions sociales dans un dispositif de formation. La situation spécifique d’échange « verbal » de réponses sur une même tâche d’apprentissage et l’influence exercée par la réponse de l’individu B sur la réponse de l’individu A, constituent donc une configuration particulière d’interaction sociale. Une autre situation pourrait être celle de l’influence par le seul fait de savoir que l’individu B est en train de réaliser la même tâche donc par la seule « présence silencieuse ». Cela renvoie aux travaux sur la présence sociale dont nous parlerons plus loin.

Le schéma minimal peut être complété des caractéristiques de la situation sociale comme le contexte et les relations interpersonnelles existant entre les individus et les modalités de l’interaction (en présence ou médiatisée, verbales ou non, etc.) ainsi que la temporalité.

12 http://www.academie-francaise.fr/dictionnaire/index.html

Figure 10 – Schéma descriptif d’une situation d’interaction sociale dans une situation d’apprentissage (adapté de De Montmollin, 1977, p.22)

Le contexte de l’interaction est défini selon Marc et Picard (2000; 2003) par trois dimensions : le cadre, la situation et l'institution. Selon ces auteurs, si on considère le cadre scolaire, la situation d'interaction est le scénario qui définit les relations : un exposé, une activité, etc.

Le cadre représente les éléments physiques et temporels de l'interaction, porteurs de significations symboliques et culturelles. Ainsi, dans le contexte scolaire, un exposé en auditoire suppose par exemple une certaine position de l’enseignant par rapport aux étudiants et un type d’interaction plutôt unidirectionnel de l’enseignant vers les étudiants.

Cependant, un même cadre peut autoriser plusieurs situations. Enfin l'institution est l'élément macro du contexte dans lequel s’inscrivent le cadre et la situation et qui va également colorer les modes de relations: l'institution scolaire, la famille, etc.

Enfin la question de la temporalité est importante dans la mesure où une relation, un lien va se constituer, se développer et évoluer entre les individus en interaction et va aussi influencer l’impact de cette interaction. Cela nous amène à faire la distinction entre l’interaction qui peut s’exercer dans diverses situations et pour différentes raisons (se soutenir, se divertir, partager des ressources, se concerter, se coordonner, décider, coopérer, etc.) et le lien social, la relation interpersonnelle dans laquelle l’interaction prend place.

Ainsi par exemple, il existe des travaux intéressants en psychologie sociale s’intéressant au support social et à son impact sur le bien-être de chacun (Duck, 1990) et qui montrent bien ce lien important entre interaction et relation. C’est généralement étudié dans les relations familiales et amicales mais peut être étendu à des situations de groupes comme dans une classe. Il s’agit de transactions entre sujets dans des situations où une aide est nécessaire ou désirée ou quand des offres d’aide viennent naturellement. Le support social est donné et reçu dans le cadre de relations interpersonnelles « proches ». Un certain nombre d’interactions seront donc nécessaires pour développer cette relation. Le support peut être émotionnel (expressions d’attachement, d’estime, …) et lié à un besoin d’attachement (intimité émotionnelle) ou informationnel et lié à un besoin de guidance (informations,

Objets d’apprentissage

Stimulus, problème, question, etc.

Individu A

Individu B (enseignants, pairs, autres)

Présence Paroles

Action

Interaction sociale

RA ou Ro

RAB

Contexte de l’interaction

conseils). Ce support social est étudié le plus souvent par la perception des sujets concernant ce support et leur satisfaction. Quand une personne perçoit qu’elle fournit plus de support qu’elle n’en reçoit des autres, cela peut engendrer un certain ressentiment. Il y a donc nécessité d’une certaine réciprocité.

Tentons à présent de cerner plus précisément ce concept de relation.

La relation interpersonnelle est la forme et la nature du lien qui unit une ou plusieurs personnes. Elle s'inscrit dans une certaine durée à travers les interactions qui ont lieu entre ces personnes. Si l’on se réfère à Berne (1975), les besoins de stimulation cognitive et affective, de reconnaissance et de structure sont autant de motivations fondamentales pour entrer en relation avec les autres. Ainsi, l’isolement, quand il n’est pas choisi, peut être source de souffrance. Ces besoins sont-ils satisfaits dans un environnement hybride ? La relation peut être définie par la distance qui existe entre des partenaires. La présence physique favorise sa construction. Goffman considère qu’être « en présence » d’autrui est risqué et est soumis à certaines règles « cérémonielles » qui rendent possible le lien social (Nizet et Rigaux, 2005). Ces règles visent à respecter la « face » d’autrui et la sienne en faisant montre d’attention intellectuelle et affective à ce qui se passe et d’engagement dans l’interaction (et soutien à l’engagement des autres). Cela se concrétise par des actes verbaux et non verbaux (gestes, mimiques). Cela renvoie à la distinction entre communication verbale et non verbale, étudiée et proposée par les psychosociologues de l’école de Palo Alto (Watzlawick, Helmick Beavin et Jackson, 1972). Ces chercheurs vont s’intéresser à l’aspect relationnel de la communication et de ce fait davantage au sujet et à ses manifestations non verbales, ces dernières déterminant la relation entre les interlocuteurs (Ghiglione, 1986; Meunier et Peraya, 2004). Myers et Myers (1984) considèrent que « les mots convoient l’information sur le contenu et la communication non verbale exprime et transmet l’information affective » (p.208). Selon Marc et Picard (2000), si la communication non verbale a une fonction relationnelle et régulatrice pour structurer les échanges (par exemple lever la main pour prendre la parole), elle a été beaucoup étudiée dans l’expression et la transmission des émotions. L’émotion est l’expression de notre relation aux autres, l’engagement et l’attention. Les indices de communication non verbale sont le paralangage (timbre, volume de la voix, inflexion, accent sur certains mots, coupures d’une phrase), les expressions faciales et mouvements corporels, les gestes, les manifestations neurovégétatives (coloration du visage, transpiration), le langage d’objet (apparence, habillement) et le toucher (par exemple une poignée de main, une tape affective). C’est également la distance à laquelle on se place par rapport aux autres, qui sera un signal non verbal de la distance psychique, le niveau de convergence d’opinions et de rapport de place.

Précisons ces notions.

Il existe la notion de distance psychique définie par les niveaux de familiarité et de convergence (d’opinions, de sentiments, de compétences, d’intérêts). Les relations avec les familiers se caractérisent par une certaine décontraction dans les rapports interpersonnels (tutoiement, embrassade, etc.), le sentiment d'avoir une connaissance de l'autre du fait de partager le même environnement, le sentiment de solidarité. Des liens "positifs" seraient caractérisés par une certaine convergence alors que la divergence serait associée à des tensions dans les relations. Ainsi par exemple la convergence d'intérêts est propice à la collaboration alors que la divergence conduira plutôt à la compétition. Marc et Picard nuancent en précisant que pour qu'elle soit bénéfique, la coopération doit être choisie et perçue comme source de succès et de progrès. Ainsi, des étudiants arbitrairement tenus de travailler en groupe pourraient le vivre comme un frein à leur performance.

Une autre caractéristique de la relation qui va influencer la situation d’interaction est le rapport de place entre les intervenants. Un rapport symétrique est celui existant entre pairs qui ont le même niveau d’implication dans la relation et sans qu’il y ait de rapport de pouvoir entre eux. On parlera de relation asymétrique complémentaire quand, entre pairs, sans qu’il y ait de relation de pouvoir, il y a différentiation de rôles et d’attitudes. C’est le cas par exemple dans des situations de travail de groupe où chaque apprenant prendra successivement la place de leader en fonction de la tâche dont il est responsable. Il y a enfin le rapport hiérarchique qui sous-entend une position haute et une position basse dans la relation, déterminées par le statut des intervenants (enseignant / apprenant) ou la position subjective ressentie par les intervenants (sentiment d’infériorité ou de supériorité). Les rapports de place sont satisfaisants pour les intervenants et donneront une relation équilibrée dans la mesure où ils s’y sentent à l’aise, les ressentent comme justes. Dans le cas contraire, il y a déséquilibre, lié essentiellement à une atteinte de l’image de soi par rapport à autrui. Les situations hiérarchiques peuvent être mal vécues et certaines règles de « savoir-vivre » comme les marques de bienveillance peuvent être utilisées comme stratégies de rééquilibrage.

QUE RETENONS-NOUS ?

Très synthétiquement, nous pouvons retenir trois grandes idées de ces travaux en psychologie sociale. L’interaction sociale est à considérer dès que deux individus ou interactants sont « en présence » et que la présence, les paroles ou les actions de l’un ont une influence sur l’autre quant à la réponse donnée à une situation. L’interaction sociale génère une relation interpersonnelle, dont les caractéristiques ont un impact sur la qualité de l’interaction. Cette interaction et la relation qu’elle crée s’inscrivent dans un contexte, qui en détermine les modalités.

Que nous apportent ces données pour appréhender l’interaction sociale dans le cadre de l’expérience d’apprentissage dans des dispositifs hybrides ? Prenons-les point par point.

L’interaction sociale se passe entre au moins deux interactants et est faite de l’influence de la présence, des paroles ou des actions de l’un sur l’autre. Dans notre contexte d’apprentissage, les interactants sont les apprenants, les enseignants voire des personnes ressources extérieures.

L’interaction sociale sera faite d’une part de paroles entre des interactants et ce pour diverses raisons que nous pouvons regrouper sous le concept d’accompagnement humain, évoqué au chapitre précédent. Mais la psychologie sociale nous invite à nous pencher sur un autre type d’interaction, l’interaction silencieuse faite de la seule « présence » des interactants : le fait d’être en présence des autres, de les voir agir, de les entendre parler avec d’autres, etc. Cette question nous intéresse particulièrement dans le contexte des dispositifs hybrides qui prévoient une plus ou moins longue période de travail à distance, pendant laquelle les interactions sont modifiées (et souvent vécues comme réduites) et possiblement médiatisées au travers d’un environnement technopédagogique.

L’interaction sociale a une influence sur la réponse que l’individu donne à une situation. Dans notre contexte d’apprentissage, l’accompagnement humain et la présence des autres interactants, a une influence sur les produits de l’apprentissage. Comme nous envisageons les dimensions cognitive et affective comme articulées dans l’apprentissage, nous pouvons considérer que l’influence porte sur ces deux dimensions. Nous verrons dans la partie suivante les travaux faisant état de l’impact de l’interaction sociale sur ces dimensions.

La qualité de l’interaction dépend d’un certain nombre de facteurs dont la relation qui existe et se construit entre les individus. La qualité de l’accompagnement et de la présence dépend de la nature de la relation ou du lien social qu’elle génère entre les interactants. En ce qui concerne notre recherche, c’est plus précisément la perception qu’en a l’apprenant qui nous intéressera.

Deux facteurs importants vont intervenir dans la constitution de ce lien. Le premier est la temporalité. Au fur et à mesure des interactions, le degré de familiarité et de convergence évolue. Une certaine décontraction peut apparaître progressivement dans les échanges. Les interactants connaissent davantage les intérêts, les sentiments, les compétences, etc. des uns et des autres. Ce facteur temporel est donc important à prendre en compte pour comprendre l’évolution de l’expérience des interactions sociales des apprenants. Un autre facteur est celui du contexte. Le lien social sera possible dans la mesure où des règles

« cérémonielles » faites d’attention et d’engagement sont respectées. Ces règles se concrétisent dans des actes verbaux et non verbaux, dans des situations présentielles ou plus restreintes au niveau des canaux de communication comme le téléphone. Comment ces facteurs peuvent-ils être préservés dans un contexte de dispositif hybride ?

Cette interaction et la relation qu’elle crée s’inscrivent dans un contexte, qui en détermine les modalités.

Nous voilà donc au niveau du contexte de nos dispositifs hybrides. Une situation d’interaction (un exposé ou une activité) a lieu soit dans un cadre présentiel, soit dans un cadre distant. Ces cadres sont porteurs de significations symboliques et culturelles.

Comment ces cadres vont-ils s’articuler ?

Voyons à présent ce que nous disent les travaux sur les impacts de l’interaction sociale (et la relation) sur l’apprentissage. Nous verrons ensuite comment le contexte des dispositifs hybrides influence ces impacts potentiels.

5.2 ROLE DES INTERACTIONS SOCIALES DANS